Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel Avril 2025 Couverture : Irrigation d'une jeune culture de maïs en Afrique subsaharienne. Crédit photo : AdeleD @ Shutterstock.com Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel © 2025 / La Banque mondiale Le présent document a été élaboré sur la base d’un processus participatif impliquant les gouvernements de six pays sahéliens, des organisations régionales telles que le CILSS, l’UEMOA et l’ARID, ainsi que les contributions des services du Groupe de la Banque mondiale, dirigés par les chefs d’équipe Bogachan Benli, Sara Datturi, et Amal Talbi. Les résultats, interprétations et conclusions qui y figurent ne reflètent pas nécessairement les vues de la Banque mondiale, de son Conseil d’administration, des gouvernements qui y sont représentés, des gouvernements des pays du Sahel ni du CILSS. La Banque mondiale, les gouvernements des pays du Sahel et le CILSS ne garantissent pas l’exactitude des données fournies dans le document et déclinent toute responsabilité quant aux erreurs, omissions ou incohérences relevées dans les informations, ou quant aux conséquences de toute utilisation abusive ou non des informations, méthodes, processus ou conclusions présentés. Par ailleurs, les frontières, couleurs, dénominations et autres informations figurant sur les cartes du présent document n’impliquent de la part de la Banque mondiale, des gouvernements des pays du Sahel et du CILSS aucun jugement quant au statut juridique de quelque territoire que ce soit ni aucune reconnaissance ou acceptation de ces frontières. Rien de ce qui figure dans le présent ouvrage ne constitue ni ne peut être considéré comme une limitation des privilèges et immunités de la Banque mondiale, ni comme une renonciation à ces privilèges et immunités, qui sont expressément réservés. 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Étendue des surfaces irriguées et possibilités 17 Surfaces irriguées au Sahel 17 Possibilités qu’offrent les eaux de surface 19 Possibilités qu’offrent les nappes phréatiques peu profondes 21 Rapide tour d’horizon des opportunités liées aux ressources en eau 23 Augmenter le stockage de l’eau en vue de la sécurité hydrique et de la résilience climatique 25 2.3. Problèmes persistants et principaux enseignements 26 Politiques publiques et gouvernance 27 Productivité et rentabilité 34 Technologie et innovation 37 Finance, coûts et investissements concernant l’irrigation 41 3 Vision, objectifs et effets escomptés 49 3.1. Vision 49 3.2. Objectifs stratégiques et effets 49 4 Principes d’action 55 4.1. Approches centrées sur les agriculteurs 55 4.2. Durabilité 57 4.3. Adaptabilité 58 4.4. Transposabilité 59 5 Actions stratégiques et axes d’investissement prioritaires 63 5.1. Larges programmes nationaux d’irrigation s’inscrivant dans une perspective régionale 63 5.2. Optimiser les résultats des périmètres collectifs 64 Politiques publiques et gouvernance 64 Productivité et rentabilité 67 Technologie et innovation 67 Financement 68 5.3. Faciliter le développement de l’irrigation par les agriculteurs 68 Politiques publiques et gouvernance 70 Technologie et innovation 70 Financement 71 5.4. Combler le déficit d’investissement et travailler sur les problèmes de coût et les normes de qualité en vue d’améliorer la viabilité des projets d’irrigation 73 5.5. Adopter une approche territoriale intégrée du développement de l’irrigation 75 5.6. Conclusion 78 Bibliographie 80 Tableaux Tableau 2.1.  Surfaces irriguées grâce au PARIIS (février 2025) 15 Tableau 2.2. V  olume moyen d’eau disponible (m3/s) dans les quatre grands bassins hydrographiques transfrontaliers (SSP historiques et prévisionnels) 20 Tableau 2.3. Expansion potentielle calculée de l’irrigation en saison sèche (ha) 21 Tableau 2.4. P  otentiel d’irrigation par des eaux souterraines peu profondes pour cinq pays du Sahel 24 Tableau 2.5. R  endements et bénéfices de la riziculture dans trois grands environnements rizicoles dans les pays d’Afrique subsaharienne 35 Revenu des agriculteurs et seuil de pauvreté dans trois périmètres irrigués 36 Tableau 2.6.  Tableau 2.7. Coût unitaire moyen des projets d’irrigation au Sahel 43 Tableau 3.1. O  bjectifs et effets à court, moyen et long terme du développement de l’irrigation au Sahel 50 Figures Figure 2.1. Nouveau plan de développement de l’irrigation, 2013–2024 17 Figure 2.2. R  épartition des superficies activement irriguées dans les six pays en 2022, sur la base de l’analyse de données recueillies par télédétection 19 Figure 2.3.  épartition des investissements des bailleurs de fonds dans R les pays (2013–2020) 41 Cartes Carte 2.1.  rincipales surfaces acTivement irriguées en maîtrise partielle P et totale en 2022 dans les six pays sahéliens d’après l’analyse de données recueillies par télédétection 18 Carte 2.2. R  égions non irriguées posées sur un substrat rocheux cristallin et des eaux souterraines peu profondes 24 Encadrés Encadré 1.1.  Formes traditionnelles de gestion de l’eau à usage agricole au Sahel 8 Encadré 2.1. E  nseignements tirés de l’utilisation de pompes solaires dans le cadre du PARIIS 39 Encadré 3.1.  Planification participative des solutions d’irrigation dans le PARIIS 56 Sigles et abréviations Acronyme Description AES Alliance des États du Sahel AUE Association des usagers de l’eau CAPEX Dépenses d’investissement CEDEAO Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest CILSS Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel DTW Profondeur de la nappe phréatique E&E Exploitation et entretien ECOWAP Politique agricole commune de la CEDEAO FAO Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture FCV Fragilité, conflits et violence FLID Développement de l’irrigation impulsé par les agriculteurs GEA Gestion de l’eau à usage agricole GEE Gestion, exploitation et entretien GERTS Projet de gestion des eaux de ruissellement dans le Tchad sahélien ha Hectare IFC Société financière internationale iOF Irrigation Operator of the Future OdN Office du Niger ONAHA Office national des aménagements hydro-agricoles OPAH Offensive agropastorale et halieutique OPEX Dépenses de fonctionnement ORS Office du Riz Ségou P2RS Projet de renforcement de la résilience face à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle au Sahel PARIIS Projet d’appui régional à l’Initiative pour l’irrigation au Sahel PDDAA Programme détaillé de développement de l’agriculture en Afrique PDRICL2 Projet de développement de la riziculture dans la plaine du Chari‑Logone 2 PGA Programme gouvernemental d’aménagement hydro-agricole PIB Produit intérieur brut Sigles et abréviations ix Acronyme Description PME Petite et moyenne entreprise PNIASAN Plan national d’investissements agricoles et de sécurité alimentaire et nutritionnelle PNISR Plan national d’investissement du secteur rural PNMEA Politique nationale de maîtrise de l’eau agricole PNSA Programme national de sécurité alimentaire QMS Système de gestion de la qualité RBF Financement basé sur les résultats SAED Société d’aménagement et d’exploitation des terres du Delta du fleuve Sénégal et des vallées du fleuve Sénégal et de la Falémé SNDDAI Stratégie nationale de développement durable de l’agriculture irriguée SNDES Stratégie nationale de développement économique et social SNDR Stratégie nationale de développement de la riziculture SSA Afrique subsaharienne SSI Irrigation à petite échelle UA Union africaine UEMOA Union économique et monétaire ouest-africaine x Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel Préface Les six pays sahéliens (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad) se trouvent aujourd’hui à la croisée des chemins. Face à un climat aride, des ressources en eau de plus en plus variables et des sécheresses récurrentes, la région doit relever des défis importants pour assurer la sécurité alimentaire et favoriser le développement durable. Dans un contexte où l’agriculture dépend à 97 % des précipitations, les économies sahéliennes restent extrêmement vulnérables à la croissance démographique rapide, à l’urbanisation, à la pression grandissante exercée sur les ressources naturelles et aux effets croissants du changement climatique. Cependant, le Sahel dispose également d’atouts importants qui méritent d’être mis en valeur et utilisés : ensoleillement toute l’année, grands fleuves et ressources en eaux souterraines peu profondes qui pourraient être mieux mobilisées et gérées. En outre, la demande croissante des villes pour les produits agricoles offre de nouvelles opportunités commerciales. Conscients de l’urgence des défis et du potentiel à exploiter, les gouvernements sahéliens reconnaissent le rôle stratégique de l’irrigation comme levier essentiel pour transformer les contraintes en inducteurs de résilience, de croissance inclusive et de stabilité durable. Le 31 octobre 2013, les représentants de six pays sahéliens se sont engagés, par la Déclaration de Dakar sur l’irrigation, à étendre les surfaces irriguées de 400 000 hectares (ha) à 1 million d’hectares (ha) à l’horizon 2020. L’objectif de cette déclaration était de renforcer la sécurité alimentaire et le développement économique de la région en augmentant l’utilisation de l’eau pour l’agriculture. Des avancées notables ont été réalisées depuis lors, malgré des difficultés considérables, jetant les bases d’un développement plus structuré et plus ambitieux de l’irrigation. La Stratégie pour l’irrigation au Sahel dresse un bilan des efforts déployés au cours des dix dernières années en évaluant les effets socioéconomiques et en déterminant les leviers devant permettre de réaliser rapidement les progrès nécessaires à la sécurité alimentaire. Par exemple, sur la cible initiale de 600 000 ha fixée, il y a dix ans, environ 285 000 ha ont été aménagés, ce qui marque un progrès non négligeable. Cependant, une partie de ces surfaces reste sous-exploitée, en partie ou en totalité, d’où la nécessité d’améliorer l’efficacité et la durabilité des infrastructures d’irrigation existantes. Préface xi Bien que tous les premiers objectifs n’aient pas été atteints, cette période a été riche d’expériences et d’enseignements essentiels sur ce qui fonctionne bien et ce qui ne fonctionne pas, tirés de la mise en œuvre d’initiatives et de programmes nationaux et régionaux en matière d’irrigation. Ces enseignements guideront les interventions futures d’une manière plus ciblée et plus efficace. S’y appuyant, la Stratégie pour l’irrigation au Sahel propose des solutions concrètes, modulables et adaptées aux réalités locales, visant à renforcer durablement la sécurité alimentaire, stimuler une croissance inclusive et accroître la résilience face aux risques climatiques. Il s’agirait par exemple de tirer parti d’outils innovants tels que la télédétection et la cartographie des ressources en eau pour mieux cibler les investissements futurs. L’intensification du développement de la petite irrigation, notamment par l’utilisation durable des aquifères peu profonds, permettrait de mobiliser près d’un million d’hectares supplémentaires. En outre, les ressources en eaux de surface offrent des perspectives tout aussi prometteuses, avec un potentiel estimé entre 3,18 et 4,36 millions d’hectares. Ces avantages, conjugués à une volonté politique renouvelée, ouvrent la voie à une nouvelle dynamique régionale en faveur d’un secteur agricole sahélien plus productif, résilient et véritablement durable. La Stratégie pour l’irrigation au Sahel a été élaborée à travers un processus participatif mené par le Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) et impliquant les gouvernements des six pays sahéliens, des organisations régionales de parties prenantes et de la société civile (telles que l’Alliance des États du Sahel ou AES, et le Réseau ouest‑africain des organisations d’agriculteurs et de producteurs), des organisations intergouvernementales (telles que l’Union économique et monétaire ouest‑africaine ou UEMOA, l’Autorité du Liptako-Gourma et le Partenariat mondial pour l’eau-Afrique de l’Ouest), des représentants du secteur privé à travers la Société financière internationale (IFC), et des contributions de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et du Groupe de la Banque mondiale. Les domaines d’intervention stratégiques et les principes directeurs de cette stratégie ont été validés à travers des ateliers nationaux, un processus d’examen approfondi et une forte adhésion des différentes parties prenantes, notamment lors de l’atelier régional de validation qui s’est tenu à Bamako (Mali) les 13 et 14 mars 2025. La stratégie sert de document de référence pour les scénarios d’investissement futurs, proposant des approches innovantes pour exploiter pleinement le potentiel considérable de l’irrigation en tant que moteur de la productivité agricole, de la sécurité alimentaire et de la résilience dans l’ensemble du Sahel. xii Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel La stratégie fixe des objectifs actualisés et partagés pour l’agriculture irriguée, adaptés à un horizon temporel court (2035), moyen (2045) et long (2055). Ces objectifs s’accompagnent d’un cadre d’intervention clair et réalisable destiné à favoriser l’engagement collectif et la coordination des efforts entre pays sahéliens. La stratégie est conçue comme un cadre dynamique, qui devrait être régulièrement révisé et actualisé par les gouvernements sahéliens à la fin de chaque phase, afin de répondre à l’évolution des besoins et des défis de la région. Elle fournit aux États membres des lignes directrices permettant d’améliorer et d’harmoniser les approches et les instruments pour des systèmes d’irrigation hautement efficaces et durables, ainsi que pour une gestion mieux intégrée des ressources en eau et des ressources en eaux souterraines communes. Ce document régional a été adopté lors du Forum de haut niveau sur l’irrigation, Dakar +10, qui s’est tenu du 7 au 9 avril 2025. Cette nouvelle stratégie offre aux pays du Sahel et d’Afrique de l’Ouest une occasion unique de repenser les investissements dans l’irrigation, afin de transformer la gestion de l’eau et le développement agricole. La nouvelle déclaration qui accompagne cette stratégie est un vibrant appel à l’action pour toutes les parties prenantes, dans une volonté de concrétiser les engagements à travers des objectifs clairs d’augmentation des investissements dans l’irrigation, ce qui renforcera la résilience et la sécurité alimentaire. M. Kedha Ballah Dr. Abdoulaye Mohamadou M. Chakib Jenane Ministre coordonnateur Secrétaire Exécutif du CILSS Directeur régional du of CILSS développement durable, Afrique de l'Ouest et centrale, Banque Mondiale Préface xiii Description : Système de puits tubulaire solaire pour l'irrigation Crédit photo : Hussain Warraich xiv Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel 1 Introduction 1.1. Le contexte de la stratégie La Déclaration de Dakar sur l’irrigation de 2013 — signée par les représentants des gouvernements des six pays du Sahel que sont le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad — s’engageait à faire passer la superficie irriguée de 400 000 ha à 1 000 000 ha à l’horizon 2025. L’objectif était d’améliorer la sécurité alimentaire et le développement économique de la région en augmentant l’utilisation de l’eau destinée à l’agriculture. Dix ans après la Déclaration de Dakar de 2013, on estime que 47 % de cet objectif a été atteint, soit 285 000 des 600 000 hectares supplémentaires sur lesquels l’eau est totalement maîtrisée. La Stratégie pour l’irrigation au Sahel évalue les progrès de l’irrigation, les résultats socioéconomiques et les enseignements tirés au cours des dix dernières années afin de mettre en relief les opportunités prioritaires et de recentrer les initiatives d’investissement. La stratégie définit des solutions réalisables et transposables qui visent à façonner l’avenir de l’agriculture irriguée au Sahel. La région du Sahel peine particulièrement à assurer la sécurité alimentaire et à réaliser une croissance durable en raison de son climat aride, des fluctuations importantes de la disponibilité de l’eau dans le temps et dans l’espace, et des sécheresses fréquentes. Ces problèmes sont exacerbés par la croissance démographique rapide, l’augmentation de la demande alimentaire et les effets croissants du changement climatique. Les températures devraient augmenter 1,5 fois plus vite que la moyenne mondiale. Cette région déjà fragile est très vulnérable aux sécheresses plus fréquentes et plus graves, aux inondations, à la dégradation des sols, aux vagues de chaleur et à la désertification. En raison de sa fragilité écologique et socioéconomique, conjuguée au fait que le secteur agricole représente 40 % du produit intérieur brut (PIB) de la région et en est le principal pourvoyeur d’emplois, le Sahel fait partie des régions du monde les plus menacées par les effets du changement climatique. Dans une région où le développement économique et social dépend fortement de l’agriculture, l’expansion de l’irrigation, l’intensification de l’agriculture et l’amélioration de la gestion de l’eau agricole peuvent accélérer la création d’emplois, la génération de revenus, la résilience climatique et la sécurité alimentaire. La sécurité hydrique et le développement socioéconomique ont un effet stabilisateur sur la population et atténuent les conflits, renforçant ainsi le contrat social et la confiance dans les autorités. L’insécurité hydrique, en revanche, amplifie considérablement l’instabilité et les conflits. Introduction 1 La croissance agricole, reposant principalement sur l’expansion de l’agriculture pluviale en raison d’un développement limité de l’irrigation et d’une forte croissance démographique, approche de ses limites biophysiques et sociétales (Hollinger et Staatz, 2015). Cette expansion continue de dégrader les services écosystémiques, de mettre en péril la biodiversité et d’exacerber les conflits, aggravant les tensions sociales et l’injustice. L’intensification durable de l’agriculture par l’irrigation, lorsqu’elle est possible sur les plans technique, économique et écologique, peut contribuer positivement à de nombreux objectifs, notamment en matière de sécurité alimentaire et de création d’emplois, et générer plus d’avantages socioéconomiques. Dans le même temps, l’intensification facilitée par l’irrigation peut réduire l’empreinte agricole et les effets environnementaux et sociaux négatifs. Conscients du rôle vital de l’irrigation dans la sécurisation de l’eau en vue du développement agricole et socioéconomique ainsi que de la stabilité régionale, les Gouvernements du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger, du Sénégal et du Tchad se sont engagés à promouvoir le développement de l’irrigation dans la région du Sahel. Cet engagement vise à atteindre les objectifs de développement et de gestion des ressources en eau fixés dans la Déclaration de Dakar de 2013, et bénéficie du soutien des partenaires de développement régionaux. Malgré les investissements et les efforts considérables consentis pour intensifier le développement de l’irrigation depuis la Déclaration de 2013, des superficies importantes ne sont encore cultivées que par intermittence, tandis que d’autres ont été définitivement abandonnées. La sous‑utilisation d’infrastructures coûteuses et le potentiel inexploité soulignent la nécessité impérieuse d’examiner les facteurs aussi bien des succès que des échecs. L’expérience acquise au cours des dix dernières années en matière de développement de l’irrigation aidera à déterminer la meilleure façon de planifier et d’exécuter les investissements pour atteindre les objectifs d’expansion. 1.2. Objectif La Stratégie pour l’irrigation au Sahel vise à aider les pays participants à intensifier le développement et la modernisation de l’irrigation de façon rapide et responsable grâce à un ensemble plus diversifié d’interventions destinées à optimiser l’utilisation de leurs ressources naturelles et financières. Elle fournit une feuille de route complète devant permettre de libérer tout le potentiel de l’irrigation durable en tant que moteur de la productivité agricole, de la sécurité alimentaire et de la résilience dans l’ensemble du Sahel. Elle a principalement pour objet de dresser le bilan des progrès accomplis au cours des dix dernières années, de relever les tendances et les difficultés 2 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel qui apparaissent, et d’évoluer de l’identification des problèmes à l’adoption de solutions concrètes puisant dans les enseignements tirés. La stratégie définit des objectifs actualisés et partagés pour l’agriculture irriguée, adaptés aux horizons à court terme (2035), moyen terme (2045) et long terme (2055). Ces cibles s’accompagnent d’un cadre d’intervention clair, destiné à favoriser l’engagement collectif et la coordination des efforts entre les six pays sahéliens. Il est capital d’adopter une approche multipartite pour cette stratégie. Elle met l’accent sur la coopération régionale et l’échange de connaissances pour relever les défis liés à la gestion de l’eau et tirer le meilleur parti des compétences régionales. La stratégie s’appuie sur la Déclaration de Dakar de 2013 et le Cadre stratégique pour l’eau agricole au Sahel (2017) qui a suivi, fournissant une feuille de route pour une irrigation durable et résiliente face aux aléas du climat dans la région. Elle est conforme à l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA), à son Cadre de développement de l’irrigation et de gestion de l’eau agricole en Afrique de 2020 et au Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA). Par rapport au Cadre stratégique de 2017, cette stratégie actualisée met davantage l’accent sur le renforcement de la prestation de services d’irrigation et la promotion d’une approche commerciale de l’agriculture irriguée. La stratégie apporte de nouvelles données qui mettent en évidence le potentiel que représentent les eaux souterraines peu profondes pour le développement de l’irrigation à petite échelle dans les zones pluviales, en particulier au profit de collectivités isolées, ouvrant ainsi la voie à l’exploitation d’une ressource essentielle pour accroître la production. Elle privilégie la performance globale du système, notamment la fiabilité des services d’irrigation, les structures de gouvernance, l’exploitation et l’entretien, les résultats agricoles et économiques, et la modernisation (progressive) des infrastructures. Elle reconnaît en outre que le développement de l’irrigation sous l’impulsion des agriculteurs (FLID) a toujours eu cours au Sahel, qu’il pourrait évoluer plus efficacement et plus rapidement si des politiques et des mesures incitatives adéquates étaient prises en faveur du secteur privé, y compris les agriculteurs, et qu’il pourrait être pour le gouvernement un moyen efficient d’avoir un impact important à moindre coût. Pour accompagner ces évolutions, la stratégie définit des mécanismes de financement innovants visant à améliorer la viabilité et la durabilité de l’irrigation au Sahel. Compte tenu de la diversité de la région du Sahel, la stratégie sera mise en œuvre à travers des plans nationaux spécifiques adaptés au contexte particulier de chaque pays, tout en restant ancrée dans des objectifs régionaux communs. De plus, bien que la responsabilité de la mise en œuvre incombe à chaque pays, les six nations sont confrontées à des défis et à des opportunités communs, et ont tout à gagner d’économies d’échelle et de l’apprentissage mutuel en travaillant ensemble au niveau régional. Introduction 3 1.3. Démarche Le document passe en revue les initiatives nationales et régionales antérieures en faveur du développement de l’irrigation, les enseignements tirés des projets d’irrigation passés et en cours, et analyse les données de télédétection. De nombreuses consultations ont eu lieu avec les six pays sahéliens, le CILSS, les pôles mondiaux d’expertise de la Banque mondiale, les représentants du secteur privé par l’intermédiaire d’IFC et des experts dans divers domaines connexes. Ces consultations ont permis de mieux comprendre les principaux défis et les solutions viables, et de mieux motiver les interventions. Des ateliers nationaux de validation, facilités par le CILSS, ont été organisés en février 2025, suivis d’un atelier régional de validation à Bamako (Mali) les 13 et 14 mars 2025. La stratégie reconnaît que la réalisation des objectifs fixés pour l’agriculture irriguée en termes de souveraineté alimentaire, d’emplois ruraux, de croissance économique et de réduction de la pauvreté exige bien plus que la construction, l’exploitation et l’entretien des infrastructures et des équipements d’irrigation. Pour obtenir des résultats positifs, il faut des politiques publiques efficaces en matière de services de conseil agricole, un meilleur accès aux services financiers et des chaînes de valeur qui fonctionnent bien, toutes choses qui doivent pouvoir s’adapter localement aux caractéristiques spécifiques de l’agriculture irriguée et aux besoins des différents types de producteurs. Il est donc essentiel d’adopter une approche systémique pendant la mise en œuvre, mais la stratégie s’intéresse particulièrement au défi immédiat et plus étroit qui consiste à stimuler l’expansion et la performance de l’irrigation, la productivité de l’eau et l’aménagement des ressources en eau agricole. Les possibilités de synergies avec d’autres initiatives visant à s’attaquer aux facteurs agricoles et aux paramètres liés aux chaînes de valeur doivent donc être exploitées dans les programmes d’investissement afin d’obtenir l’éventail de résultats souhaités. Une approche multipartite, reposant sur la collaboration entre gouvernements, agriculteurs, société civile, secteur privé et partenaires de développement, est donc incontournable pour le succès futur. La coopération régionale et les échanges de connaissances pour relever les défis liés à la gestion de l’eau et tirer le meilleur parti des compétences régionales sont mis en relief et encouragés. Enfin, la stratégie est conçue comme un cadre dynamique, qui devrait être régulièrement réexaminé et actualisé par les gouvernements sahéliens à la fin de chaque phase. Ces révisions programmées après chaque étape permettront de tenir compte des résultats de la mise en œuvre et d’adapter les réponses à l’évolution des besoins et des problèmes de la région. La stratégie confirme l’engagement des pays du Sahel à utiliser l’irrigation pour garantir la sécurité alimentaire, la résilience et la prospérité futures. 