GABON Groupe de la Banque mondiale RAPPORT NATIONAL SUR LE CLIMAT ET LE DEVELOPPEMENT Rapport principal Novembre 2025 © 2025 Banque internationale pour la reconstruction et le développement/la Banque mondiale 1818 H Street NW Washington, DC 20433 Téléphone : 202-473-1000 Site web : www.worldbank.org Cet ouvrage a été établi par les services de la Banque mondiale avec la contribution de collaborateurs extérieurs. Les constatations, interprétations et conclusions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement les opinions de la Banque mondiale, de ses Administrateurs, ou des gouvernements qu’ils représentent. La Banque mondiale ne garantit ni l’exactitude, ni l’exhaustivité, ni l’actualité des données citées dans cet ouvrage. 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Table des matières Abréviations................................................................................................................................................... v Remerciements ............................................................................................................................................ vi Résumé exécutif.......................................................................................................................................... vii 1. Introduction – Le développement du Gabon dans un contexte climatique en évolution ......................... 1 1.1 Contexte de développement ............................................................................................................... 1 1.2 Climatologie et risques liés au changement climatique et aux aléas naturels ................................... 4 1.3 Opportunités et risques pour un développement à faibles émissions de carbone ............................ 9 2. Engagements, politiques et capacités institutionnelles du Gabon en matière de changement climatique ................................................................................................................................................................... 11 2.1 Contexte : défis majeurs en matière de gouvernance et fort potentiel d’avantages à tirer des politiques sur le changement climatique ................................................................................................12 2.2 Intégration des considérations climatiques dans la planification, la budgétisation et la gestion des finances publiques ..................................................................................................................................15 2.3 Renforcer la confiance pour un financement international : Tirer parti de la réadhésion à l’Initiative pour la transparence des industries extractives et renforcer les politiques de lutte contre la corruption ................................................................................................................................................................18 2.4 Renforcer les institutions pour porter l’action climatique à plus grande échelle .............................19 3. Renforcer la résilience climatique à travers les infrastructures, le capital naturel et le développement humain ....................................................................................................................................................... 21 3.1 Environnement bâti et infrastructures ..............................................................................................22 Décarboner le secteur de l’électricité .............................................................................................................. 22 Renforcer la sécurité hydrique ......................................................................................................................... 29 Gérer les risques climatiques dans les centres urbains ................................................................................. 32 Renforcer la résilience du transport et la connectivité numérique ................................................................ 39 3.2 Gestion du capital naturel.................................................................................................................42 Augmenter la productivité et la production (agriculture, pêche et sécurité alimentaire) ............................. 42 Promouvoir une gestion durable des forêts et la création de valeur ajoutée locale ..................................... 50 3.3 Développement du capital humain ...................................................................................................59 Préparer les systèmes de santé à la prise en charge des maladies et des urgences sanitaires sensibles au climat ................................................................................................................................................................. 59 Renforcer la résilience des systèmes éducatifs face au climat et développer les compétences vertes ..... 60 Soutenir une protection sociale inclusive et adaptée au climat .................................................................... 63 Réduire les déficits d’emplois et autonomiser les travailleurs pour une économie verte ............................ 67 4. Quelles politiques macroéconomiques et budgétaires pour atteindre les objectifs climatiques et de développement au Gabon ? ....................................................................................................................... 70 4.1 Climat et croissance : Comment le Gabon peut-il favoriser une économie plus robuste et inclusive tout en atténuant les impacts négatifs du changement climatique sur son économie et sa population ? ................................................................................................................................................................71 Réformes pour libérer le potentiel du Gabon et tracer une trajectoire de croissance robuste .................... 71 Investir dans la résilience pour s’adapter au changement climatique et en atténuer les impacts ............. 75 ii 4.2 Climat, pauvreté et inégalités : Quel sera l’impact du changement climatique sur les populations les plus pauvres et comment ses effets seront-ils répartis au sein de la société ? Comment protéger les plus vulnérables des chocs climatiques ? ...............................................................................................82 Adopter une approche centrée sur les populations dans l’agenda climatique ............................................. 88 4.3 Implications budgétaires : Quel sera l’impact du changement climatique sur les finances publiques et quel sera le coût de l’adaptation en vue de bâtir une économie plus résiliente ? .............................89 Politiques fiscales vertes : Générer davantage de recettes pour le climat et le développement ................ 92 Politiques de dépenses : améliorer leur ciblage et leur efficacité pour atteindre les objectifs budgétaires et climatiques ........................................................................................................................................................ 94 4.4 Besoins de financement : Comment faciliter la participation du secteur privé et mobiliser les financements climatiques pour répondre aux enjeux du climat et du développement ? .......................96 Créer des opportunités de croissance et de participation à l’action climatique pour le secteur privé ........ 96 Promouvoir l’appui du secteur financier national à l’action climatique et à la croissance verte ................. 99 Explorer les options de mobilisation des financements climatiques internationaux ..................................101 5. Conclusions et recommandations........................................................................................................ 105 Liste des figures, tableaux et encadrés RE Figure 1. Pertes annuelles en pourcentage du PIB entre 2025 et 2050 selon les scénarios de climat et de croissance ...................................................................................................................................................... ix Figure 1.1.Parts et évolution de la richesse totale (Pourcentage), 2018 4 Figure 1.2. Températures et précipitations moyennes mensuelles, 1991-2020 ...........................................5 Figure 1.3. Évolution de 2031 à 2050 par rapport à de 1995 à 2020, par scénario climatique..................7 Figure 1.4. Sources des émissions de gaz à effet de serre du Gabon, 1990-2021 .......................................9 Figure 3.5. Projection de la production et du mix de capacités pour les scénarios de Base, NZP et NZPI (2024, 2030, 2050). ........................................................................................................................................ 24 Figure 3.6. Mix des capacités par scénario de sensibilité et intensité des émissions dans les différents scénarios énergétiques d’ici 2030. ................................................................................................................. 24 Figure 3.7. Besoins d’investissement actualisés pour le scénario NZPI (à gauche) et coûts totaux du système dans le scénario NZPI/NZPI (DH) ...................................................................................................... 27 Figure 3.8. Parts des différents secteurs dans les émissions urbaines à Libreville et dans les villes de niveau de revenu ou de taille similaire............................................................................................................ 34 Figure 3.9. Coûts supplémentaires annuels et retards dans le cadre du scénario de référence sans adaptation pour la période 2041-2050 .......................................................................................................... 41 Figure 3.10. Projections des coûts routiers annuels et dommages annuels moyens aux ponts ................ 41 Figure 3.11. Rendement des principales cultures 1960 - 2022. .................................................................. 43 Figure 3.12. Choc sur la production des cultures pluviales dans le scénario de référence, 2041-2050 .. 47 Figure 3.13. Comparaison entre les écoles en milieux urbain et rural en termes de préparation des élèves, de compétence des enseignants et de disponibilité d’infrastructures ............................................ 61 Figure 3.14. Évolution des différents types de catastrophes naturelles affectant le Gabon (1980-2040) 62 Figure 3.15. Incidence des chocs, selon le statut de pauvreté ..................................................................... 66 Figure 3.16. Ampleur des pertes liées aux chocs climatiques selon le type et le statut de pauvreté ........ 66 Figure 3.17. Chocs sur la productivité de la main-d’œuvre, par secteur, 2041-2050 ................................ 68 Figure 4.18. Projections des pertes de PIB (en pourcentage du PIB) dues au changement climatique à l’horizon 2050, selon les scénarios de référence et de réforme, avec et sans mesures d’adaptation. ..... 77 Figure 4.19. Projection des impacts des chocs climatiques sur le marché de l’emploi au Gabon ............. 79 Figure 4.20. Pertes de PIB dues aux chocs climatiques, comparées au scénario de statu quo ................. 80 Figure 4.21. Réduction de la pauvreté globale et par région, selon le scénario de croissance .................. 84 iii Figure 4.22. Projections des impacts du changement climatique sur la pauvreté à l’horizon 2050, selon différents scénarios. ......................................................................................................................................... 85 Figure 4.23. Impacts spatiaux du changement climatique sur la pauvreté. ................................................ 85 Figure 4.24. Projections budgétaires (en pourcentage du PIB) ..................................................................... 90 RE Tableau 1. Scénarios de croissance et projections des pertes liées aux chocs climatiques au Gabon, 2025-2050........................................................................................................................................................ viii RE Tableau 2. Résumé des principales recommandations et priorités par thématique .............................. xv Tableau 1.1. Évolution de la température et des précipitations moyennes à l’échelle nationale, par décennie par rapport à la situation de référence ..............................................................................................7 Tableau 2.2. Résumé de la gestion des finances publiques en rapport au climat au Gabon ..................... 15 Tableau 2.3. Matrice des politiques institutionnelles proposées pour renforcer l’action climatique au Gabon ................................................................................................................................................................ 20 Tableau 3.4. Évolution des taux de mortalité et de morbidité (pour 100 000 personnes) par maladie, 2041-2050........................................................................................................................................................ 59 Tableau 4.5. Trajectoire de développement du Gabon de 2025 à 2050 : scénarios de référence et aspirationnels.................................................................................................................................................... 74 Tableau 4.6. Avantages et coûts des investissements en adaptation climatique modélisés dans le CCDR du Gabon, 2025-2050 ..................................................................................................................................... 81 Encadré 2. 1. Classification climatique du budget : l’expérience internationale ......................................... 17 Encadré 3.2. Interventions d’aide sociale adaptées au climat...................................................................... 54 Encadré 3.3. Foresterie – Une opportunité pour des emplois plus nombreux, de meilleure qualité et durables au Gabon ........................................................................................................................................... 65 Encadré 4.4. Expériences internationales en matière de solutions de financement climatique innovantes ......................................................................................................................................................................... 104 iv Abréviations ANIF (Agence Nationale d’Investigation Financière) EMU (Essences moins utilisées) ANPN (Agence Nationale des Parcs Nationaux) ESG (Environnement, social et gouvernance) ARMP (Autorité de Régulation des Marchés Publics) EU (Union européenne) ARSEE (Agence de Régulation du Secteur de l’Eau FCFA (Franc CFA de l’Afrique centrale) potable et de l’Énergie électrique) FCFFD (Forte couverture forestière, faible déforestation) AWWA (Association Américaine des Travaux de l’Eau) FCWC (Comité des Pêches pour le Golfe de Guinée BAD (Banque africaine de développement) Centre-Ouest) BEAC (Banque des États de l’Afrique Centrale) FGIS (Fonds Gabonais d’Investissements Stratégiques) BESS (Système de stockage d’énergie par batterie) FIDA (Fonds International de Développement Agricole) BVMAC (Bourse des Valeurs Mobilières de l’Afrique GEF (Fonds pour l’environnement mondial) Centrale) GFDRR (Facilité mondiale pour la réduction des CAADP (Programme Détaillé de Développement de catastrophes et le redressement) l’Agriculture Africaine) GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur CAFI (Initiative pour la Forêt de l’Afrique centrale) l’Évolution du Climat) CATF (Changement d’affectation des terres et foresterie) GIRE (Gestion intégrée des ressources en eau) CBD (Convention sur la diversité biologique) GRAIN (Programme GRAINE) CEEAC (Communauté Économique des États de l’Afrique GRC (Gestion des risques de catastrophes) Centrale) HFO (Fioul lourd) CEMAC (Communauté Économique et Monétaire de IAN (Indice d’adoption du numérique) l’Afrique Centrale) ICH (Indice du capital humain) CGE (Équilibre général calculable) ICMA (Association internationale des marchés de CIMA (Centro Internazionale in Monitoraggio Ambientale) capitaux) CMIP6 (Projet d’intercomparaison des modèles couplés ICP (Indicateurs clés de performance) 6) IDE (Investissement direct étranger) CNAMGS (Caisse Nationale d’Assurance Maladie et de Garantie Sociale) IFM (Indice de la faim dans le monde) CNEE (Compagnie Nationale d’Eau et d’Électricité) ILOSTAT (Base de données de l’Organisation Internationale du Travail) CNLCEI (Commission Nationale de Lutte contre l’Enrichissement Illicite) ITIE (Initiative pour la transparence dans les industries extractives) COBAC (Commission Bancaire de l’Afrique Centrale) ITTO (Organisation Internationale des Bois Tropicaux) COMIFAC (Commission des Forêts d’Afrique Centrale) LOLFEB (Loi organique relative aux lois de finances et à COSUMAF (Commission Régionale des Marchés l’exécution du budget) Financiers de l’Afrique Centrale) MCG (Modèles de circulation générale) CSAIP (Plan d’investissement pour une agriculture climato-intelligente) MEFEPEPN (Ministère des Eaux et Forêts, de la Pêche et de la Protection de la Nature) CVTD (Centre de valorisation et de traitement des déchets) MEnv (Ministère de l’Environnement) EBMC (Essences de bois moins connues) MERH (Ministère de l’Énergie et des Ressources Hydrauliques) EDGAR (Base de données sur les émissions pour la recherche atmosphérique mondiale) OIT (Organisation internationale du travail) EDS (Enquête démographique et de santé) PACI (Pratiques d’agriculture climato-intelligente) EEC (Évaluation externe conjointe) PMA (Perte moyenne annuelle) EGEP (Enquête gabonaise pour l’évaluation de la RRC (Réduction des risques de catastrophes) pauvreté) S&E (Suivi et évaluation) EIA (Agence d’Investigation Environnementale) STBF (Station de traitement de boues fécales) v Remerciements Le présent Rapport National sur le Climat et le Développement (Country Climate and Development Report, CCDR) du Gabon a été rédigé par une équipe de la Banque mondiale dirigée par Madhavi M. Pillai, Erick Tjong et Yang Liu et composée de Sonia Barbara Ondo Ndong et Sabrina Sharmin Haque. Ce rapport a bénéficié des précieuses contributions des équipes de la Banque mondiale spécialisées dans les secteurs de l’énergie et des industries extractives, de la modélisation macroéconomique, de la finance et de la compétitivité, de la pauvreté, de la gouvernance, de la protection sociale, de l’inclusion sociale, de l’éducation, de la santé, des transports, de l’eau, de l’agriculture, de l’environnement, du développement numérique, de l’urbanisme, du Trésor et de la Société Financière Internationale (SFI), représentées par : Abel Bove, Alexandra Gordina, Amadou Makhtar Fall, Andre L. Carletto, Anne Marynczak, Ann-Sophie Jespersen, Anupurba Roy, Bernard Yungu Loleka, Besong Joseph Neiville Agbor, Bogachan Benli, Christina Paul, Clarence Tsimpo Nkengne, Daria Lavrentieva, Fabienne Mroczka, Gabriel Negedu David, George Henry Stirrett, Gildas Bopahbe Deudibe, Guy Olivier Ondo Assame, Guyslain Kayembe Ngeleza, Heriniaina Mikaela Andrianasy, Ioana Botea, Jean Philippe Garcon, Laurent Damblat, Lida Bteddini, Lisa Michelle Choux, Majd Olleik, Marguerite Clarke, Martin Aaroee Christensen, Martin Oswald, Mena Cammett, Mervy Ever Viboudoulou Vilpoux, Mei Aileen Lam, Morten Larsen, Michael Thibert, Nathalie Andrea Wandel, Nicole Nguema Metogo, Papa Modou Ndiaye, Simon Rietbergen, Tom Remy, Theophile Bougna, Ulrike Lehr, Vsevolod Payevskiy et Xavier Stéphane Decoster. Simon Rietbergen est malheureusement décédé au cours de la préparation de ce rapport. Nous lui sommes profondément reconnaissants pour ses contributions inestimables, et sa mémoire continue d’inspirer notre travail. L’équipe tient à exprimer sa profonde reconnaissance envers l’équipe de la société Industrial Economics (IEc), composée de Brent Boehlert, Diego Castillo et Kim Smet, qui a dirigé l’analyse des canaux d’impact et la modélisation de l’adaptation aux changements climatiques. Elle adresse également ses remerciements à Félicien Meunier de l’Université de Gand, en Belgique, pour sa contribution à la modélisation des impacts climatiques sur les forêts. L’équipe a bénéficié des conseils des membres du comité de lecture et leur exprime sa gratitude : Tom Remy, Urvashi Narain et Raju Singh. Elle remercie également Carolina Monsalve, Kanta Kumari Rigaud, Sebastian-A Molineus et Victor Bundi Mosoti pour leurs commentaires constructifs. Des remerciements particuliers sont adressés aux membres de la Direction et leurs équipes pour leur orientation et leur soutien, notamment : Ousmane Diagana, Chakib Jenane, Abebe Adugna, Cheick Fantamady Kante, Aissatou Diallo, Charlotte Ndaw, Lia Sieghart, Sandeep Mahajan, Ashish Khanna, Ani Balabanyan, Robert Johann Utz, Nabil Chaherli, Craig Meisner, Asha Johnson, Sidonie Jocktane, Aurore Simbananiye, Antoinette Kouna Kiki et Nejma Cheyi Koussou. Enfin, l’équipe tient à exprimer sa profonde gratitude aux ministères, aux agences et aux institutions du Gouvernement du Gabon pour leur précieuse collaboration et leur soutien tout au long de la préparation de ce rapport. Ce projet n’aurait pas été possible sans l’engagement et l’expertise des représentants gouvernementaux, qui ont fourni des données essentielles, des analyses approfondies et des orientations stratégiques tout au long du processus. L’équipe est particulièrement reconnaissante pour le leadership et l’implication des Ministères en charge de l’Economie, de l’Environnement et du Climat, et spécialement à M. Eric Oyame Evouna, Conseiller Technique du Ministre en charge de l’Economie et point focal du Gouvernement pour le présent rapport. vi Résumé exécutif Le Gabon a une occasion unique de stimuler une croissance plus inclusive, de réduire davantage la pauvreté et de bâtir une économie plus résiliente dans l’ère post-pétrolière. Une action climatique forte peut contribuer à accélérer les progrès vers la réalisation de ces objectifs. Le Gabon dispose d’une occasion unique de favoriser une croissance inclusive, de réduire la pauvreté et de construire une économie résiliente dans l’après-pétrole. L’action climatique peut accélérer les progrès vers ces objectifs. Le principal défi du développement du Gabon est de parvenir à une croissance plus soutenue et à une réduction de la pauvreté. Une croissance plus vigoureuse est nécessaire, indépendamment des chocs climatiques attendus, afin de créer davantage d’emplois, d’améliorer le niveau de vie et de permettre au pays d’opérer sa transition vers une économie post-pétrole viable. Dans le cadre des réformes économiques orientées vers la croissance, l’adaptation au changement climatique — centrée sur les populations — doit être au cœur de la trajectoire de développement du pays. Pourtant, le changement climatique risque d’aggraver la pauvreté et les inégalités régionales dans un pays qui est déjà confronté à des défis structurels de longue date pour élargir l’accès aux opportunités économiques et améliorer la couverture des services publics de base, en particulier dans les zones rurales. Grâce à ses émissions nettes nulles, à ses solides engagements climatiques et à ses efforts ambitieux pour protéger ses vastes forêts et tirer parti de leur capacité d’absorption du carbone, le Gabon joue un rôle clé dans l’atténuation du changement climatique à l’échelle mondiale. Pourtant, d’ici le milieu du siècle, les températures au Gabon devraient augmenter en moyenne de 1,34 °C, avec des hausses plus marquées dans les régions au sud du pays. Les variations des précipitations et des phénomènes extrêmes (notamment les périodes de sécheresse) devraient fluctuer au fil des années, mais les niveaux de précipitations devraient globalement augmenter par rapport aux niveaux historiques, atteignant jusqu ’à 30 pour cent de hausse dans certaines régions à l’horizon 2050. En plus des changements climatiques prévus à long terme, le Gabon est exposé à une intensification des phénomènes météorologiques extrêmes et des catastrophes naturelles, notamment les inondations, les sécheresses, les vagues de chaleur et l ’érosion des sols. Le niveau de la mer devrait également s’élever de manière significative, d’environ 0,2 mètre à l’horizon 2050, impactant les littoraux y compris les villes de Libreville et Port-Gentil. Les bouleversements climatiques accentuent les défis auxquels sont confrontés la population et l’économie du Gabon. Une croissance plus soutenue, portée par le secteur privé et appuyée par des réformes économiques, renforcerait la résilience du pays. Elle favoriserait l’émergence d’une économie plus vaste et plus diversifiée, créant davantage d’emplois productifs et réduisant la pauvreté. Toutefois, des investissements ciblés dans des actions d’adaptation resteront nécessaires pour atténuer les effets des chocs climatiques. Selon les estimations du Rapport national sur le climat et le développement (CCDR) du Gabon, les impacts du changement climatique pris en compte dans ce rapport pourraient entraîner des pertes de PIB de 3,5 à 5,3 pour cent par an à l’horizon 2050 par rapport à la trajectoire de référence dans un scénario de statu quo (Tableau 1). Alors que les risques dans l’ensemble sont plus élevés, mais que d’autres risques n’ont pu être pris en compte, ces pertes proviendraient principalement d’une baisse de la productivité de la main- d’œuvre due à l’augmentation du stress thermique, suivie d’une diminution des rendements et des revenus agricoles, de dommages aux infrastructures et de l’aggravation de maladies sensibles au climat (Figure 1). vii Selon les constats du CCDR, même dans un scénario optimiste de « réforme » et croissance accélérée (Tableau 1) reposant sur des mesures visant à stimuler la croissance et la création d’emplois — telles qu’une gouvernance renforcée, l’amélioration du climat des affaires, un meilleur accès au crédit, aux infrastructures et aux compétences, ainsi que la diversification des matières premières et le développement industriel — les pertes annuelles prévues dues au changement climatique resteraient élevées, quoiqu’inférieures à celles du scénario de statu quo. Le PIB enregistrerait toujours des pertes estimées entre 3,1 et 4,8 pour cent par an à l’horizon 2050 dans le scénario de réformes. Bien qu’une croissance plus élevée, susceptible de renforcer la capacité d’adaptation aux changements climatiques à long terme, se produise dans ce scénario, le pays resterait fortement exposé aux effets du changement climatique. En effet, la diversification économique se concentrerait sur des secteurs particulièrement vulnérables, tels que l’agriculture, le bois et la pêche. Des secteurs considérés comme stratégiques pour l’investissement privé et la transformation structurelle — tels que le bois, l’agroalimentaire et la pêche — resteraient néanmoins exposés aux chocs climatiques, en raison de leur dépendance à la main-d’œuvre travaillant en extérieur et des effets du changement climatique sur les cultures, les ressources halieutiques et les forêts. Cette situation met en lumière le fait que la croissance seule, sans efforts ciblés d’adaptation visant à renforcer la résilience de la main-d’œuvre, de l’agriculture et des infrastructures face aux changements climatiques, ne suffirait pas à protéger le Gabon de dommages climatiques significatifs. Parallèlement, indépendamment du changement climatique, les réformes structurelles constituent une priorité absolue pour atteindre les objectifs de développement du pays. Dans un scénario de réforme, ces réformes économiques permettraient une croissance plus forte et plus inclusive, créant davantage d’emplois, générant des revenus nettement plus élevés et des niveaux de pauvreté bien plus faibles. RE Tableau 1. Scénarios de croissance et projections des pertes liées aux chocs climatiques au Gabon, 2025-2050 Effets climatiques Effets climatiques (atténués par les Scénario projetés (dans le mesures de Hypothèses cadre des d’adaptation croissance « politiques énoncées dans le actuelles ») CCDR) Croissance modérée et réduction graduelle de la pauvreté, sur la base d’un prolongement des tendances historiques. La croissance serait principalement tirée par l’exploitation des matières premières, notamment les mines, le bois et l’agriculture. • Croissance du PIB d’environ 2,4 % entre 2025 et 2050 (0,7 % par • Pertes • Pertes Scénario habitant). moyennes moyennes de statu • PIB par habitant à l’horizon 2050 : 11 000 USD. annuelles de annuelles de quo (SSQ) 3,5 % à 5,3 % 2,1 % à 3,8 % • Taux de pauvreté à l’horizon 2050 : 10,2 % (seuil de 6,85 USD/jour du PIB à du PIB à en PPA 2017). l’horizon l’horizon • Part des secteurs dans le PIB à l’horizon 2050 : secteur primaire : 2050. 2050. 11 % ; secteur secondaire : 33 % ; secteur tertiaire : 56 %. • Augmentation progressive des recettes hors pétrole, atteignant 17 % du PIB en 2050. • Hausse des dépenses publiques au-delà de 16 % du PIB en 2050. viii Des réformes ambitieuses permettraient d’améliorer significativement la gouvernance et le climat des affaires, générant une croissance plus forte, des meilleures conditions de vie et une réduction beaucoup plus significative de la pauvreté. Les réformes et les investissements favoriseraient une exploitation durable des mines, du bois et de l’agriculture, ainsi que le développement industriel et des services. Une augmentation des investissements privés, des exportations et de la consommation privée stimulerait la création d’emplois et la demande locale. • Pertes • Pertes Scénario • Croissance du PIB d’environ 4,7 % entre 2025 et 2050 (3,1 % par moyennes moyennes de habitant). annuelles de annuelles de 3,1 % à 4,8 % 1,9 % à 3,5 % réformes • PIB par habitant à l’horizon 2050 : 20 000 USD. du PIB à du PIB à • Taux de pauvreté à l’horizon 2050 : 1,8 % (seuil de 6,85 USD/jour en l’horizon l’horizon PPA 2017). 2050. 2050. • Part des secteurs dans le PIB à l’horizon 2050 : secteur primaire : 10 % ; secteur secondaire : 39 % ; secteur tertiaire : 51 %. • Augmentation plus marquée des recettes hors pétrole, atteignant presque 19 % du PIB à l’horizon 2050 grâce aux réformes de mobilisation des recettes intérieures • Dépenses publiques contenues à 15 % du PIB en 2050 grâce à une plus grande efficience des dépenses et une croissance plus forte. RE Figure 1. Pertes annuelles en pourcentage du PIB entre 2025 et 2050 selon les scénarios de climat et de croissance Source : Calculs de la Banque mondiale et d’IEc. SSQ = scénario de statu quo. Le CCDR envisage deux scénarios de croissance : le scénario de statu quo et le scénario de réforme. Les impacts des chocs climatiques dans un futur humide/ chaud, ainsi que dans un futur sec/très chaud, sont analysés pour les deux scénarios. Les effets sont projetés avec et sans mesures d’adaptation spécifiques. Alors que les scénarios de statu quo et de réforme intègrent certaines formes d ’adaptation implicite au changement climatique, le scénario d ’action climatique inclut des interventions spécifiques, telles que l’installation d’équipements de refroidissement dans les espaces intérieurs, l’utilisation de cultures agricoles résistantes à la chaleur, l’irrigation, la réhabilitation des routes revêtues et non revêtues, le zonage urbain et côtier, ainsi que la protection des infrastructures existantes contre les inondations à Libreville et dans les zones côtières. D’autres mesures d’adaptation essentielles, notamment en matière de santé humaine, n’ont pas été prises en compte en raison des limitations dans la disponibilité de données. Le Gabon a besoin d’une croissance plus forte, portée par le secteur privé et source de davantage d’emplois, basée sur des politiques qui placent les populations au cœur des priorités tout en intégrant les risques climatiques. ix Selon les estimations du CCDR, en fonction des chocs climatiques le taux de pauvreté pourrait être supérieur de presque 2 points de pourcentage à l’horizon 2050 dans un scénario climatique plus sévère, entraînant une augmentation du nombre de personnes vivant dans la pauvreté de 52 000. Bien que la pauvreté devrait reculer graduellement dans le scénario de statu quo et beaucoup plus significativement avec le scénario de réformes, ces progrès seraient partiellement compromis en l’absence de mesures ciblées d’adaptation au changement climatique. Les moyens de subsistance des personnes ayant un faible niveau d’instruction et des groupes vulnérables, tels que les travailleurs du secteur informel, pourraient être plus durement affectés, en raison de leur manque d’accès aux mécanismes d’assurance, à la protection sociale et à d’autres dispositifs d’atténuation. La pauvreté en milieu rural serait aussi particulièrement affectée en raison des impacts importants sur l’agriculture et les autres secteurs dépendant des activités en extérieur. Les femmes seraient également fortement touchées en raison d’un accès inégal aux ressources, d’une plus grande dépendance à des moyens de subsistance sensibles au climat et d’une possible augmentation des violences basées sur le genre. En effet, les femmes sont plus susceptibles de travailler dans des secteurs particulièrement touchés par le changement climatique, tels que l’agriculture et le commerce de détail pour certains produits. Elles ont également tendance à avoir moins de ressources et d’actifs à leur disposition, ce qui limite leur capacité à faire face à des phénomènes météorologiques extrêmes. Les chocs climatiques pourraient ainsi avoir des effets plus marqués sur certains groupes vulnérables que sur l’ensemble de la population. Le changement climatique risque d’exacerber les inégalités et d’avoir des répercussions plus sévères dans certaines régions, ainsi que pour les femmes et certains groupes selon le niveau d’instruction ou la tranche d’âge. Cela nécessite une stratégie