4 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel 1.4. Concepts de base On trouvera ci-après quelques définitions pratiques destinées à assurer une meilleure compréhension des termes et concepts. Vient ensuite la présentation de cinq types d’irrigation qui servent de base à la détermination des problèmes et des solutions stratégiques recherchées pour atteindre les objectifs définis. Définitions Système d’irrigation : Ensemble de techniques et d’infrastructures utilisées pour fournir de l’eau aux cultures de manière contrôlée afin de compenser l’insuffisance des précipitations naturelles. Son objectif premier est d’assurer une croissance optimale des plantes en leur apportant l’humidité dont elles ont besoin pour grandir. Périmètre irrigué : Superficie de terres agricoles regroupées sous un seul système hydraulique pour l’approvisionnement en eau. Cette surface peut être cultivée par un groupe d’agriculteurs, un organisme public ou une société. Les aménagements englobent des infrastructures hydrauliques, telles que des ouvrages de prise d’eau, des systèmes de pompage, des réseaux de distribution et d’autres ouvrages permettant de maîtriser et de gérer l’eau. Par définition, tous les « périmètres » sont « collectifs » parce que l’infrastructure est partagée. L’approvisionnement efficace et durable des agriculteurs en eau à travers le périmètre repose sur des accords collectifs, formels ou informels, supposant différentes combinaisons d’acteurs pour la gestion, l’exploitation et l’entretien (GEE) de cette infrastructure partagée (y compris les associations d’usagers de l’eau ou AUE), les coopératives, les agences publiques chargées de l’irrigation et/ou le secteur privé. Échelle : Les termes « grande échelle » et « petite échelle » sont utilisés pour décrire la taille relative dans différents contextes d’exploitations agricoles, de périmètres ou de programmes. Il est important de reconnaître que de nombreuses initiatives individuelles à petite échelle, telles que les expansions pilotées par les agriculteurs, peuvent impliquer des centaines de milliers, voire des millions de petits exploitants, et contribuer collectivement à une empreinte de développement à grande échelle. Développement de l’irrigation impulsé par les agriculteurs (FLID) : Le développement de l’irrigation à l’initiative des agriculteurs est « un processus par lequel les agriculteurs jouent un rôle moteur dans le développement ou l’amélioration de leur utilisation de l’eau à usage agricole en apportant des changements dans la production des connaissances, l’utilisation des technologies, les schémas d’investissement et les liens avec les marchés, ainsi que dans la gouvernance des terres et de l’eau » (Woodhouse et al., 2017). Ces agriculteurs ont généralement la même orientation commerciale. L’accent est surtout mis sur les cultures de rente, car le coût de l’eau d’irrigation est important, tant du point de vue de l’achat du matériel que de celui de l’exploitation et de l’entretien. Ils utilisent de nombreuses formes de techniques d’irrigation différentes, en commençant souvent par des solutions plus simples Introduction 5 et moins coûteuses et en augmentant la sophistication et l’échelle grâce aux bénéfices tirés de leurs activités agricoles. Le pompage solaire est de plus en plus privilégié malgré les coûts initiaux plus élevés, car le rapport coûts‑avantages sur la durée de vie est nettement meilleur qu’avec les combustibles fossiles. Le FLID au Sahel englobe toute une série d’initiatives spontanées à petite échelle, ainsi que des expansions de périmètres étatiques plus importants. Au Mali, la culture de l’échalote dogon illustre la manière dont les producteurs intensifient le maraîchage en saison sèche dans des conditions difficiles. Au Niger, les agriculteurs exploitent les eaux souterraines peu profondes pour les oignons violets de Galmi et les feuilles séchées de moringa (de Goulbi) afin de répondre à la demande croissante du marché. De même, au Senegal — en particulier sur le tronçon Podor‑Matam — et dans la boucle du fleuve Niger, les communautés locales utilisent l’irrigation par pompage fluvial, bénéficiant de structures sociales solides (CILSS 2017). Si les pouvoirs publics ont d’abord construit de grands périmètres publics dans les années 1960, les agriculteurs ont depuis adapté ces infrastructures ou ont aménagé eux-mêmes des périmètres moins coûteux, souvent en s’appuyant sur les barrages, les canaux et les subventions partielles existants. L’essentiel de l’augmentation de la superficie irriguée au Sénégal dans les années 1990 est le fait d’initiatives privées, portées soit par des agriculteurs individuels, soit par de petits groupes composés de plusieurs familles ou d’individus (El Ouaamari et al., 2019). Des changements comparables se sont produits dans d’autres zones irriguées importantes du Sahel. Dans l’Office du Niger au Mali, par exemple, les agriculteurs ont développé la culture de légumes le long de bras fluviaux abandonnés (falas) grâce à des infrastructures d’irrigation rudimentaires. Dans le contexte de la stratégie, le FLID concerne principalement les exploitants individuels qui irriguent entre 0,5 et 5 hectares. Dans la pratique, le FLID englobe les grandes exploitations (>10 ha), mais celles‑ci sont relativement peu nombreuses et disposent généralement de plus de ressources pour stimuler leur propre croissance. En conséquence, les grandes exploitations individuelles retiennent généralement moins l’attention dans la planification des investissements. L’impact combiné (échelle) du FLID est rarement consigné avec précision, mais il est bien établi qu’il s’agit d’un contributeur « à grande échelle » à la surface totale irriguée en Afrique. Gestion de l’eau à usage agricole : Les techniques de gestion de l’eau à usage agricole sur des surfaces non équipées demeurent appropriées pour la région. Il s’agit notamment de la collecte des eaux de pluie et de ruissellement et de la gestion de l’humidité résiduelle pratiquée dans les plaines et les zones humides non équipées, ainsi que de l’agriculture de décrue. Ces systèmes augmentent considérablement la disponibilité de l’eau dans la zone racinaire et rechargent les eaux souterraines, ce qui se traduit par une augmentation des rendements et une plus grande résilience face à l’imprévisibilité des précipitations ; ils constituent dès lors une option importante dans la planification et le développement de l’irrigation intégrée. L’encadré 1.1 présente brièvement des pratiques traditionnelles. 6 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel Types d’irrigation La stratégie s’intéresse particulièrement à cinq types d’irrigation caractérisés par leur ampleur, les techniques utilisées, leur gestion, le régime de propriété qu’ils supposent et leur financement. L’eau provient de diverses sources, y compris les réservoirs, les fleuves et les eaux souterraines, et l’irrigation se fait par des systèmes de maîtrise partielle ou totale de l’eau, selon la définition de la FAO1. Les cinq types ont des caractéristiques distinctes qui facilitent la conception des interventions, comme suit : Type 1 – Gestion de l’eau à usage agricole : Les systèmes de collecte des eaux de pluie de petite à moyenne échelle reposent sur la maîtrise partielle de l’eau à l’aide de petits remblais, d’ouvrages à vannes et de structures d’accès. Ces systèmes se trouvent principalement dans des zones de basse altitude comme les bas-fonds, les mares, les cuvettes et les plaines de décrue sur les grands fleuves (encadré 1). Leurs superficies varient de quelques dizaines à quelques centaines d’hectares et ils sont gérés par des communautés villageoises ou des municipalités. Type 2 – Irrigation privée à petite échelle : Petits systèmes d’irrigation privés (périmètres irrigués privés) exploités par des particuliers ou de petits groupes de producteurs (groupements d’intérêt économique), principalement axés sur des cultures à forte valeur ajoutée (maraîchage et arboriculture). Ces systèmes peuvent être entièrement ou partiellement financés par des bailleurs de fonds ou par l’État, ou être initiés et financés de bout en bout par les agriculteurs eux-mêmes (FLID). Leur superficie varie généralement de moins d’un hectare à quelques dizaines d’hectares. Les technologies utilisées comprennent des équipements de pompage solaires ou à combustibles fossiles et de petits canaux ou des conduites pour le transport de l’eau. Les méthodes d’application peuvent être des sillons, des gicleurs, des tuyaux de pulvérisation et, dans une moindre mesure, l’irrigation goutte à goutte. Combinés, les systèmes d’irrigation à petite échelle peuvent couvrir de très grandes superficies. Type 3 – Périmètres irrigués communautaires : Systèmes d’irrigation de petite à moyenne échelle gérés par les communautés agricoles locales, couvrant généralement moins de 100 ha et regroupant souvent des agriculteurs d’un même village. Ces systèmes, qui peuvent être des systèmes d’irrigation villageois ou de petits systèmes maraîchers, reposent très souvent sur des financements extérieurs, qui viennent compléter les contributions communautaires. La responsabilité de l’exploitation et de l’entretien incombe aux organisations paysannes ou aux associations d’usagers de l’eau. Les infrastructures consistent généralement en des stations de pompage, des canaux de transport et des conduites, qui recourent à diverses méthodes d’irrigation, comme décrit pour le type 2. 1 Voir AQUASTAT — Système mondial d’information sur l’eau et l’agriculture de la FAO. Introduction 7 Type 4 – Périmètres publics : Périmètres irrigués à grande échelle gérés ou supervisés par l’État, sur des centaines ou des milliers d’hectares. Ces périmètres sont souvent alimentés par de grandes infrastructures hydrauliques comme des barrages ou de grandes stations de pompage (dans certains cas, ils peuvent également être alimentés par des eaux souterraines) et comprennent de vastes réseaux de canaux de distribution et de systèmes de drainage. Ils nécessitent généralement des investissements en capital importants et reposent sur des structures de gouvernance plus complexes. Le système d’approvisionnement en eau et de distribution en gros est géré soit par un organisme d’irrigation et de drainage, soit par un organisme public, soit par un opérateur privé. Les associations d’usagers de l’eau jouent souvent un rôle aux niveaux secondaire ou tertiaire. Type 5 – Partenariats publics-privés : Périmètres irrigués de moyenne à grande échelle reposant sur un partenariat entre le gouvernement, un acteur privé et les communautés riveraines. Le partenaire privé peut jouer un rôle dans la conception et la gestion du système d’irrigation (les caractéristiques techniques et l’échelle étant les mêmes que pour le type 4). Cette option peut également intégrer et privilégier une dimension agro-industrielle en associant des opérateurs privés à la création et à l’exploitation d’agro-industries autour des aménagements. Les typologies sont utiles parce que leurs caractéristiques communes rendent compte d’un ensemble commun de problèmes et de possibilités de changement, ainsi que d’un modèle opérationnel et d’un écosystème de partenaires distincts. Ainsi, une évaluation fondée sur la typologie permet de déterminer le meilleur ensemble de réponses nécessaires pour étendre et intensifier le développement de l’irrigation. Encadré 1.1. F  ormes traditionnelles de gestion de l’eau à usage agricole au Sahel L’agriculture sahélienne est essentiellement pluviale, puisant dans le ruissellement naturel façonné par de légères différences topographiques dans divers paysages tels que la brousse tigrée, les plaines et les zones de décrue. Pendant la saison des pluies, les étangs éphémères et les bassins de rétention — formés par la microtopographie, les dépressions interdunaires et les réseaux de drainage fragmentés — sont essentiels à la productivité agricole. Au nombre de ces formations se retrouvent notamment les bas-fonds (fonds de vallée), les mares (étangs naturels peu profonds), les cuvettes (dépressions en forme de cuvette), et les zones de décrue de fleuve. Alors que les cuvettes peuvent retenir l’eau ou rester humides pendant une grande partie de la saison sèche, ce qui favorise l’horticulture ou d’autres formes d’irrigation à petite échelle, les mares ont tendance à être saisonnières, se remplissant pendant la saison des pluies, puis se 8 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel desséchant progressivement. Elles sont cruciales pour l’abreuvement du bétail et parfois pour la pêche, se prêtant moins à la culture que les cuvettes. Les agriculteurs exploitent ces formations naturelles, souvent complétées par de petits barrages en terre. L’élevage joue un rôle essentiel dans l’utilisation de la biomasse produite dans ces zones, même pendant la saison sèche, les éleveurs se mouvant pour s’adapter à la variabilité des précipitations. Pour réduire les risques et accroître la diversité des cultures, les agriculteurs sahéliens ont amélioré les systèmes pluviaux en intégrant différents types d’ouvrages de maîtrise de l’eau pour permettre différents niveaux de gestion de cette ressource. Il s’agit notamment des plaines équipées, des systèmes de décrue le long des grands fleuves, de l’irrigation de crue avec des réservoirs de contrôle des crues, et des plaines d’inondation naturelles pour des cultures telles que le riz, le sorgho et le haricot. La région du lac Tchad, avec ses sols humides fertiles, est un important grenier à blé pour le Sahel central, favorisant des cultures diversifiées et extensives, souvent sans irrigation formelle. Les innovations locales, telles que de petits polders rizicoles dans le nord du lac Tchad, mettent également en évidence les pratiques agricoles adaptatives de la région. Les bas-fonds sont particulièrement importants dans plusieurs pays du Sahel. Au Burkina Faso, ils ont été au cœur des stratégies agricoles visant à accroître la production alimentaire, en particulier le riz, le sorgho et le maïs. Des investissements dans les infrastructures de gestion de l’eau et l’amélioration de la fertilité des sols ont contribué à rendre ces zones très productives. Les vastes réseaux hydrographiques du Mali, y compris les fleuves Niger et Sénégal, créent d’importantes zones de plaine utilisées pour la riziculture, l’horticulture et l’abreuvement du bétail. Au Niger, les bas-fonds sont vitaux pour la culture céréalière et l’élevage pendant la saison sèche. Certaines cuvettes le long du fleuve Niger sont également utilisées pour la riziculture, l’horticulture et l’abreuvement du bétail. La gestion des basses terres contribue à atténuer les pénuries d’eau et à améliorer la résilience face aux variations du climat. Les plaines inondables et les basses terres entourant le lac Tchad et ses affluents sont d’une importance capitale pour l’agriculture, notamment la production de riz et de légumes. Ces formes de maîtrise partielle de l’eau deviennent de plus en plus vulnérables en raison de la régulation des cours d’eau par les grands barrages, bien qu’elles aient la productivité de la main-d’œuvre la plus élevée — parce qu’elles nécessitent un travail du sol minimal et aucun désherbage — par rapport aux cultures pluviales ou irriguées (CILSS 2017). Introduction 9 Crédit photo : Avec l’aimable autorisation de l’équipe Communication de la Banque mondiale, prise lors d’une mission de terrain au Sénégal en avril 2025. 10 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel 2 Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée Cette section donne un aperçu des initiatives nationales et régionales en matière d’irrigation au cours des dix dernières années, en s’appuyant sur les opérations nationales et régionales passées et en cours ainsi que sur les cadres et documents existants. Bon nombre des problèmes auxquels se heurte le développement de l’irrigation sont à la fois connus et profondément enracinés et sont brièvement résumés. Les avancées réalisées dans la résolution de ces problèmes sont décrites. Des études de cas sont présentées et la section s’achève sur les enseignements tirés et les opportunités qui apparaissent. 2.1. Tour d’horizon des initiatives nationales et régionales en matière d’irrigation depuis 2013 Depuis la Déclaration de Dakar de 2013, de nombreuses initiatives nationales et régionales ont été lancées à travers le Sahel pour promouvoir la gestion durable de l’eau et stimuler la productivité agricole grâce à l’irrigation. Ces efforts traduisent un engagement croissant des pays sahéliens à développer des systèmes agricoles résilients face aux chocs climatiques, à accroître la sécurité alimentaire et à améliorer les moyens de subsistance en milieu rural. Le Burkina Faso a commencé à donner la priorité à l’agriculture irriguée en réponse aux graves sécheresses des années 1970, instaurant en 1975 une politique visant à augmenter la production alimentaire, à créer des emplois et à organiser les agriculteurs. S’appuyant sur ces efforts, la Stratégie nationale pour le développement durable de l’agriculture irriguée (SNDDAI) a été adoptée en 2003, dans le but de réduire l’insécurité alimentaire, d’atténuer la pauvreté rurale et de renforcer le rôle de l’irrigation dans l’économie du pays. En 2015, la stratégie avait réalisé des gains importants dans le domaine de l’irrigation et de l’organisation des parties prenantes. Après avoir évalué la stratégie en 2019, les autorités ont reconnu la nécessité d’une nouvelle stratégie (2020-2024 et 2025‑2029) qui intègre les acquis et répond aux défis socioéconomiques actuels. Cette approche actualisée est axée sur le renforcement de la sécurité alimentaire et nutritionnelle grâce à la croissance durable de l’agriculture irriguée d’ici à 2029 et servira de principal guide pour toutes les interventions sectorielles. Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 11 Parmi les initiatives alignées sur la SNDDAI, l’Offensive agropastorale et halieutique (OPAH) se distingue par son objectif qui est de parvenir à la souveraineté alimentaire et nutritionnelle du Burkina Faso à l’horizon 2025. Dans le cadre de cette initiative, 11 000 ha de périmètres irrigués nouveaux ou réhabilités ont été aménagés, ainsi que 250 ha de production maraîchère irriguée par forage et 30 000 ha de plaines nouvellement aménagées ou réhabilitées. Au total, la mise en œuvre de la SNDDAI entre 2013 et 2024 a contribué à l’aménagement ou à la réhabilitation de 25 000 ha de périmètres irrigués et de 108 000 ha de bas-fonds. Pour l’avenir, le Programme de développement intégré de la production agropastorale et halieutique (2025-2032) vise à renforcer l’autosuffisance alimentaire et à créer des emplois décents. Ses principales priorités sont notamment l’augmentation durable de la production dans les chaînes de valeur ciblées, le renforcement de la compétitivité des filières agropastorales et l’amélioration de l’accès des acteurs des chaînes de valeur au financement. Le programme s’est fixé des cibles ambitieuses : aménagement de 28 000 ha de périmètres irrigués à grande échelle, réhabilitation de 2 000 ha de petits périmètres, aménagement de 50 000 ha de bas-fonds, création de 141 fermes intégrées, construction de 300 forages de grande capacité pour la production agricole et construction de grands barrages pour faciliter l’irrigation. Au Chad, le Plan national d’investissement du secteur rural (PNISR), le Plan national de développement (2017-2021) et la Vision 2030 donnent la priorité au développement rural pour améliorer la production alimentaire et les revenus ruraux en promouvant les chaînes de valeur à fort potentiel — y compris le riz — et en établissant de véritables pôles économiques dans les zones de production (BAD 2022). Le PNISR visait l’aménagement de 84 000 ha de terres et la réhabilitation de 10 000 ha de terres irriguées à l’horizon 2022 (République du Tchad, 2016), bien que les données d’évaluation de ces cibles restent peu nombreuses. Parmi les stratégies et actions nationales mises en œuvre entre 2013 et 2024, on peut citer : le Programme national de sécurité alimentaire (PNSA) ; le Projet de développement de la riziculture dans la plaine du Chari‑Logone 2 (PDRICL2) ; le Projet de renforcement de la résilience face à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle au Sahel (P2RS) ; le Projet de gestion des eaux de ruissellement dans le Tchad sahélien (GERTS) ; le Projet de gestion et de mise en valeur des ressources naturelles. Le Mali s’est fixé des objectifs ambitieux en matière d’irrigation à travers de nombreuses stratégies, notamment le Programme gouvernemental d’aménagement hydro-agricole (PGA 2014-2018 et 2018-2023) et la Stratégie nationale de développement de la riziculture (SNDR), visant à irriguer 400 000 ha d’ici à 2025 (République du Mali, 2016). Ces initiatives sont complétées par le Programme national d’investissement agricole et de sécurité alimentaire, qui met l’accent sur la performance et la compétitivité agricoles, et le Programme national d’irrigation de proximité 2012-2021 et 2022-2031. 12 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel Les objectifs assignés à la politique de développement agricole de 2013 cadrent avec les lignes directrices de la loi d’orientation agricole de 2006. Il s’agit notamment : d’assurer la sécurité alimentaire des populations et de garantir la souveraineté alimentaire de la nation ; de veiller à la gestion durable des ressources naturelles et de l’environnement en tenant compte de la modification du climat ; de moderniser les systèmes de production agricole et d’améliorer la compétitivité des chaînes de valeur agricoles pour valoriser les produits ; d’assurer le développement des innovations technologiques par la recherche agronomique et la formation professionnelle ; de promouvoir le statut des agriculteurs et de renforcer les capacités de toutes les parties prenantes ; et, enfin, de réduire la pauvreté rurale. Une Politique nationale de maîtrise de l’eau agricole (PNMEA, 2021) a été adoptée dans le but de « mobiliser, exploiter et valoriser de manière optimale, équitable et durable, les ressources en eau disponibles pour les différents usages agricoles pour contribuer au développement d’une agriculture moderne, diversifiée et résiliente aux aléas climatiques » dans un cadre coordonné et partagé. La stratégie nationale de développement de l’irrigation, partie intégrante de la PNMEA, vise à « Uniformiser les approches mises en œuvre jusqu’ici et identifier les actions prioritaires à entreprendre afin d’utiliser au mieux les ressources humaines et financières disponibles ». Le Gouvernement de la République du Mali a récemment adopté la Vision 2063 du Mali et la Stratégie nationale pour l’émergence et le développement durable 2024‑2033. Cette vision a pour objet la transformation structurelle et la modernisation de l’agriculture au Mali à travers la mise en œuvre d’un programme de développement des infrastructures et équipements agricoles dans le secteur rural. La Stratégie de développement du secteur rural à l’horizon 2025 (SDSR 2025) de la Mauritanie s’aligne sur des objectifs plus larges de réduction de la pauvreté et de sécurité alimentaire, promouvant l’agriculture irriguée par le biais du Programme national d’investissement agricole et de sécurité alimentaire (PNIA-SA), qui vise l’irrigation de 60 000 ha de terres d’ici à 2030 (République islamique de Mauritanie, 2012). Des projets tels que le Projet d’aménagement hydroagricole du Brakna-Ouest (BAD 2023) promeuvent spécifiquement la production de riz, tandis que la Stratégie nationale pour l’environnement et le développement durable encourage l’utilisation durable des terres. Depuis la Déclaration de Dakar de 2013, de nombreuses initiatives nationales ont été lancées pour promouvoir la gestion de l’eau et augmenter la productivité agricole grâce à l’irrigation, notamment les suivantes : • Nettoyage de 222 kilomètres d’axes hydrauliques sur 7 bassins dans le Brakna-ouest et aménagement de 4 520 ha sous maîtrise partielle des eaux (inondation, décrue, irrigation). Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 13 • Mise en œuvre du Programme régional de renforcement de la résilience et de la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Sahel (P2RS), y compris l’aménagement de 11 barrages et de 1 124 ha de terres irriguées. • Programme national de réhabilitation et de construction des barrages, qui prévoit la construction et la remise en état de 110 barrages pour une superficie totale de 8 800 ha, ainsi que la construction du grand barrage de Séguelil qui stocke 11 millions de m³ d’eau. • Mise en œuvre du Projet de développement de la résilience à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle au Sahel en Mauritanie, y compris l’aménagement et la réhabilitation de six barrages. • Mise en œuvre du Projet de renforcement des investissements productifs et énergétiques en Mauritanie pour le développement durable des zones rurales qui a abouti à la construction de 11 barrages dans quatre régions orientales de la Mauritanie (les deux Hodhs, l’Assaba et le Guidimagha). Ces efforts témoignent de l’engagement croissant du Gouvernement mauritanien à développer des systèmes agricoles durables et viables. Les résultats obtenus en matière d’autosuffisance en riz et de production maraîchère sont remarquables. Néanmoins, d’autres mesures sont nécessaires pour consolider les progrès et évoluer vers des systèmes d’irrigation plus résilients. Au Niger, le ministère de l’Agriculture supervise les activités d’irrigation par l’intermédiaire de la Direction générale du génie rural, qui comprend la Direction de l’aménagement des terres et de l’irrigation. Depuis 2005, le Niger dispose d’une stratégie nationale pour le développement de l’irrigation et de la collecte des eaux de ruissellement, mais surtout, il dispose d’une stratégie de la petite irrigation au Niger (SPIN) depuis 2014 (SPIN 2015) et d’une stratégie nationale de développement de la riziculture (SNDR 2021-2030). En outre, le gouvernement a récemment lancé le Programme de développement de la grande irrigation dans le but d’étendre les terres irriguées sous maîtrise totale des eaux de 18 500 à 39 700 ha d’ici à 2027. Parallèlement, l’Office national d’aménagement hydro‑agricole (ONAHA), qui relève du ministère de l’Agriculture et de l’Élevage, est chargé d’accompagner la mise en œuvre et la gestion des grands périmètres irrigués. Au niveau régional, la Déclaration de Dakar de 2013 a inspiré plusieurs initiatives, dont la plus importante est l’Initiative pour l’irrigation au Sahel, une initiative conjointe de six pays sahéliens, coordonnée par le CILSS, l’UEMOA et la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), avec le soutien financier de la Banque mondiale. Cette initiative aide les gouvernements et les parties prenantes à développer l’agriculture irriguée avec pour objectif de placer 1 million d’hectares supplémentaires sous un régime de maîtrise de l’eau. Elle met l’accent sur la viabilité, la performance et la durabilité environnementale des systèmes d’irrigation existants et futurs. Le premier projet de l’initiative, le Projet d’appui régional à l’initiative pour l’irrigation au Sahel (PARIIS), a été lancé à la suite de l’approbation par les chefs d’État de la Déclaration de Dakar en 2013 et de l’approbation de l’Institut international de génie de l’eau 14 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel et de l’environnement par les ministères techniques et les organisations régionales. Le PARIIS privilégie des technologies accessibles et économiques, intégrant l’expertise locale pour irriguer les terres agricoles sur plus de 2 000 sites, couvrant près de 15 000 ha (tableau 2.1). En 2024, 53 000 agriculteurs — dont près de la moitié sont des femmes — avaient déjà bénéficié de services d’irrigation et de drainage améliorés. Le projet a contribué à réduire les coûts d’irrigation, à accroître la résilience face au changement climatique, à augmenter les revenus des agriculteurs et à améliorer la sécurité alimentaire (Banque mondiale, 2024)2. Conformément à la Politique agricole de l’UA et à la Politique commune d’amélioration de l’environnement, la Commission de l’UEMOA a lancé un programme régional d’adaptation au changement climatique axé sur l’eau et l’agriculture. Dans le cadre de cette initiative, chaque État membre, y compris les quatre pays sahéliens, aménagera 1 000 hectares de plaines pour des activités agro-sylvo-pastorales et halieutiques. Le programme est entièrement financé par la Commission de l’UEMOA au moyen de subventions aux États membres. Par ailleurs, suite aux recommandations issues de la quatrième réunion du Comité de haut niveau sur la sécurité alimentaire dans la région de l’UEMOA (tenue le 9 mai 2014 à Niamey (Niger)), la Commission de l’UEMOA a mis en place le Programme régional d’aménagement hydraulique multi-usage pour la sécurité alimentaire. Cette initiative portera sur les dimensions agricole, pastorale, aquacole et sociale. Une phase pilote du programme est en cours depuis 2015 dans tous les États membres de l’UEMOA. La Déclaration de Malabo sur la croissance et la transformation accélérées de l’agriculture en Afrique pour une prospérité partagée et de meilleures conditions de vie, adoptée en 2014, réaffirme l’engagement d’éliminer la faim en Afrique d’ici à 2025 grâce à des systèmes de gestion efficiente de l’eau, notamment l’irrigation (Commission de l’UA, 2014). Tableau 2.1.  Surfaces irriguées grâce au PARIIS (février 2025) Pays Surface effectivement irriguée (ha) Burkina Faso 1 857 SOFITEX 1 398 Tchad 1 011 Mali 1 989 Mauritanie 3 514 Niger 2 978 Sénégal 2 157 TOTAL 14 904 Source : Rapport sur l’état de la mise en œuvre et les résultats du PARIIS (2025), Portail des opérations de la Banque mondiale. N.B. : SOFITEX = Société Faso-Nationale des Industries Textiles. 2 Le Projet d’appui régional à l’initiative pour l’irrigation au Sahel (PARIIS) vise à renforcer la capacité des acteurs concernés à développer et gérer l’irrigation et à accroître les surfaces irriguées en suivant une approche régionale basée sur des solutions dans six pays du Sahel. Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 15 Ces 20 dernières années, le Programme détaillé de développement de l’agriculture en Afrique (PDDAA), l’un des cadres de l’Agenda 2063, a été à l’avant-garde de la transformation agricole de l’Afrique. Lancé en 2003 à la suite de la Déclaration de Maputo et réaffirmé en 2014 avec la Déclaration de Malabo, le PDDAA a contribué à des réalisations notables, notamment l’augmentation du PIB, la hausse des revenus moyens, l’augmentation de la production et de la productivité agricoles, le développement du commerce agricole, l’augmentation des investissements et la réduction considérable de la faim et de la pauvreté. L’UA a franchi une étape décisive dans la résolution des problèmes agroalimentaires de l’Afrique avec la Déclaration de Kampala sur le PDDAA+10 (2026-2035). Annoncée lors du Sommet extraordinaire du PDDAA post‑Malabo, qui s’est tenu du 9 au 11 janvier 2025 à Kampala (Ouganda), cette déclaration sert de plan directeur pour des systèmes agroalimentaires durables, résilients et inclusifs. Alors que la population africaine devrait atteindre les 2,5 milliards d’habitants à l’horizon 2050, la déclaration souligne le besoin urgent de moderniser les systèmes alimentaires afin de répondre à des demandes croissantes et de relever les défis environnementaux. Conformément au PDDAA, la Politique agricole commune de la CEDEAO (ECOWAP) établit des principes et objectifs agricoles pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel compris, en mettant l’accent sur la sécurité alimentaire durable et le développement agricole. La mise en œuvre de l’ECOWAP se fait par trois mécanismes complémentaires, contribuant au cadre plus large des politiques agricoles de l’Afrique au titre du PDDAA. Dans le cadre de la Politique des ressources en eau de l’Afrique de l’Ouest (2008), la CEDEAO encourage l’investissement privé pour faciliter la création, l’entretien et le renouvellement des infrastructures d’irrigation. Ce cadre politique confirme le rôle de la gestion de l’eau dans la réalisation des objectifs en matière d’agriculture et de sécurité alimentaire. Enfin, le Projet de mise en œuvre du programme d’action stratégique du bassin de la Volta (VSIP) cible spécifiquement le bassin du Sourou au Mali, en favorisant la réhabilitation et la construction de périmètres irrigués à petite échelle. Ce projet vise à accroître la disponibilité locale de l’eau pour l’agriculture et à promouvoir la coopération régionale dans la gestion des ressources en eau transfrontalières (ABV n.d.). Ces initiatives nationales et régionales dans leur ensemble témoignent de la détermination des différents gouvernements à intensifier l’irrigation et à améliorer la gestion des ressources en eau à travers le Sahel. En outre, elles favorisent la résilience climatique et la sécurité alimentaire, conformément aux objectifs de la Déclaration de Dakar de 2013. Par exemple, des initiatives régionales telles que le PARIIS et le PDDAA, ainsi que des stratégies nationales telles que le PNIASAN au Sénégal et le PGA au Mali ont démontré le pouvoir transformateur des efforts concertés pour étendre les zones irriguées, améliorer 16 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel la productivité agricole et améliorer les moyens de subsistance en milieu rural. Globalement, cependant, il est difficile d’évaluer l’efficacité des stratégies et des modalités de mise en œuvre utilisées dans ces programmes parce qu’il y a peu ou pas d’informations — sur l’économie des investissements, les modalités d’exploitation et d’entretien des réseaux, la tarification de l’eau et les politiques de recouvrement des coûts, ainsi que sur les résultats de ces initiatives sur le plan des surfaces effectivement irriguées. (Namara et Sally, 2014). 