d’adaptation qui tienne compte des besoins et de la situation spécifiques de ces groupes. Bien que les gains en termes de résilience climatique issus du scénario de réformes puissent sembler modestes, ces réformes permettraient de faire croître l’économie de manière significative, doublant pratiquement les niveaux de revenu d’ici 2050. Cependant, la stratégie de développement et de diversification du Gabon devrait tenir compte des éventuels effets du changement climatique sur les moteurs de la croissance future et le marché de l’emploi. Bien que l’emploi soit une priorité majeure pour le Gouvernement, les chocs climatiques risquent de compromettre fortement les efforts de création d’emplois, avec des pertes pouvant atteindre jusqu’à 5 100 emplois par an à l’horizon 2050, soit 0,3 pour cent de la population en âge de travailler, en particulier dans l’industrie manufacturière et les services, deux secteurs clés pour la transformation économique. Les dimensions sociales sont également cruciales, étant donné que la croissance de l’économie nationale reposerait en grande partie sur des secteurs tels que l’agriculture et la pêche, particulièrement vulnérables aux chocs climatiques et employant une large part des populations à faibles revenus. Le changement climatique affecterait de manière disproportionnée les populations les plus pauvres, qui vivent souvent dans des zones exposées aux aléas, travaillent dans des secteurs plus vulnérables tels que la pêche et l’agriculture, ou occupent des emplois en extérieur et par ailleurs peuvent disposer de ressources insuffisantes pour faire face aux chocs. Selon l’analyse menée dans le cadre du CCDR, l’augmentation des températures à elle seule pourrait entraîner une baisse de la productivité de la main- d’œuvre pouvant atteindre 5 pour cent à l’horizon 2050 en raison du stress thermique, notamment dans l’agriculture et parmi les travailleurs en extérieur, des groupes qui affichent déjà des taux de pauvreté plus élevés. Le Gabon dépendant largement des importations alimentaires actuellement, les plans du Gouvernement pour renforcer la production locale et créer davantage d’emplois agricoles pour les communautés rurales pourraient être compromis. Les évolutions climatiques devraient entraîner une réduction des rendements agricoles de 8 pour cent en raison des changements dans les régimes de précipitations et de l’érosion, ainsi qu’une diminution des stocks halieutiques pouvant atteindre 30 pour x cent, aggravant ainsi la perte de revenus et une insécurité alimentaire déjà élevée. Par ailleurs, la multiplication et l’intensification des aléas naturels, tels que les vagues de chaleur et les inondations, risquent de perturber l’accès à l’éducation, au logement et aux infrastructures de base, accentuant les inégalités. Selon les estimations du CCDR, à l’horizon 2050, les cas de maladies liées à la chaleur et les maladies d’origine hydrique pourraient augmenter de plus de 200 pour cent et 15 pour cent, respectivement, sous certains scénarios climatiques. En réponse à ces défis, il est essentiel d'adopter une approche centrée sur les populations, plaçant l’équité sociale au cœur de la résilience et de l’adaptation climatique. Cela implique la mise en œuvre de politiques visant à protéger et à soutenir les populations pauvres et vulnérables, notamment par l’introduction de filets de sécurité sociale résilients, le renforcement de la gestion des risques de catastrophe et de la préparation face au climat, ainsi que l’amélioration de l’accès à des soins de santé abordables. Les enjeux climatiques et de développement sont étroitement liés, et les investissements climatiques offrent des opportunités de croissance plus larges ainsi que de plus grands gains sociaux. Sur la base des projections des effets macroéconomiques et sur la pauvreté du changement climatique, ce CCDR relève trois domaines prioritaires sur lesquels les efforts d’adaptation devraient être ciblés : 1) l’environnement bâti et les infrastructures, 2) la gestion du capital naturel et 3) le développement du capital humain. L'investissement dans des mesures d’adaptation climatique ciblées peut contribuer à réduire les impacts économiques et sociaux projetés du changement climatique, et à renforcer la résilience de l’économie. Il serait essentiel de mettre en place des stratégies d’adaptation équitables et centrées sur les populations dans ces domaines pour garantir que les efforts en faveur de la résilience favorisent une croissance économique plus forte et plus inclusive, tout en apportant un appui concret aux communautés les plus vulnérables du Gabon. Le Tableau 2 présente un résumé des principales recommandations et priorités par thématique. Par exemple, le renforcement des infrastructures dans les zones urbaines, où vivent plus de 90 pour cent de la population, à travers des investissements dans des systèmes de transport, de logement et de drainage résilients au climat, peut contribuer à réduire considérablement les risques d’inondation, en particulier dans les quartiers informels qui abritent plus d’un tiers de la population urbaine. En milieu rural, l’amélioration de la connectivité et l’élargissement de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement sont des priorités urgentes pour contenir les risques sanitaires croissants. Le renforcement de la résilience des systèmes éducatifs, notamment en veillant à ce que les écoles soient mieux équipées pour résister aux chocs climatiques et en intégrant la sensibilisation au climat dans les programmes scolaires, permettrait de mieux protéger les acquis d’apprentissage et de promouvoir le développement de compétences vertes. De même, le renforcement des systèmes de santé pour mieux faire face aux maladies sensibles au climat et l’élargissement des dispositifs de protection sociale afin de préserver les ménages des chocs économiques et environnementaux seraient essentiels à la protection et au développement du capital humain du pays. L’accélération des efforts en cours pour préserver le capital naturel du Gabon, notamment par des pratiques de gestion durable des forêts, permettrait également de garantir les services écosystémiques tout en soutenant les moyens de subsistance des communautés dépendantes des forêts. En effet, les vastes ressources naturelles contenues dans les forêts gabonaises offrent un potentiel économique important dans le cadre d’une gestion durable du bois et d’autres ressources forestières, telles que les aliments, les plantes médicinales, l’écotourisme et les services de rétention du carbone et des sédiments. xi Par ailleurs, le changement climatique ne représente pas seulement un risque, mais aussi une opportunité pour l’économie gabonaise. Ces trois domaines offrent des opportunités stratégiques pour renforcer les efforts d’atténuation tout en respectant les engagements du pays en faveur d ’une croissance à faibles émissions de carbone. On pourrait citer comme exemple l’’expansion des sources d’énergie renouvelable, telles que l’hydroélectricité et l’énergie solaire, qui peut réduire la dépendance à l’énergie thermique tout en améliorant la sécurité énergétique et en réduisant le coût de l’énergie. L’élimination du torchage du gaz, qui constitue une source majeure d’émissions de gaz à effet de serre au Gabon, grâce à la commercialisation du gaz associé à la production de pétrole, permettrait d’améliorer l’approvisionnement et de réduire les coûts de production de l’énergie. Enfin, l’amélioration de la performance des services d’électricité et d’eau offrirait des avantages à la fois économiques et environnementaux par une réduction des pertes. En outre, il serait essentiel de concevoir des initiatives pour une adaptation proactive du marché du travail face aux changements climatiques. Les secteurs de l’agriculture, de la foresterie et de la pêche, qui emploient 19 pour cent de la population active, sont particulièrement vulnérables à la hausse des températures terrestres et océaniques ainsi qu’aux modifications des régimes de précipitations. Des mesures d’adaptation ciblées seraient donc nécessaires pour protéger les moyens de subsistance des populations. La deuxième Contribution déterminée au niveau national (CDN) du Gabon met en avant le potentiel des politiques climatiques en termes de transformation du marché du travail à travers la création d’opportunités d’emplois verts dans la foresterie durable, les énergies renouvelables et l’agriculture climato-intelligente. L’investissement dans la reconversion professionnelle et dans la formation et l’éducation jouerait un rôle clé, permettant aux travailleurs de passer aux industries vertes, de maintenir leur productivité et de contribuer efficacement à une économie à faibles émissions de carbone. Ces efforts, combinés à des réformes et à une politique budgétaire visant à améliorer la gestion et la viabilité des finances publiques, permettraient de renforcer la résilience économique tout en réduisant la pauvreté et les inégalités. Il serait essentiel d’établir une combinaison de dépenses publiques ciblées et efficaces, de finances publiques durables et de réformes favorisant la croissance portée par le secteur privé et la création d’emplois afin de financer l’action climatique et de saisir les opportunités de croissance verte qui s’offrent au Gabon. Il serait essentiel de prioriser les investissements offrant les meilleurs retours économiques et sociaux pour assurer une planification efficace. Alors que les dommages liés au climat pourraient entraîner des pertes annuelles de PIB pouvant atteindre 5,3 pour cent d’ici le milieu du siècle dans un climat sec/très chaud, des investissements opportuns dans la résilience pourraient à la fois considérablement atténuer ces pertes et protéger les finances publiques. Selon les estimations du CCDR, l’adoption de mesures clés — telles que le renforcement de la résilience des routes et des ponts, la protection des infrastructures urbaines essentielles contre les inondations, l’amélioration du contrôle des températures dans les espaces de travail intérieurs, ainsi que l’expansion de l’irrigation, des techniques de réduction de l’érosion et des cultures agricoles résistantes à la chaleur — pourrait réduire les pertes de PIB de 5,3 à 3,8 pour cent. Bien qu’ils impliquent des coûts importants, estimés à 0,09 pour cent du PIB par an jusqu’en 2050, ces investissements permettraient de générer un gain net annuel de PIB de 1,5 pour cent à l’horizon 2050. À l’inverse, un scénario d’inaction exposerait l’économie et les populations à des menaces bien plus graves. Ces mesures d’adaptation ne sont pas seulement un choix économiquement judicieux, mais aussi un impératif social, étant donné qu’une plus grande résilience des infrastructures urbaines et routières et des xii cultures agricoles peut permettre de sauver des vies, de réduire les vulnérabilités et de mieux protéger les communautés contre les chocs climatiques. L’analyse menée dans le cadre du CCDR sur l’adaptation n’a pas pour objectif de prescrire des mesures spécifiques, mais plutôt d’illustrer les avantages à obtenir des efforts d’adaptation. Les pressions budgétaires pour répondre aux besoins de développement étant élevées, les actions devraient être envisagées en cohérence avec la situation budgétaire et avec la stratégie globale de politique publique du pays, sur la base d’une analyse rigoureuse de coûts et avantages. Des exercices comme celui-ci peuvent ainsi appuyer la prise de décisions stratégiques et aider à prioriser les investissements. Assurer une gestion durable des finances publiques et renforcer l’environnement pour un secteur privé florissant dans l’économie restent des éléments critiques pour l’avenir du pays. La baisse prévue des recettes pétrolières, la dépendance aux prix volatils des matières premières ainsi que les pressions sur les dépenses et sur la dette de l’état posent de sérieux défis aux finances publiques, appelant à des réformes ambitieuses pour améliorer l’efficacité des dépenses et pour mobiliser davantage de recettes publiques. Les efforts en cours, tels que la numérisation des systèmes fiscaux et douaniers, pourraient significativement renforcer la collecte des recettes fiscales. Cependant, des réformes plus larges restent indispensables, notamment la rationalisation de la dépense fiscale, l’amélioration du respect des obligations fiscales et l’adoption de politiques budgétaires contracycliques afin de constituer des marges budgétaires permettant de financer les investissements nécessaires à la croissance et à la réalisation des objectifs climatiques du pays. Les politiques fiscales vertes peuvent contribuer à la fois aux objectifs budgétaires et environnementaux, par exemple à travers des réformes visant à réduire le torchage de gaz et les subventions aux carburants. À plus long terme, réduire la dépendance au pétrole peut également atténuer les effets potentiels d’une trajectoire mondiale de décarbonation sur l’économie et les finances publiques du Gabon. Par ailleurs, les partenariats public-privé (PPP) peuvent jouer un rôle essentiel et contribuer à combler les besoins de financement, en particulier dans des secteurs tels que les énergies renouvelables, les transports et les infrastructures hydrauliques. Associées à des réformes en matière de gouvernance des finances publiques et à des mesures d’amélioration de l’environnement des affaires, ces initiatives pourraient attirer davantage d’investissements privés et encourager l’innovation. Les ressources publiques à elles seules ne suffiraient probablement pas à couvrir les besoins d’adaptation du pays face aux changements climatiques. Mobiliser les compétences, l’expertise et les financements du secteur privé, renforcer les politiques fiscales et tirer parti des opportunités de financement climatique, telles que les fonds climatiques mondiaux, seront essentiels pour permettre au Gabon de mobiliser le secteur privé en vue d’atteindre ses objectifs de développement et climatiques. Cependant, plusieurs défis structurels entravent la capacité du secteur privé à soutenir la croissance verte, notamment l ’informalité, les défis rencontrés en matière d’accès au crédit, l’inadéquation entre les compétences de la main-d’œuvre et les besoins du marché, les barrières commerciales ainsi que les défis en infrastructures. Des réformes ciblées visant à rationaliser et numériser les procédures administratives liées aux entreprises, améliorer l’accès au financement, telles que les mesures visant à élargir les mécanismes de garantie de crédit et à encourager les banques à adopter des pratiques de financement vert à travers une taxonomie verte, pourraient stimuler l’investissement dans des secteurs à haut potentiel tels que les énergies renouvelables, dans l’agriculture durable, l’agroforesterie et dans d’autres industries climato-intelligentes. Un dialogue public-privé renforcé permettrait également de mieux aligner les politiques sur les besoins du secteur privé, facilitant ainsi la conformité aux normes mondiales en évolution pour des produits et des marchés durables. Par exemple, les initiatives de foresterie durable, telles que les taux d’imposition de la taxe de superficie incitant à la production de bois certifié, illustrent le potentiel des politiques fiscales pour xiii concilier les objectifs environnementaux avec les opportunités de développement économique et de génération de recettes pour l’État. Bien que sa contribution nette aux émissions mondiales soit nulle, il serait important pour le Gabon de se préparer aux effets apportés par le changement climatique et d’envisager son développement futur à travers une approche climatique. Pour mobiliser les financements nécessaires et mieux coordonner les actions climatiques, des institutions plus solides et plus transparentes et une gouvernance renforcée restent essentielles. Le Gabon a démontré un engagement fort en faveur d’objectifs climatiques ambitieux à travers des accords internationaux et un cadre juridique solide, notamment avec l’adoption de la loi relative aux changements climatiques en 2022. Ces efforts constituent une fondation pour une gestion durable des terres, la régulation des émissions de gaz à effet de serre (GES) et le développement de systèmes de crédits carbone. Cependant, des défis en matière de gouvernance — y compris en matière d’inclusivité, de mise en œuvre des politiques et de transparence — continuent de limiter la capacité du pays à atteindre ses objectifs climatiques et de développement. Ces obstacles entravent la coordination des actions, restreignent l’accès aux financements et réduisent la mobilisation des citoyens et des entreprises dans la lutte contre le changement climatique. Les politiques climatiques adoptées par le Gabon ne sont pas encore pleinement opérationnalisées. Par exemple, l’Organisme de Gestion des Enjeux Climatiques, conçu comme un organe central de coordination dans le cadre de la Loi de 2022 sur le changement climatique, n’a pas encore été mise en place. De même, les textes d’application relatifs à des mesures essentielles, telles que le suivi des émissions de GES, les normes relatives aux crédits carbone et la planification de l’utilisation durable des terres, n’ont pas encore été adoptés. Ces lacunes ne ralentissent pas seulement les progrès ; elles aggravent également des problèmes existants, tels que l’incertitude associée aux droits fonciers, qui limite la participation des communautés locales et entrave une répartition équitable des avantages. Il serait important de remédier ces défis institutionnels afin de renforcer la confiance des partenaires internationaux, des investisseurs privés et des acteurs locaux. Parmi les autres priorités figurent l’intégration des risques climatiques dans la planification urbaine et des investissements, la finalisation de la loi sur l’aménagement du territoire, ainsi que la mise en œuvre opérationnelle du Fonds pour le climat. L’élargissement des mesures de protection contre les inondations et l’intégration des enjeux climatiques dans la planification urbaine, la gestion des investissements publics et les processus budgétaires sont essentiels, car les protections contre les inondations comptent parmi les mesures les plus efficaces pour limiter les pertes de PIB dans les scénarios d’adaptation. L’intégration des risques climatiques dans la gestion des investissements publics et dans les processus budgétaires, ainsi que l’adoption de normes environnementales, sociales et de gouvernance au sein des entreprises publiques et l’amélioration de leur transparence et de leurs performances opérationnelles et financières permettraient d’aligner les politiques nationales sur les bonnes pratiques internationales. Enfin, le recours à la budgétisation par programme et l’expérimentation de mécanismes de développement local intégrant la dimension climatique renforceraient l’efficacité des dépenses climatiques et la cohérence des actions menées vis-à-vis des priorités de développement plus larges du Gabon. Des institutions solides et transparentes sont une condition préalable à une participation accrue du secteur privé à l’économie et à l’action climatique. En apportant des réponses aux défis rencontrés en matière de gouvernance, en rendant pleinement opérationnel son cadre juridique lié au climat et en alignant xiv davantage ses politiques budgétaires sur ses engagements climatiques, le Gabon pourrait renforcer davantage sa position de leadership en matière de développement durable, ce qui lui permettrait également de consolider les bases institutionnelles nécessaires pour mobiliser des financements, pour renforcer sa résilience économique et climatique et réaliser ses ambitions en matière de croissance et de lutte contre le changement climatique. RE Tableau 2. Résumé des principales recommandations de politiques et priorités par thématique Recommandation clé Priorités à court terme Priorités à moyen et long terme DÉVELOPPEMENT DU CAPITAL HUMAIN • Formation du personnel de santé à la Préparer le système de prévention des maladies liées au climat • Mécanismes de sécurité sanitaire pour la santé à prendre en • Systèmes de données climatiques, préparation aux flambées de maladies, la charge les maladies et surveillance de la santé et renforcement des surveillance et le renforcement des urgences sanitaires sensibles au climat capacités du personnel pour la gestion des laboratoires risques sanitaires Renforcer la résilience • Intégration du changement climatique, de du système éducatif l’économie verte et des compétences vertes • Amélioration de l’accès à l’éducation dans les au changement dans les programmes scolaires régions vulnérables climatique et les compétences vertes • Infrastructures éducatives résilientes • Élargissement de l’aide sociale pour renforcer • Diversification de l’aide sociale pour faire face la capacite d’adaptation des populations aux risques liés au climat et protéger les Soutenir la protection pauvres et vulnérables travailleurs déplacés sociale adaptative, • Mise en place de systèmes de protection • Initiatives locales d’action climatique et combler les lacunes en sociale efficaces et réactifs aux chocs, tels marchés du carbone socialement matière d’emploi et qu’un registre social responsables préparer les travailleurs à • Systèmes de refroidissement pour les • Formation professionnelle pour corriger des l’économie verte travailleurs en intérieur ; expansion d’espaces inadéquations en matière de compétences et ombragés et des horaires de travail plus pour faciliter la reconversion pour la transition flexibles pour les travailleurs en extérieur verte ENVIRONNEMENT BÂTI ET INFRASTRUCTURES • Plan d’amélioration de la gouvernance de la SEEG : réduction des pertes, apurement de la dette • Mise à jour du plan directeur du secteur de Améliorer l’accès à • Extension du réseau électrique national et l’électricité et mobilisation du secteur privé l’énergie, sa fiabilité et des lignes de transmission pour accélérer le déploiement des énergies son accessibilité • Infrastructures énergétiques résilientes au financière renouvelables climat et investissements dans les énergies • Collecte de données hydrologiques pour une renouvelables (hydroélectricité, solaire) meilleure planification en matière hydroélectrique • Sanctions sur le torchage et le rejet de gaz et sur les émissions de méthane • Plan d’amélioration de la gouvernance de la SEEG et renforcement des rôles Renforcer la sécurité hydrique à travers une réglementaires (MERH/ARSEE) meilleure gestion des • Élargissement de l’accès à l’eau potable en • Systèmes de suivi des ressources en eau et ressources et à l’accès milieu rural gestion intégrée des ressources en eau élargi à l’eau potable • Améliorations en matière d’assainissement : et à l’assainissement traitement des boues fécales et application des réglementations sur les déchets xv • Résilience face aux inondations intégrée à la planification urbaine grâce à des solutions Intégrer les risques fondées sur la nature • Intégration de la résilience aux inondations climatiques dans la • Systèmes d’alerte précoce et interventions planification urbaine et dans la planification urbaine avec des d’urgence fondés sur des données probantes renforcer la résilience solutions fondées sur la nature • Plans d’action contre la chaleur et la pollution des infrastructures de • Transports en commun durables, accessibles transport et de de l’air et efficaces, avec des options électriques ou connectivité • Renforcement des autorités locales pour hybrides à l’avenir numérique accroître la résilience des communautés • Routes résilientes et véhicules écoénergétiques GESTION DU CAPITAL NATUREL Promouvoir une • Traçabilité numérique du bois et application • Promotion des essences de bois gestion durable des des réglementations commerciales moins connues forêts et la création de • Promotion de la conformité aux certifications • Initiatives de réduction des conflits entre valeur locale à partir des forêts de gestion forestière durable l’homme et la faune sauvage • Plan d’investissement pour une agriculture Accroître la production climato-intelligente et la productivité • Amélioration du régime foncier • Pratiques agricoles climato-intelligentes et agricoles à travers une • Développement des systèmes d’irrigation économes en eau approche climato- • Augmentation de la mécanisation agricole intelligente • Amélioration de la gouvernance des organisations de producteurs agricoles GOUVERNANCE ET FINANCEMENT • Opérationnalisation de l’Organisme de Gestion des Enjeux Climatiques et du Fonds Améliorer la Climat Améliorer la gouvernanc • Définition des objectifs de la Stratégie • Pilotes de planification participative de e et intégrer gouvernance et climatique à long terme développement local intégrant la dimension objectifs les objectifs intégrer les • Intégration d’une dimension verte dans les climatiques climatiques climatiques dans les marchés publics et dans les politiques • Mise en œuvre par quelques entreprises dans les cadres d’aménagement du territoire publiques clés de normes environnementales, cadres institutionnels institutionn • Intégration de la dimension climat dans le sociales et de gouvernance els processus de budgétisation par programme, et du risque climatique dans le cadre de gestion de l’investissement public • Réduction progressive des subventions aux carburants pour limiter les coûts budgétaires • Rationalisation de la dépense fiscale et et les distorsions environnementales renforcement de l’alignement des objectifs • Promotion des partenariats public-privé et des Renforcer les environnementaux, de croissance et investissements privés dans les finances publiques budgétaires dans les politiques budgétaires infrastructures vertes (transport, énergie, et mobiliser • Incitations et financements pour les PME et mobilité urbaine, pylônes de télécom) davantage les pour l’entrepreneuriat dans les secteurs vert • Élaboration d'une taxonomie verte nationale financements et bleu et promotion du financement par des publics et privés • Stratégie de financement des risques de obligations vertes, des prêts ou obligations pour l’action catastrophes liés à la durabilité, ainsi que des produits climatique • Politiques budgétaires climato-intelligentes d’assurance climatique, en parallèle à la pour une gestion durable de la foresterie, de mobilisation de l’appui des bailleurs de fonds l’agriculture et de la pêche et des fonds climatiques • Promotion de la transparence dans la gestion des fonds climatiques xvi 1. Introduction – Le développement du Gabon dans un contexte climatique en évolution Points clés • Le Gabon, un pays doté d’abondantes ressources naturelles et un puits de carbone, s’est fermement engagé à maintenir des émissions nettes nulles. Pourtant, le pays doit relever des défis importants pour sortir de sa dépendance au pétrole et à d’autres produits de base volatils, et évoluer vers un modèle économique plus durable et diversifié. Des difficultés en matière de gouvernance ont freiné les avancées concrètes dans plusieurs domaines, en particulier dans le secteur de l’énergie. • Bien qu’il fasse partie des rares pays à absorber plus de carbone qu ’il n’en émet en raison de la richesse de ses écosystèmes forestiers tropicaux, le Gabon enregistre une hausse des températures et reste exposé à des menaces liées au réchauffement climatique mondial. À l’avenir, le changement climatique devrait s’accentuer tandis que la fréquence des phénomènes météorologiques augmenterait, affectant ainsi l’économie et la société dans leur ensemble. • Une pauvreté persistante, des niveaux élevés de chômage, un accès insuffisant aux services de base et le fait que les résultats en matière de développement humain restent en deçà de leur potentiel accentuent la vulnérabilité face aux impacts climatiques. Il serait donc nécessaire de renforcer la résilience de l’ensemble de la population par des actions d’adaptation ciblées, afin de limiter les effets des variations de température et de précipitations sur les populations, sur les infrastructures et sur les écosystèmes du pays. Une politique de dépenses ciblées, la viabilité des finances publiques et des réformes encourageant la participation du secteur privé figureraient parmi les éléments nécessaires pour garantir un financement adéquat des efforts d’adaptation climatique dont le pays a besoin. • Avec ses 21 mégatonnes de GES émises en 2021, le Gabon ne contribue qu’à hauteur de 0,04 pour cent aux émissions mondiales, figurant ainsi au 129e rang sur 193 pays. Bien que l’intensité des émissions par rapport au PIB ait diminué, le secteur de l’énergie demeure le principal émetteur en raison d’une forte intensité de torchage de gaz, suivi par les changements d’affectation des terres et la foresterie, l’industrie, les déchets et l’agriculture. Ce chapitre inscrit le développement du Gabon dans le contexte du changement climatique, en exposant comment ces dynamiques interagissent et influencent l’avenir du pays. Le présent chapitre : (a) offre un aperçu des tendances économiques et du développement du Gabon ainsi que de sa vision nationale ; (b) décrit les projections de changements climatiques et leurs impacts potentiels sur les différents secteurs économiques ; et (c) analyse le profil actuel des émissions du Gabon, en mettant en avant les opportunités pour promouvoir une trajectoire de développement durable à faibles émissions de carbone. 1.1 Contexte de développement Avec des écosystèmes qui figurent parmi les plus grands puits de carbone au monde, le Gabon est à la fois un défenseur de la stabilité climatique et une nation engagée dans la quête d ’un développement inclusif. Le pays peut se prévaloir d’une grande richesse en ressources naturelles, comprenant d’importantes réserves de pétrole et de minéraux, un long littoral ainsi qu’une part significative de la forêt du bassin du 1 Congo. Cependant, le Gabon est confronté à des défis en matière de valorisation de ses ressources naturelles en vue de favoriser une croissance plus durable et inclusive. Le Gabon est l’un des rares pays d’Afrique subsaharienne à avoir atteint le statut de pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure (PRITS), qu’il a acquis au début des années 2000, en grande partie grâce à ses réserves de pétrole et à ses industries extractives. Au vu du vieillissement graduel des champs pétroliers, la production devrait diminuer à partir de 2025, et l’exploitation minière, le bois et l’agriculture devraient ainsi devenir les moteurs de croissance dans l’avenir. Ainsi, ces secteurs devraient être renforcés face aux impacts et aux chocs climatiques et pourraient mettre à l’épreuve la gestion assurée à ce jour par le Gabon en ce qui concerne ses vastes forêts et de sa biodiversité. Malgré une forte dépendance à la volatilité des produits de base, le Gabon progresse dans son redressement économique. En même temps, pour arriver à une croissance plus forte il serait nécessaire d’accélérer les réformes économiques. L’économie nationale reste peu diversifiée et fortement dépendante de quelques produits de base tels que le pétrole, le bois et le manganèse. En 2022, l’économie a connu une croissance de 3 pour cent, marquant un rebond après la crise de la COVID-19, appuyée par une production robuste de pétrole, de manganèse et de bois, ainsi que par une hausse des services à la suite de la levée des restrictions liées à la pandémie. La croissance a ralenti à 2,4 pour cent en 2023, en raison des dégâts causés par des phénomènes météorologiques violents à l’unique voie ferrée du pays, de l’augmentation des coûts du carburant et de la diminution de la demande de bois. Un redressement économique devrait se maintenir à moyen terme. Au cours des dernières années, la croissance du Gabon qui repose sur les ressources naturelles, ainsi que le modeste redressement économique, n’ont pas permis d’apporter des réponses suffisantes aux niveaux élevés de chômage et de pauvreté, ni aux défis rencontrés en matière d’inclusion économique. Plus d’un tiers (35,2 pour cent) des Gabonais vivaient en dessous du seuil international de pauvreté, fixé à 6,85 USD par jour en 2023, ce taux étant largement supérieur au taux moyen des pays du même groupe de revenu que le Gabon. Les conditions de vie ne sont pas revenues aux niveaux d’avant la crise à cause de l’impact de la COVID-19, de l’invasion russe en Ukraine et des perturbations de l’approvisionnement mondial, tandis que la vulnérabilité s’accentue sous l’effet de l’inflation des produits alimentaires et des défis en matière de création d’emplois et de protection sociale. Le processus de transition politique engagé en août 2023 prévoit des efforts visant à renforcer la gouvernance et la transparence des institutions, ainsi qu’à améliorer les conditions de vie des populations. Plusieurs actions ont été lancées pour favoriser la création d’emplois et améliorer la gestion des finances publiques. Parmi les étapes politiques majeures figurent un dialogue national et une nouvelle constitution en 2024, tandis que les élections présidentielles ont eu lieu en 2025, plus tôt que prévu dans le calendrier de transition initial. Cependant, les attentes élevées du public suite au changement de régime ont accentué la pression sur les dépenses publiques, augmentant ainsi les risques budgétaires et pesant sur les liquidités. Les défis à long terme en matière de gouvernance et de gestion des finances publiques continuent d’entrainer une accumulation des arriérés de la dette, ce qui influe sur les coûts de financement dans un contexte mondial de conditions financières serrées. De plus, l’augmentation des subventions aux carburants a davantage mis sous pression les finances publiques et pourrait aussi entraver le développement de solutions énergétiques à faibles émissions. Le Gabon fait face à un important défi en matière de financement du