2.2. Étendue des surfaces irriguées et possibilités Surfaces irriguées au Sahel Depuis la Déclaration de Dakar de 2013, environ 285 000 ha de terres ont été aménagés pour l’irrigation en maîtrise totale de l’eau dans les six pays (figure 2.1). Dans le même temps, des superficies importantes ne sont cultivées que sporadiquement, tandis que d’autres sont définitivement abandonnées en raison de défaillances techniques, de la dégradation des infrastructures ou de la médiocrité des services d’irrigation et de drainage. Au cours des dix dernières années, l’insécurité sociale grandissante est devenue le premier facteur d’abandon des terres irriguées. L’étendue des superficies équipées et effectivement irriguées soumises à une irrigation en maîtrise totale de l’eau n’est pas certaine, en partie à cause de l’insuffisance des données recueillies et du manque de coordination entre les organismes sectoriels. En outre, il est difficile de distinguer les différents types d’irrigation (par exemple, l’irrigation en maîtrise totale ou partielle, les plaines équipées et non équipées pour l’irrigation et les zones humides irriguées) en se fiant uniquement aux images satellites. Par conséquent, il importe de travailler sur la base d’estimations et de fourchettes plutôt qu’avec des chiffres précis. Figure 2.1.  Nouveau plan de développement de l’irrigation, 2013–2024 Source : Rapports nationaux sur la mise en œuvre des stratégies nationales d’irrigation. Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 17 Selon la FAO et AQUASTAT, seulement 36 % (725 000 hectares) des 2 millions d’hectares de terres irrigables de la région sont équipés pour l’irrigation, et seulement 60 % de ces surfaces équipées (428 000 hectares) sont activement irrigués. Environ 290 000 ha sur l’ensemble sont soumis à une irrigation en maîtrise totale. Ces chiffres datent de 2011 et sous‑estiment très probablement l’étendue réelle des surfaces irriguées, encore plus en raison du développement généralisé, mais non documenté, de systèmes de développement de l’irrigation sous l’impulsion des agriculteurs, comme le relève également l’UA (2020). L’analyse préliminaire des dernières données recueillies par télédétection semble indiquer une étendue plus importante de l’irrigation : 845 000 ha au total si l’on considère à la fois les saisons des pluies et les saisons sèches ainsi que l’irrigation en maîtrise totale comme partielle (voir la carte 2.1 qui montre l’emplacement des principales zones irriguées — y compris en maîtrise partielle et totale de l’eau — et la figure 2.2 pour leur répartition entre les pays). Les surfaces irriguées en maîtrise totale en saison sèche sont estimées à 363 000 ha, la superficie totale irriguée pouvant atteindre les 3 millions d’hectares si l’on tient aussi compte des zones humides et des bas‑fonds non équipés, ainsi que de l’agriculture de décrue. Mais la superficie réellement irriguée n’en reste pas moins très incertaine. Carte 2.1.  Principales surfaces acTivement irriguées en maîtrise partielle et totale en 2022 dans les six pays sahéliens d’après l’analyse de données recueillies par télédétection Source : Analyse des données de couverture terrestre et analyse personnalisée de l’ESA-CCI à l’aide de Sentinel-2 pour la période de cinq ans 2019-2024. 18 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel Figure 2.2.  Répartition des superficies activement irriguées dans les six pays en 2022, sur la base de l’analyse de données recueillies par télédétection Source : Analyse des données de couverture terrestre et analyse personnalisée de l’ESA-CCI à l’aide de Sentinel-2 pour la période de cinq ans 2019-2024. Il est essentiel de disposer d’informations précises sur les terres irriguées et les ressources en eau, notamment leur disponibilité, leur variabilité saisonnière et leur durabilité, pour pouvoir prendre des décisions éclairées. Sans ces données, les aménagements liés à l’eau pourraient provoquer la dégradation des ressources, la surexploitation des eaux souterraines, la dégradation des écosystèmes et des conflits. Possibilités qu’offrent les eaux de surface La région compte quatre grands fleuves transfrontaliers : les bassins du Niger, du Sénégal et de la Volta, ainsi que le bassin du lac Tchad. Les bassins fluviaux et les zones humides transfrontaliers tels que les lacs et les plaines inondables, qui sont partagés par des pays limitrophes, fournissent des moyens de subsistance et des services écosystémiques inestimables, tels que la nourriture et la réduction des effets des inondations et de la pollution (Bonzanigo, Lajaunie et Abdulnour, 2022). Le tableau 2.2 présente les disponibilités moyennes en eau historiques (2000‑2014) et prévues (pour 2030, 2040 et 2050) dans les quatre bassins. Ces prévisions sont classées selon différentes trajectoires socioéconomiques communes (Shared Socioeconomic Pathways, SSP) (DKRZ n.d.)3, représentant divers scénarios de développement mondial. Certains bassins 3 SSP126 : Ce scénario de 2,6 W/m² à l’horizon 2100 est une reformulation du scénario optimiste RCP2.6 (Profil représentatif des concentrations atmosphériques) et a été conçu dans le but de simuler un développement compatible avec la cible de 2°C. SSP370 : Avec 7 W/m² d’ici 2100, ce scénario se situe dans la moitié supérieure de l’ensemble des scénarios. SSP585 : Avec un forçage radiatif supplémentaire de 8,5 W/m² d’ici 2100, ce scénario représente la limite supérieure de l’ensemble des scénarios décrits dans les ouvrages. Il peut être compris comme une mise à jour du scénario RCP8.5 du CMIP5 (Coupled Midel Intercomparison Project), conjugué ici à des raisons socio-économiques. Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 19 Tableau 2.2.  Volume moyen d’eau disponible (m3/s) dans les quatre grands bassins hydrographiques transfrontaliers (SSP historiques et prévisionnels) Historique 2030 2040 2050 Lac Tchad 1 158,6 1 721,2 1 496,5 2 088,1 2 446,6 2 510,8 2 315 2 121,7 2 338,2 2 825 Niger 5 609,5 6 797,7 6 850,7 6 842,3 6 711,2 6 397,2 5 955,2 6 844,1 7 888,2 6 759,1 Sénégal 1 050,5 774,9 947 1 032,2 931,8 925,3 813,3 949,5 1 039,8 968,4 Volta 863,4 748,3 997,3 938,7 728,2 691,7 448,2 974 866,3 692,3 Source : Évaluation rapide de la disponibilité actuelle et future des ressources en eau dans la région du Sahel. IHE Delft Institute 2024, rapport non publié. N.B. : Les SSP portent des couleurs distinctives : SSP126 (vert) ; SSP370 (bleu) ; et SSP585 (gris). fluviaux pourraient voir la disponibilité de l’eau s’accroître en fonction de certaines trajectoires (par exemple, SSP585), tandis que d’autres sont exposés à des baisses, en particulier dans le scénario de rivalité régionale (SSP370). Ces tendances soulignent la nécessité d’une gestion adaptative des ressources en eau qui exige une coopération par-delà les frontières nationales et qui tient compte des conditions climatiques et socioéconomiques futures. En dépit des difficultés, notamment l’extrême variabilité de la disponibilité de l’eau dans le temps et dans l’espace, la dégradation des infrastructures de stockage et la dégradation des bassins versants, les bassins fluviaux présentent collectivement un potentiel important pour l’irrigation en saison sèche. Le potentiel varie entre 3,18 et 4,36 millions d’hectares4 à travers la région, offrant des possibilités d’améliorer la productivité et la résilience agricoles (tableau 2.3). Le potentiel des ressources peut être comparé à la superficie totale irriguée estimée à 845 000 ha, ce qui représente entre 19 % et 27 % du potentiel en eaux de surface de la région. 4 Ce potentiel doit être intégré aux plans actuels d’aménagement des bassins fluviaux afin de garantir une capacité de stockage suffisante pour l’irrigation en saison sèche. 20 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel Tableau 2.3.  Expansion potentielle calculée de l’irrigation en saison sèche (ha) Historique 2030 2040 2050 Lac Tchad 2 716 142 686 183 066 128 511 265 085 320 036 203 219 139 130 277 302 207 393 Niger 217 092 582 446 531 301 623 316 889 380 906 559 721 237 902 182 765 824 978 853 Sénégal – 1 868 2 037 1 334 24 282 20 061 10 807 17 558 20 935 18 945 Volta 580 507 627 206 748 079 765 022 611 573 538 235 348 572 769 969 694 737 555 571 Source : Évaluation rapide de la disponibilité actuelle et future des ressources en eau dans la région du Sahel. IHE Delft Institute [2024, rapport non publié]. N.B. : Les SSP portent des couleurs distinctives : SSP126 (vert) ; SSP370 (bleu) ; et SSP585 (gris). Possibilités qu’offrent les nappes phréatiques peu profondes Des études récentes confirment l’existence d’un potentiel important en eaux souterraines peu profondes, qui se prête bien à l’irrigation privée à petite échelle et à l’aménagement de périmètres communautaires (c’est‑à‑dire les types 2 et 3). Les eaux souterraines peu profondes contenues dans les aquifères de socle devraient jouer un rôle clé dans l’expansion durable de la petite irrigation au Sahel et, à ce titre, contribuer dans une mesure importante à l’adaptation au changement climatique ainsi qu’à l’amélioration de la sécurité alimentaire, de la nutrition infantile et de la santé humaine, en particulier pour les populations vulnérables qui n’ont pas accès aux eaux de surface. L’analyse révèle que s’ils n’ont pas accès à des aquifères peu profonds, les ménages pourraient subir des pertes de production agricole presque deux fois plus importantes pendant les sécheresses, ce qui aurait des répercussions considérables sur la nutrition et le développement des enfants (Rodella et al., 2023). En dépit de ce potentiel, les eaux souterraines ne sont utilisées que pour 15 % de la totalité des terres irriguées — un déficit dû à diverses contraintes examinées en détail à la section 2.3.4, notamment le manque de moyens financiers pour mobiliser les ressources disponibles. La mobilisation des ressources en eau et l’amélioration de leur gestion, permettant ainsi l’irrigation tout au long de l’année, sont une mesure d’adaptation fondamentale pour la région du Sahel, comme le souligne le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 21 Les eaux souterraines peu profondes5 sont particulièrement appropriées pour renforcer la sécurité hydrique dans les zones pluviales éloignées et marginales privées d’un accès économiquement et techniquement viable aux eaux de surface, et pour l’expansion rapide de la micro et de la petite irrigation (type 2). S’il est vrai que les projets d’aménagement doivent évaluer soigneusement les risques de surexploitation associés au prélèvement des eaux souterraines, ces aquifères, y compris les aquifères alluviaux situés près des cours d’eau et les aquifères de socle, ont des cycles de recharge courts et peuvent généralement se reconstituer complètement en un à trois ans. Alors que les aquifères locaux peu profonds ne conviennent pas aux forages en raison de leur caractère discontinu, les puits peu profonds présentent relativement peu de risques de surexploitation, ce qui rend le développement à grande échelle de l’irrigation privée plus réalisable. Bien qu’ils ne conviennent pas aux forages, les aquifères locaux peu profonds sont généralement considérés comme présentant des risques de surexploitation relativement limités pour la petite irrigation du point de vue de la gestion des ressources en eau. Cependant, du point de vue de l’agriculteur, le risque de prélèvement excessif doit être soigneusement évalué. Les observations sur le terrain indiquent que les puits se tarissent fréquemment pendant la saison des cultures, ce qui a des répercussions directes sur les rendements et les moyens de subsistance. Dans ces cas, la perspective d’une recharge naturelle des nappes au cours de la saison suivante offre une bien piètre consolation. Cette différence de points de vue souligne l’importance d’intégrer à la fois les évaluations hydrologiques et la réalité des usagers lors de la planification du développement à grande échelle de systèmes d’irrigation privée par les eaux souterraines peu profondes. L’analyse des ressources en eaux souterraines peu profondes révèle que 62 % de l’Afrique de l’Ouest repose sur des aquifères de roche cristalline. La nappe phréatique relativement peu profonde d’aquifères de roche cristalline offre aux petits exploitants agricoles un accès économique aux eaux souterraines, généralement à travers des puits ouverts. Bien que leur productivité soit souvent limitée, les puits offrent une capacité de stockage suffisante pour répondre aux besoins quotidiens d’irrigation de petites parcelles. Comme l’indique le récent rapport phare sur l’économie des eaux souterraines (Rodella et al., 2023), les aquifères de socle peuvent être utilisés efficacement pour l’irrigation sous les terres agricoles non irriguées, en particulier lorsque la profondeur de la nappe phréatique est inférieure à 7 mètres — la profondeur maximale pour l’extraction de l’eau à l’aide de pompes de surface (aspiration). Lorsque la profondeur du niveau de la nappe phréatique dépasse 7 mètres, la pompe de surface doit être remplacée par des pompes submersibles un peu plus coûteuses, même si des solutions utilisant efficacement l’énergie solaire et le réseau électrique existent et sont largement disponibles. Les puits peu profonds de moins de 10 mètres de profondeur, là où il y a des morts-terrains, sont également faciles à construire à la main. 5 Les eaux souterraines peu profondes désignent ici les ressources en eau souterraine dans les aquifères se trouvant juste sous la surface du sol. Elles sont considérées comme « peu profondes » lorsque la nappe phréatique — la surface supérieure de la zone saturée de sol ou de roche — est suffisamment proche de la surface du sol pour être atteinte par un puits ou pour agir sur la zone racinaire des plantes. Dans le présent document, elles sont jugées peu profondes si elles se trouvent à moins de 20 mètres de la surface, même si d’autres auteurs fixent ce seuil à 6 mètres, 7 mètres, voire 25 mètres (Hare et al., 2021 ; Doble et Crosbie, 2017 ; Bonsor et MacDonald, 2010). 22 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel Dans le Sahel, une analyse en cours de la Banque mondiale, menée avec le soutien de l’Université de Neuchâtel (Suisse), a évalué les possibilités de transition de l’irrigation pluviale à l’irrigation par les eaux souterraines peu profondes dans cinq des six pays sahéliens — Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad. Faute de données, la même analyse n’a pas pu être faite pour le Burkina Faso. Cette analyse préliminaire a permis de cartographier les terres agricoles pluviales couvrant des nappes phréatiques peu profondes de roche cristalline sur une échelle de 30 x 30 m (carte 2.2)6. L’analyse met en évidence le potentiel de faire passer environ 8 % des terres agricoles de la culture pluviale à la culture irriguée à petite échelle, soit près d’un million d’hectares au total (tableau 2.4). Ce résultat souligne le rôle central que les eaux souterraines peu profondes pourraient jouer pour assurer la sécurité alimentaire, renforcer la résilience face à la sécheresse et favoriser le développement socioéconomique, en particulier dans les régions reculées où la mobilisation de l’eau des grands fleuves transfrontaliers n’est pas techniquement ou économiquement réalisable (par exemple, l’est du Tchad à la frontière avec le Soudan). Néanmoins, le potentiel physique doit être rigoureusement complété par une analyse économique permettant de déterminer la faisabilité et la durabilité de ces aménagements. Rapide tour d’horizon des opportunités liées aux ressources en eau Le Sahel dispose d’importantes ressources en eaux de surface et souterraines pour renforcer la résilience et la productivité agricoles. Le potentiel en eaux de surface varie entre 3,18 et 4,36 millions d’hectares, auxquels s’ajoutent 1 million d’hectares de ressources en eaux souterraines à moins de 7 mètres de profondeur dans cinq pays du Sahel, compte non tenu du Burkina Faso. Le potentiel de ressources peut être comparé à la superficie totale irriguée estimée à 845 000 ha, ce qui représente entre 19 % et 27 % du potentiel des eaux de surface et entre 11 % et 14 % du potentiel combiné des eaux de surface et des eaux souterraines. En exploitant le potentiel d’irrigation sous-utilisé — en particulier en offrant un accès économiquement et techniquement viable et plus large à des eaux de surface et souterraines peu profondes abondantes — la région peut lutter contre l’insécurité alimentaire persistante et renforcer la résilience climatique. Les ressources en eau transfrontalières, y compris les rivières et les lacs communs, doivent également être mobilisées de manière stratégique pour stimuler 6 L’analyse se fonde sur une évaluation préliminaire du DTW sous la roche cristalline et se concentre sur les zones actuellement classées comme terres agricoles pluviales, telles qu’identifiées par Chandrasekharan et al. (2015) et Owusu et al. (2024). Avec le soutien de l’Université de Neuchâtel (Suisse), le DTW a été estimé à l’aide d’une méthodologie d’apprentissage automatique qui a intégré des caractéristiques topographiques, un indicateur indirect de la recharge des eaux souterraines (précipitations) et un indicateur indirect de la demande en eaux souterraines. Le résultat est une carte matricielle haute résolution à l’échelle 30 x 30 mètres, correspondant à la résolution originale du modèle altimétrique numérique utilisé pour dériver les caractéristiques topographiques. Le modèle ML a été validé à l’aide de plus de 3 000 mesures de DTW collectées depuis 2003 sur des sites de forage lors de leur construction. Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 23 Carte 2.2.  Régions non irriguées posées sur un substrat rocheux cristallin et des eaux souterraines peu profondes Source : Banque mondiale et Université de Neuchâtel [2024, analyse préliminaire, non publiée]. N.B. : L’évaluation préliminaire de la zone pluviale sous substratum rocheux cristallin montre l’accessibilité potentielle à l’irrigation à petite échelle par des eaux souterraines peu profondes (modèle DTW encore en cours d’élaboration). Tableau 2.4.  Potentiel d’irrigation par des eaux souterraines peu profondes pour cinq pays du Sahel Zones à eaux souterraines Superficie pluviale sous Pays peu profondes en ha roche cristalline en ha (% de la superficie pluviale) Mali 7 215 976 398 434 (6 %) Tchad 1 375 904 318 357 (23 %) Mauritanie 133 162 3 031 (2 %) Sénégal 143 474 6 823 (5 %) Niger 733 061 31 160 (4 %) TOTAL 9 601 577 757 805 (8 %) Source : Banque mondiale et Université de Neuchâtel 2024, analyse préliminaire, non publiée. N.B. : L’évaluation préliminaire de la zone pluviale sous substratum rocheux cristallin montre l’accessibilité potentielle à l’irrigation à petite échelle par des eaux souterraines peu profondes (modèle DTW encore en cours d’élaboration). 24 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel la productivité agricole. Le potentiel prometteur de l’irrigation par des eaux souterraines peu profondes et des chaînes de valeur diversifiées, en particulier pour les petits exploitants agricoles, souligne l’importance d’investissements ciblés dans les infrastructures, la technologie et les capacités institutionnelles pour exploiter durablement ces opportunités. Toutefois, les progrès sont entravés par la rareté économique de l’eau, en grande partie due aux difficultés d’accès aux équipements, technologies et infrastructures essentiels. En s’attaquant aux problèmes relevés et en adoptant des stratégies de gestion adaptative des ressources en eau, la région du Sahel peut ouvrir la voie à des solutions réalisables et modulables tout au long de l’année pour l’agriculture irriguée et à un avenir plus sûr non seulement au regard des incertitudes climatiques et socioéconomiques, mais aussi vu le contexte de fragilité et de développement à l’échelle régionale. Augmenter le stockage de l’eau en vue de la sécurité hydrique et de la résilience climatique Étant donné que les ressources en eau du Sahel varient considérablement dans l’espace et dans le temps, la diversification des sources d’eau et l’amélioration de la recharge et du stockage sont des solutions cruciales permettant de résister au changement climatique. Les ressources en eau extrêmement variables du Sahel et la hausse des températures — qui devrait être 1,5 fois plus rapide que la moyenne mondiale — exposent la région à un grand risque de sécheresses à long terme, comme en témoignent les 107 millions de personnes touchées et les 3,4 milliards de dollars de dommages enregistrés en Afrique subsaharienne entre 1980 et 2015 (Ault et al., 2014). Ces conditions menacent les rendements agricoles, la productivité du bétail et la sécurité alimentaire (van Trotsenburg, 2021), ce qui souligne la nécessité de réduire la demande en eau de surface, d’augmenter le stockage et de mobiliser les eaux souterraines de manière durable grâce à une gouvernance de l’eau plus forte et à des normes techniques modernes. Si le stockage de l’eau est crucial pour renforcer la résilience de la population sahélienne face à des précipitations de plus en plus irrégulières et à la hausse des températures, les infrastructures existantes sont à la fois limitées et souvent peu performantes, nécessitant une remise en état urgente. À titre d’exemple, 5 à 10 % de la capacité du réservoir du Sahel a été perdue entre 1990 et 2010 en raison de la sédimentation et du manque d’entretien (Wisser at al., 2013). Selon le plan de gestion des ressources en eau du bassin du Nakanbé au Burkina Faso, 159 barrages sont devenus inopérants en raison de la sédimentation, tandis qu’au Mali, les grands barrages ont eux aussi besoin de réparations. Bien que des pays — soutenus par des bailleurs de fonds internationaux — construisent de grands barrages polyvalents (Fomi, Gourbassi, Koukoutamba, Taoussa, etc.), ces projets complexes demandent une planification rigoureuse pour concilier les nombreux usages de l’eau. Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 25 Outre les grands barrages, diverses autres solutions de stockage existent, qu’il s’agisse de la recharge des aquifères, de la gestion de l’humidité du sol ou des petits réservoirs. Les solutions plus petites et décentralisées ont tendance à être plus résilientes face au changement climatique et plus réalisables sur le plan social. Elles ouvrent des possibilités importantes pour la recharge des aquifères à partir de cours d’eau, la rétention in situ de l’eau du sol et la collecte des eaux de ruissellement, à condition qu’elles suivent des évaluations solides au niveau du bassin versant et tiennent compte des cycles humides-secs pluriannuels. En zone hyper-aride (<250 mm), le stockage en aquifère est sans nul doute la solution la plus efficace en raison des faibles niveaux d’évaporation et des risques de contamination réduits. Néanmoins, il est crucial de reconnaître les limites intrinsèques de la capacité biotique du climat aride et changeant du Sahel. Les changements macro‑climatiques conjugués à la déforestation à grande échelle en Afrique de l’Ouest modifient les taux d’évapotranspiration et les régimes de précipitations dans l’ensemble du Sahel (van der Ent et al., 2010, 2014 ; te Wierik et al., 2022 ; Sheil et Tobella, 2021), avec des répercussions importantes pour l’agriculture pluviale et irriguée. Au-delà des effets sur les débits d’eau de surface (en bleu), les variations de la disponibilité de l’eau verte (l’humidité du sol provenant des précipitations) modifient considérablement l’équilibre saisonnier des besoins en eau des cultures. Il est donc nécessaire de mieux comprendre l’évolution du delta dans la demande d’irrigation entre les saisons humides et sèches, en particulier pour amortir les chocs climatiques. Certaines régions devraient devenir de plus en plus impropres à l’agriculture en raison de l’épuisement de l’eau verte et de l’absence de ressources en eau bleue accessibles, tandis que d’autres au potentiel en eau et en terres sous-utilisé pourraient se révéler plus viables. La planification stratégique doit donc intégrer des analyses spatiales de la disponibilité de l’eau et de la viabilité des cultures dans les scénarios climatiques futurs et regarder en face les choix difficiles qui se profilent, en particulier en ce qui concerne la viabilité à long terme de certains moyens de subsistance dans les zones où la viabilité de l’agriculture ne peut être maintenue sans des transformations et des investissements importants. 2.3. Problèmes persistants et principaux enseignements Le développement de l’irrigation dans la région se heurte à des difficultés importantes, notamment l’état des infrastructures des périmètres publics qui se dégradent sans arrêt, l’accès limité à des financements pas chers pouvant permettre aux particuliers d’acquérir leurs propres équipements, une connaissance insuffisante des possibilités et des pratiques en matière d’irrigation, la dépendance à l’égard d’une agriculture de subsistance peu diversifiée, des chaînes de valeur sous-développées et des liens peu 26 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel solides avec les marchés. Les coûts d’investissement élevés des infrastructures d’irrigation de grande envergure, l’adoption inappropriée des normes de qualité et la gestion, l’exploitation et l’entretien insuffisants des systèmes d’irrigation réduisent davantage la pertinence technique et l’opérationnalité. La faiblesse de la gouvernance, le manque de personnel qualifié, la faible participation du secteur privé, le coût élevé des intrants agricoles et des problèmes structurels tels que l’insécurité foncière, les questions d’équité et les disparités entre les sexes entravent les progrès dans le secteur. Des réponses non pertinentes à ces problèmes se traduisent par la dégradation des infrastructures, l’abandon des terres irriguées, une faible croissance agricole et la persistance de l’insécurité alimentaire. La sous-utilisation de systèmes d’irrigation publics et collectifs coûteux représente une occasion manquée de créer des emplois, d’augmenter les revenus ruraux, de renforcer la résilience climatique et de favoriser la croissance socioéconomique. En outre, la mauvaise gestion des infrastructures et de l’eau ainsi que de mauvaises pratiques agricoles contribuent à la dégradation de l’environnement, notamment à la salinisation et à la dégradation des sols (Sene et al., 2023 ; Van Asten et al., 2003), à la pollution de l’eau, à la prolifération d’espèces envahissantes et aux maladies d’origine hydrique, qui présentent de graves risques pour les écosystèmes et la santé publique. Des solutions efficaces à ces nombreux problèmes existent et ont été appliquées avec succès dans toute l’Afrique subsaharienne. Le plus urgent est à présent d’adapter et d’adopter des solutions éprouvées et d’élargir ces interventions pour obtenir un impact aux niveaux national et régional. Les sections suivantes décrivent les problèmes persistants et les progrès accomplis, et mettent en relief les enseignements tirés dans les principaux domaines. Ces enseignements couvrent différents leviers de changement, à savoir : les politiques publiques et la gouvernance, la productivité et la rentabilité, la technologie et l’innovation, et les coûts du financement et de l’irrigation. Politiques publiques et gouvernance Leçon nº 1 : Un meilleur aménagement du territoire, la sécurité des droits fonciers et les droits sur l’eau sont des leviers essentiels et efficaces pour la gestion durable des ressources foncières et hydriques, et des incitations à investir dans l’irrigation et à la développer. Les principaux obstacles à la sécurité foncière sont notamment le manque de clarté ou le chevauchement des droits fonciers entre les systèmes formels et traditionnels, la faible application des politiques foncières, la reconnaissance insuffisante des droits coutumiers, l’accès limité des petits exploitants à des titres sécurisés et les conflits fréquents découlant des utilisations concurrentes des terres. Malgré des cadres juridiques complets et des outils réglementaires applicables, leur mise en œuvre reste souvent difficile en raison d’une faible sensibilisation, de la longueur des procédures foncières et d’autres obstacles. Les procédures foncières doivent être simplifiées pour encourager l’investissement dans l’irrigation et le développement agricole. Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 27 Ces difficultés persistantes contribuent à une rentabilité sous-optimale et ralentissent l’adoption de l’irrigation, perpétuant ainsi la pauvreté des agriculteurs. Au Sénégal, des outils tels que les plans d’affectation et d’allocation des terres et la création d’un cadastre numérique facilitent la gestion transparente des terres agricoles en vue de l’irrigation. Les premiers travaux préparatoires existent dans le cadre des périmètres irrigués gérés par la SAED (Société d’aménagement et d’exploitation des terres du Delta du fleuve Sénégal et des vallées du fleuve Sénégal et de la Falémé) et la Société sucrière du Sénégal. Ces outils doivent être déployés à grande échelle pour assurer une allocation efficace des terres, faciliter l’accès des femmes et des jeunes aux terres irriguées et prévenir les conflits entre utilisations concurrentes, en particulier entre agriculteurs et éleveurs. Le Sénégal place la gouvernance foncière au cœur de son récent programme de lutte contre la pauvreté et de sécurité alimentaire, en cohérence avec sa vision pour 20507. Le Burkina Faso vise à porter à 35 % la croissance annuelle des terres sécurisées grâce à des Attestations de possession foncière rurale et à faire passer la proportion de services fonciers ruraux opérationnels de 68,92 % en 2020 à 80 % d’ici à 2025 (Gouvernement du Burkina Faso, 2021). Leçon nº 2 : Le riz irrigué reste une priorité politique malgré des résultats modestes dans la réalisation de la souveraineté alimentaire attendue. Cibler des variétés de riz à forte valeur, telles que le riz blanc long grain ou le riz parfumé, pour les marchés urbains nationaux et régionaux pourrait améliorer la viabilité des périmètres irrigués. L’augmentation de la production rizicole est un jalon capital des politiques de développement agricole des pays sahéliens et des partenaires régionaux et internationaux, quels que soient la durée et le coût de ces efforts pour l’économie du pays. Il ne fait aucun doute qu’une production céréalière interne suffisante protègerait les économies les plus fragiles des crises alimentaires mondiales, et que les chocs du marché — dans un contexte d’abondance relative de terres et de ressources en eau inexploitées — renforceraient la résilience des pays face à la sécheresse et aux effets du changement climatique. L’augmentation de la production rizicole n’a toutefois pas atteint l’objectif économique de substitution aux importations, principalement en raison des limites intrinsèques de la croissance de la production, de l’augmentation régulière de la consommation intérieure et des faibles protections aux frontières contre les tendances du marché. On peut toutefois se demander dans quelle mesure la production de riz irrigué au Sahel est économiquement et financièrement viable. La riziculture irriguée en Afrique subsaharienne s’est révélée viable, du moins pour le marché local, si les rendements sont relativement bons et si des systèmes de production intensifs sont utilisés, notamment en augmentant l’intensité culturale 7 Voir Brochure-Senegal-2050.pdf. 28 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel des périmètres irrigués8. Difficile de remplir ces conditions concomitamment. De nombreux périmètres mis en place avaient plus des visées sociales que des objectifs financièrement viables et axés sur le marché, et les institutions, les attitudes des agriculteurs et les pratiques de gestion dépendent de la trajectoire empruntée. Privilégier les variétés de riz à forte valeur ajoutée pourrait améliorer considérablement la viabilité des périmètres irrigués. Les céréales autres que le riz se sont avérées moins viables en irrigation, particulièrement en période de baisse des cours mondiaux (Banque mondiale, 2010 ; Bazin et al., 2017)9. Leçon nº 3 : Il est essentiel de passer à des systèmes agricoles plus productifs, diversifiés et axés sur le marché pour garantir la durabilité des investissements dans l’irrigation, et cette transition nécessite des réformes politiques importantes et une conception minutieuse des projets. Les études sur la chaîne de valeur régionale ont montré que les cultures horticoles et fruitières offrent généralement des rendements à l’hectare plus élevés aux petites exploitations agricoles et aux petites et moyennes entreprises (PME) que le riz (Faye et von Braun, 2014). La diversification des cultures et l’introduction de cultures de rente à haut rendement — en particulier des variétés horticoles et fruitières et des fibres telles que le coton — peuvent accroître considérablement les revenus et réduire la pauvreté, à condition qu’il y ait un approvisionnement suffisant en intrants, ainsi qu’un soutien technique et des conseils. La disponibilité de l’eau tout au long de l’année est essentielle pour l’horticulture et la production fruitière. L’augmentation de la rentabilité de ces cultures dépend également de la réduction au minimum des pertes post-récolte et de la gestion du cycle des cultures afin d’amortir les fluctuations des prix. Le développement de chaînes de valeur autour de cultures spécialisées de légumes, de fruits et de tubercules — reliant l’agro‑industrie, les PME, les grossistes, les exportateurs et les petits exploitants agricoles — s’est avéré efficace pour les marchés nationaux et régionaux et pour les exportations internationales. La production irriguée de tubercules tels que le manioc et la patate douce avec des rendements élevés et une forte demande sur le marché urbain pourrait contribuer dans une mesure importante à réduire l’insécurité alimentaire et nutritionnelle pour les humains comme pour le bétail, en particulier compte tenu des précieux résidus que ces cultures génèrent. Enfin, la diversification des cultures dans le temps et dans l’espace — en incorporant les légumineuses dans les rotations, en adoptant l’agriculture de contre-saison et en 8 Au Mali, la production intensive de riz irrigué (rendements allant jusqu’à 6 tonnes par ha et intensité culturale de 1,2) est compétitive pour le marché intérieur et pour certaines zones frontalières de pays limitrophes. En général, la riziculture irriguée dans les zones subhumides de l’Afrique subsaharienne est viable si : a) les coûts d’investissement sont relativement faibles (5 000 dollars par hectare a été proposé comme la limite pour le paddy cultivé une fois l’année avec un rendement moyen de 3,3 tonnes par ha) ; b) des systèmes de production plus intensifs sont utilisés (des rendements pouvant atteindre 5 à 6 tonnes par hectare et la culture deux fois l’année peuvent être nécessaires pour justifier des périmètres irrigués très coûteux) ; et c) la production est censée se substituer aux importations. 9 Le fait qu’il y ait 1,4 million d’hectares de terres irriguées en Afrique subsaharienne cultivés avec des céréales autres que le riz est probablement dû aux subventions sur les coûts d’investissement et les coûts d’exploitation et d’entretien, plutôt qu’à la viabilité. Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 29 pratiquant une gestion durable des terres — permet de maintenir une couverture végétale permanente, tout en améliorant la fertilité et la santé des sols. Pour maximiser les résultats en matière d’irrigation et améliorer la durabilité globale des projets, les projets ou programmes d’irrigation doivent mettre l’accent sur le développement agricole et les entreprises, soit en en faisant des composantes spécifiques d’initiatives de développement agricole en cours, soit en les alignant soigneusement sur ces dernières. En outre, les politiques nationales et régionales devraient promouvoir des chaînes de valeur financièrement viables et stimuler une production agricole diversifiée et autant adaptée au climat que respectueuse de l’environnement. Cette transition devrait s’appuyer sur les politiques intersectorielles cohérentes ci‑après : services de conseil agricole, accès au crédit saisonnier, renforcement des organisations de producteurs et développement des chaînes de valeur. Leçon nº 4 : Compte tenu de l’accent mis sur l’élevage au Sahel, les initiatives d’irrigation répondront mieux aux priorités locales si les cultures fourragères et de couverture sont intégrées dans la formule, et les investissements dans l’irrigation alignés sur les initiatives de gestion du bétail et des pâturages. Les politiques au Sahel établissent souvent une distinction nette entre agriculteurs et éleveurs, malgré les avantages évidents que pourrait apporter leur intégration. Cette approche sépare les zones agricoles et pastorales, ce qui réduit considérablement les possibilités d’intégration de l’agriculture et de l’élevage. La traction bovine, par exemple, est cruciale pour la préparation des sols dans la riziculture, tandis que le fumier organique provenant du bétail améliore la fertilité des sols et augmente la productivité des cultures. La promotion du développement des cultures de couverture pendant la saison sèche et l’intégration de la gestion du bétail dans le pâturage de ces zones maintiendraient la fertilité des sols, favoriseraient une couverture végétale pendant la saison sèche et limiteraient la pression du bétail sur l’environnement naturel autour des périmètres irrigués. Les tubercules tels que le manioc et la patate douce pourraient également servir d’éléments d’intégration entre la culture et l’élevage, compte tenu de la valeur des résidus agricoles qu’ils produisent (feuilles, épluchures, etc.). Leçon nº 5 : Le développement efficace de l’irrigation nécessite des institutions et des mécanismes de gouvernance solides permettant de garantir l’équité dans la répartition et la fourniture de l’eau, la transparence dans la prise de décision et l’obligation de rendre compte des résultats. La gouvernance de l’irrigation et du drainage dans les périmètres irrigués de moyenne et grande échelle connaît des problèmes persistants, en particulier dans les domaines de la gestion, de l’exploitation et de l’entretien, et du recouvrement des coûts d’exploitation. Les gouvernements ne veulent plus ou ne peuvent plus financer la viabilité opérationnelle et financière d’une année sur l’autre, et il convient de changer radicalement de paradigme en amenant les agriculteurs qui utilisent l’eau à payer partiellement ou totalement cette eau afin d’éviter que ne s’installe un cercle vicieux de dégradation des infrastructures. Le recouvrement des coûts repose sur une agriculture rentable et commerciale (comme indiqué 30 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel précédemment), qui dépend de bons services d’approvisionnement en eau aux côtés d’autres facteurs de production agricole. De bons services d’eau peuvent être décrits par des indicateurs tels que la quantité, la fiabilité, l’équité, la réactivité organisationnelle et la responsabilité. Indépendamment des difficultés liées à l’insuffisance des sources d’eau et au fonctionnement des infrastructures, des services de qualité exigent des institutions efficaces (règles), des organisations (acteurs) capables, la définition de modalités de gestion, d’exploitation et d’entretien et des ressources financières. Cependant, les organismes chargés de l’irrigation et les AUE, agissant de manière indépendante ou en collaboration, font face à des défis persistants, mais bien connus concernant l’ensemble des éléments essentiels à l’efficacité de la gestion, de l’exploitation et de l’entretien (Waalewijn et al., 2020). Leurs membres manquent souvent de compétences en gestion, d’expertise technique et de droits de propriété à part entière, d’où des décisions malavisées et une gestion financière calamiteuse. La plupart des AUE ont du mal à percevoir un pourcentage élevé des commissions de service d’irrigation, qui sont généralement inférieures à ce qui permettrait de récupérer les coûts d’exploitation. La gestion, l’exploitation et l’entretien sont souvent considérés comme relevant de la responsabilité de l’État, parce que l’aménagement des périmètres a toujours fait partie du développement social, ou en raison d’un précédent de riposte ponctuelle du gouvernement à une crise. Obliger les agriculteurs à apporter une contribution financière adéquate est difficile, aussi bien sur le plan social et politique que technique (à l’exception de la composante électricité des systèmes de pompage). Les investissements visant à assurer la viabilité technique et financière des périmètres hydrographiques doivent prévoir un budget suffisant non seulement pour mettre en place des organisations et des systèmes opérationnels performants (AUE et organismes chargés de l’irrigation), mais aussi pour encadrer et soutenir les opérations et les coûts pendant trois à cinq ans, le temps pour ces organisations d’atteindre une maturité suffisante. Leçon nº 6 : Sous-investir dans les composantes logicielles du développement des capacités institutionnelles, organisationnelles et humaines peut entraîner une augmentation importante des coûts de matériel et de faibles résultats des projets. Les composants immatériels doivent être correctement mis en correspondance ou équilibrés avec les investissements dans les structures physiques. En réalité, les coûts d’investissement dans la gouvernance ne représentent qu’une infirme portion des coûts des infrastructures. Dans les projets de la Banque mondiale, les dépenses de fonctionnement (OPEX) sont systématiquement inférieures de 1,5 % aux dépenses d’investissement (CAPEX), si l’on considère les données brutes de plusieurs projets d’investissement antérieurs de la Banque (par exemple, le projet Agriculture, Irrigation et terre résilientes en Géorgie, Kenya Nzoia [Denison et Maina 2023], le programme de résilience des systèmes alimentaires en Tanzanie et SPIN au Nigéria). Alors que la plupart des programmes ne consacrent qu’un financement minimal à l’exploitation et l’entretien, le projet de transformation de la gestion de l’irrigation Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 31 au Nigéria constitue une exception notable, les dépenses en capital ayant atteint 3,2 % (175 dollars par ha) grâce à la volonté des clients et au plaidoyer auprès des institutions financières, ce qui s’est avéré tout juste suffisant pour la réforme institutionnelle et la mise en place d’AUE. Il a offert l’occasion de réaliser des avancées décisives dans la prestation des services d’eau (Denison, 2024). D’autres exemples de résultats relativement satisfaisants en matière de recouvrement des coûts de gestion, d’exploitation et d’entretien sont ceux obtenus par l’Office du Niger (OdN) et la SAED. Ainsi, des résultats significatifs peuvent être obtenus en investissant davantage dans les composantes institutionnelles et organisationnelles. Il s’agit de processus évolutifs et itératifs qui prennent du temps. Ils se déploient au fil de vagues d’apprentissage, exigeant des changements d’attitude des agriculteurs comme des décideurs, et des changements dans des normes organisationnelles rigides, voire parfois une réforme législative (Waalewijn et al., 2020). Leçon nº 7 : Pour combler les carences en matière de gestion, d’exploitation et d’entretien, il faut non seulement un développement intensif des capacités opérationnelles, mais aussi des stratégies importantes de sensibilisation sociale et de communication pour parvenir à un changement d’attitude des agriculteurs. Le changement d’attitude par rapport à la volonté de payer dépend de données factuelles et de la compréhension de la rentabilité des cultures (irrigation par rapport à la production sans eau) et des coûts réels de gestion, d’exploitation et d’entretien. Les agriculteurs doivent intégrer la valeur monétaire réelle des avantages de l’irrigation par rapport à l’absence d’eau d’irrigation, les coûts réels de gestion, d’exploitation et d’entretien et les implications pour la durabilité des périmètres (exploitabilité future) s’ils ne récupèrent pas les coûts d’exploitation et d’entretien courant saisonnier et annuel (par opposition à des réhabilitations ou des réparations importantes après des catastrophes). Il est aussi absolument crucial que les opérateurs intègrent une fonction de service à la clientèle et conviennent explicitement de critères de prestation de services qui seront remplis et pour lesquels des paiements seront exigés. L’information doit être communiquée au moyen de campagnes médiatiques stratégiques et ciblées destinées aux agriculteurs et aux techniciens de l’irrigation. Les coûts de ces investissements dans le développement des capacités des AUE et des organismes chargés du développement de l’irrigation ainsi que dans le changement stratégique d’attitude fondé sur des données probantes sont négligeables par rapport aux coûts des infrastructures d’irrigation. Il est impératif de donner la priorité à ces investissements si l’on veut transcender les schémas habituels et bien connus de gestion, d’exploitation et d’entretien dysfonctionnels, de manque de financement pour ces activités et de déclin subséquent des périmètres. Leçon nº 8 : Il est possible d’avoir une gouvernance efficace et des taux élevés de recouvrement des redevances, en particulier dans les régimes de location de terres domaniales lorsqu’il existe une volonté politique d’appliquer un système de location. L’OdN, l’Office du périmètre irrigué de Baguinéda, l’Office du riz Ségou au Mali et le SAED au Sénégal constituent des exemples de 32 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel gouvernance efficace avec des terres appartenant à l’État. Des pratiques strictes de gestion des parcelles, y compris le retrait des droits d’accès à la terre et à l’eau en cas de non‑paiement, sont possibles sur des terres domaniales et lorsqu’il existe une volonté publique d’appliquer des politiques de « perte des droits d’accès ». Alors que la plupart des périmètres publics ont été aménagés sur des terres appartenant à l’État, au cours des décennies qui ont suivi leur création, le sentiment de facto que ces aménagements procèdent de droits fonciers familiaux s’est souvent profondément enraciné, même s’ils appartiennent légalement à l’État. Les pratiques foncières, les morcellements découlant des successions en vertu du droit coutumier et les accords de location sont devenus une norme coutumière en porte‑à-faux avec la réalité juridique. Inverser ces normes sociales acceptées est complexe et a des répercussions politiques qui dépassent généralement le coût politique. Toutefois, les trois organisations citées ont réussi à mettre en place un système de location officiel normalisé, enregistrant des taux élevés de recouvrement des redevances respectivement de 93 %, 98 % et 90 %. Dans le cas de l’ONAHA au Niger, les redevances perçues par les coopératives sont utilisées pour financer la gestion des périmètres irrigués collectifs, les tâches d’entretien étant assurées par l’ONAHA ou sous-traitées à des entreprises privées. Les pénalités pour non-paiement des redevances d’accès à la terre et à l’eau sont généralement progressives et peuvent entraîner la confiscation de la parcelle de l’agriculteur défaillant. Cependant, l’OdN est la seule institution connue pour appliquer cette règle de manière systématique et rigoureuse. Leçon nº 9 : Le secteur privé peut combler le manque d’efficacité opérationnelle sur de petits périmètres publics à condition de bien répartir les risques entre l’État et le secteur privé. Il existe relativement peu d’exemples de partenariats public-privé réussis portant sur des petits périmètres irrigués publics dans les pays en développement par rapport à d’autres secteurs, comme les routes et la production d’électricité (Waalewijn et al., 2020). Cela tient principalement à la prédominance des petites exploitations, généralement 1 ha, ce qui se traduit par des coûts de transaction extrêmement élevés en ce qui concerne la gestion de la facturation et le contrôle de l’allocation et de l’utilisation de l’eau. D’un point de vue technique, sauf dans le cas des systèmes d’irrigation par pompage, obliger à payer en coupant l’approvisionnement en eau est impossible sur le plan hydraulique et généralement inacceptable sur le double plan social et politique. Les PPP opérationnels couronnés de succès présentent généralement des caractéristiques particulières, comme les suivantes : a) une entité agroindustrielle loue des terres domaniales et développe l’ensemble du périmètre irrigué pour ses propres besoins de production commerciale (comme Galana au Kenya), ou b) un exploitant détient la majeure partie du périmètre dans le cadre d’un accord foncier avec de petits exploitants qui sont des sous-traitants (comme la canne à sucre de Chianzi en Zambie) ; ou des exploitations commerciales de grande taille prédominent et contrebalancent les risques inhérents à l’approvisionnement de nombreux petits exploitants (comme Guerdaine au Maroc). Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 33 Productivité et rentabilité Leçon nº 10 : Les périmètres irrigués collectifs continuent de se heurter à des difficultés importantes liées à la productivité et la rentabilité agricoles, ce qui entrave leur contribution potentielle à la sécurité alimentaire et nutritionnelle et au développement économique. Les problèmes les plus notables sont les suivants : • Variabilité et faiblesse des rendements : Entre 2018 et 2022, les rendements de riz dans les pays du Sahel sont restés faibles malgré d’importants investissements dans l’irrigation, la production totale demeurant autour de 5,5 millions de tonnes par an. Les rendements moyens ont peu progressé, les zones pluviales étant combinées aux surfaces irriguées. La Mauritanie a affiché le rendement moyen le plus élevé (5,5 tonnes par hectare) et a dépassé la moyenne mondiale (4,8 tonnes par hectare) en raison de la prédominance de la culture irriguée, tandis qu’au Mali, le plus grand producteur avec 900 000 hectares (y compris la riziculture pluviale), les rendements n’ont pas beaucoup augmenté. Les récentes hausses des prix des engrais réduisent davantage les gains de productivité. Les rendements de riz des bas-fonds irrigués en Afrique subsaharienne sont comparables à la moyenne mondiale qui est d’environ 4,8 tonnes par hectare, ce qui dément l’impression générale que les rendements de riz dans la région sont les plus faibles au monde. Cette impression est en grande partie alimentée par des statistiques qui ne distinguent pas les différents environnements rizicoles et leurs contributions respectives aux superficies récoltées. Les moyennes nationales relativement faibles sont principalement dues à la prédominance des systèmes rizicoles pluviaux de plaine et d’altitude, dont les rendements sont intrinsèquement plus faibles (tableau 2.5). Le passage de l’agriculture pluviale à l’agriculture irriguée peut accroître considérablement les rendements, en particulier pour le riz, avec des gains attendus de 2 à 6 tonnes par hectare de paddy. Cependant, les rendements moyens au Sahel masquent une variabilité considérable de la productivité, influencée par les conditions socioéconomiques, les capacités et stratégies individuelles, la qualité des services d’irrigation et de drainage, les pratiques agricoles et les flambées des prix des engrais. Néanmoins, plusieurs sources semblent indiquer que de nombreux agriculteurs familiaux obtiennent des résultats agronomiques et économiques remarquables, à condition que l’eau soit disponible de manière fiable, que les exploitations aient des liens étroits avec les marchés des intrants et des produits, que les coûts d’exploitation soient gérés efficacement et que la taille des exploitations dépasse les seuils de subsistance. Dans l’ensemble, la production céréalière en Afrique de l’Ouest a considérablement augmenté (Banque mondiale, 2017), mais le riz irrigué au Sahel est loin d’avoir eu l’impact économique attendu, à savoir se substituer aux importations. • Agriculture de subsistance et faible diversification des cultures : La pratique de l’agriculture de subsistance limite les possibilités d’accroissement des revenus agricoles et de diversification des systèmes de culture. Les cultures de rente, telles que les légumes et les arbres, qui offrent des marges 34 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel bénéficiaires plus élevées et ont une forte demande en zone urbaine, sont rarement intégrées dans les périmètres rizicoles collectifs, malgré un potentiel de culture important. La production horticole est dispersée sur de nombreux sites à petite échelle (Sanfo et al., 2017), la majorité des producteurs (90 %) cultivant des parcelles allant de 0,05 à 0,25 ha (Sanfo et al., 2017). • Chaînes de valeur sous-développées et faibles liens avec les marchés : L’absence de liens solides avec les marchés prive les agriculteurs d’un accès aux débouchés pour leurs produits, et les chaînes de valeur restent sous‑développées en raison du manque d’infrastructures de conservation, de stockage et d’équipements de transformation appropriés, ce qui entrave la commercialisation et incite peu les agriculteurs à intensifier et/ou à accroître la production. En outre, les pertes post-récolte restent élevées non seulement pour la plupart des produits agricoles périssables, mais aussi pour les céréales, ce qui accroît les risques financiers pour les producteurs. • Faibles revenus agricoles et piège de la pauvreté : Les revenus générés par l’agriculture irriguée sont souvent inférieurs aux attentes, ce qui maintient de nombreux agriculteurs dans la pauvreté et limite leur capacité à investir dans les intrants agricoles, l’exploitation et l’entretien ou des technologies modernes permettant de stimuler la productivité. Malgré la nécessité souvent mise en avant de diversifier les cultures et d’adopter une approche par filière pour accroître la rentabilité de l’irrigation, les stratégies nationales d’irrigation au Sahel continuent de donner la priorité à l’augmentation des rendements des cultures de base, en particulier le riz, afin d’atteindre des objectifs tels que l’autosuffisance alimentaire, la réduction de la pauvreté, la création d’emplois et la résilience climatique. Leçon nº 11 : La planification des investissements dans l’irrigation doit tenir compte des différents producteurs qui peuvent coexister au sein d’un même périmètre afin de concevoir des mécanismes d’exploitation et d’entretien efficaces. Par exemple, une étude de trois grands périmètres irrigués au Mali, au Niger et au Sénégal a défini trois groupes d’agriculteurs en fonction de leurs revenus et de leur capacité à atteindre le seuil de pauvreté : les agriculteurs qui Tableau 2.5.  Rendements et bénéfices de la riziculture dans trois grands environnements rizicoles dans les pays d’Afrique subsaharienne Superficie rizicole Production de riz Bénéfice net Environnement (ha par ménage) (tonnes par ha) (dollars par ha) Bas-fonds irrigués 1–1,2 4–5 909–1 036 Bas-fonds pluviaux 1,3–2,3 1,4–3 223–526 Plateaux pluviaux 1,8 1,6–1,8 376 Source : Saito et al., 2023. Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 35 Tableau 2.6.  Revenu des agriculteurs et seuil de pauvreté dans trois périmètres irrigués Pourcentage d’agriculteurs Périmètre irrigué Au-dessus du seuil À la limite du seuil En dessous du seuil de pauvreté de pauvreté de pauvreté Bagré 22 % 33 % 45 % Sélingué 26,5 % – 73,5 % Anambé 32 % 25 % 44 % Source : Bazin et al., 2017. dépassent le seuil de pauvreté10, les agriculteurs qui se trouvent à la limite du seuil de pauvreté et les agriculteurs se trouvant constamment en dessous du seuil de pauvreté (tableau 2.6). Le niveau élevé des redevances d’eau touche de manière disproportionnée les agriculteurs pauvres, ce qui rend l’augmentation des tarifs de l’eau politiquement et économiquement difficile. Par exemple, les mêmes redevances d’eau peuvent représenter 10 % des revenus de la culture du riz des producteurs ayant les meilleurs résultats économiques, et près de 25 % des revenus des producteurs pauvres (Bazin et al., 2017)11. Leçon nº 12 : La rentabilité de l’irrigation dépend fortement de la taille des parcelles. L’étude mentionnée à la leçon 11 indique également que la superficie nécessaire pour assurer la sécurité alimentaire varie de 1,2 à 4 ha et elle est de 2 à 7 ha pour franchir le seuil de pauvreté par ménage (Bazin et al., 2017)12. Cependant, la plupart des ménages n’ont accès qu’à 0,5 à 1,5 ha, ce qui laisse une partie importante des agriculteurs en dessous du seuil de sécurité alimentaire. Les femmes en particulier éprouvent davantage de difficultés à accéder à des parcelles irriguées d’une taille rentable. L’une des difficultés tient au fait que les agriculteurs performants ne peuvent pas agrandir leurs exploitations parce que les possibilités d’extension du périmètre et/ou d’acquisition de terres supplémentaires dans le périmètre irrigué sont limitées. Leçon nº 13 : Les familles qui génèrent des revenus agricoles élevés sont également celles qui ont les revenus non agricoles les plus élevés, ce qui souligne l’importance de favoriser les complémentarités entre les systèmes de production (agriculture pluviale, agriculture irriguée, élevage, envois de fonds et production non agricole). Les producteurs peuvent autofinancer les campagnes agricoles lorsqu’ils disposent de sources de revenus suffisantes et diversifiées en dehors de la riziculture. L’élevage peut jouer un rôle important en permettant de constituer une forme d’épargne qui peut être mobilisée pendant la saison agricole. Les sources de revenus non agricoles, telles que les revenus 10 Il s’agit d’agriculteurs pratiquant l’horticulture, qui cultivent des superficies limitées et ont une production à forte valeur ajoutée. Ces producteurs ont des familles réduites par rapport à la moyenne de la région qui est de sept personnes par famille, ce qui explique qu’il soit possible d’obtenir un revenu suffisant par habitant sur des surfaces réduites. 