développement durable, nécessitant une action publique plus efficiente et un renforcement de la participation du secteur privé à l ’adaptation au changement climatique. Pour faire face à ces fortes pressions budgétaires, le pays devrait hiérarchiser et mieux prioriser ses investissements, adopter des mesures budgétaires visant à mobiliser davantage de recettes publiques, mettre en œuvre des politiques contracycliques et améliorer la qualité ainsi que 2 l’efficience des dépenses publiques. La mobilisation du secteur privé est aussi essentielle pour appuyer l’adaptation au changement climatique. Au Gabon, le secteur financier est insuffisamment développé pour être en mesure d’appuyer adéquatement la croissance. Trois banques détiennent près de 78 pour cent du total des actifs, ce qui indique une très forte concentration du secteur bancaire. Malgré cela, le niveau d’intermédiation financière ne correspond pas au niveau de revenu du pays. Le développement du Gabon est entravé par une participation insuffisante du secteur privé à l’économie, en raison de défis rencontrés en matière de l’environnement des affaires et de gouvernance. Les entreprises gabonaises pourraient jouer un rôle de premier plan dans le développement des investissements en faveur de l’action climatique, malgré les obstacles auxquels elles font face pour investir de manière adaptée au changement climatique. Pour réaliser une croissance durable à long terme, il serait important de diversifier davantage l’économie, qui reste encore largement dépendante du secteur pétrolier en dépit des efforts de diversification entrepris au fil des années. Les plus grandes industries du Gabon étant à ce jour le pétrole, les minéraux et le bois, le pays envisage de développer le secteur agricole et d’améliorer les infrastructures, un facteur facilitant essentiel pour le secteur privé. Le climat d’investissement est marqué par des défis importants en matière d’infrastructures et par des obstacles réglementaires. Des réformes seront essentielles pour faciliter le commerce et les activités des entreprises, l’accès aux services (énergie, eau, infrastructure numérique) et l’accès au financement, en particulier pour les petites et moyennes entreprises (PME). Le Gabon fait face à une fracture importante entre les milieux rural et urbain, plus de 60 pour cent de la population rurale vivant dans la pauvreté et ayant un accès insuffisant aux services publics. Alors que les industries à forte intensité de capital, telles que le pétrole, ont une forte présence dans l’économie, elles ne seraient pas en mesure de créer suffisamment d’emplois, tandis que les secteurs ruraux, tels que l’agriculture et la foresterie, rencontrent des défis pour attirer des travailleurs. Alors que près de 90 pour cent du territoire gabonais est recouvert de forêts, le pays présente l’un des taux d’urbanisation les plus élevés d’Afrique, plus de 80 pour cent de la population vivant en milieu urbain ; ce chiffre devrait passer à 92 pour cent d’ici 2030 et à 95 pour cent d’ici 2050. Cependant, seuls 25 pour cent des habitants en milieu rural ont accès à l’électricité, contre 92 pour cent à l’échelle nationale. Assurer l’accès aux services de base, tels que l’eau, l’assainissement et les soins de santé, reste encore un défi particulièrement en milieu rural, ce qui accentue les inégalités entre les populations urbaines et rurales. Libreville et Port-Gentil, les deux principales villes du Gabon, accueillent 45 pour cent de la population, mais ces centres urbains font aussi face à des défis majeurs en matière de résilience et d’habitabilité. En conséquence, la capacité des villes à favoriser un développement économique et social durable reste insuffisante. Le pays peut en faire davantage pour réaliser son plein potentiel en matière de capital humain. Selon les données de la Banque mondiale, la richesse totale du Gabon est principalement constituée de capital naturel, tandis que la part du capital humain reste en dessous de la moyenne des PRITS de l’Afrique subsaharienne. La richesse totale nationale a diminué depuis le choc pétrolier de 2014 en raison de ses effets sur le secteur pétrolier (Figure 1. 1). Environ un tiers des jeunes ne sont ni actifs sur le marché du travail ni engagés dans le système d’éducation et de formation. L’espérance de vie à la naissance est de 66 ans, un chiffre en baisse en raison d’une mortalité infanto-juvénile plus élevée que la moyenne des PRITS. Le Gabon a réalisé des progrès significatifs dans la réduction de la dénutrition infanto-juvénile, bien que, selon les estimations, environ 17 pour cent des enfants âgés de moins de cinq ans présentent un retard de croissance (EDS 2024). Selon les données du Global Education Policy Dashboard (GEPD) de 2023, 73 pour cent des élèves à l’entrée au primaire ne seraient pas prêts pour l’apprentissage, et près de 90 pour cent ne parviennent pas à acquérir les compétences de base en littératie et en numératie. Ces 3 lacunes en matière de santé et d’éducation affectent la capacité du Gabon à former une main-d’œuvre qualifiée et productive. La vision du Gouvernement, exposée dans le nouveau Plan National de Développement pour la Transition (PNDT), est axée sur la création d’une économie plus solide, plus participative et plus inclusive. D’importants investissements sont prévus dans les infrastructures, dans les institutions et dans le capital humain du Gabon, visant à stimuler l’investissement, la création d’emplois et l’activité des PME dans différents secteurs, allant de l’agriculture, de l’exploitation minière et de la pêche à la transformation du bois et aux services numériques. Les Autorités visent à encourager une utilisation durable des ressources naturelles qui générerait davantage de valeur ajoutée et d’emplois et concilierait les objectifs de développement et les objectifs sociaux tout en maintenant le solide bilan en matière de conservation de l’environnement. Figure 1.1.Parts et évolution de la richesse totale (Pourcentage), 2018 Source : Outil national CWON 2021 (https://www. worldbank. org/en/publication/changing-wealth-of-nations/data). Remarque : Les tendances de la richesse totale et des différentes catégories d’actifs sont établies à partir de l’indice de Törnqvist, dans lequel l’évolution des volumes physiques de chacun des actifs est pondérée par leur part dans la valeur totale. Le terme « volume » fait ici référence à la quantité physique de chaque actif, ou à un indicateur de cette quantité. L’indice de volume de Törnqvist est « chaîné » pour créer une série chronologique, en sélectionnant une année de base (2019) et en exprimant les autres années par rapport à cette année de référence. 1.2 Climatologie et risques liés au changement climatique et aux aléas naturels Les écosystèmes largement préservés du Gabon, notamment ses forêts tropicales couvrant la majeure partie du territoire et des écosystèmes de mangrove situés au nord-ouest, près de Libreville, jouent un rôle essentiel dans l’absorption des gaz à effet de serre et dans le maintien du climat tropical humide du pays ainsi que de sa riche biodiversité. Le pays reçoit des précipitations tout au long de l’année, celles-ci variant de 1 500 mm à 3 500 mm par an, et connaît une saison humide entre les mois d’octobre et mai. Ces précipitations sont généralement réparties de manière homogène sur l’ensemble du territoire, bien que certaines régions du nord-est, près de la capitale, puissent connaître des conditions plus humides. Les températures varient selon les régions du pays et sont généralement plus élevées dans le centre et l’ouest, avec des moyennes annuelles atteignant environ 27 °C. Entre 1990 et 2020, les températures moyennes mensuelles ont oscillé entre 26 °C en mars et 23 °C en juillet, tandis que les précipitations moyennes mensuelles ont fluctué entre environ 13 mm en juillet et 290 mm en octobre (Figure 1. 2). 4 Figure 1.2. Températures et précipitations moyennes mensuelles, 1991-2020 Source : IEc. 2024. Le Gabon n’est pas épargné par les effets du réchauffement climatique, qui se font déjà sentir dans le pays. Les températures moyennes à la surface de la Terre (englobant à la fois les terres et les océans) qui entretiennent des liens étroits avec les conditions climatiques générales ainsi que les phénomènes météorologiques, étaient d’environ 1,1 °C plus élevées entre 2011 et 2020 par rapport aux niveaux préindustriels (1850-1900). En Afrique de l’Ouest et centrale, les températures moyennes annuelles et saisonnières ont augmenté de 1 °C à 3 °C depuis le milieu des années 1970. Ce réchauffement a provoqué des vagues de chaleur plus fréquentes et plus longues, des modifications des régimes de précipitations, une élévation du niveau de la mer et une intensification des inondations au cours des dernières décennies (GIEC 2022 ; 2023). Bien que les données historiques soient limitées en ce qui concerne le Gabon, selon les estimations, les températures moyennes annuelles ont augmenté de 0,60 °C depuis 1960. Des hausses de température sont observées dans tout le pays, mais elles sont particulièrement marquées en hiver et durant les mois les plus secs. Le nombre de jours de chaleur extrême a également considérablement augmenté au cours de cette période.En effet, les effets du réchauffement climatique se font déjà sentir. Les vagues de chaleur survenues depuis début 2024 ont entraîné une hausse de la demande énergétique, tandis que la baisse du niveau des fleuves et des rivières a affecté la production hydroélectrique, provoquant de fréquentes coupures tout au long de l’année. Les changements climatiques au Gabon et dans le monde devraient se poursuivre dans l’avenir, chaque palier de réchauffement entraînant des risques encore plus sévères à l’échelle mondiale. Les projections concernant le climat mondial dans l’avenir ont un degré élevé d’incertitude, en raison de la variabilité des réactions physiques de la Terre, de l’imprévisibilité des trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre et des divergences entre les projections des modèles climatiques pour les décennies à venir. Ce CCDR s’appuie sur les projections du Portail des connaissances sur le changement climatique de la Banque mondiale, basées sur 29 Modèles de circulation générale (MCG) obtenus à partir du Projet d’inter- comparaison de modèles couplés 6 (CMIP6), avec une résolution spatiale de 1x1 degré. Ces modèles prennent en compte jusqu’à cinq possibilités de trajectoires d’émissions à l’échelle mondiale, résultant de combinaisons de scénarios d’émissions des Trajectoires communes d’évolution socioéconomique (connus par son acronyme en anglais, Shared Socioeconomic Pathways - SSP) et des Profils représentatifs d’évolution de concentration (Representative Concentration Pathways - RCP)1. Le large éventail de modèles 1 Banque mondiale. 2021. 5 et de scénarios considérés permet de mieux tenir compte des incertitudes et d’offrir une solide gamme des différentes possibilités de futurs climatiques. Ce CCDR présente des projections des précipitations et des températures moyennes à l’horizon 2050 pour deux scénarios climatiques envisageables au Gabon : humide/chaud2, (conditions plus humides et températures plus élevées) et sec/très chaud3 (conditions plus sèches et températures beaucoup plus élevées). Ces scénarios s’appuient sur une sélection de modèles climatiques reflétant les variations extrêmes des précipitations et des températures dans des trajectoires d’émissions modérées à élevées. Les variations sont exprimées à l’horizon 2050 par rapport aux moyennes historiques des précipitations et des températures observées entre 1995 et 2020. Les scénarios excluent à la fois les trajectoires d’atténuation agressives à l’échelle mondiale (très faibles émissions) et les trajectoires à émissions élevées dans les cas les plus pessimistes. En nous concentrant sur ces deux scénarios, nous facilitons une planification qui intègre un large éventail de changements climatiques possibles permettant une évaluation approfondie de la vulnérabilité et des efforts d’adaptation. Ces scénarios servent de référence pour évaluer les impacts du climat sur différents secteurs (Chapitre 3) ainsi que sur l’économie dans son ensemble et sur la pauvreté (Chapitre 4)4. Au cours des prochaines décennies, les températures et les précipitations devraient toutes deux augmenter (Tableau 1.1). Selon les projections à l’horizon 2050, les températures devraient augmenter d’une variation moyenne de 0,25 °C entre 2021 et 2030 et de 0,72 °C entre 2041 et 2050 dans le cadre du scénario humide/chaud. Selon les estimations, ces changements devraient être en grande partie uniformes sur l’ensemble du pays (Figure 1.3). Dans le scénario sec/très chaud, les températures devraient augmenter d’une variation moyenne de 0,59 °C entre 2021 et 2030 et de 1,34 °C entre 2041 et 2050. Cependant, le scénario sec/très chaud prévoit des hausses de température inégales, les régions du sud devant connaître des niveaux plus élevés (Figure 1.3). En ce qui concerne les précipitations, dans le cadre des scénarios humide/chaud, des conditions plus humides sont généralement attendues sur l’ensemble du pays, avec des augmentations pouvant atteindre 30 pour cent dans certaines zones. Dans les scénarios sec/très chaud sélectionnés, des tendances contrastées sont attendues, avec une diminution générale des précipitations dans la plupart des régions et une augmentation à l’est (Figure 1.3). Cependant, il faudrait noter que ces projections sont exprimées sous forme de moyennes et que les régimes de température et de précipitations peuvent varier considérablement au fil du temps. En particulier, il est difficile d’établir des projections pour les précipitations, parce qu’elles résultent de processus atmosphériques complexes qui sont difficiles à modéliser avec précision. Par conséquent, même dans les scénarios prévoyant une augmentation globale des précipitations, certaines régions ou 2 Scénario humide/chaud : Ce scénario intègre trois résultats de modèles représentant le 90ème percentile des variations des précipitations moyennes (c’est-à-dire un climat humide) et le 10ème percentile des variations de la température moyenne (c’est-à-dire un climat chaud) à l’horizon 2050, selon les MCG SSP2-4 5 et SSP3-7.0. Cette approche a conduit à la sélection des modèles suivants : SSP3-7.0 INM-CM5-0, SSP3-7.0 MPI-ESM1-2-LR et SSP2-4.5 INM-CM6-0. Elle prend également en compte la moyenne des modèles sélectionnés. Les variations des précipitations et des températures sont exprimées pour la période allant de 2031 à 2050 par rapport à celle de 1995 à 2020. Ce scénario repose sur des trajectoires d’émissions modérées à élevées, où SSP2-4.5 représente des émissions modérées avec quelques efforts d’atténuation, tandis que SSP3-7.0 reflète une faible coopération mondiale et des émissions élevées. Les trajectoires d’atténuation drastiques (exemple : SSP1-1.9) et les scénarios d’émissions élevées les plus extrêmes (exemple : SSP5-8.5) sont exclus, afin de se concentrer sur les résultats les plus plausibles où un réchauffement modéré et des conditions humides prédominent. 3 Scénario sec/très chaud : Ce scénario intègre trois résultats de modèles représentant le 10ème percentile des variations des précipitations moyennes (c’est-à-dire un climat sec) et le 90ème percentile des variations de la température moyenne (c’est-à-dire un climat très chaud) à l’horizon 2050, selon les MCG SSP2-4.5 et SSP3-7.0. Cette approche a conduit à la sélection des modèles suivants : SSP3-7.0 CANESM2, SSP3-7.0 MRI-ESM2-0 et SSP2-4.5 IPSL-CM6-LR. Ce scénario prend également en compte la moyenne des modèles sélectionnés. Les variations des précipitations et des températures sont exprimées pour la période allant de 2031 à 2050 par rapport à celle de 1995 à 2020. Ce scénario repose sur des trajectoires d’émissions modérées à élevées, où SSP2-4.5 représente des émissions modérées avec quelques efforts d’atténuation, tandis que SSP3-7.0 reflète une faible coopération mondiale et des émissions élevées. Il faudrait noter que les trajectoires d’atténuation drastiques (exemple : SSP1-1.9) et les scénarios d’émissions élevées les plus extrêmes (exemple : SSP5-8.5) sont exclus, afin de se concentrer sur les résultats les plus plausibles où des conditions modérément sèches et très chaudes prédominent. 4 Des détails supplémentaires sur l’élaboration des scénarios climatiques sont présentés à l’Annexe 2. 