11 La superficie nécessaire pour répondre aux besoins annuels d’une famille vivant uniquement de la riziculture irriguée peut être définie à partir des coûts de production, des rendements moyens et du prix de marché du paddy. 12 La superficie nécessaire pour répondre aux besoins annuels d’une famille vivant uniquement de la riziculture irriguée peut être définie à partir des coûts de production, des rendements moyens et du prix de marché du paddy. 36 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel du commerce, les envois de fonds des migrants ou les revenus de la fourniture de services agricoles, peuvent également contribuer au financement de la riziculture irriguée. Toutefois, les niveaux de revenu varient grandement d’un type de producteur à l’autre. Le fait que les producteurs ayant les revenus agricoles les plus élevés aient également les revenus non agricoles les plus élevés se traduit par une grande hétérogénéité des producteurs en termes de coûts de production et de capacité à préfinancer les opérations rizicoles. Les producteurs dont les revenus agricoles dépassent le seuil de pauvreté ont naturellement plus de flexibilité pour financer la campagne rizicole dans le périmètre irrigué que ceux qui doivent consacrer leurs ressources financières à répondre aux besoins fondamentaux de leur famille (Bazin et al., 2017). Des études ont montré que les agriculteurs qui ont un revenu non agricole sont particulièrement prêts à investir dans l’agriculture si l’irrigation est disponible, tandis que d’autres groupes peuvent être plus enclins dans un premier temps à améliorer leur accès au crédit pour acheter des intrants agricoles et à ne s’intéresser à l’irrigation que par la suite. Il est important de déterminer comment les populations conçoivent les risques de production afin de s’assurer que les systèmes d’irrigation mis en place peuvent être perçus comme réduisant ces risques. Des chaînes d’approvisionnement opérationnelles rendraient également l’irrigation plus rentable, car elles réduiraient les pertes de produits potentiellement plus précieux de l’agriculture irriguée et amélioreraient l’accès au marché (van der Wijngaart, 2019). Technologie et innovation Leçon nº 14 : Le développement rapide, spontané et extensif de la petite irrigation privée (type 2) par le biais d’initiatives impulsées par les agriculteurs (FLID) montre qu’il est possible d’étendre l’irrigation rapidement et à moindre coût. Bien que l’expansion de la petite irrigation soit largement observée et reconnue au Sahel, le coût initial des équipements constitue un obstacle majeur au démarrage. Il en résulte que l’on utilise des équipements bon marché et de mauvaise qualité (généralement des pompes à essence dont les coûts d’exploitation sont élevés et qui ont une courte durée de vie) ou que les particuliers relativement nantis se saisissent de l’opportunité offerte, excluant de fait un grand nombre de ceux qui pourraient autrement réussir dans l’agriculture. L’expansion à grande échelle est principalement entravée par un accès limité à des financements pas chers, des normes de qualité peu rigoureuses pour le matériel de pompage solaire et d’irrigation, et une connaissance limitée des pratiques et des bénéfices de l’irrigation. Dans le cadre d’un programme, les agriculteurs réalisent la totalité ou la majeure partie des investissements en capital à partir de l’épargne, de bénéfices agricoles ou de prêts, et le secteur privé bénéficie de facilités ou d’incitations pour fournir des services techniques et financiers. Le secteur privé peut être mobilisé pour favoriser la mise en place de FLID dans des délais relativement courts et à un coût moindre pour les pouvoirs publics (20 à 50 %) par rapport à des grands projets d’infrastructure, parce que les agriculteurs sont disposés à supporter la plus grande partie des coûts d’investissement en sachant que les équipements leur appartiennent alors. Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 37 Leçon nº 15 : La planification des ressources en eau et l’aménagement des bassins versants locaux sont nécessaires pour assurer le développement au moindre coût et écologiquement durable de la petite irrigation. L’expansion de la petite irrigation ciblerait pour commencer les sources d’eau les plus accessibles qui sont proches des champs des agriculteurs, car elles sont globalement les moins coûteuses et peuvent être équipées plus rapidement. Les sources les plus faciles d’accès sont les petits barrages et retenues d’eau, les grands fleuves et les puits peu profonds alimentés par la nappe phréatique. Les investissements dans de petites structures de stockage (pour les particuliers et les petits groupes) de l’ordre de 500 à 1 000 000 m³ et l’utilisation de techniques de collecte des eaux de pluie pour augmenter le débit d’eau peuvent favoriser une expansion plus large dans les zones généralement pauvres en eau. Le cadrage des ressources en eau au stade de la planification est essentiel pour se concentrer sur les endroits où les ressources sont le plus disponibles et aussi pour éviter le prélèvement excessif et les conflits liés à l’eau. La planification minutieuse des zones cibles au niveau des (sous-)bassins (Bonzanigo et al., 2021), et la promotion de dispositifs locaux de gestion de l’eau pour assurer une réduction collective en période de stress ou de pénurie sont également nécessaires. Leçon nº 16 : Les ressources en eaux souterraines peu profondes relativement abondantes de la région offrent un potentiel important de développement de la petite irrigation, mais il convient d’améliorer l’accès à des technologies et à des normes de construction appropriées et de haute qualité. Des puits ouverts mal conçus et mal construits et des forages faits à la main limitent souvent le prélèvement des eaux souterraines et la viabilité à long terme, d’autant plus que le changement climatique intensifie la variabilité saisonnière. Les principaux problèmes techniques sont l’insuffisance de la profondeur des puits, l’envasement et les défaillances structurelles. En outre, l’expertise locale en matière de construction de puits est souvent insuffisante, situation qui est exacerbée par la faiblesse des chaînes d’approvisionnement en eau souterraine. L’utilisation limitée de matériaux locaux fait grimper les coûts à des niveaux trois fois supérieurs à ceux observés en Asie. Ces contraintes touchent de manière disproportionnée les petits exploitants, en particulier les femmes et les jeunes agriculteurs, des zones reculées, où les possibilités de financement sont rares et où la faible demande du marché dissuade les creuseurs de puits d’entrer dans le secteur. Améliorer la conception des puits et des forages, veiller à ce que les constructions soient plus profondes et plus durables et utiliser davantage les matériaux locaux peuvent accroître la longévité et l’accessibilité du système pour les petits exploitants. Les puits agricoles de grand diamètre peuvent également contribuer à accroître la productivité de l’eau dans les terrains peu perméables. Le renforcement des capacités techniques des creuseurs de puits est également essentiel pour améliorer à la fois l’efficacité et la durabilité de l’extraction des eaux souterraines (CIWA 2023). Leçon nº 17 : Les pompes solaires sont plus chères à l’achat, mais présentent l’avantage particulier d’atténuer les effets du changement climatique et de générer des bénéfices plus élevés pour les agriculteurs sur une durée de vie 38 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel de 10 ans. Les coûts de la technologie de pompage solaire ont rapidement baissé et offrent des avantages en termes de coût et de réduction des émissions de carbone par rapport aux combustibles fossiles. Bien que les pompes d’irrigation solaires restent plus coûteuses à l’achat que les pompes à combustibles fossiles (un coût d’investissement 6 à 10 fois plus élevé), les installations de pompes solaires présentent des rendements 50 % plus élevés pour l’agriculteur dans une analyse coûts-avantages sur 10 ans en raison de leurs coûts d’exploitation plus faibles que ceux des combustibles fossiles. Faciliter l’accès à la technologie de pompage solaire par le biais de mécanismes de financement favorables, de subventions ou d’incitations est donc une priorité absolue à juste titre, compte tenu à la fois des émissions de carbone et des avantages en termes de bénéfices agricoles. Selon le CIWA 2023, plusieurs solutions de pompage solaire sont à la disposition des petits exploitants agricoles du Sahel, et certaines d’entre elles sont suffisamment légères pour être facilement manipulées par les femmes (par exemple, les pompes Future fabriquées en Inde et disponibles au Burkina Faso, au Mali, au Niger et au Sénégal) par opposition aux pompes diesel classiques. L’adoption de pompes solaires par le biais du PARIIS a donné des résultats prometteurs, notamment la disponibilité de services après-vente et de pièces de rechange, la fiabilité et une couverture plus grande de l’irrigation, tout en réduisant la main-d’œuvre et le temps consacrés à l’irrigation (voir encadré 2.1). Encadré 2.1. E  nseignements tirés de l’utilisation de pompes solaires dans le cadre du PARIIS Différents types de pompes solaires, y compris les modèles submersibles et de surface, sont utilisés pour l’irrigation de type 2 et de type 3. Leur coût varie en fonction des spécificités techniques et du pays d’origine. Ces pompes sont principalement disponibles dans les grandes villes et parfois dans les agences régionales. Des modèles de meilleure qualité sont largement utilisés, mais onéreux, nécessitant souvent des subventions des projets, tandis que des options moins coûteuses sont courantes dans les petits périmètres maraîchers. Les performances dépendent du dimensionnement, de la qualité et de l’utilisation appropriés. Au Burkina Faso, les pompes immergées ayant un débit minimum de 5 m³/h et des puissances réglables se sont révélées fiables, permettant la surveillance à distance et fonctionnant sans panne. Des modèles similaires sont utilisés au Mali, au Niger et au Sénégal pour divers périmètres. Les spécifications des pompes varient en fonction de la superficie de la zone irriguée et des caractéristiques de la source d’eau. En Mauritanie, des pompes solaires de surface alimentent les périmètres irrigués villageois pour la riziculture, et sont souvent associées à des générateurs thermiques pour créer des systèmes hybrides. Ces électropompes à haut débit, utilisées le long des fleuves et des canaux d’irrigation, présentent peu de défaillances signalées, la plupart des problèmes étant liés à l’usure normale des réseaux de distribution d’eau. Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 39 Les services après-vente diffèrent d’un pays à l’autre. Certains fournisseurs proposent des services de renouvellement ou de remplacement des pompes et accessoires pour 10 à 30 % du coût initial. Une enquête a révélé que 73 % des producteurs avaient accès au matériel d’irrigation et aux pièces de rechange, généralement dans un rayon de 33 kilomètres, parfois jusqu’à 100 kilomètres. Alors que la plupart des fournisseurs se chargent de l’installation, au Niger, 43 % laissent cette tâche à des artisans locaux. Effets sur l’irrigation •  ne étude récente sur la performance et la durabilité a révélé que U dans le type 2, l’intensité des cultures annuelles varie entre 166 et 200 %. Les superficies irriguées ont augmenté de 93 % en moyenne, doublant ainsi les terres cultivées. •  e pompage solaire à travers le PARIIS a donc augmenté la couverture L de l’irrigation, tout en réduisant la main-d’œuvre et le temps consacrés à l’irrigation. Leçon nº 18 : Des améliorations technologiques ciblées, adaptées aux difficultés et opportunités que présente chaque site, peuvent améliorer l’efficacité de l’irrigation, réduire les coûts et renforcer la durabilité du système. Dans plusieurs pays soutenus par le PARIIS, différents types d’irrigation ont fait l’objet de mises à niveau technologiques adaptées à leurs besoins spécifiques. Dans les systèmes gravitaires tels que ceux de la zone SAED (type 3 et type 4), les canaux en terre compactée ont été remplacés par des solutions revêtues de maçonnerie, ce qui a amélioré la durabilité et l’efficacité et réduit les coûts d’entretien. Dans les bas-fonds du Burkina Faso (type 1), les digues dégradées ont été remplacées par des diguettes en pierre le long des courbes de niveau qui retiennent mieux l’eau et réduisent la vulnérabilité à l’érosion. En Mauritanie, certains projets collectifs à petite échelle (type 3) ont bénéficié d’un système hybride solaire-diesel qui a permis de réduire les dépenses énergétiques et d’accroître la fiabilité, tandis que la modernisation des petits périmètres privés traditionnels (type 2) s’est traduit par le passage des petites motopompes et des tuyaux déplacés vers des systèmes semi-californiens fixes équipés de pompes de grande capacité, permettant d’irriguer de plus grandes surfaces avec moins de main-d’œuvre. Les petits périmètres maraîchers au Sénégal (type 2 et type 3) ont été modernisés par l’ajout de mini-forages équipés de pompes solaires submersibles et d’une irrigation sous pression (goutte à goutte ou par aspersion) dans des parcelles clôturées, garantissant ainsi à la fois l’utilisation efficiente de l’eau et une meilleure sécurité des cultures. Ces solutions ciblées, qu’il s’agisse du revêtement des canaux, du renforcement des digues, de sources d’énergie hybrides ou de la modernisation du pompage, ont collectivement permis d’améliorer l’efficacité du système, de réduire les coûts et d’améliorer la durabilité des différents types d’irrigation. Leçon nº 19 : La conception et le dimensionnement des infrastructures d’irrigation et de drainage doivent tenir compte de la variabilité et de l’intensité plus importantes des risques liés à l’eau exacerbés par le changement climatique. Des structures qui étaient autrefois censées résister à 40 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel certaines conditions sont aujourd’hui défaillantes, souvent à cause d’inondations imprévues. Ce défi mondial nécessite un examen scientifique et technique approfondi de tous les outils employés pour dimensionner les structures, en particulier ceux liés à la mobilisation de l’eau et à la protection des actifs. Finance, coûts et investissements concernant l’irrigation La Déclaration de Dakar de 2013 exhortait les États du Sahel à « accroître considérablement les investissements dans les infrastructures hydrauliques agricoles afin d’étendre la superficie des terres irriguées de 400 000 à 1 000 000 d’hectares d’ici à 2020, pour un coût total estimé à plus de 7 milliards de dollars », soit un investissement moyen d’environ 11 700 dollars par hectare. En réponse, les bailleurs de fonds internationaux ont investi environ 2 milliards de dollars dans les infrastructures d’irrigation depuis 2013, complétés par des contributions des budgets nationaux, ce qui a permis d’aménager près de 285 000 hectares de terres irriguées en maîtrise totale de l’eau. La figure 2.3 montre comment les investissements sont répartis entre les six pays sahéliens et les contributions des institutions financières par rapport au total des investissements des bailleurs de fonds. Le Groupe de la Banque mondiale a contribué à hauteur de 173 millions de dollars à la conception, à l’organisation et à la mise en œuvre du PARIIS. À cela s’ajoutent 11,7 millions de dollars apportés par les Gouvernements du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger, du Sénégal et du Tchad, tandis que la contribution des bénéficiaires était de 10,7 millions de dollars. Les institutions financières internationales (dont la Banque mondiale et la Banque africaine de développement) et les bailleurs de fonds bilatéraux (comme l’Agence française de développement et l’USAID) ont apporté un appui considérable à l’infrastructure (barrages, pompes et canaux, etc.), au renforcement des capacités et au Figure 2.3.  Répartition des investissements des bailleurs de fonds dans les pays (2013–2020) Source : Bases de données de la Banque mondiale et d’autres IFI [2024]. N.B. : IFI = institutions financières internationales. Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 41 renforcement des institutions dans le domaine de la gestion de l’eau. L'Organisation pour l’aménagement du fleuve Gambie, qui couvre plusieurs pays sahéliens, a elle aussi reçu des financements au titre de projets régionaux sur l’irrigation et la gestion de l’eau. Au niveau régional, la Commission de l’UEMOA a accordé des subventions aux États membres pour la mise en œuvre du programme régional d’appui à la lutte contre le changement climatique, qui vise à aménager 1 000 ha dans chacun des huit États membres, et du Programme régional d’aménagement hydraulique multi-usage pour assurer la sécurité alimentaire dans la zone UEMOA pour un montant total de 39 milliards de FCFA (64 millions de dollars). L’investissement public dans les infrastructures d’irrigation est souvent limité en raison de budgets nationaux serrés. Une part importante des projets d’irrigation au Sahel est financée par des bailleurs de fonds et des organismes de développement internationaux. Cependant, la forte dépendance à l’égard des financements extérieurs rend les projets d’irrigation vulnérables à l’évolution des priorités des donateurs et à leurs cycles de financement. Le secteur privé peut apporter des ressources supplémentaires, des compétences techniques et managériales, et des innovations. Toutefois, ce secteur investit très peu dans l’irrigation en raison des risques perçus et des faibles rendements, des coûts initiaux élevés des technologies d’irrigation et du manque d’accès au financement dû au sous-développement des marchés financiers ruraux. Les investisseurs considèrent souvent le Sahel comme une région à haut risque en raison de l’instabilité politique, de la variabilité du climat et de la faiblesse des infrastructures. L’un des domaines prometteurs et en croissance est le développement de l’irrigation impulsé par les agriculteurs (FLID). Cependant, les petits exploitants ont souvent du mal à accéder au financement du matériel d’irrigation, aux services d’appui et aux connexions avec les marchés, ce qui limite l’expansion du FLID et l’adoption de technologies avancées. Leçon nº 20 : Les gouvernements de la région ont une faible capacité budgétaire, et le financement des bailleurs de fonds, bien qu’utile, n’est souvent pas viable à long terme. En outre, l’un des principaux obstacles à l’investissement du secteur privé dans l’irrigation au Sahel est le niveau élevé de risque associé au financement agricole. Cette situation a poussé à adopter des approches de financement mixte, qui combinent des financements des secteurs public et privé pour mobiliser des montants plus importants. En mobilisant des financements concessionnels pour réduire les risques liés aux investissements privés, ces modèles permettent d’attirer des bailleurs de fonds commerciaux qui, autrement, pourraient hésiter en raison des risques élevés qu'ils associent aux investissements dans l’irrigation au Sahel. Des mécanismes innovants de partage des risques, tels que les garanties de prêts et les produits d’assurance, sont également importants pour attirer les investissements du secteur privé. Malgré les efforts des pouvoirs publics, des partenaires de développement et du secteur privé, on relève encore un important déficit de financement, qui entrave non seulement la réalisation des objectifs énoncés dans la Déclaration de Dakar, mais aussi la mise en valeur du potentiel d’irrigation du Sahel grâce aux sources d’eau de surface, que l’on estime pouvoir couvrir 3 à 4 millions d’hectares. 42 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel Tableau 2.7.  Coût unitaire moyen des projets d’irrigation au Sahel Tous les projets Nouveaux projets Projets de réhabilitation Région Infrastructure Infrastructure Infrastructure Total Ratio Total Ratio Total Ratio d’irrigation d’irrigation d’irrigation Sahel 12 895 9 919 76,9 % 13 138 11 965 91,1 % 10 244 9 939 97 % SSA 20 108 13 920 69,2 % 24 574 17 804 72,5 % 13 996 8 600 61,4 % Pays 6 599 5 411 82 % 11 203 9 318 83,25 % 3 876 3 101 80 % hors SSA Source : Oudra et Benli, 2024. N.B. : Coût unitaire exprimé en dollars par ha (actualisé à la valeur de 2022). Compte tenu des niveaux et tendances actuels des investissements, il semble peu probable que plus de 10 % de ce potentiel soit réalisé dans un avenir proche. Pour atteindre pleinement les cibles fixées, il faudrait pouvoir mobiliser entre 100 et 2 200 % des budgets consacrés chaque année à l’agriculture dans les pays concernés, d’où l’urgence qu’il y a d’accroître les financements et d’optimiser l’allocation des ressources. En outre, le niveau élevé des coûts d’investissement à l’hectare et le faible financement de l’exploitation et de l’entretien constituent des obstacles supplémentaires au développement de l’irrigation. À ce titre, il est essentiel d’appeler les secteurs public et privé à s’engager et à agir davantage afin de créer les conditions propices à la mobilisation de ressources publiques et de financements concessionnels limités afin de maximiser la participation du secteur privé et la mobilisation de capitaux privés. Leçon nº 21 : Il est essentiel de maîtriser les coûts d’investissement dans l’irrigation pour maximiser l’efficacité et la durabilité des projets d’irrigation au Sahel. Une analyse récente confirme que les coûts d’investissement dans la région sont nettement plus élevés que la moyenne mondiale. Une étude portant sur 636 projets d’irrigation — 573 nouveaux contrats et 63 contrats de réhabilitation — a révélé un coût moyen de 12 900 dollars par hectare dans le Sahel, contre 6 600 dollars par hectare dans les pays hors Afrique subsaharienne (tableau 2.7) (Oudra et Benli, 2024). Les dépassements de coûts sont de plus en plus fréquents dans les projets d’irrigation en Afrique subsaharienne, ce qui limite la réalisation des infrastructures dans la fourchette des engagements de financement existants. Plusieurs facteurs contribuent à cette tendance, notamment la hausse des prix du pétrole, le resserrement des marchés de la construction, la faiblesse de la concurrence dans les appels d’offres et les retards fréquents des projets (1 à 2 ans), qui accentuent l’inflation des coûts. Les principaux facteurs de coûts observés dans le cadre du projet PARIIS sont les suivants : • Choix techniques et de conception (par exemple, source d’eau, profondeur de pompage et infrastructure sur le site de l’exploitation)13 • Coûts de base élevés et manque de données normalisées sur les coûts unitaires • Manque d’économies d’échelle en raison d’investissements épars et de petite taille (Banque mondiale, 2022) 13 Haies vives et brise-vent, semences, engrais et pesticides, formations thématiques sur site, formation en gestion organisationnelle, voyages d’échanges, sanitaires, bâtiments administratifs et agronomiques, etc. Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 43 • Éloignement des sites et problèmes logistiques • Subventions, distorsions du marché14 et mauvaise gestion • Problèmes de gouvernance (prébende, manque de transparence et responsabilisation) En outre, les problèmes de sécurité au Sahel — notamment l’instabilité politique, les coups d’État militaires et les conflits armés — ont entraîné la suspension, l’annulation et la délocalisation de projets, ce qui a encore fait grimper les coûts et perturbé le développement de l’irrigation. Pour faire face à ces dépenses élevées, le PARIIS a mis en place un mécanisme de contrôle des coûts. Dans le cadre de cette approche, des plafonds de coûts moyens ont été établis et validés pour différents types d’irrigation afin d’orienter les investissements futurs. Ce dispositif permet aux unités de mise en œuvre de sélectionner et d’exécuter des projets dans chaque type d’irrigation, à condition que le coût moyen reste dans les limites du plafond fixé pour chaque pays et soit documenté lors de l’examen à mi-parcours. Leçon nº 22 : Concilier les programmes d’envergure et les systèmes de petite irrigation entraîne des économies d’échelle. L’analyse a également confirmé que les programmes d’irrigation bénéficient d’économies d’échelle parce que ceux qui couvrent de plus grandes superficies obtiennent généralement de meilleurs résultats que les programmes de plus petite taille en raison de la réduction des coûts unitaires par hectare et des gains d’efficacité en matière d’ingénierie et de gestion (Inocencio et al., 2005). Cependant, la réalité change lorsque l’on compare des grappes de petits périmètres irrigués à de grands périmètres couvrant des superficies similaires. Les petits systèmes dotés d’une infrastructure plus simple ont des coûts d’investissement par ha nettement inférieurs. Ainsi, les grands programmes d’investissement dans l’irrigation qui privilégient la mise en place de nombreux systèmes d’irrigation à petite échelle peuvent générer un retour sur investissement trois à quatre fois supérieur à celui d’un plus petit nombre de grands périmètres. Des données probantes d’Inocencio et al. (2007), You et al. (2010) — montrant un retour sur investissement de 8 % contre 28 %, selon le guide FLID (Izzi et al., 2021), et les données d’investissement de la Banque mondiale analysées aux fins de la présente étude corroborent cette conclusion. Cette double constatation donne à penser que si les projets de grande envergure présentent des avantages dans certaines conditions, le regroupement de systèmes à petite échelle au sein d’une région peut offrir des solutions de rechange rentables et efficaces. Concilier ces approches permet d’avoir à la fois l’efficacité des grands périmètres et l’adaptabilité et l’inclusivité des systèmes plus petits. Leçon nº 23 : Le respect de normes de qualité élevées est essentiel pour améliorer la performance des systèmes d’irrigation et garantir la durabilité des investissements, les gouvernements jouant un rôle clé dans la mise 14 Par exemple, lors d’une récente mission de la FAO et de la Banque mondiale (exercice 23) visant à préparer des projets d’investissement au titre du FLID en Éthiopie, le système de goutte à goutte s’est avéré irréalisable, car la plupart, sinon la totalité, des équipements importés sont vendus à un prix deux fois plus élevé qu’au Kenya, par exemple, puisque les commerçants importent les équipements en utilisant des devises étrangères acquises sur le marché noir (au double du taux de la Banque mondiale). 