6 saisons pourraient connaître des périodes plus longues de jours secs consécutifs. Cette éventualité souligne l’importance de prendre en compte les variations localisées dans les projections climatiques - en particulier pour la planification et la gestion des ressources en eau. Tableau 1.1. Évolution de la température et des précipitations moyennes à l’échelle nationale, par décennie par rapport à la situation de référence 2021-2030 2031-2040 2041-2050 Scénario Temp. Précip. Temp. Précip. Temp. Précip. Moyenne - sec/très chaud +0,59 °C +2,8 % +0,87 °C +1,5 % +1,34 °C +1,0 % Moyenne - humide/chaud +0,25 °C +3,4 % +0,50 °C +9,0 % +0,72 °C +12,5 % Source : IEc. 2024. Figure 1.3. Évolution de 2031 à 2050 par rapport à de 1995 à 2020, par scénario climatique a) Température moyenne b) Précipitations moyennes Source : IEc 2024. Remarque : La rangée supérieure des panneaux montre les projections des modèles sélectionnés dans le scénario sec/très chaud, tandis que la rangée inférieure des panneaux montre les projections des modèles sélectionnés dans le scénario humide/chaud. Veuillez consulter la définition des scénarios dans l’Annexe. Source : IEc 2024. En plus des changements climatiques à long terme, le Gabon est exposé à un risque d ’augmentation des aléas naturels et d’intensification des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les inondations, les vagues de chaleur, l’élévation du niveau de la mer et l’érosion des sols. D’ici 2050, le niveau moyen de la mer devrait s’élever d’environ 0,2 mètre, avec une augmentation encore plus marquée attendue d’ici la fin du siècle. Les inondations, en particulier dans les zones côtières et de basse altitude, pourraient devenir plus fréquentes et causer davantage de dommages. Les zones côtières de l’ouest du Gabon sont particulièrement vulnérables aux inondations côtières, avec un risque élevé pour la ville de Port-Gentil ainsi que pour les provinces de Nyanga, de l’Ogooué-Maritime et de l’Estuaire. Ces phénomènes pourraient affecter un grand nombre de Gabonais, plus de 70 pour cent de la population vivant dans les zones côtières. De plus, le développement économique est concentré le long de la côte. Le Gabon a pris des mesures pour s’attaquer à ces défis, notamment par la construction de talus, de digues et de murs maritimes, mais des efforts supplémentaires seraient nécessaires pour renforcer la résilience. Déjà à ce jour, les zones affectées par les inondations contribuent à environ 0,22 pour cent du PIB, soit près de 30 7 millions d’USD par an5. Dans le même temps, dans certaines régions la sécheresse affecte 21 000 personnes par an, entraînant des pertes pouvant atteindre 185 millions d’USD6. Le Gabon fait face à d’importants défis en matière de développement, qui seraient aggravés par le changement climatique au cours des prochaines décennies, selon les projections de cette étude. Le Gabon se classe au 76e rang sur 185 pays en termes de vulnérabilité aux risques climatiques et figure parmi les pays les moins préparés à faire face aux chocs climatiques, occupant la 152e place7. Selon les prévisions, le changement climatique devrait affecter plus sévèrement les individus les plus vulnérables qui vivent souvent dans des logements peu coûteux et de qualité inférieure, situés dans des zones exposées aux aléas naturels, ce qui augmente leur vulnérabilité aux risques associés. De plus, leur dépendance à des activités économiques sensibles au climat, telles que l’agriculture et la pêche, combinée à des ressources limitées et à une protection sociale insuffisante, aggrave leur vulnérabilité face aux défis climatiques. Le changement climatique devrait avoir des impacts majeurs sur les infrastructures urbaines du Gabon. Le pays fait face à un risque accru d’inondations urbaines en raison de la forte urbanisation et de la perte des écosystèmes de mangrove, qui jouent un rôle essentiel de zone tampon lors des inondations. Les défis rencontrés en matière d‘infrastructures à Libreville, la capitale, a entraîné des pertes monétaires substantielles. D’ici 2050, le changement climatique devrait causer des dommages annuels aux infrastructures urbaines estimés à 64 millions d’USD. L’augmentation moyenne prévue des dommages en rapport aux inondations urbaines pourrait dissimuler des pertes encore plus importantes associées à des risques d’épisodes d’inondations plus sévères que la moyenne prévue au cours des prochaines décennies. Les infrastructures routières au Gabon sont également exposées à des risques croissants liés à l’augmentation des précipitations et à l’intensification des inondations. Selon les estimations, en l’absence de mesures d’adaptation, les dommages causés aux routes pourraient occasionner des coûts annuels importants, allant de 14,4 à 15,9 millions d’USD d’ici les années 2040. Il est donc essentiel d’intégrer ces impacts aux évaluations futures, aux plans de développement et aux mesures d’atténuation.8 Selon les projections, l’agriculture et la pêche, qui constituent des piliers essentiels de la stratégie du Gouvernement pour réduire la forte dépendance aux importations alimentaires, créer davantage d’emplois et améliorer la sécurité alimentaire, devraient être sévèrement affectées par le stress thermique et le réchauffement des océans. L’agriculture, qui employait 16 pour cent de la population active en 2021, serait confrontée à des défis prévus tels que la diminution des ressources en eau, la baisse de la fertilité des sols sous l’effet de l’érosion, les effets du stress thermique sur la main-d’œuvre et l’exposition aux fortes températures en extérieur. Le secteur de la pêche au Gabon devrait également être considérablement affecté par le changement des températures et conditions des océans dans les années à venir, ce qui pourrait compromettre sa contribution tant attendue à la production alimentaire et aux moyens de subsistance des populations. Bien que fortement dépendant des importations alimentaires, le Gabon possède environ un million d’hectares de terres arables, offrant ainsi une opportunité d’améliorer la sécurité alimentaire et la production agricole nationale. A travers des réponses à des problèmes tels que l’érosion des sols, les dégâts causés par les inondations et la hausse de l’incidence des parasites, le Gabon pourrait mieux tirer parti des opportunités de développement tout en réduisant les impacts négatifs du changement climatique. Le changement climatique devrait affecter le capital humain en favorisant la propagation de certaines maladies, en perturbant l’accès à l’éducation, en accentuant la précarité de l’emploi et en aggravant les 5 CIMA, UNDRR (2018). Profil de risque de catastrophe du Gabon. Bureau des Nations Unies pour la prévention des catastrophes. Fondation de recherche de la CIMA : Via Armando Magliotto, 2 - 17100 Savona – Italie. 6 CIMA, UNDRR (2018). 7 Indice GAIN de Notre Dame. https://gain.nd.edu/our-work/country-index/rankings/. 8 IEc « The Economic Damages of Climate Change in Gabon », 2024. 8 disparités sociales, en particulier parmi les populations vulnérables. Ces impacts combinés peuvent réduire la capacité des individus de développer des compétences, de trouver un emploi stable et de contribuer à la croissance économique à long terme. Par exemple, par le passé la prévalence du paludisme a provoqué d’importants chocs sur l’offre de main-d’œuvre, même dans des conditions climatiques moyennes. Selon les constats de l’analyse menée dans le cadre de ce CCDR, l’incidence et la mortalité des maladies d’origine hydrique et des maladies liées à la chaleur devraient augmenter en raison du changement climatique9. Cette augmentation pourrait réduire l’offre de main-d’œuvre et, plus largement, affecter la santé humaine ainsi que la capacité de génération de revenus, tant pour les travailleurs affectés que pour leurs familles. 1.3 Opportunités et risques pour un développement à faibles émissions de carbone Le Gabon est responsable d’environ 0,04 pour cent des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), ce qui en fait le 129e plus grand émetteur sur 193 pays (Climate Watch 2024). En 2021, le pays a émis environ 21 mégatonnes de GES. L’intensité des émissions par rapport au PIB a globalement diminué au Gabon, avec une tendance à la stabilisation au cours de la dernière décennie. Le secteur de l’énergie est le principal émetteur, suivi par les changements d’affectation des terres et la foresterie (CATF), l’industrie, les déchets et l’agriculture (Figure 1.4). Figure 1.4. Sources des émissions de gaz à effet de serre du Gabon, 1990-2021 Émissions par secteur Intensité des émissions exprimée en part du PIB Source : Banque mondiale, basé sur les données de Climate Watch (2024). Remarque : MtCO2eq = millions de tonnes métriques d’équivalent dioxyde de carbone. Les estimations de Climate Watch diffèrent de la comptabilisation nationale des émissions de gaz à effet de serre du Gabon, communiquée à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), en raison de divergences dans les méthodologies utilisées et dans les sources de données. Le secteur de l’énergie est la principale source d’émissions au Gabon, mais ce secteur présente également d’importantes opportunités pour un développement à faibles émissions de carbone, le fort potentiel en énergies renouvelables favorisant des synergies entre les objectifs de croissance et les objectifs climatiques du pays. Le vaste potentiel du Gabon en matière d’énergies renouvelables, notamment d’hydroélectricité, ouvre la voie à la décarbonation du secteur énergétique tout en améliorant l’accès à une énergie fiable et abordable, un facteur-clé pour améliorer le climat des affaires et les conditions de vie. L’hydroélectricité représente actuellement près de la moitié de la production d’électricité, mais un important potentiel de développement reste à exploiter10. Le torchage du gaz, la mise à l’évent et les émissions fugaces de gaz contribuent également de manière significative aux émissions du secteur 9 IEc « The Economic Damages of Climate Change in Gabon », 2024. 10 AIE 2024. Gabon. Mix énergétique (https://www.iea.org/countries/gabon/energy-mix). 9 énergétique, le Gabon figurant parmi les 10 premiers pays au monde en termes d’intensité de torchage du gaz. Le développement des énergies renouvelables, la modernisation des infrastructures vieillissantes et l’élargissement de l’électrification rurale à travers l’énergie solaire et l’interconnexion des réseaux électriques seront essentiels pour réduire les émissions, assurer la fiabilité énergétique et répondre à la demande croissante. Le secteur privé peut jouer un rôle primordial dans l’accélération de la transition énergétique du Gabon, à travers des actions allant du développement de projets d’énergie renouvelable à grande échelle à la fourniture de solutions décentralisées et de technologies à haut niveau d ’efficacité énergétique. Parallèlement, le Gabon pourrait considérer des options pour optimiser la gestion de ses ressources pétrolières afin de maximiser les recettes pour financer des investissements productifs et appuyer de nouvelles opportunités de croissance, tout en réduisant son empreinte carbone. L’un des principaux risques liés à la transition pour le Gabon est sa dépendance persistante au pétrole, qui représentait environ 70 pour cent de ses exportations et 25 pour cent de son PIB en 2023. L ’éventuelle décarbonation à l’échelle mondiale, qui entraînerait une baisse de la demande de pétrole, pourrait aussi avoir des impacts économiques majeurs pour le Gabon, auxquels s’ajoute l’épuisement attendu des réserves en raison du vieillissement des champs pétroliers. Représentant 18 pour cent de la forêt du bassin du Congo, les forêts gabonaises jouent un rôle vital dans la réalisation des ambitions climatiques mondiales et doivent, à ce titre, être justement rémunérées. Les forêts du Gabon absorbent environ 140 millions de tonnes de CO2 par an, compensant ainsi largement les émissions du pays. Le Gabon a bénéficié d’une reconnaissance internationale pour sa performance dans la préservation de ses forêts tropicales, restées pratiquement intactes. Le pays a ainsi reçu une rémunération pour la réduction des émissions à travers un accord de Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+) de 150 millions d’USD conclu avec l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI). Le pays a également conclu un échange dette-nature en août 2023, à travers une émission d’obligations bleues. Cependant, les mécanismes internationaux de financement des forêts sur pied en sont encore à un stade embryonnaire, et la recherche de mécanismes de rémunération équitables à l’échelle mondiale se poursuit. Reconnu mondialement pour son rôle dans l’absorption du carbone, le Gabon s’est engagé à préserver son statut de zéro émission nette jusqu’en 2050 et se concentre sur la réalisation de ses objectifs de développement à court terme. Le pays s’est attaqué de manière proactive aux risques liés au changement climatique à travers la création d’un Conseil National Climat en 2010 et l’adoption des plans et des lois nationaux sur le climat, tel que présenté en détail au Chapitre 2. Dans sa deuxième Contribution déterminée au niveau national (CDN), le Gabon a pris l’engagement de maintenir une absorption annuelle nette de carbone d’au moins 100 millions de tonnes au-delà de 2050, avec un appui en termes de financement mondial dédié à la lutte contre le changement climatique. Les secteurs en transition, tels que la foresterie, l’agriculture, l’urbanisme, la santé et l’énergie, joueront un rôle crucial dans l’adaptation au changement climatique, en offrant des opportunités de création de nouveaux revenus et d ’emplois à travers l’adoption de technologies innovantes et de nouveaux types d’instruments financiers11. Parallèlement, la transition vers une économie à faibles émissions de carbone pourrait affecter de manière disproportionnée les populations les plus vulnérables, en entraînant une hausse des prix à la consommation et des pertes d’emplois dans les secteurs à fortes émissions de carbone. Il serait donc essentiel de garantir une transition socialement juste en mettant en place une protection et un appui adéquats afin de pouvoir soutenir les populations les plus vulnérables, d’autant plus que le pays joue un rôle d’absorbeur net de carbone et de fournisseur de services climatiques essentiels à l’échelle mondiale. 11 Contributions déterminées au niveau national (CDN) du Gabon (https://unfccc.int/documents/497489). 10 2. Engagements, politiques et capacités institutionnelles du Gabon en matière de changement climatique Points clés • Le Gabon s’est fixé des objectifs climatiques ambitieux et dispose d’un cadre juridique solide, fondé sur des engagements internationaux. Cependant, les défis en matière de gouvernance, y compris en termes d’inclusion, d’accès aux services publics et de lacunes dans la mise en œuvre des politiques - affaiblissent la capacité du pays à réaliser ses objectifs en matière de climat et de développement. Ces défis limitent l’efficacité de la coordination, le financement et la mobilisation des citoyens et des entreprises en faveur de la lutte contre le changement climatique. • Le cadre juridique du Gabon en matière de politique climatique, incluant des lois historiques telles que la loi de 2022 sur le changement climatique, constitue la base d’une gestion durable des terres, de la régulation des GES et du développement de systèmes de crédits carbone. Cependant, le fait que son application reste partielle, caractérisée notamment par l’absence d’un Organisme de Gestion des Enjeux Climatiques formellement établi, des réglementations de mise en œuvre incomplètes et des défis associés au régime foncier, entrave les progrès. • Il est essentiel de renforcer l’intégration des considérations climatiques aux processus budgétaires du Gabon pour mettre en accord les politiques budgétaires avec les objectifs climatiques nationaux. Bien que des réformes telles que la budgétisation par programme offrent une base solide, les lacunes dans l’exécution du budget et les processus de contrôles et de redevabilité empêchent une mise en œuvre efficace des politiques climatiques et de développement. • Les défis en matière de transparence et de gestion des finances publiques représentent des risques majeurs pour la préparation institutionnelle du Gabon à l’action climatique et pour son accès au marché des crédits carbone. La récente réadhésion à l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) et les résultats du Dialogue National Inclusif de 2024 représentent une opportunité décisive d’améliorer la transparence, de renforcer la confiance des investisseurs et de faciliter l’accès au financement international de la lutte contre le changement climatique. Ce chapitre traite des engagements du Gabon en matière de lutte contre le changement climatique ainsi que de sa préparation institutionnelle pour mener des actions climatiques. Ce chapitre : (a) présente le cadre de politiques et la structure de gouvernance du Gabon en matière de changement climatique ; (b) analyse les principaux obstacles à une mise en œuvre efficace de ces politiques, notamment en ce qui concerne la législation, la coordination, la planification, la budgétisation et la transparence ; et (c) en conclusion, propose des recommandations sur les mesures « utiles en tout état de cause » (sans regret) qui sont réalisables à court terme, et les mesures « transformatrices » qui nécessitent des réformes plus ambitieuses mais qui auraient un impact positif à long terme sur la mise en œuvre des po litiques en matière de développement et de lutte contre le changement climatique. 