44 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel en application et la surveillance. Des lacunes dans l’évaluation, les études de faisabilité et la supervision contribuent à la mauvaise qualité des travaux de construction, ce qui conduit à des investissements non viables dans l’irrigation. De nombreux projets se déroulent sur la base d’évaluations superficielles, en particulier dans les situations d’urgence où l’urgence l’emporte sur une planification minutieuse. Le suivi et la supervision sont insuffisants, car si des règles existent, elles ne sont malheureusement pas appliquées en raison du manque de capacités et d’engagement des gouvernements et des bailleurs de fonds. Souvent, les entreprises affichent au moment de la remise des offres une capacité financière qui ne correspond pas aux réalités rencontrées sur le terrain, ce qui retarde considérablement l’exécution des projets. De mauvais processus d’identification et de planification ont des répercussions importantes sur les résultats des projets, mais cet aspect reste négligé. De nombreuses parties prenantes — bailleurs de fonds, ministères, autorités locales, entrepreneurs et communautés — se heurtent à des difficultés qui favorisent les dépassements de coûts, les retards et l’échec des projets. Une analyse comparative des petits réservoirs au Burkina Faso, au Ghana, en Éthiopie et en Zambie (Venot et al., 2012) a constaté que les incitations offertes par les bailleurs de fonds privilégient le volume des projets plutôt que les résultats à long terme, ce qui conduit à l’échec systématique des investissements dans les petits réservoirs. Une mauvaise planification, des défauts de conception et l’inexpérience des entrepreneurs ont rendu les réservoirs inutilisables ou rendu nécessaires de nombreuses remises en état en l’espace d’une décennie. Dans certains cas, les communautés, exclues de la planification initiale, modifient par la suite les projets en fonction de leurs propres priorités. Le contrôle de la qualité est en outre compliqué par la prévalence de matériaux de construction contrefaits et de qualité inférieure en Afrique subsaharienne. Face à cette situation, plusieurs pays africains ont entrepris d’établir et de faire appliquer des normes en créant des organismes de réglementation. Le rôle de facilitation dévolu aux pouvoirs publics doit être renforcé davantage en améliorant les processus de passation de marchés, en renforçant les capacités institutionnelles et en garantissant l’attribution des marchés au mérite à des fins d’efficacité, de réduction des coûts et d’amélioration de la qualité. La transparence des analyses des offres, la mise en place de contrôles rigoureux visant à prévenir toute collusion et l’adoption de lignes directrices éthiques sont indispensables pour instaurer la confiance et garantir la responsabilisation. Former les fonctionnaires et les entrepreneurs à la conformité et à la gouvernance peut réduire davantage les inefficacités. En outre, fonder le choix des sites et les décisions sur les bénéficiaires sur des critères objectifs garantit une répartition équitable des ressources. Enfin, l’éducation et la formation sont également des éléments essentiels dans les efforts d’amélioration de la qualité. En 2024, une recherche menée dans le cadre du projet intitulé « Irrigation Infrastructure Quality Management System Toolkit for Sub-Saharan Africa using Ethiopia, Kenya and Uganda as a Case Study » (Hailu et al., 2024) a mis au point une boîte à outils relative aux systèmes de gestion de Progrès et enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours de la décennie écoulée 45 la qualité (SGQ) pour les projets de développement de la petite irrigation dans les pays d’Afrique subsaharienne. La panoplie comprend des lignes directrices, des listes de contrôle, des modèles et des outils qui peuvent aider les institutions chargées de l’irrigation et les parties prenantes à tous les niveaux à mettre en œuvre et à pérenniser un système de gestion de la qualité efficace. Elle a été préparée pour orienter et accompagner la mise en place d’un système solide qui s’aligne sur les meilleures pratiques, normes et exigences réglementaires en matière de développement de l’agriculture irriguée pour tous les pays d’Afrique subsaharienne. Leçon nº 24 : Investir dans des projets d’irrigation coûteux peut se justifier lorsqu’ils procurent des avantages importants à plusieurs égards. L’accent devrait être mis sur l’optimisation de la productivité et de la rentabilité agricoles, le renforcement de la sécurité alimentaire, l’augmentation des revenus ruraux, la création d’emplois, la réduction de la pauvreté et le renforcement de la résilience climatique. En privilégiant la performance et les résultats, ces investissements peuvent avoir des effets transformateurs qui dépassent leurs coûts initiaux, en faisant des initiatives utiles pour le développement durable. Pour ces projets, les indicateurs économiques couramment utilisés, tels que les taux de rentabilité interne — souvent énoncés pour établir la viabilité économique — devraient être complétés par d’autres indicateurs de performance socioéconomique, tels que le revenu des différents types de producteurs et le financement des coûts d’entretien et de gestion des infrastructures. L’accent devrait être mis non sur la mesure économique et financière de la rentabilité des investissements, mais sur les agriculteurs et la rentabilité de leurs activités dans un paysage économique en mutation. Leçon nº 25 : Un défaut persistant du financement de l’irrigation est la négligence des budgets d’entretien, qui sont souvent mis de côté au profit d’investissements dans des infrastructures visibles. Cette tendance à « construire et négliger » gaspille les ressources et sape la confiance de la communauté. Pour résoudre ce problème, l’étude de faisabilité, la conception et le financement des projets devraient prendre en compte le coût du projet tout au long de son cycle, y compris l’exploitation et l’entretien. Il faudrait, en outre, institutionnaliser le financement de l’entretien — par exemple, les contrats des projets pourraient exiger qu’un niveau minimum des fonds du projet soit réservé aux réparations. Les modèles de paiement pour services rendus en vertu desquels les agriculteurs versent des frais pour l’entretien du système se sont avérés prometteurs dans certains cas, mais se sont aussi révélés difficiles lors de la mise en œuvre du PARIIS. Dans les sites du PARIIS, bien que les bénéficiaires se soient engagés à mettre en place ou à redynamiser les comités de gestion de l’eau et à créer un fonds d’entretien au sein de leur coopérative ou groupement, ces mesures n’ont souvent été que partiellement mises en œuvre. Certains organismes de gestion ont introduit des redevances pour financer l’entretien des équipements, mais celles-ci ne sont pas collectées de manière systématique. Il sera essentiel pour les initiatives futures d’assurer une meilleure surveillance et application de ces dispositions dès le départ. 46 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel Crédit photo : skazar @ stock.adobe.com 48 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel 3 Vision, objectifs et effets escomptés 3.1. Vision La Vision 2050 intègre des éléments de la Vision de Dakar 2013 et en élargit la portée : « D’ici à 2050, la souveraineté alimentaire et le développement socioéconomique du Sahel seront renforcés grâce à diverses solutions d’irrigation durables, respectueuses de l’environnement, compétitives et inclusives ». L’objectif est de mettre 1 million d’hectares de terres sous maîtrise totale de l’eau d’ici à 2035. La stratégie actuelle met l’accent sur la durabilité, l’adaptabilité et la transposabilité des modèles d’irrigation, en adoptant une approche centrée sur l’exploitant agricole pour développer des solutions intégrées. Les nouvelles possibilités d’expansion plus rapide et à moindre coût des petits périmètres privés (type 2, y compris FLID) et des périmètres communautaires (type 3) sont prioritaires pour compléter les investissements plus classiques et toujours importants dans la modernisation et l’extension des périmètres publics. Pour les périmètres existants, l’accent est davantage mis sur l’amélioration de la performance, en particulier en matière d’exploitation et d’entretien, sur la base d’indicateurs de résultats et de prestation de services. Cette stratégie se distingue également des approches précédentes en ce qu’elle insiste pour faire des eaux souterraines peu profondes une source d’eau durable permettant d’élargir l’accès des petits exploitants agricoles à l’irrigation dans les zones reculées et vulnérables au climat. 3.2. Objectifs stratégiques et effets L’objectif de haut niveau de la stratégie est de « promouvoir le développement intégré et durable de l’agriculture irriguée pour la souveraineté alimentaire et nutritionnelle des populations du Sahel ». Pour atteindre cet objectif, la stratégie est articulée en trois phases : à court terme (2035), à moyen terme (2045) et à long terme (2055) (tableau 3.1). Les marqueurs intermédiaires de succès aident à suivre les progrès, à ajuster les stratégies si nécessaire et à démontrer les réalisations progressives vers les objectifs et les effets plus larges envisagés. Ils sont censés aider à adapter la trajectoire selon les besoins. Vision, objectifs et effets escomptés 49 Tableau 3.1.  Objectifs et effets à court, moyen et long terme du développement de l’irrigation au Sahel Phases Objectifs Marqueurs intermédiaires de succès Effets À court • Stimuler l’expansion de l’irrigation • Investissements dans les équipements, • Développement durable de l’irrigation. terme privée à petite échelle, y compris le les technologies et les institutions apportant • Allongement de la durée de vie (2035) développement de l’irrigation impulsé un appui durable aux petits exploitants agricoles. économique des périmètres irrigués par les agriculteurs (FLID). • Progrès dans l’élaboration des politiques, collectifs en place. • Améliorer la fiabilité des petits et moyens la réglementation et la mise en place de mesures • Accroissement des revenus grâce périmètres à gestion communautaire et incitatives visant à améliorer la gouvernance à l’agriculture irriguée. Les revenus des grands périmètres publics. de l’irrigation et l’efficacité de l’exploitation et des agriculteurs pourraient augmenter, • Étendre la couverture de systèmes de l’entretien. passant de 300 à 600 dollars par d’irrigation durables et adaptés aux • Mise en place de cadres de collaboration entre hectare dans l’agriculture pluviale conditions locales pour favoriser gouvernements, agriculteurs, société civile, secteur de 1 500 à 3 000 dollars par hectare l’activité agricole tout au long de l’année. privé et partenaires de développement pour régler dans l’agriculture irriguée. • Réduire les coûts d’investissement à les problèmes de gestion de l’eau et mutualiser l’hectare (ha) dans les infrastructures. les compétences. • Améliorer l’exploitation et l’entretien • Élaboration de politiques visant à améliorer dans les périmètres collectifs. les services de conseil agricole et l’accès au • Améliorer la productivité, l’intensité crédit saisonnier. et la diversification des cultures. • Renforcement des capacités de gouvernance • Promouvoir l’inclusion et l’équité des systèmes d’irrigation et de drainage à tous dans l’irrigation. les niveaux. • Développer des chaînes de valeur • Amélioration des liens avec les marchés, autour de produits spécialisés, notamment avec l’agro-industrie, les petites et promouvoir des approches moyennes entreprises (PME), les exportateurs et multipartites, la coopération régionale les petits exploitants. et le partage de connaissances. • Renforcement des organisations de producteurs en vue de faciliter la réalisation d’actions collectives. • Élaboration de politiques ou d’interventions en faveur des femmes, des jeunes et des personnes handicapées. 50 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel Phases Objectifs Marqueurs intermédiaires de succès Effets À moyen • Stimuler le développement de la • Examen et affinage des investissements ciblant • Développement durable de l’irrigation terme petite irrigation, y compris du FLID. les petits exploitants agricoles ainsi que leur (1 000 000 ha activement irrigués sous (2045) • Améliorer la fiabilité des petits et moyens accompagnement par des équipements, maîtrise totale de l’eau). périmètres à gestion communautaire et des technologies et des institutions. • Amélioration de la rentabilité et de la des grands périmètres publics. • Évaluation et renforcement des collaborations durabilité des systèmes agricoles irrigués. • Améliorer l’accès à des aides agricoles intersectorielles et des cadres de coopération • Capacité plus importante de mobilisation plus diversifiées, notamment à entre les principales parties prenantes. de capitaux privés. des mécanismes de financement • Mise en place et évaluation de mécanismes • Accroissement de l’emploi rural et durable adaptés aux différents types d’exploitation et d’entretien, de tarification de la stabilité des revenus. Entre de producteurs. de l’eau et de recouvrement des coûts pour 1,5 et 2 millions de nouveaux • Étendre la couverture de systèmes améliorer la durabilité. emplois possibles dans l’agriculture, d’irrigation durables et adaptés aux • Renforcement des capacités de gouvernance le stockage et la transformation des conditions locales pour favoriser l’activité des systèmes d’irrigation et de drainage à tous produits alimentaires, la logistique agricole tout au long de l’année. les niveaux. et le commerce, contribuant ainsi • Promouvoir des approches • Suivi et évaluation des progrès réalisés pour à renforcer les économies rurales. multipartites, la coopération régionale augmenter les superficies irriguées, la productivité • Amélioration de la sécurité et de la et le partage de connaissances pour des cultures et le rendement des cultures. souveraineté alimentaires ainsi que de la résoudre les problèmes de gestion • Examen et mise à jour des politiques de conseil résilience des communautés rurales face de l’eau et tirer le meilleur parti agricole et de crédit saisonnier. aux variations et aux aléas climatiques. des compétences régionales. • Examen et ajustement des politiques mises en • Mobiliser de manière stratégique les place en faveur des agricultrices, des jeunes et des ressources en eau transfrontalières et personnes handicapées pour garantir leur inclusion. celles des bassins fluviaux ou lacustres. Vision, objectifs et effets escomptés 51 Phases Objectifs Marqueurs intermédiaires de succès Effets À long • Améliorer la fiabilité des petits • Suivi et évaluation des progrès réalisés • Amélioration de la sécurité alimentaire terme et moyens périmètres à gestion pour augmenter les superficies irriguées, et de la résilience des communautés (2055) communautaire et des grands la productivité des cultures et le rendement rurales aux variations et aléas climatiques. périmètres publics. des cultures. Augmentation possible de la production • Étendre la couverture de systèmes alimentaire de 10 à 15 millions de tonnes d’irrigation durables et adaptés aux par an, en particulier de la production de conditions locales pour favoriser riz, de maïs, de sorgho et de légumes. l’activité agricole tout au long de l’année. L’augmentation de la production agricole pourrait stimuler le commerce régional et réduire la dépendance aux importations alimentaires, améliorant ainsi la balance des paiements. • Réduction de la pauvreté et amélioration des conditions de vie. Le PIB agricole pourrait augmenter de 1,5 à 3 milliards de dollars par an grâce à une hausse de la productivité et au développement des marchés. • Réduction des dépenses des budgets nationaux consacrées aux importations de produits alimentaires (balance des paiements). Source : Banque mondiale 2025. 52 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel Crédit photo : Rajesh @ stock.adobe.com 54 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel 4 Principes d’action 4.1. Approches centrées sur les agriculteurs Le succès des investissements dans l’irrigation dépend fondamentalement de la compréhension et de la prise en compte des besoins des agriculteurs et des opportunités qui s’offrent à eux. Les principaux obstacles tels que l’accès limité aux mécanismes de financement, l’insécurité du régime foncier, l’inadéquation des services d’appui à l’agriculture et à la gestion de l’eau et l’insuffisance des liens avec les marchés doivent être éliminés par des politiques et des réglementations intersectorielles coordonnées. Les États peuvent jouer un rôle central en aidant à mettre en place un environnement propice à une intensification productive et économiquement viable de l’agriculture. Pour y parvenir, il faut réformer en profondeur les politiques, les institutions et les réglementations. Ces réformes devraient consister à supprimer des mandats dépassés et à adopter des fonctions d’appui qui éliminent activement les obstacles au développement de l’irrigation par les agriculteurs. En outre, les études existantes soulignent la nécessité de solutions adaptées aux différents types de producteurs, qu’il s’agisse de politiques, de normes techniques, de cadres institutionnels ou d’incitations (exonérations fiscales, droits de douane, etc.). Des interventions adaptées exigent une analyse complète des groupes cibles, mettant en lumière les difficultés techniques et économiques auxquelles sont confrontées les différentes catégories de producteurs. Ces interventions devraient mettre la conception des projets et la planification de l’utilisation des terres en cohérence avec les conditions et les capacités socioéconomiques des agriculteurs. Le passage d’une agriculture de subsistance à une agriculture axée sur le marché est un processus difficile qui exige une démarche réfléchie et bien structurée. Il est essentiel de soutenir en priorité les agriculteurs qui sont prêts à développer et à professionnaliser leurs exploitations, mais qui éprouvent des difficultés à le faire, tout en facilitant des circuits distributifs qui permettent aux premiers utilisateurs d’influencer une adoption à plus grande échelle. Cette approche devrait être axée sur l’élimination des obstacles à une agriculture irriguée productive et rentable. Dans les périmètres irrigués collectifs, qu’ils soient nouvellement aménagés ou remis en état, il est essentiel d’associer les agriculteurs aux processus de planification et de conception pour assurer leur viabilité financière et technique. Cette approche participative devrait être renforcée par la formation des organismes chargés de l’irrigation et la formalisation des accords avec les agriculteurs afin d’assurer la transparence et la viabilité des redevances d’irrigation et le partage du recouvrement des coûts et des responsabilités entre les acteurs. Les efforts de réhabilitation offrent une occasion cruciale de repenser et d’optimiser les composantes techniques, productives, organisationnelles et Principes d’action 55 financières d’une manière qui favorise une plus grande appropriation par les agriculteurs et une plus grande efficacité opérationnelle. L’alignement des efforts de conception participative, de professionnalisation de la prestation des services et de gouvernance axée sur les agriculteurs avec des mesures complémentaires visant à soutenir le développement des chaînes de valeur, la diversification et la gestion de la fertilité profiterait à tous les agriculteurs des périmètres irrigués. L’encadré 3.1 montre comment la mobilisation des parties prenantes et la planification participative ont été mises en œuvre dans le cadre du PARIIS. Encadré 3.1. P  lanification participative des solutions d’irrigation dans le PARIIS Environ 89 700 personnes ont été consultées afin de garantir la participation des citoyens à la planification, à la conception, à la mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation tout au long du projet. Des opérateurs d’appui à la planification du développement local ont été mis en place dans chaque pays pour guider la planification des sous-projets et le renforcement des capacités organisationnelles, en tenant compte des ressources en eau et en terres, des systèmes de production, du potentiel du marché et de la demande des communautés. Des accords ont ensuite été signés avec les opérateurs de solutions d’irrigation qui apportaient un appui technique aux sous-projets et assuraient la supervision et l’appui, et avec les organismes de suivi qui s’intéressaient principalement au renforcement des capacités, aux services de conseil aux bénéficiaires, au suivi et à l’évaluation, à la communication et à la gestion des connaissances au niveau régional. Les efforts de gestion des connaissances se sont appuyés sur des groupes régionaux et nationaux de partage des connaissances et des plateformes multipartites visant à associer toutes les parties à l’élaboration et la mise en œuvre conjointes de solutions d’irrigation. Les comités directeurs nationaux étaient chargés de fournir des orientations stratégiques et de superviser les unités de projet, examinant les plans de travail aux niveaux techniques national et régional. Des accords de financement ont été signés avec des organisations bénéficiaires — opérateurs individuels ou privés, coopératives agricoles et associations d’usagers de l’eau — qui, à leur tour, se sont engagées à atteindre les objectifs de production, de commercialisation et environnementaux, tout en contribuant aux investissements et à l’entretien des infrastructures. Des contrats de service ont également été signés avec des prestataires agissant en tant que maîtres d’œuvre, et des protocoles de collaboration ont été conclus avec les communes locales. Enfin, le Comité permanent inter‑États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) a été garant de cette approche axée sur les parties prenantes, garantissant la qualité des processus et des résultats du projet. 56 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel 4.2. Durabilité Le développement durable de l’irrigation demande une approche intégrée qui garantit la viabilité écologique, financière et opérationnelle, tout en facilitant la transition vers des systèmes agricoles professionnels axés sur le marché et diversifiés. Ce changement de paradigme est essentiel pour rendre les investissements dans l’irrigation et les infrastructures d’irrigation à la fois viables et modulables à moyen et long terme. • La durabilité écologique nécessite des interventions sensibles au contexte paysager, garantissant la sécurité de l’eau et des terres pour un approvisionnement continu. Cette démarche devrait cadrer avec les objectifs de gestion des bassins fluviaux afin de préserver et d’améliorer la santé des écosystèmes, tout en favorisant la productivité agricole. • La viabilité sociale fait partie intégrante d’une durabilité véritable de l’irrigation, témoignant d’un engagement délibéré en faveur de l’équité sociale. Il s’agit notamment de reconnaître la nécessité d’assurer un accès équitable aux ressources, aux services et aux bénéfices de l’irrigation, et de prendre des mesures spécifiques dans les projets en faveur des groupes marginalisés et vulnérables, notamment les femmes, les jeunes et les paysans sans terre. Il est essentiel de s’attaquer à des problèmes tels que l’insécurité foncière, la pauvreté et les disparités entre les sexes pour favoriser la cohésion sociale et empêcher que les projets d’irrigation exacerbent les inégalités existantes. Le développement durable de l’irrigation doit donner la priorité au bien-être et aux moyens de subsistance des communautés locales. Il s’agit notamment de respecter les structures sociales et de promouvoir des approches tenant compte des conflits qui atténuent le risque de conflits liés à l’eau. Cette démarche serait conforme aux aspirations de l’Agenda 2063 et répondrait à l’observation du deuxième Rapport continental sur la mise en œuvre de l’Agenda 2063 qui reconnaît que « le continent a enregistré une légère augmentation de la proportion de femmes dans la population agricole qui possèdent des terres agricoles ou des droits sécurisés sur celles-ci ». • La viabilité financière dépend de la rentabilité des exploitations agricoles irriguées. Pour que l’irrigation réussisse, les exploitations agricoles doivent générer des revenus suffisants pour entretenir et développer les infrastructures au fil du temps. Cela est particulièrement important pour passer d’une agriculture de subsistance céréalière à des systèmes de culture à forte valeur ajoutée axés sur le marché. Les obstacles stratégiques, notamment les difficultés liées aux institutions, aux infrastructures, au commerce et à la production, doivent être systématiquement éliminés pour stimuler la productivité et la rentabilité agricoles. Les périmètres irrigués collectifs existants, en particulier ceux basés sur l’agriculture de subsistance ou les projets d’habitat, nécessitent une transition progressive vers une agriculture à vocation commerciale. D’autre part, les nouveaux investissements devraient Principes d’action 57 cibler les agriculteurs qui sont déjà tournés vers le marché et qui sont prêts à intensifier et développer leurs activités. Encourager les agriculteurs de subsistance à adopter l’agriculture irriguée comporte des difficultés importantes d’ordre social, financier, technique et commercial, ce qui demande d’appliquer une approche sur mesure pour garantir le succès. L’expansion des cultures de rente, telles que l’horticulture et l’agroforesterie, offre la possibilité de rentabiliser davantage les périmètres irrigués, particulièrement en s’affranchissant de la dépendance traditionnelle à l’égard du riz. Toutefois, ces évolutions doivent être soigneusement analysées dans le contexte des systèmes de production locaux, des conditions du marché et des capacités des agriculteurs pour s’assurer de leur faisabilité et de leur succès. • La viabilité opérationnelle doit être assurée en garantissant des services d’eau fiables grâce à des pratiques efficaces d’exploitation et de gestion des actifs. Il s’agit notamment d’améliorer la qualité de la construction, d’entretenir les infrastructures, de gérer efficacement la distribution de l’eau et de favoriser la collaboration entre les parties prenantes pour garantir l’exploitabilité à long terme. En prenant en compte ces dimensions interdépendantes pour assurer la viabilité écologique, sociale, financière et opérationnelle, les stratégies d’irrigation au Sahel peuvent parvenir à un développement agricole durable, améliorer les moyens de subsistance des agriculteurs et faciliter l’adaptation aux aléas climatiques. Il est tout aussi important d’assurer un accès équitable aux ressources, aux services, aux marchés et aux lignes de crédit dans le cadre de dispositifs complémentaires, en particulier pour les segments défavorisés de la population qui subissent souvent la plupart des inégalités. Ces groupes ont besoin d’un soutien ciblé pour éliminer les obstacles systémiques et empêcher les inégalités existantes de perpétuer davantage l’iniquité. Pour réaliser tout cela, il faudrait parallèlement élaborer et mettre en œuvre des interventions d’irrigation adaptées au contexte local, qui répondent à un large éventail de réalités en matière de ressources naturelles et aux besoins des agriculteurs, en maximisant leur impact collectif à grande échelle. 4.3. Adaptabilité Une stratégie d’irrigation efficace tient compte de la diversité des agriculteurs et favorise de manière sélective une variété de types d’irrigation adaptés aux contextes locaux. Cela suppose notamment de combiner les eaux de surface et les eaux souterraines ainsi que des échelles et modèles de gestion différents, allant des projets de petite à moyenne échelle aux modèles de participation individuelle, coopérative ou privée. Cette approche intégrée devrait prendre en compte les interactions entre l’élevage et les systèmes d’agriculture pluviale et irriguée, en leur permettant de travailler en tandem pour améliorer la résilience et la productivité. 58 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel Dans les situations de fragilité, de conflits et de violence (FCV), les interventions doivent être conçues pour être légères, déployables rapidement et adaptables à l’évolution de la dynamique sécuritaire. Les situations de FCV se caractérisent par des environnements difficiles et des problèmes liés à la cohésion communautaire, à la sécurité et à l’influence limitée de l’État, ce qui nécessite des solutions uniques, en particulier celles qui peuvent être mises en œuvre rapidement, compte tenu du délai d’action plus court propre aux zones instables. Des solutions robustes, à faible technicité et nécessitant un minimum d’entretien et de supervision opérationnelle devraient être privilégiées, car elles sont mieux adaptées aux difficultés du contexte que les systèmes à haut rendement qui exigent un entretien et une gouvernance plus importants (Bonzanigo et al., 2021). Le matériel mobile présente un avantage certain, non seulement parce qu’il permet de réduire le temps d’établissement, mais aussi parce qu’il répond aux incertitudes sécuritaires du site (vol) et réduit au minimum les problèmes de régime foncier. Cependant, les femmes trouvent généralement les équipements mobiles plus compliqués à manipuler que les équipements fixes, car certaines solutions mobiles couramment utilisées peuvent être trop lourdes pour elles. En outre, toutes les initiatives d’irrigation doivent être conçues en tenant compte de l’adaptabilité climatique, veillant ainsi à ce qu’elles contribuent à renforcer la résilience face à la variabilité croissante du climat et aux phénomènes climatiques extrêmes au Sahel. Cette approche globale, inclusive et adaptative sera essentielle pour promouvoir un développement agricole durable et améliorer les moyens de subsistance dans toute la région. L’irrigation est une mesure d’adaptation clé qui devrait bénéficier de financements climatiques, en particulier si elle est associée à des interventions d’atténuation telles que le passage à des systèmes agricoles plus pérennes, l’adoption de pratiques agricoles réduisant les gaz à effet de serre ou le déploiement de technologies utilisant des énergies renouvelables (telles que les pompes solaires) pour l’extraction des eaux souterraines. L’adoption de ces mesures d’atténuation permet aux six pays sahéliens de réaliser leurs contributions déterminées au niveau national respectives. 4.4. Transposabilité Pour parvenir à la transposabilité en ce qui concerne le développement de l’irrigation, il convient de mettre l’accent sur les typologies et les interventions connexes qui peuvent s’auto-reproduire, telles que les typologies impulsées par le secteur privé ou les PPP (comme les types 2 et 5), ou être mises en œuvre rapidement parce que les investissements infrastructurels requis sont plus modestes et plus simples (comme le type 3). La transposabilité suppose Principes d’action 59 fondamentalement de mobiliser des investissements privés et personnels pour compléter les financements publics limités, ce qui permet d’amplifier la portée et l’efficacité globales des programmes d’irrigation. Elle demande en outre un mécanisme de mise en œuvre solide et simple. Cette souplesse est particulièrement importante dans les situations de FCV. Les institutions publiques doivent être réalignées et pleinement équipées pour mettre en œuvre ces systèmes, en éliminant les procédures inutiles et les goulots d’étranglement. L’accès au financement, généralement le plus grand frein, doit être une priorité. Les agriculteurs agissant dans le cadre du FLID font face à une difficulté supplémentaire, car le montant du financement des différentes technologies d’irrigation est trop important pour les groupes d’épargne et de crédit classiques et trop faible pour le secteur bancaire formel. Les politiques et programmes devraient permettre aux agriculteurs et aux acteurs privés d’obtenir des financements pour les initiatives d’irrigation, levant ainsi les entraves à l’investissement. Il est tout aussi important de mettre en place un mécanisme de responsabilisation transparent et solide, inscrit dans les politiques et les règlements, assorti de mécanismes de contrôle clairs pour encourager la performance et l’intégrité. Si l’accent est mis sur ces caractéristiques, le développement de l’irrigation peut contribuer énormément à obtenir des effets transformateurs à l’échelle voulue sur la productivité agricole, les moyens de subsistance et la durabilité des ressources. 