11 2.1 Contexte : défis en matière de gouvernance et fort potentiel d’avantages à tirer des politiques sur le changement climatique Les défis en matière de gouvernance au Gabon entravent la mise en œuvre efficace des politiques en matière de changement climatique. Les performances du Gabon aux indicateurs mondiaux de gouvernance12, ainsi que les perceptions de l’inclusivité des services publics, des politiques de protection sociale et du niveau de satisfaction à leur égard, ont historiquement été moins fortes que dans le reste de la région13. Ces défis affectent la capacité de l’État à définir et à appliquer des normes et réglementations, ainsi qu’à assurer une coordination intersectorielle et territoriale essentielle pour s’attaquer aux enjeux complexes liés au climat et au développement. Ces défis limitent également la capacité du pays à attirer des financements, à tirer effectivement parti des dépenses publiques et des mesures incitatives fiscales, ainsi qu’à monétiser pleinement les services environnementaux de ses écosystèmes protégés. De plus, les défis de gouvernance et de transparence peuvent compliquer la recherche d’un consensus et l’évolution des comportements des citoyens et des entreprises, freinant ainsi les progrès vers la réalisation des objectifs de développement et climatiques. Les défis de gouvernance du Gabon, bien que considérables, n ’ont pas entamé son ambition de jouer un rôle de premier plan en matière de climat et de développement durable. En 2024, le Gabon a lancé le Plan National de Développement pour la Transition (PNDT), par la suite d’un plan de développement précédent, le Plan Stratégique Gabon Émergent (PSGE), adopté en 2012. Parallèlement à ses engagements envers plusieurs conventions internationales portant sur le changement climatique14, ces politiques ont posé les bases d’une transformation vers une économie verte et diversifiée, visant le maintien de la neutralité carbone d’ici 2050, tout en intégrant la dimension climat et la durabilité durable dans sa stratégie. Cette vision a été traduite en termes opérationnels à travers l’adoption de stratégies et de plans nationaux clés, notamment le Plan Gabon Vert, le Plan National Climat et les Contributions déterminées au niveau national (CDN). En tant que pilier central du PSGE, le Plan Opérationnel Gabon Vert (2012-2025) définit une trajectoire de développement de l’économie verte reposant sur sept secteurs : l’agriculture, l’élevage, la pêche, l’aquaculture, le bois et les produits forestiers non ligneux. Le Plan National Climat (2012), quant à lui, propose une série d’actions à moyen terme15 pour faire face aux risques liés au changement climatique à l’horizon 2020, ainsi que des objectifs à plus long terme à l’horizon 2050. Ce plan est principalement axé sur les secteurs de la forêt et du bois, de l’agriculture, de l’énergie, de l’exploitation minière et de l’électricité. Les CDN du Gabon, soumises en 2016 et 2022, intègrent les principaux éléments du Gabon Vert et du Plan National Climat. Un élément-clé de sa CDN est la stratégie de Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+), qui vise à prévenir la déforestation et la dégradation non planifiées des forêts, tout en favorisant la séquestration et le stockage du carbone. Bien que le Gabon ait montré une forte appropriation de ses politiques en matière de changement climatique dans sa planification du développement économique, ses plans climatiques présentent certaines lacunes sectorielles, notamment dans des domaines prioritaires de l’agriculture tels que l’élevage, la pêche, l’aquaculture et la viande de brousse, qui n’y sont suffisamment traités. Les actions 12 Les indicateurs mondiaux en matière de gouvernance (WGI) incluent les indicateurs suivants : la Voix et la Responsabilité, la Stabilité Politique et l’Absence de Violence, l’Efficacité du Gouvernement, la Qualité de la Réglementation, l’État de Droit et la Lutte contre la Corruption. En 2020, le Gabon a affiché des scores inférieurs à la moyenne de l’Afrique subsaharienne dans chacune de ces dimensions. 13 Banque mondiale. 2020. 14 Pour de plus amples détails, veuillez consulter l’Annexe 4. 15 L’horizon temporel du Plan National Climat 2012 n’a pas été clairement défini, sauf pour certains secteurs, tels que comme l’agriculture (2016), l’électricité (2020) et le torchage (2050), sur la base du PSGE. 12 climatiques dans le secteur du transport ne sont pas non plus intégrées, que ce soit du point de vue de l’atténuation ou de l’adaptation. Le Gabon consolide également ses engagements en matière d’action climatique à travers plusieurs dispositions légales, notamment avec l’adoption d’une loi spécifique sur le climat. La Loi n° 18/2022, faisant suite à l’Ordonnance n° 19/PR/2021, s’applique à toutes les actions, activités, mesures et initiatives liées au climat et décrit les principes fondamentaux des seuils d’émission de GES, des quotas et du système de crédits compensatoires. Elle établit un cadre institutionnel pour la gouvernance climatique, la régulation (inspections, contrôles, infractions et sanctions) ainsi que les mécanismes de financement de la lutte contre le changement climatique. Cette loi vient compléter le cadre juridique en place régissant la politique en matière de changement climatique : a) Code forestier (Loi n° 016/01 et Ordonnance n° 006/PR2002) : Il établit que l’État est propriétaire de toutes les forêts et les répartit en domaines forestiers permanents et domaines ruraux. Il valide la gestion durable des forêts comme stratégie de gouvernance, en autorisant l ’exploitation uniquement dans le cadre de plans approuvés, et reconnaît les droits des communautés locales dans la gouvernance forestière. b) Législation sur le régime foncier (exemple : Loi n° 14/63, Loi n° 3/2012, Ordonnance n° 5/2012, Loi n° 1/2012) : Elle établit que l’État est propriétaire et gestionnaire des terres relevant du domaine public16, tout en accordant un accès à la propriété foncière aux personnes privées, sujette à des restrictions ; c) Loi sur les parcs nationaux (2007) : Consacre 11 pour cent du territoire à la conservation ; d) Loi sur le développement durable (Loi n° 002/2014) : Définit les principes et objectifs du développement durable, en exigeant que toutes les politiques des pouvoirs publics, des opérateurs économiques et de la société civile soient en accord avec la stratégie de développement durable du Gabon, priorisant le bien-être des générations actuelles et futures. e) Loi sur la protection de l’environnement (Loi n° 007/2014) : Établit, entre autres, les principes à respecter lors de la mise en œuvre d’activités pouvant menacer l’environnement. La loi impose la réalisation d’un inventaire national des émissions de GES, l’application du principe de l’empreinte carbone aux opérateurs économiques, l’intégration de l’efficacité énergétique dans les marchés publics et l’adoption de normes environnementales strictes dans le secteur du bâtiment ; elle prévoit également le développement des transports publics à faible émission de carbone et appelle à l’élaboration d’un Plan d’Efficacité Énergétique et d’Adaptation ainsi que d’un Plan National de Réduction des Émissions de GES. f) Ordonnance relative au changement climatique (Loi n° 018/2022) : Établit un dispositif institutionnel et l’intégration d’un système de gestion des GES, incluant un système national de quotas et de compensations pour les émissions de GES. Néanmoins, le cadre juridique du Gabon régissant la politique en matière de changement climatique reste partiellement opérationnel. Plusieurs règlements d’application et révisions législatives essentielles sont encore en attente, notamment : a) Loi sur l’aménagement du territoire : En cours d’élaboration, cette loi est essentielle pour régir la gestion durable des terres et concilier les priorités concurrentes en matière d’utilisation des sols. L’absence d’un plan national d’aménagement du territoire a entraîné des chevauchements entre les concessions pétrolières, minières, forestières et de conservation, compliquant la gestion des ressources et la préservation de l’environnement. Bien que l’Atlas forestier représente une avancée 16Loi n° 14/63 en date du 8 mai 1963 définissant la composition des domaines de l’État ainsi que les règles qui déterminent leurs modalités de gestion et de cession. 13 dans la mesure où il améliore la transparence, un cadre juridique pour l’aménagement du territoire est indispensable afin de concilier durablement les usages concurrents, tels que les activités extractives, la conservation et le développement agricole. De plus, l’absence de reconnaissance des droits fonciers coutumiers limite davantage l’accès des communautés locales, qui dépendent de la terre pour des usages culturels et religieux ainsi que pour leur subsistance. Par défaut, le droit foncier attribue actuellement la propriété à l’État, excluant ainsi les communautés locales des droits de propriété sur leurs terres traditionnelles. Cette situation est accentuée par les restrictions sur les forêts communautaires, dont la superficie est limitée à 5 000 hectares, sans transfert de propriété. b) Réglementations sur les GES et les crédits carbone : Elles incluent les procédures de déclaration de l’empreinte carbone des opérateurs économiques, la définition de seuils d’émissions de GES, la régulation des échanges de crédits carbone, ainsi que l’élaboration de normes nationales et de processus d’autorisation pour les initiatives privées portant sur les crédits carbone. Cependant, le Gabon ne dispose pas de normes nationales pour l’enregistrement ou la mise en œuvre de projets de réduction des émissions, tel que l’exige l’Article 9 de l’Ordonnance relative au changement climatique, qui interdit l’adhésion aux normes internationales. Les droits de propriété de l’État sur les terres et les forêts incluent également les droits sur le carbone, excluant ainsi les droits coutumiers, bien que ces derniers prédominent dans de nombreuses zones rurales. Cette exclusion empêche souvent les communautés locales de participer aux projets de réduction des émissions et de tirer avantage des crédits carbone qui en résultent. De plus, le monopole de l’État sur la commercialisation des crédits carbone sur le marché international, bien qu’assurant une cohérence nationale, restreint la participation du secteur privé ainsi que l’innovation dans les initiatives d’atténuation, qui pourraient pourtant générer des recettes fiscales et des avantages économiques plus vastes. c) Normes de construction : La réglementation spécifiant les normes de construction durable n’est pas encore finalisée. d) Textes d’application du code forestier : Les principales lacunes concernent notamment : la réglementation du domaine forestier rural (Article 12 du Code forestier) ; le régime spécial des forêts gérées par l’État et soumises à des contraintes physiques, écologiques ou sociales inhabituelles (conformément aux exigences de l’Article 144 du Code forestier) ; ainsi que les modalités d’extension des droits d’usage coutumiers aux droits d’usage économique pour appuyer la réduction de la pauvreté (Article 252 du Code forestier). e) Précisions sur les forêts et les zones tampons : Les divergences existant entre les cadres juridiques régissant les activités forestières, minières, aquacoles, de chasse, agricoles et touristiques dans les zones tampons (exemple : Ordonnance n° 118-PR-MEFEPEPN) et les principes établis par la Loi n° 003/2007 sur les parcs nationaux devraient être aplanies. L’Organisme de Gestion des Enjeux Climatiques prévu par la loi relative au climat n’a pas encore été créé. Cet organisme17 serait rattaché à la Présidence et dirigerait la coordination des politiques du Gabon en matière de changement climatique entre les ministères et départements. Dans les faits, le Conseil National Climat a jusqu’à présent joué le rôle de coordination des politiques en matière de changement climatique. Ce Conseil appuie les ministères dans l’élaboration et le suivi des stratégies, tout en participant aux négociations internationales relatives au climat ; cependant, l’insuffisance de ses pouvoirs et de ses 17 La loi prévoit par exemple que l’organisme dispose de sept comités techniques (énergie, industrie, agriculture, forêt/pêche, transports, déchets, sensibilisation, recherche, télécommunication), et de pouvoirs de contrôle et de sanctions dont le Conseil National Climat ne dispose pas. 14 ressources peuvent miner son efficacité. En revanche, l’Organisme de Gestion des Enjeux Climatiques disposerait de pouvoirs légaux de contrôle et de sanction, avec des agents assermentés. L’efficience opérationnelle et la transparence dans la coordination des actions climatiques pourraient être améliorées. Au-delà de la création de l’Organisme de Gestion des Enjeux Climatiques, il serait important de clarifier la répartition des responsabilités entre le Conseil National Climat (ou, à terme, l’Organisme) et les ministères compétents en matière de climat. De plus, la mise en place d’une coordination technique périodique et thématique – probablement sous la forme de comités techniques au sein de l’Organisme de Gestion des Enjeux Climatiques – pourrait renforcer la collaboration, notamment en mettant à contribution les départements en charge du financement des politiques liées au changement climatique (exemple : le Budget, le Trésor et la coordination de l’aide au développement). La production de rapports semestriels sur la mise en œuvre des CDN fait partie des nouveaux engagements internationaux, le premier rapport étant attendu d’ici décembre 202418. Cette occasion pourrait être exploitée pour assurer une communication régulière des rapports aux citoyens et aux législateurs sur la mise en œuvre des politiques en matière de changement climatique et renforcer la redevabilité. 2.2 Intégration des considérations climatiques dans la planification, la budgétisation et la gestion des finances publiques L’intégration des considérations climatiques dans les processus de planification et de budgétisation du Gabon reste limitée (Tableau 2.1). Bien que les chocs en rapport aux catastrophes soient pris en compte dans les évaluations des risques budgétaires, sous forme d’annexe à la loi de finances19, l’évaluation globale des risques budgétaires n’y est pas traitée, y compris l’impact du changement climatique sur l’économie, la mobilisation des recettes et les dépenses. Une intégration plus poussée pourrait inclure l’évaluation des risques climatiques dans la planification du développement local, l ’intégration d’une dimension climatique dans la budgétisation, le suivi budgétaire des dépenses finançant les politiques en matière de changement climatique, l’évaluation des projets d’investissement public prenant en compte le climat (exemple : analyse des risques, émissions potentielles de GES, alignement avec les politiques en matière de changement climatique) ainsi que l’écologisation des marchés publics. Certaines réformes en cours pourraient avoir un impact positif (exemple : révision en cours des textes sur les marchés publics et les PPP ; projet de texte sur le cadre de gestion des investissements publics) ; d’autres réformes pourraient également être mises en œuvre à court terme, les prérequis étant déjà en place (exemples : amélioration de la supervision de la mobilisation des financements internationaux pour la lutte contre le changement climatique, classification du budget climatique, prise en compte du climat dans les arbitrages budgétaires, intégration de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance pour les entreprises publiques performantes à fort potentiel d’actions d’adaptation et d’atténuation du changement climatique). Tableau 2.1. Résumé de la gestion des finances publiques en rapport au climat au Gabon 18 En vertu du Cadre de transparence renforcé, les Parties à l’Accord de Paris sont tenues de soumettre tous les deux ans des rapports de transparence biennaux ; ces rapports doivent inclure des informations sur les inventaires nationaux des émissions, les progrès dans la mise en œuvre des CDN, les politiques et mesures adoptées, les impacts du changement climatique et l’adaptation, les niveaux d’aide financière ainsi que d’appui au développement et au transfert de technologies, les besoins de renforcement des capacités, et les domaines à améliorer. https://unfccc.int/documents/193408 19 Les risques budgétaires en rapport au changement climatique sont partiellement pris en compte dans une annexe à la loi de finances, comprenant des estimations de l’impact des aléas naturels (inondations, glissements de terrain, incendies) sur les finances publiques. Cette évaluation pourrait être élargie à : (i) d’autres phénomènes potentiels en rapport au climat (sécheresses non mentionnées, maladies en rapport aux variations de température ou aux changements du régime des saisons des pluies, impact sur la forêt et l’agriculture, vagues de chaleur affectant la santé et/ou le réseau électrique pour la climatisation, etc. ) ; (ii) des horizons à plus long terme ; et (iii) une analyse coûts-avantages des dépenses d’investissement dédiées à la transition climatique ou à l’adaptation climatique. 