60 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel Crédit photo : Elenathewise @ stock.adobe.com 62 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel 5 Actions stratégiques et axes d’investissement prioritaires Les axes stratégiques cadrent avec les principes de transposabilité, d’adaptabilité, de durabilité et d’approches centrées sur les agriculteurs. Chaque axe identifie les principaux leviers du changement, notamment les politiques et la gouvernance, le financement, la technologie et l’innovation. En fin de compte, les orientations d’investissement prioritaires (stratégies) sont conçues pour produire efficacement les effets de haut niveau énoncés dans la Vision 2050. 5.1. Larges programmes nationaux d’irrigation s’inscrivant dans une perspective régionale Les programmes nationaux d’irrigation doivent être conçus de manière à passer de projets isolés à des cadres globaux cohérents qui favorisent l’alignement, un suivi efficace, la transparence budgétaire et la coordination stratégique. Ces programmes doivent être adaptés au contexte spécifique de chaque pays et fournir des recommandations détaillées sur les politiques, les institutions et les réglementations nécessaires pour relever les défis particuliers et saisir les opportunités uniques qui se présentent. Dans ce cadre, des axes d’investissement prioritaires clairs devraient être définis et un accent particulier mis sur le développement du secteur et du marché pour favoriser l’intensification durable de l’agriculture irriguée. Les programmes devraient viser à établir des calendriers échelonnés et des cibles connexes pour un ensemble d’axes d’investissement complémentaires qui se conjuguent pour atteindre des objectifs de haut niveau. Les interventions qui produisent les résultats escomptés le plus rapidement et moyennant le moins d’investissements publics, tout en mobilisant le plus de cofinancement du secteur privé et des agriculteurs, devraient bénéficier de la plus haute priorité pour maximiser l’impact. Une politique tournée vers les réformes est capitale pour mettre en œuvre les changements institutionnels nécessaires et améliorer l’efficacité économique dans l’ensemble des chaînes de valeur. Il est essentiel de veiller à la mise en place de politiques et de stratégies sectorielles pour garantir de bons résultats du secteur de l’irrigation. Une approche régionale permet de coordonner la planification des investissements, compte tenu des capacités du marché régional et du potentiel en ressources naturelles transnationales. On peut ainsi éviter les doubles emplois et s’assurer que les investissements sont stratégiquement placés pour maximiser l’impact. Pour assurer la coordination régionale et une mise en œuvre efficace, ces programmes nationaux pourraient être supervisés par une organisation internationale ou régionale (par exemple, l’UA, la CEDEAO, l’UEMOA, le CILSS ou l’AES) afin d’harmoniser les efforts à travers le Sahel. La mise en place d’un forum permettant aux parties prenantes d’aborder les problèmes communs liés à la prestation de services d’irrigation, de promouvoir le partage de connaissances et d’élaborer les meilleures pratiques peut améliorer l’efficacité des investissements. Actions stratégiques et axes d’investissement prioritaires 63 5.2. Optimiser les résultats des périmètres collectifs Les périmètres collectifs, y compris les petits et moyens périmètres publics (type 3) et les grands périmètres publics (type 4), sont généralement moins performants en termes de ressources disponibles et de potentiel agro‑climatique. Ils offrent une occasion unique de réaliser rapidement des gains en termes d’utilisation des infrastructures et de productivité de l’eau et des terres grâce à de petits investissements par hectare étayant des interventions visant l’optimisation et la modernisation. Les interventions reposent sur une approche axée sur les services qui privilégie l’amélioration de la performance à tous les niveaux — exploitation, périmètre, fonctionnement — et l’amélioration des résultats agricoles et environnementaux. S’il est vrai que le développement de grands périmètres publics restera important, la possibilité immédiate de réaliser des gains plus importants et plus rapides réside dans l’amélioration des résultats des périmètres existants, en planifiant simultanément l’aménagement de nouveaux grands périmètres publics. Les périmètres collectifs, qu’ils soient de petite, moyenne ou grande échelle, jouent un rôle essentiel pour assurer la sécurité alimentaire, s’adapter au changement climatique et stimuler le développement socioéconomique. Cependant, les longs délais de mise en œuvre des grands périmètres irrigués, leur potentiel d’expansion limité par rapport aux projets à petite échelle et les défis environnementaux, sociaux et techniques associés à leur aménagement appellent un changement fondamental de paradigme dans leur planification, leur conception, leur mise en œuvre et leur gestion. À cette fin, les travaux d’analyse de la Banque mondiale sur la gouvernance dans l’irrigation (Waalewijn et al., 2020) proposent un cadre d’autodiagnostic, d’action et d’amélioration grâce à la boîte à outils Irrigation Operator of the Future (iOF) (Waalewijn et al., 2022). Le cadre de l’iOF et son processus de collaboration permettent aux organismes nationaux et aux opérateurs de périmètres au niveau local ainsi qu’à leurs agriculteurs clients et à d’autres parties prenantes d’élaborer des plans réalisables à court et moyen terme pour redresser la prestation de services d’irrigation. Les actions comprennent l’évaluation des infrastructures et les investissements dans les infrastructures, le développement des capacités organisationnelles et institutionnelles, l’amélioration de la gestion des actifs, la modernisation des systèmes techniques et administratifs, la communication et la sensibilisation des agriculteurs, et le suivi des interventions. Politiques publiques et gouvernance Une approche axée sur les problèmes est encouragée pour améliorer la performance, qui met l’accent sur des réponses nuancées et spécifiques au contexte pour ne traiter que les éléments réellement non opérationnels. Cette approche privilégie les solutions les mieux adaptées plutôt que la reproduction des « meilleures pratiques » tirées d’autres contextes, évitant ainsi les stratégies types. Les principales mesures publiques comprennent l’amélioration de la transparence des résultats et des financements, la séparation de la prestation de services des fonctions politiques et réglementaires, la définition 64 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel de critères et de normes pour la prestation de services et la tarification transparente de l’eau, et la réglementation de la mise en application. Cette approche se reflète également dans les réformes organisationnelles de l’irrigation et du drainage, qui devraient se concentrer sur l’amélioration des fonctions plutôt que sur la simple refonte ou l’ajout de structures ou de systèmes organisationnels en fonction de la forme (Waalewijn et al., 2020). Pour assurer une réforme efficace de la gouvernance, il faudrait une stratégie globale de décentralisation, allant au-delà de la simple création d’AUE. Il conviendrait d’élaborer de nouvelles lois et réglementations pour une transformation juridique à long terme, en modifiant le rôle de l’organisme chargé de l’irrigation et du drainage d’opérateur à part entière à celui de fournisseur de services d’eau en vrac, en se concentrant sur les barrages, l’approvisionnement et les canaux principaux, tout en accompagnant les AUE dans leurs responsabilités sectorielles (Denison, 2024). Lorsqu’ils existent, les accords entre l’État, les autorités responsables de l’eau destinée à l’irrigation et les usagers de l’eau doivent être examinés pour s’assurer que les rôles et la propriété sont clairement définis et respectés. En l’absence de tels accords, des processus participatifs peuvent aider à les établir. De même, les accords conclus entre les autorités chargées du développement de l’irrigation et les associations d’usagers de l’eau devraient être évalués pour tenir compte des conditions particulières des périmètres irrigués, en intégrant la participation du secteur privé lorsque cela est viable pour des services spécifiques. Il convient par ailleurs de renforcer les AUE en donnant aux associations dirigées par les agriculteurs les moyens de prendre en charge l’exploitation et l’entretien des périmètres irrigués et en leur fournissant une formation financière devant leur permettre de gérer les revenus de l’irrigation. En outre, les réformes devraient porter sur les politiques et la législation pour permettre un fonctionnement efficace des associations d’usagers de l’eau et des opérateurs de systèmes d’irrigation. Les mesures pourraient inclure l’adhésion obligatoire à des organisations d’irrigation, la sécurisation du droit d’utiliser les infrastructures publiques et le maintien des redevances de service d’irrigation pour garantir une exploitation et un entretien appropriés, les droits d’utilisation et la propriété des actifs. L’exploitation et l’entretien constituent un indicateur de performance essentiel des périmètres collectifs en place, et la qualité ainsi que la durabilité des services passent nécessairement par l’amélioration de cet indicateur. Une approche axée sur les résultats visant à améliorer l’exploitation et l’entretien peut prévoir des contrats axés sur les performances entre les autorités chargées de l’irrigation ou les associations d’usagers de l’eau et les prestataires de services, fixant des cibles claires pour l’approvisionnement en eau en temps voulu, la distribution équitable de l’eau et l’utilisation efficiente des ressources15. Pour assurer la viabilité 15 Les contrats de performance sont une forme de sous-traitance qui présente trois caractéristiques principales : la rémunération de l’entrepreneur est versée en fonction des résultats obtenus plutôt que des intrants (et par conséquent, les entrepreneurs assument le risque de ne pas atteindre les objectifs) ; compte tenu de la structure de rémunération, l’entrepreneur devra décider de la manière dont les résultats seront atteints, y compris l’organisation des équipes et la technologie ; en principe, les entrepreneurs ont tout à gagner à dépasser les objectifs fixés. Actions stratégiques et axes d’investissement prioritaires 65 financière, il convient d’indexer les frais d’utilisation sur le niveau de service fourni, tout en faisant participer les associations d’usagers de l’eau d’irrigation à la gestion du système afin de renforcer la responsabilisation. Étant donné que l’exploitation et l’entretien efficaces posent un problème important dans la plupart des périmètres irrigués collectifs et qu’ils sont cruciaux pour la performance de l’irrigation et les résultats agricoles, ils méritent de faire l’objet d’une stratégie sous-sectorielle. En outre, les autorités chargées de l’irrigation, les AUE et les prestataires de services devraient élaborer des plans de gestion des risques, de résilience et d’intervention d’urgence pour garantir la résilience à long terme des services d’eau. Ce domaine reste négligé malgré l’importance de l’agriculture irriguée dans l’adaptation au changement climatique. Le renforcement des capacités techniques, managériales, financières et stratégiques des responsables des systèmes d’irrigation est essentiel pour améliorer les performances à tous les niveaux. La performance des principales parties prenantes — particulièrement les compagnies d’eau et les associations d’usagers — devrait être examinée en vue d’identifier et de résoudre les éventuels goulots d’étranglement, qu’il s’agisse de problèmes institutionnels et réglementaires ou de résultats financiers et techniques. Le renforcement des capacités doit viser à améliorer les indicateurs fondamentaux de la prestation de services, tels que la fiabilité, l’adéquation, l’équité et l’accessibilité financière. Les activités de remise en état et de modernisation doivent être intégrées aux réformes de la gouvernance et s’inscrire dans une démarche progressive. Les efforts de remise en état doivent être considérés comme des occasions de redéfinir les systèmes techniques, institutionnels, financiers et de production pour les conformer aux nouveaux paradigmes. La priorité doit être accordée aux périmètres présentant des conditions favorables et au renforcement de la volonté d’amélioration. Toute activité de réhabilitation et de modernisation doit s’inscrire dans les réformes institutionnelles et politiques nécessaires plutôt que d’être menée de manière isolée. Compte tenu du faible taux de réussite des grands projets de réhabilitation qui ne tiennent pas compte des problèmes de gouvernance et des difficultés opérationnelles, ces efforts devraient adopter une approche progressive, synchronisée avec des réformes graduelles au fil du temps. Cette démarche permet de tester, d’apprendre, d’améliorer en permanence afin de renforcer les capacités de prestation de services et d’atteindre les niveaux de service souhaités en matière d’irrigation. Un niveau d’exploitabilité de base est crucial, intégrant des dispositifs de mesure, des structures de contrôle du niveau des eaux, le stockage in situ, des outils de conseil numériques, des mesures de transition énergétique et d’autres innovations. Les nouveaux projets d’irrigation ne devraient se dérouler que dans des cadres solides qui garantissent la viabilité technique et financière, en particulier lorsque des investissements d’envergure sont nécessaires. Cela suppose de répondre à la demande exprimée, de préciser les financements, d’appliquer des normes d’assurance qualité et de gestion des coûts, et de réaliser des économies d’échelle. La participation des agriculteurs à la planification et à la conception doit être intégrée à toutes les phases des projets nouveaux et des projets de réhabilitation, condition nécessaire (mais pas suffisante) pour assurer la viabilité 66 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel financière et technique. Pour les investissements à grande échelle, le grand public devrait être consulté, notamment les éleveurs. Productivité et rentabilité La transition des agriculteurs de l’agriculture de subsistance vers des systèmes de culture diversifiés et tournés vers les marchés est essentielle pour la rentabilité à long terme et la durabilité des infrastructures. Cependant, cibler les agriculteurs de subsistance pour qu’ils adoptent l’irrigation représente un grand pas en avant sur les plans social, financier, technologique et commercial. Cela doit s’accompagner de réformes habilitantes, de la sécurisation du régime foncier, de l’accès à des parcelles de taille rentable, d’un approvisionnement fiable en eau d’irrigation, de la recherche appliquée et de l’expérimentation sur le terrain de systèmes de culture diversifiés, y compris les cultures de rente et l’agroforesterie, le développement des chaînes de valeur et les liens avec l’agro-industrie. Le renforcement des capacités et des systèmes d’apprentissage adaptés sont essentiels pour encourager le changement et l’innovation chez les agriculteurs. Les programmes doivent être axés sur la gestion de l’eau à usage agricole, la conservation des sols et de l’eau, la diversification des cultures, le traitement après récolte et la commercialisation. L’expérience de la mise en œuvre du PARIIS a révélé l’importance d’adapter les stratégies de commercialisation à des paramètres tels que la distance par rapport au marché, le type de récolte, les fluctuations saisonnières des prix, la durée de conservation et les solutions de stockage. Par ailleurs, il est indispensable de renforcer les capacités techniques et organisationnelles (dans les sites communautaires), de créer des centres de montage et de tri, de construire des installations de stockage et de conservation et/ou des unités de transformation pour ajouter de la valeur au niveau local, ainsi que de construire des routes pour le transport des produits depuis les zones de production. Technologie et innovation L’adoption de technologies avancées pour la gestion de l’irrigation ainsi que l’exploitation et l’entretien peut considérablement améliorer l’efficacité et la durabilité. Il peut s’agir de quelques possibilités prioritaires de développer rapidement les capacités de gestion, d’exploitation et d’entretien à faible coût. Cela consisterait notamment à : créer des registres numériques de gestion des actifs géoréférencés adaptés à l’usage, indiquant le type et l’état de l’infrastructure et les besoins d’entretien courant et ponctuel ainsi que les coûts connexes (sous leur forme la plus simple, ceux-ci peuvent être cartographiés sur Google Earth et répertoriés dans une base de données Microsoft Excel, ou un logiciel plus sophistiqué basé sur un système d’information géographique propre au secteur peut être approprié) ; mettre à jour les systèmes de facturation et moderniser les pratiques techniques et organisationnelles en les focalisant sur la prestation de services et plus particulièrement les clients plutôt que sur le contrôle de l’eau ; élaborer des programmes ciblés de partage des connaissances et de formation axés sur des systèmes et des technologies innovants en vue d’améliorer la productivité et de renforcer la résilience ; et déployer tactiquement des instruments de mesure du débit aux principaux nœuds du système, tels que les Actions stratégiques et axes d’investissement prioritaires 67 prises d’eau, les points d’enlèvement vers les blocs alimentant les AUE, les sorties d’aval et les protocoles de surveillance et de prise de décision connexes, afin de formaliser davantage les accords avec les usagers et permettre une meilleure gestion de la prestation des services d’eau. Financement Les besoins pour les dépenses de fonctionnement doivent être soigneusement mis en cohérence avec la volonté et la capacité de paiement des usagers. Les besoins pour les dépenses de fonctionnement doivent être soigneusement mis en cohérence avec la volonté et la capacité de paiement des usagers. Les principaux éléments à prendre en considération sont notamment la façon dont les coûts d’exploitation et d’entretien sont calculés, les dépenses prises en compte, le mode de répartition de ces coûts entre les usagers, la façon dont les tarifs de l’eau sont déterminés et ajustés, et les mécanismes de recouvrement et de répartition des redevances d’eau. Ces processus doivent privilégier l’équité et la transparence afin d’optimiser la gestion de l’eau et d’assurer la durabilité des investissements à long terme. Pour les infrastructures nécessitant d’importants investissements publics, des mécanismes de dépenses de fonctionnement appropriés doivent être conçus pour répondre aux besoins des utilisateurs qui se connectent ultérieurement grâce à des investissements privés (par exemple, superficies hors casiers de l’OdN). Comme indiqué précédemment, l’institutionnalisation du financement de l’entretien par le biais de clauses contractuelles et de systèmes de redevances gérés par la communauté est importante pour inverser la tendance à « construire et négliger ». Il convient de mettre en place des fonds dédiés pour garantir que les infrastructures d’irrigation restent opérationnelles à long terme. Ils peuvent provenir des redevances d’utilisation (les agriculteurs versant 5 à 10 % du revenu de la récolte pour l’entretien) ou de fonds renouvelables où les bénéfices des cultures irriguées servent à constituer les budgets de réparation, la responsabilité de la gestion, clairement définie, étant assignée aux AUE, aux autorités chargées du développement de l’irrigation, ou aux deux. Les gouvernements peuvent également choisir de subventionner les coûts d’exploitation et d’entretien de l’irrigation, en particulier dans les projets de barrages polyvalents où les flux de revenus non agricoles, tels que la production d’électricité, peuvent compenser les contributions des agriculteurs. Ces subventions peuvent se justifier lorsque les producteurs touchés par l’aménagement des infrastructures sont fortement désavantagés (Skinner et al., 2009). 5.3. Faciliter le développement de l’irrigation par les agriculteurs L’investissement dans le développement de l’irrigation impulsé par les agriculteurs (FLID) offre une approche dynamique et techniquement adaptable qui permet aux agriculteurs, dans des conditions physiques et de production diverses, d’adopter ou de développer relativement vite l’agriculture irriguée. Le développement spontané de l’irrigation par les agriculteurs — y compris les nouveaux aménagements et les adaptations des infrastructures existantes — 68 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel est depuis longtemps courant au Sahel, mais il doit être facilité et stimulé par des politiques, des institutions, des financements et des technologies appropriés. Les emplacements les plus rapides et les moins coûteux sont ceux-là où les eaux de surface sont proches des champs (terrasses fluviales et plaines inondables) et où les eaux souterraines se trouveraient à moins de 10 mètres de profondeur, facilitant la construction de puits manuels (le potentiel des ressources en eaux souterraines se trouvant à moins de 7 mètres de profondeur est estimé à 1 million d’hectares au Sahel, à l’exclusion du Burkina Faso). Ainsi, faciliter le FLID permettra de développer l’irrigation dans un délai relativement court, et les objectifs d’expansion et de production pourront être atteints moyennant des coûts d’investissement beaucoup plus faibles que pour d’autres solutions de développement de l’irrigation. Le matériel est relativement simple, autonome et souvent mobile. Grâce à sa technologie légère, à ses délais de mise en œuvre rapides et à ses modèles de gestion flexibles, le FLID est également particulièrement bien adapté aux situations d’instabilité et d’insécurité. Les financements basés sur les résultats assortis d’incitations axées sur les résultats pour les prestataires, et couplés à des procédures de présélection des prestataires, des plateformes d’agrégation permettant de mettre en relation prestataires et agriculteurs, des normes techniques précises et des financements destinés à garantir les liquidités pour les prêts et à réduire les risques de première perte, peuvent accélérer le développement de l’irrigation. Les fournisseurs du secteur privé et les institutions de financement sont les principaux moteurs de la mise en œuvre, et une fois que le processus est activé, facilité et mobilisé, la dynamique s’accélère, tirée par les forces du marché et la réduction des aides publiques. La facilitation du FLID a l’avantage particulier de mobiliser des capitaux privés importants auprès des agriculteurs. En général, ils assument eux‑mêmes une part plus importante du coût d’investissement total, et l’État peut fournir des incitations aux fournisseurs ou des subventions partielles pour accélérer l’adoption et assurer la pénétration du marché dans les zones mal desservies. La mobilisation de capitaux privés est motivée par le fait que les agriculteurs finissent par entrer pleinement en possession de l’équipement et, de surcroît, ils assument l’intégralité des responsabilités et des coûts de gestion, d’exploitation et d’entretien qui, dans les périmètres publics, reposent généralement en grande partie sur l’État, tout en renforçant la résilience, en améliorant la sécurité alimentaire et en réduisant la pauvreté. Bien que le FLID soit souvent associé aux petits exploitants, il a un impact collectif considérable. Même si les exploitations individuelles sont de petite taille, leur nombre contribue dans une mesure importante à la production alimentaire, à la croissance économique et à la transformation des paysages environnants. La souplesse et la transposabilité du FLID lui permettent d’être mis en œuvre parallèlement à d’autres stratégies d’irrigation adaptées au contexte local. Néanmoins, les obstacles — parmi lesquels la mauvaise qualité des puits et des forages, le manque d’accès à une technologie de pompage adéquate et au crédit, les difficultés à optimiser les coûts d’extraction de l’eau, Actions stratégiques et axes d’investissement prioritaires 69 les problèmes liés à la connaissance de la ressource et à la gestion de son utilisation durable, entre autres — doivent être levés pour l’aménagement de petits périmètres irrigués utilisant les eaux souterraines (Bonzanigo et al., 2021). Politiques publiques et gouvernance L’État doit abandonner le rôle de « maître d’œuvre » pilotant la conception et la construction pour celui de « facilitateur » qui consiste à éliminer les freins au progrès grâce à une série d’interventions techniques, financières et axées sur les connaissances. La transition vers un FLID transposable exige un cadre politique favorable qui donne la priorité aux agriculteurs à vocation commerciale et désireux d’étendre leurs activités, en ciblant d’abord les premiers utilisateurs qui influeront sur les autres. Ces interventions nécessitent des mesures politiques facilitant le financement du secteur privé par la présentation d’arguments commerciaux en faveur des petits exploitants, réduisant ainsi les risques sur les prêts grâce à des garanties partielles, et par la fourniture d’une aide en liquidités ; par l’offre d’incitations aux fournisseurs pour stimuler l’innovation technologique et élargir la couverture de la prestation de services ; par la réduction des coûts de transaction pour les fournisseurs d’équipements et les prestataires de services financiers en regroupant les informations sur les agriculteurs ; et par l’établissement de liens et de réseaux numériques actifs en vue de l’expansion des connaissances. La révision des politiques publiques peut aussi contribuer à donner au secteur privé un accès prioritaire aux droits sur les terres et l’eau afin de permettre l’application de modèles d’irrigation en tant que service, ou pour mettre au point des solutions d’irrigation mobiles et favoriser le développement de chaînes de valeur. Une collaboration efficace entre les acteurs publics et privés peut garantir la qualité des équipements, l’innovation dans le financement et la simplification de la prestation de services, libérant ainsi tout le potentiel non seulement du FLID, mais aussi des petits et moyens périmètres collectifs (par exemple, les périmètres villageois). Technologie et innovation La disponibilité de ressources en eaux souterraines peu profondes offre des possibilités importantes d’expansion durable de l’irrigation à petite échelle par les agriculteurs, en particulier dans les zones reculées, loin de tout fleuve. Cependant, il faut lever les obstacles à l’accès aux technologies d’extraction des eaux souterraines à faible coût et à leur adoption. Le potentiel des eaux souterraines peu profondes est vital pour l’adaptation et la résilience au changement climatique, tout en étant une stratégie de réduction de la pauvreté. Des solutions adaptées devraient répondre aux besoins de divers groupes d’agriculteurs, notamment les femmes, les jeunes et les personnes handicapées, grâce à des essais participatifs sur le terrain, à des formations et à des services de soutien permanents. Les progrès technologiques devraient donner la priorité d’une part à l’amélioration de la conception et de la construction de puits et de forages afin d’accroître la productivité et la résilience climatique, et d’autre part à la promotion de pompes solaires de surface et submersibles produites et distribuées localement. 70 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel Les pompes solaires sont beaucoup moins coûteuses à exploiter et à entretenir que les pompes diesel ou à essence, mais nécessitent généralement une petite infrastructure de stockage localisé (10 à 20 m3 par ha) pour donner une certaine flexibilité quant au choix du moment de la journée où les activités d’irrigation sont menées. Cette flexibilité est particulièrement importante pour les agricultrices qui assument d’autres responsabilités ménagères et parentales rigides. La technologie des pompes solaires atténue les facteurs du changement climatique et s’intègre aux initiatives de financement climatique, offrant des solutions durables pour l’expansion de l’irrigation, tout en produisant des avantages climatiques annexes. Financement L’accès à des mécanismes de financement peu coûteux est le facteur le plus important pour développer le FLID. Les prêts d’équipement, qui sont beaucoup plus importants et nécessitent des périodes de remboursement plus longues que les prêts à la production agricole, exigent que l’on adopte une approche particulière du financement. Pour améliorer l’accès au financement, l’une des priorités consiste à développer davantage les marchés financiers ruraux, y compris le financement communautaire, à améliorer la capacité des banques locales à prêter aux fins d’irrigation grâce à des lignes de crédit spécialisées ou à des mécanismes de partage des risques, et à tirer parti des contributions communautaires et des plateformes de financement participatif pour financer des projets de petite irrigation. Les prêts collectifs par l’intermédiaire de coopératives peuvent garantir collectivement les prêts, réduisant ainsi les risques de défaut de paiement. Cette modalité peut utiliser des plateformes en ligne pour collecter des fonds en faveur de projets d’irrigation gérés par les communautés et encourager les groupes d’épargne locaux à mettre en commun leurs ressources pour investir dans l’irrigation. Des mécanismes tels que les microcrédits, les financements basés sur les résultats et les fonds d’encouragement peuvent répondre à ces besoins. Les institutions de microfinance peuvent s’associer à des banques commerciales pour créer des produits de prêt pas chers conçus pour les petits exploitants agricoles. Il pourrait s’agir de prêts à faible taux d’intérêt assortis de conditions de remboursement flexibles, telles que des options de remboursement post‑récolte. La Banque mondiale expérimente des mécanismes de mise en œuvre des financements basés sur les résultats en vue du FLID en Inde, au Nigéria et en Ouganda. Le projet de résilience agro-climatique dans les paysages semi-arides au Nigéria déploie un financement national basé sur les résultats par le biais d’un fonds d’encouragement destiné à aider les fournisseurs d’équipements, les acteurs du marché et les institutions de financement à participer conjointement au FLID dans les zones reculées. Le Programme de micro-irrigation de l’Uttar Pradesh (UP-MIP) et le Programme de micro-irrigation à petite échelle de l’Ouganda (MSIP) illustrent le processus d’exécution du programme simplifié pour une subvention partielle de la demande grâce à des systèmes d’information de gestion et des applications numériques, comme IrriTrack en Ouganda. Actions stratégiques et axes d’investissement prioritaires 71 Les formules de financement mixte qui combinent investissements publics et privés sont essentielles pour aider à combler le déficit de financement. Les gouvernements ou les organismes donateurs accordent souvent des subventions pour les premiers investissements dans l’irrigation (par exemple, sur le coût des pompes ou des technologies d’irrigation). Les gouvernements peuvent également mettre en place des systèmes de cofinancement dans lesquels ils contribuent à un certain pourcentage des coûts des infrastructures d’irrigation, allégeant ainsi le fardeau pour les agriculteurs comme en Ouganda. Combiner des subventions publiques et des financements concessionnels de banques de développement avec des capitaux privés peut réduire les risques liés aux projets d’irrigation et rendre ces projets financièrement viables du point de vue du secteur privé. Cette approche peut être appliquée par le biais d’un modèle de financement basé sur les résultats ou la performance ou de mécanismes de partage des risques où le fonds concessionnel peut être fourni sous forme de financement de viabilité ou de garantie des premières pertes. L’intégration de solutions de technologie financière (fintech), telles que l’argent mobile et les pompes solaires alimentées par le système mondial de communications mobiles, offre des possibilités de transformation permettant de surmonter les obstacles financiers historiques. Les fintech offrent des services financiers d’un coût abordable et conviviaux aux agriculteurs des zones reculées, en facilitant des modèles de paiement à l’utilisation et des contrats de location‑vente. Ces solutions peuvent aller au-delà de l’irrigation pour inclure la préparation des terres, la transformation post-récolte et d’autres services agro‑technologiques, facilitant ainsi un bond plus important de la productivité agricole. Le modèle de paiement à l’utilisation est une autre option de financement appropriée pour les petits exploitants agricoles, pratiquant l’irrigation privée ou communautaire, car il élimine des paiements initiaux importants. Dans le cadre de cette approche, le fournisseur du système d’irrigation couvre les coûts d’investissement et facture aux agriculteurs individuels des frais de service d’irrigation basés sur l’eau fournie. Le modèle a donné des résultats prometteurs en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Kenya16 et en Inde, où des mécanismes de garantie de crédit ont été mis en place pour transférer une partie du risque au secteur public, attirant ainsi la participation du secteur privé. Le financement des chaînes de valeur en liant les prêts pour l’irrigation à l’accès au marché permet aux agriculteurs de vendre leurs récoltes à des prix rentables, ce qui réduit les risques associés aux prêts. Par exemple, des acheteurs tels que des entreprises agroalimentaires achètent les récoltes à l’avance, les accords d’achat servant alors de garantie, ou des agriculteurs stockent leurs récoltes dans des entrepôts certifiés, utilisant les récépissés d’entreposage pour garantir les prêts. 16 Irrigation à l’énergie solaire au Kenya : Les modèles de paiement à l’utilisation ont permis aux petits exploitants agricoles d’accéder à des systèmes d’irrigation alimentés par l’énergie solaire, sous l’impulsion d’entreprises comme M-KOPA et SunCulture. 72 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel 5.4. Combler le déficit d’investissement et travailler sur les problèmes de coût et les normes de qualité en vue d’améliorer la viabilité des projets d’irrigation Pour améliorer la viabilité des projets d’irrigation, il est crucial de combler le déficit d’investissement et de surmonter les problèmes liés aux coûts. Cette section décrit une approche globale de la mobilisation des ressources et de la mise en œuvre de projets pérennes. En utilisant des mécanismes de financement innovants, des financements mixtes et le soutien stratégique des bailleurs de fonds, nous pouvons attirer des investissements supplémentaires, réduire les risques et améliorer la qualité et l’efficacité globales des projets d’irrigation. Ces efforts sont essentiels pour garantir la productivité agricole et la sécurité alimentaire à long terme dans la région. Pour combler le déficit d’investissement en vue du financement de l’irrigation dans les pays du Sahel, des changements majeurs seront nécessaires dans un certain nombre de domaines, dont les suivants : Mécanismes de financement innovants • Combiner les fonds propres, les contributions en nature, les subventions ciblées (intelligentes), le crédit et les garanties peut aider à combler le déficit de financement. L’expérimentation et l’application à plus grande échelle de mécanismes de financement innovants peuvent attirer des investissements supplémentaires et assurer la durabilité des projets. • Les PPP pourraient mobiliser des ressources supplémentaires et tirer parti de l’efficacité et de l’expertise du secteur privé. Les PPP ont besoin de dispositifs efficaces basés sur la performance et portés par des capacités suffisantes et des mécanismes efficaces de suivi et de responsabilisation. • D’autres mécanismes de financement innovants peuvent être mis à profit, tels que l’expansion des programmes de microcrédit et des plateformes de prêt numériques pour aider les agriculteurs à investir dans du matériel d’irrigation, le recours accru aux garanties de crédit et aux mécanismes de partage des risques, le financement climatique, les banques de politique agricole, les fonds renouvelables financés par l’État ou les communautés pour soutenir les petits périmètres irrigués. Financement mixte et appui des bailleurs de fonds • Les financements mixtes peuvent réduire les risques d’investissement et encourager la participation du secteur privé. Ils combinent des financements concessionnels de bailleurs de fonds et des financements commerciaux. • L’appui des bailleurs de fonds peut être stratégiquement séquencé de manière à donner la priorité à certains pays. Les priorités peuvent être fondées sur des rapports avantages-coûts élevés ou sur l’insécurité alimentaire aiguë, pour optimiser l’impact et l’emploi des ressources. Actions stratégiques et axes d’investissement prioritaires 73 Études de faisabilité rigoureuses, suivi, évaluation et partage des connaissances • La réalisation d’études de faisabilité et d’analyses approfondies dès le départ est indispensable à une bonne préparation des projets. La réalisation d’une analyse réaliste du marché (fournisseurs et institutions financières pour le FLID), les options de conception technique (tous types), les prévisions de coûts et la structuration efficace du projet jettent des bases solides pour une mise en œuvre et des activités sans heurts. • Des efforts importants de suivi, d’évaluation et de communication sont nécessaires pour consolider les données factuelles. Si les avantages que procure le développement de l’irrigation sont bien documentés, ils ne sont pas connus de tous. Il convient d’élargir sans cesse la base de données pour démontrer la viabilité des solutions d’irrigation et susciter une dynamique favorisant de nouveaux investissements. • La mise en place et l’utilisation de plateformes de partage des connaissances favorisent la diffusion des meilleures pratiques. Les réseaux et les plateformes de connaissances permettent un meilleur transfert d’expériences d’autres pays et régions, et un meilleur suivi des progrès dans l’ensemble de la région. Réduction des coûts d’investissement • Élaborer une approche multidimensionnelle permettant de régler le problème des dépassements de coûts dans les projets d’irrigation. Des solutions systémiques doivent être introduites, telles que l’analyse comparative des coûts unitaires avec la participation des entrepreneurs et des consultants, des réformes réglementaires qui incitent à la performance, et une plus grande responsabilisation des citoyens par le biais de processus décisionnels participatifs. • Créer une base de données générale et normalisée sur les coûts unitaires pour différents types d’infrastructures d’irrigation communément financées, sur la base de devis quantitatifs. Cette base de données constituerait une référence essentielle pour les planificateurs, leur permettant d’évaluer la validité des estimations de coûts et d’identifier les facteurs à l’origine des variations de coûts d’un projet à l’autre. On pourrait s’inspirer du secteur routier, dans lequel des initiatives comme la base de données du Système de connaissances sur les coûts routiers de la Banque mondiale fournissent de précieuses données de référence. Le cas du Niger montre qu’il est possible de créer une telle base de données dans le secteur de l’irrigation. Avec l’appui de la Banque mondiale et du Fonds international de développement agricole, le Niger a élaboré un registre des coûts unitaires pour les travaux, les fournitures, les équipements et les services et un index des prix des principaux investissements afin de fournir des informations transparentes sur les coûts au niveau national, tenant compte de facteurs régionaux tels que l’éloignement (FIDA 2013). Cette initiative s’inscrit dans le cadre d’un projet soutenu par la Banque mondiale, qui vise à développer les cultures irriguées et à intensifier la production animale. Le coût 74 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel de référence des principaux matériels et équipements d’irrigation servira à guider la planification et l’exécution des projets, à harmoniser les financements des partenaires et à améliorer les interventions futures. Une fois adopté, ce coût de référence s’intégrera dans le système national de référence des prix et servira de norme pour tous les projets liés à l’irrigation (World Bank, 2023). • L’amélioration des processus de planification et de mise en œuvre est une autre clé pour obtenir des résultats positifs. La transparence et des discussions ouvertes sur les pratiques illicites sont essentielles, bien que difficiles, en raison du maillage complexe de petits manquements à l’intégrité et à la surveillance parmi les acteurs de la chaîne de planification et de mise en œuvre. Il est essentiel de s’attaquer à ces problèmes pour réduire les coûts d’investissement, améliorer la qualité des constructions et maximiser les nombreux avantages des projets d’irrigation au Sahel. 5.5. Adopter une approche territoriale intégrée du développement de l’irrigation Une approche territoriale intégrée insiste sur le fait que l’irrigation devrait être considérée comme l’un des nombreux usages des eaux sur un territoire donné, en tenant compte de ses impacts sociaux et environnementaux importants. La difficulté de l’aménagement de nouvelles sources d’eau dans des contextes fragiles, tels que le Sahel, réside dans la nécessité d’éviter d’exacerber des conflits existants ou d’en créer de nouveaux, en particulier dans les zones de tensions intercommunautaires ou intracommunautaires liées à la rareté des ressources. Si des investissements bien conçus dans la sécurité hydrique peuvent renforcer la stabilité et atténuer les risques de conflit, les données montrent que les grands projets d’irrigation peuvent également aviver les tensions, en particulier dans les situations de fragilité et de rareté des ressources. Par exemple, des études indiquent une incidence plus élevée des conflits dans les zones irriguées que dans les zones non irriguées, en partie en raison de problèmes tels que la redistribution des terres et l’accès inégal aux avantages, qui peuvent faire des parcelles irriguées des objets de conflit de grande valeur (Khan et Rodella, 2021). Pour faire face à ces risques, les investissements doivent s’appuyer sur un travail préparatoire approfondi visant à comprendre les moyens de subsistance existants, les régimes fonciers et les dynamiques de pouvoir locales. Il est particulièrement important d’anticiper les évolutions dans l’utilisation de l’eau et le contrôle des terres, tels que de nouveaux habitats ou une nouvelle répartition des ressources. Veiller à une répartition équitable des avantages peut faire en sorte qu’au-delà de « ne pas nuire », les projets s’orientent davantage vers la consolidation proactive de la paix, ce qui réduirait l’exclusion, les plaintes et les conflits. La participation des communautés locales, des agriculteurs et des organisations de la société civile dès la phase de conception est cruciale pour assurer une gouvernance inclusive et prévenir l’exclusion des groupes vulnérables ou marginalisés. En outre, l’intégration des mécanismes traditionnels locaux de résolution des conflits dans la conception et la gestion des projets est essentielle pour favoriser la stabilité et l’inclusion. Actions stratégiques et axes d’investissement prioritaires 75 Les investissements dans l’irrigation doivent être planifiés dans l’optique d’une large couverture afin d’équilibrer les besoins des usagers de l’eau en amont comme en aval. Reconnaissant l’interdépendance des systèmes hydrographiques, la stratégie souligne l’importance de prendre en compte la connectivité hydraulique et hydrologique, les dépendances en amont et en aval, et la nécessité d’une gestion à l’échelle du bassin et d’une coopération transfrontalière. La modification de l’accès aux ressources en eau communes peut nécessiter des investissements complémentaires dans la gouvernance, les cadres institutionnels et les systèmes de protection sociale afin de soutenir les populations les plus pauvres et les plus vulnérables touchées par ces changements. En outre, une planification solide de l’utilisation des terres et une gouvernance foncière inclusive sont essentielles pour une gestion durable des terres et de l’eau, un accès équitable aux ressources — en particulier pour les femmes et les jeunes — et de meilleures incitations à investir dans l’irrigation. Des campagnes de sensibilisation, des consultations communautaires et des structures de gouvernance participatives sont cruciales pour assurer le succès de la mise en œuvre de ces réformes. Si l’irrigation est un point d’entrée crucial pour assurer la sécurité hydrique et alimentaire dans le contexte du changement climatique, la résilience et la croissance à long terme passent par l’intégration avec d’autres services (Bonzanigo et al., 2021). L’adaptation aux effets du changement climatique devrait être au cœur de toute stratégie d’irrigation. Cela suppose d’intégrer les pratiques agroécologiques, d’optimiser l’utilisation efficiente de l’eau, d’adopter des variétés de cultures résilientes face à l’évolution du climat et la promotion de solutions fondées sur la nature pour une gestion durable de l’eau et des terres. Les solutions doivent provenir d’une planification et d’une mise en œuvre interdisciplinaires coordonnées, les investissements dans les secteurs socioéconomiques se complétant et se renforçant mutuellement. L’Alliance Sahel souligne l’importance d’une approche territoriale intégrée, qui favorise la collaboration entre ses membres et encourage le dialogue sur l’utilisation de l’eau et son impact sur l’accessibilité et la qualité. Mettre l’accent sur la planification sur un territoire spécifique permet d’apporter une réponse coordonnée à tous les besoins locaux, favorisant ainsi une gouvernance plus efficace et inclusive. Cette approche promeut la réforme institutionnelle en favorisant l’harmonisation intersectorielle afin de répondre aux diverses exigences de gouvernance associées à la gestion durable des ressources en eau. Cette stratégie souligne la nécessité d’intégrer investissements ciblés et analyses avancées pour garantir des résultats réels et durables. Elle donne la priorité aux investissements dans l’irrigation adaptés à la disponibilité et à la localisation de l’eau, aidés par des outils tels que la télédétection, le zonage hydronomique et les évaluations des eaux souterraines peu profondes. Les plateformes numériques joueront un rôle clé dans la planification nationale et locale, permettant de suivre les performances et l’expansion de l’irrigation dans un cadre de planification des sous-bassins qui garantit la sécurité foncière et hydrique. De surcroît, les innovations technologiques devraient être davantage intégrées pour améliorer la gestion de la demande en eau. Le recours aux capteurs intelligents, à 76 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel l’intelligence artificielle et à des systèmes d’alerte précoce peut considérablement augmenter l’efficacité de l’irrigation et réduire les pertes d’eau. Pour ce faire, les systèmes nationaux et régionaux d’information sur l’eau et l’irrigation devraient être modernisés en intégrant les données de terrain à la télédétection et en élaborant des modèles hydrologiques à l’échelle des bassins. Ces modèles permettront de prévoir les effets des prélèvements d’eau pendant les saisons humides et sèches, fournissant ainsi des informations cruciales permettant l’utilisation durable de l’eau. Par exemple, le Service d’information sur l’eau et l’irrigation, opérationnel depuis 2023, est une plateforme gratuite et librement accessible développée dans le cadre du PARIIS pour garantir la durabilité, la compatibilité et l’interopérabilité avec les formats de données et les plateformes existants. Hébergé sur le cloud avec une sauvegarde physique au centre régional AGRHYMET, il intègre en permanence des données sur l’utilisation des terres (y compris le potentiel irrigable et les surfaces irriguées), les ressources en eaux de surface et en eaux souterraines, et l’hydrométéorologie dans les pays du CILSS et de la CEDEAO. Le service a publié une version bêta fin 2024 sur la base des observations des usagers et envisage maintenant de nouvelles applications utilisant les technologies de l’information et de la communication pour une diffusion plus large de l’information. La stratégie appelle également à mettre à jour les plans d’aménagement et de gestion à l’échelle du bassin, tels que le Schéma directeur du bassin du Niger, afin de tenir compte des besoins et des répercussions actuelles et futures du changement climatique. En outre, le suivi et l’évaluation de l’impact devraient être renforcés en utilisant des indicateurs précis pour mesurer efficacement les résultats des investissements liés aux données d’irrigation, à la productivité et la rentabilité, à la sécurité alimentaire, à l’atténuation des conflits et à la durabilité des ressources en eau. De surcroît, les projets doivent rester suffisamment souples pour s’adapter à l’évolution des besoins locaux et des conditions environnementales. Enfin, des mesures complémentaires visent la hiérarchisation stratégique des investissements dans les interventions paysagères et la promotion de la gestion de l’eau à usage agricole dans les zones pluviales. Ces interventions pourraient porter sur les terrains de parcours, la recharge des aquifères, la culture de décrue et la lutte contre l’érosion, en intégrant des solutions puisant dans les connaissances telles que la collecte des eaux de pluie et l’optimisation de l’infiltration. Bien que ces interventions paysagères soient capitales, elles comportent le risque d’absorber des investissements importants, en particulier si elles sont étendues à des projets de stockage d’eau à petite ou moyenne échelle en vue de la sécurité de l’eau. Néanmoins, ces investissements sont importants pour le co-investissement dans les interventions axées sur les bassins versants. Ces interventions garantissent une planification responsable de l’irrigation, pérennisent l’approvisionnement en eau d’irrigation, favorisent la recharge des nappes souterraines, ce qui justifie qu’elles constituent des lignes ou des stratégies d’investissement à part entière, assorties de mécanismes de suivi pour évaluer leur impact. En conclusion, une approche territoriale intégrée de l’irrigation doit reposer sur une gouvernance participative, des investissements durables, des innovations Actions stratégiques et axes d’investissement prioritaires 77 technologiques et une adaptation proactive aux défis climatiques. Les responsables de l’action publique et les partenaires doivent collaborer étroitement pour veiller à la gestion inclusive et efficace des ressources en eau, renforçant ainsi la sécurité alimentaire, la stabilité sociale et la résilience des populations sahéliennes. 5.6. Conclusion La Stratégie pour l’irrigation au Sahel résume les principaux enseignements tirés du développement de l’irrigation au cours des dix dernières années. Elle fournit une feuille de route pour étendre l’irrigation afin de passer rapidement de la superficie équipée exploitable actuellement (dont la taille est très incertaine, mais qui est probablement de 500 000 à 600 000 ha) à un objectif de 1 million d’hectares. Ce développement vise à atteindre un ensemble d’objectifs prioritaires, notamment l’augmentation de la production et de la productivité agricoles, l’accroissement des disponibilités alimentaires, la substitution aux exportations, l’emploi et la croissance économique. Les ressources en eau sont largement disponibles, moins de 15 % de la ressource existante étant utilisée pour l’irrigation. Les eaux souterraines de puits de moins de 7 mètres de profondeur offrent d’énormes possibilités. Les interventions les plus pertinentes recensées sont les suivantes : • Promouvoir une approche programmatique – Les programmes d’irrigation doivent être conçus pour passer de projets isolés à des cadres globaux cohérents qui favorisent l’uniformisation, un suivi efficace, la transparence budgétaire et la coordination stratégique. Cette transformation garantit la continuité stratégique à long terme à l’intérieur des pays et l’uniformisation régionale. Elle permet une allocation plus cohérente des ressources financières nationales et motive davantage les partenaires de développement à apporter des financements. • Optimiser les performances sur les périmètres publics et communautaires – Accroître les avantages tirés d’infrastructures existantes coûteuses offre une possibilité unique de gains rapides en productivité de l’eau et des terres, de rentabilité agricole et de renforcement de la résilience face à des précipitations imprévisibles. Les investissements à l’hectare sont moins importants que pour l’aménagement de nouveaux périmètres, et les rendements sont élevés en très peu de temps. Les interventions visent l’adoption d’une approche de prestation de services et comprennent le développement des capacités des organisations (acteurs) ; la mise à niveau des institutions (règlements) ; l’optimisation des systèmes de gestion, d’exploitation et d’entretien ; la modernisation des infrastructures, y compris la mesure des débits ; et le suivi des performances. • Faciliter le développement de l’irrigation impulsé par les agriculteurs (FLID) – Le FLID propose une approche dynamique et techniquement adaptable qui aide les agriculteurs, dans des cadres physiques et de production divers, à adopter ou à développer rapidement l’agriculture irriguée. L’investissement dans le FLID passe par un changement de paradigme qui 78 Document de stratégie pour l’irrigation au Sahel verra les pouvoirs publics assumer davantage une fonction de facilitation et inciter les fournisseurs du secteur privé et les institutions financières à accélérer l’adoption de l’irrigation, principalement par des individus ou de petits groupes d’agriculteurs. Les programmes innovants s’appuieront principalement sur les financements basés sur les résultats, des initiatives de paiement à l’utilisation et la technologie solaire. Ces éléments suscitent des interventions du secteur privé et des agriculteurs portées par le marché pour répondre aux impératifs d’atténuation du changement climatique, tout en maximisant les rendements pour les agriculteurs. • Combler le déficit d’investissement – Les coûts d’investissement pour des infrastructures fixes et de grande envergure au Sahel représentent plus du double du coût dans les pays hors Afrique subsaharienne. Il est primordial de réduire les coûts d’investissement pour améliorer la viabilité des projets d’irrigation au Sahel. La stratégie préconise une approche multidimensionnelle, comprenant une analyse comparative des coûts unitaires et une base de données exhaustive sur les coûts, des réformes réglementaires pour encourager la performance dans les travaux de construction, des évaluations plus précises des études de faisabilité et des estimations détaillées des coûts de conception pour éviter des dépassements des coûts résultant de variations. En ce qui concerne les microéquipements individuels (pompes solaires et technologies d’irrigation), l’introduction de certifications par les fournisseurs, de normes de qualité rigoureuses et de connaissances sur les meilleures options pour différents types de site peut contribuer à réduire les coûts. • Adopter une approche territoriale – L’utilisation de l’eau pour l’irrigation doit être considérée comme l’un des nombreux usages de l’eau sur un territoire donné, les investissements étant planifiés stratégiquement dans une perspective plus large à l’échelle du bassin hydrographique. Cette approche met en relief l’interdépendance des systèmes hydrologiques, des dépendances entre amont et aval, et la nécessité d’une gestion à l’échelle du bassin et de la coopération transfrontalière. Le zonage hydrologique et agroécologique basé sur des modèles hydrologiques améliorés à l’échelle du bassin est privilégié pour déterminer l’état et la catégorisation de la disponibilité de l’eau par rapport à la source, au bilan hydrique et à l’état de prélèvement. Une planification cohérente axée sur les bassins versants est un outil précieux qui permet de déterminer le meilleur type d’investissement pour différents sites, par exemple mettre l’accent sur les prélèvements les moins coûteux là où l’eau abonde, et sur l’optimisation de la productivité des terres et de l’eau là où l’eau fait défaut. La feuille de route s’appuie sur un ensemble d’enseignements tirés ces dix dernières années, prend en compte tous les problèmes que connaît le secteur et définit les mesures prioritaires à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs fixés. La stratégie espère permettre aux pays participants de franchir une étape importante vers la transformation du potentiel que recèlent leurs ressources grâce à l’irrigation durable afin d’atteindre des objectifs sociaux, économiques et agricoles à travers l’action climatique dans l’ensemble du Sahel. Actions stratégiques et axes d’investissement prioritaires 79 Bibliographie AfDB (African Development Bank). 2022. Chad: Project in Support of the Agricultural Sector and in Response to the Food Crisis in Chad (PASARCA). Appraisal report for the Republic of Chad, Abidjan. AfDB (African Development Bank). 2023. Evaluation des stratégies et programmes pays 2011–2020. Evaluation report, Abidjan. AU (African Union). 2020. Framework for Irrigation Development and Agricultural Water Management. AU, Addis Ababa. AU (African Union) Commission. 2014. Malabo Declaration on Accelerated Agricultural Growth and Transformation for Shared Prosperity and Improved Livelihoods. AU, Addis Ababa. 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