15 GFP en rapport au climat Gabon Évaluation des risques au niveau local intégrant Non les considérations climatiques Évaluation des risques budgétaires intégrant les Partielle considérations climatiques Directives pour un budget intégrant les Non considérations climatiques Budgétisation ou suivi des dépenses relatives à Non la lutte contre le changement climatique Évaluation des projets intégrant les Non, mais le projet de loi sur les investissements publics intègre la considérations climatiques dimension climatique dans la présélection et l’évaluation Pratiques de marchés publics verts en droit Non, mais les marchés publics verts sont prévus dans la Loi de 2014 sur la protection de l’environnement et la Loi sur les marchés publics est en cours de révision. Les lacunes dans la gestion des finances publiques nuisent également à la capacité du Gabon à mettre en œuvre les politiques en matière de changement climatique. Selon la récente évaluation des Dépenses publiques et de la redevabilité financière (PEFA 2017), des progrès ont été réalisés en matière de budgétisation fondée sur les politiques et d’établissement de rapports budgétaires dans les délais ; cependant, plusieurs indicateurs n’ont pas atteint les normes établies par la PEFA. Les défis persistants incluent la gestion des arriérés, l’exécution des dépenses et l’assurance d’un contrôle interne et externe efficace, entre autres. La crédibilité des documents budgétaires reste un problème récurrent, en raison d’un manque d’alignement entre les plans et les budgets effectifs. Des problèmes de transparence sont observés dans les transferts aux unités infranationales, tandis que les audits de performance sont insuffisants, accentuant ainsi les défis de transparence. Les ajustements budgétaires fréquents au cours de l’année financière compliquent davantage la prévisibilité et le suivi, tandis que les dérogations spéciales et les processus d’engagement simplifiés y ajoutent des niveaux de complexité supplémentaires. Les défis en matière d’exécution du budget, de contrôles internes et externes ainsi que d’établissement des rapports financiers peuvent entraver l’accès au financement mondial de la lutte contre le changement climatique. L’accès au financement international pour la lutte contre le changement climatique, tel que le Fonds vert pour le climat (FVC) et le Fonds d’adaptation, requiert une gestion fiduciaire rigoureuse ainsi que des rapports fiables et crédibles. Par exemple, l’accréditation au FVC20 requiert, sur le plan fiduciaire, la préparation de rapports financiers fiables ainsi que la mise en place de contrôles internes et externes. La mise en œuvre complète de la budgétisation axée sur la performance pourrait considérablement améliorer l’efficience des dépenses en général, y compris celles des programmes relatifs au climat. Le Gabon a accompli des progrès dans le renforcement de son cadre juridique régissant la gestion des finances publiques (GFP), notamment avec la promulgation de la Loi organique relative aux lois de finances et à l’exécution du budget (LOLFEB) en 2010 et l’adoption de la réforme de la budgétisation par programme en 2015. L’allocation des ressources repose sur le mandat principal et les programmes de chaque ministère de tutelle, appuyés par des objectifs et des indicateurs de performance clairement définis. Elles ont également redéfini les rôles des parties prenantes dans le processus de GFP et réorganisé les services du Ministère des Comptes publics, renforçant ainsi la crédibilité du processus budgétaire et clarifiant les liens entre les politiques publiques, les objectifs et les enveloppes de ressources. Cependant, des défis persistent dans la pleine concrétisation des avantages de ces réformes. Les principaux règlements d’application de la LOLFEB restent en suspens, notamment les dispositions permettant aux directeurs de programmes de gérer de manière autonome les budgets des programmes et des sous-programmes (charte de gestion et processus d’Autorisation d’Engagement / Crédit de Paiement [AE/CP]). De plus, l’exploitation 20 https://www.greenclimate.fund/accreditation. 16 des données de performance pour renforcer la redevabilité et améliorer la conception ainsi que la mise en œuvre des programmes reste limitée. La budgétisation par programme représente également une opportunité pour renforcer l’intégration des considérations climatiques dans le budget. Cette approche pourrait faciliter la prise en compte de la dimension climatique de plusieurs manières complémentaires : a) Intégration du climat dans les circulaires de préparation du budget : L’intégration des engagements climatiques dans les directives adressées aux ministères lors de la préparation du budget permettrait d’assurer que les programmes proposés soient en accord avec les objectifs climatiques nationaux. b) Indicateurs de performance relatifs au climat : L’exigence d’au moins un indicateur de performance axé sur l’atténuation ou l’adaptation au changement climatique pour chaque programme pourrait permettre un suivi consolidé entre les ministères et améliorer le suivi des progrès accomplis dans la réalisation des objectifs climatiques communs. La mise en place de quelques indicateurs standards pourrait être proposée, permettant ainsi un suivi consolidé de l’action de plusieurs ministères sur un même thème. c) Estimations du budget et des dépenses pour la politique en matière de changement climatique : L’estimation des allocations financières et des dépenses publiques relatives au changement climatique faciliterait des arbitrages budgétaires éclairés, améliorerait l’évaluation des efforts de lutte contre le changement climatique et renforcerait les arguments en faveur de la mobilisation de financements supplémentaires pour la lutte contre le changement climatique (Encadré 2.1). Encadré 2. 1. Classification climatique du budget : l’expérience internationale Depuis l’introduction de la première classification climatique dans le budget en 2012, une vingtaine de gouvernements à travers le monde ont élaboré des méthodologies de classification climatique de budget (tels que le Népal, le Chili, l’Indonésie, les Philippines, la Colombie, l’Irlande, le Ghana, le Kenya, la France, et l’Australie). Les méthodologies de classification climatique du budget reposent sur trois éléments essentiels : définir et estimer les dépenses relatives au climat et déterminer la couverture appropriée. Depuis 2015, les Philippines ont institutionnalisé la classification systématique des dépenses relatives au climat. La « Classification des dépenses relatives au changement climatique » permet d’identifier et de suivre les dépenses budgétaires adaptées au changement climatique, tout en facilitant la discussion sur leur performance. Le processus produit également des statistiques permettant d ’analyser les tendances, de suivre l’exécution du budget et d’évaluer la performance. Les données finalisées permettent d’établir une base de référence des dépenses relatives au changement climatique par domaine de résultat et d ’élaborer le Plan d’Action National sur le Changement Climatique, en vue d ’appuyer le dialogue politique au sein du Gouvernement et avec les acteurs externes. La classification des dépenses relatives au climat exige de chaque ministère d’évaluer chaque programme, activité et projet dans le budget selon trois dimensions : (i) déterminer si le programme, l’activité ou le projet est adapté au changement climatique et en accord avec le Plan d’Action National sur le Changement Climatique ; (ii) le cas échéant, préciser si l’ensemble du programme ou si certaines composantes sont adaptées au changement climatique et dans quelle proportion ; et (iii) classer ces dépenses à l’aide d’un code de typologie des dépenses relatives au climat, puis déclarer comme telles les parties du budget concernées ou les composantes spécifiques identifiées. La Colombie publie également des données sur le financement de la lutte contre le changement climatique à travers sa plateforme Climate Finance MRV qui permet de suivre, depuis 2011, le financement des politiques climatiques par les secteurs privé et public, par province et par secteur. 17 2.3 Renforcer la confiance pour un financement international : Tirer parti de la réadhésion à l’Initiative pour la transparence des industries extractives et renforcer les politiques de lutte contre la corruption La transparence et l’intégrité demeurent des domaines critiques qui nécessitent une attention particulière pour garantir la préparation institutionnelle du Gabon face aux changements climatiques. Par exemple, le profil de gouvernance du pays et les défis dans la mise en œuvre du Document de Stratégie de Lutte contre la Corruption et le Blanchiment des Capitaux pourraient nuire à la crédibilité des crédits carbone et à l’investissement direct étranger (IDE). Tout comme pour d’autres secteurs de l’économie gabonaise, le développement d’une économie fondée sur les crédits carbone pourrait être affecté par les défis de gouvernance et de transparence. En référence aux principaux indicateurs d’intégrité, le Gabon se classe parmi les pays qui auraient encore des opportunités pour réaliser des efforts supplémentaires. En 2020, le score attribué au Gabon à l’Indice Mo Ibrahim de la gouvernance africaine était 47,7 sur 100, plaçant le pays au 29 e rang sur 54 pays évalués21. Selon les données d’Afrobarometer, la majorité des Gabonais considèrent que la corruption reste persistante parmi les services chargés de l’application de la loi (69 pour cent des répondants)22. En 2023, Transparency International a placé le Gabon au 136e rang sur 180 pays en matière de perception de la corruption, son score étant de 28/10023. Les lacunes dans les cadres de gouvernance et de conformité constituent des défis dans les secteurs relatifs au climat. Par exemple, dans le secteur forestier du Gabon, le non-respect des règles d’exploitation durable et la persistance de l’exploitation illégale demeurent des défis importants, malgré des initiatives pour améliorer la traçabilité et contrôles du bois. Comme dans d’autres pays membres de la Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC), les lacunes en matière de gouvernance au Gabon ont également affecté les efforts de lutte contre la pollution et la dégradation de l’environnement. L’accès à la terre reste un défi, en partie en raison des obstacles dans le processus d’acquisition foncière et de reconnaissance des droits fonciers, notamment pour les communautés vulnérables. De plus, en raison des défis en matière de transparence sur les revenus générés par les ventes de crédits carbone, il existe un risque de mise en question de la réputation auprès des acheteurs, en particulier sur les marchés volontaires. Le Gabon a validé sa réadhésion à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), offrant ainsi une excellente opportunité de renforcer la transparence et d’envoyer un signal positif aux citoyens ainsi qu’aux investisseurs étrangers. Lorsqu’il a entamé son parcours avec l’ITIE en 2004, le pays s’est heurté à plusieurs défis, notamment une suspension en 2013 en raison de retards dans la publication des rapports, de données incomplètes, de réunions irrégulières du comité et d’une participation insuffisante de la société civile. En 2021, le Gabon a été réadmis suite à la publication de son rapport sur les revenus du secteur extractif au titre de 2021. Le processus de réadhésion à l’ITIE a été achevé en mars 2025 et le pays a obtenu un score modéré dans la mise en œuvre de la norme ITIE24. De plus, l’adhésion du Gabon à l’ITIE ne concerne pas actuellement le secteur forestier, comme c’est le cas dans la plupart des pays membres. À l’avenir, il serait important de poursuivre la mise en œuvre des recommandations de l’ITIE, et les normes pourraient être étendues au secteur forestier. L’engagement du pays auprès de l’ITIE 21 https://www.gabonreview.com/indice-ibrahim-de-la-gouvernance-africaine-le-gabon-toujours-pas-au-point/ 22 https://www.afrobarometer.org/countries/gabon/ 23 https://www.transparency.org/en/countries/gabon 24 Initiative pour la transparence dans les industries extractives. 2025. Rapport de Validation du Gabon 2024. https://eiti.org/fr/board- decision/2025-06 18 représente ainsi une opportunité majeure pour renforcer la transparence et la gouvernance dans tous les secteurs associés aux ressources naturelles. L’accès au financement de la lutte contre le changement climatique pourrait être facilité par une accélération des efforts de lutte contre la corruption et un renforcement de la crédibilité du Gabon. Sur le plan juridique, le Gabon a ratifié la plupart des dispositions internationales et régionales25 qui ont été traduites en droit gabonais sur l’enrichissement illicite26 et la déclaration de patrimoine27 et leur application par la Commission Nationale de Lutte contre la Corruption et l’Enrichissement Illicite (CNLCEI)28 et l’Agence Nationale d’Investigation Financière (ANIF)29. Cependant, le Document de Stratégie Nationale de Lutte contre la Corruption et le Blanchiment des Capitaux n ’a pas fait l’objet d’une évaluation indépendante ni d’une mise à jour depuis 2014, alors même que les indicateurs se sont détériorés entretemps. Comme le Dialogue National Inclusif entamé en avril 2024 l’a souligné, la lutte contre la corruption est un enjeu central dans la transition en cours, offrant une opportunité d’accélérer les réformes. 2.4 Renforcer les institutions pour porter l’action climatique à plus grande échelle Un défi important à relever en matière de gestion publique est d’améliorer la mise en œuvre et l’efficacité des politiques publiques, y compris celles relatives à l’adaptation et à l’atténuation du changement climatique. Cela exige une transition transformatrice dans la gestion des finances publiques et la gouvernance climatique, en passant de stratégies partiellement mises en œuvre à une planification opérationnelle structurée dans le temps, budgétisée et exécutée de manière efficace (respectant les délais et les objectifs prévus). Parallèlement, cela nécessiterait des réformes politiques capables de renforcer l’intégrité et la transparence du fonctionnement de l’État en général, et plus particulièrement la mise en œuvre de la CDN et de la Loi relative au climat, afin d’assurer la redevabilité dans la mise en œuvre, tout en entretenant la confiance des partenaires, des investisseurs et des citoyens. Les recommandations proposées dans ce CCDR sont priorisées en fonction de leur faisabilité et de leur impact sur l’action climatique. Les recommandations « utiles en tout état de cause » à court terme sont celles jugées les plus politiquement réalisables et techniquement abouties, ayant un impact significatif sur l’action climatique. Les recommandations « transformatrices » à moyen terme semblent indispensables pour la politique en matière de changement climatique du Gabon ; cependant, leur mise en œuvre pourrait s’avérer complexe et nécessiter une coordination renforcée et éventuellement une assistance technique et un appui dédié. 25 Y compris la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption (2003), la Convention des Nations Unies contre la corruption (2007), ainsi que les Règlements de la CEMAC portant prévention et répression du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme en Afrique centrale (Règlement n° 1 CEMAC/UMAC/CM en date du 4 avril 2003, Règlement n° 02/10 en date du 2 octobre 2010, Règlement n° 1/CEMAC/UMAC/CM en date du 11 avril 2016). 26 Loi n° 002/2003 en date du 7 mai 2003, établissant un régime de prévention et de répression de l ’enrichissement illicite, révisée par la loi n° 041/2020 de 2021. 27 Décret n° 00324/PR/MCEILPLC en date du 7 avril 2004 fixant les procédures de déclaration de patrimoine, amendé par le Décret n° 000717/PR/MCEILPLC en date du 6 septembre 2004. 28 Créée par la Loi n° 0003/2003 en date du 7 mai 2003 portant création, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale de Lutte contre la Corruption et l’Enrichissement Illicite avec pour mission de prévenir et de constater les actes d’enrichissement illicite. 29 Créée par le Décret n° 739/PR/MEFBP en date du 22 septembre 2005 fixant l ’organisation, le fonctionnement et le financement de l’Agence d’Investigation Financière. 19 Tableau 2.2. Matrice des politiques institutionnelles proposées pour renforcer l’action climatique au Gabon N° Politique institutionnelle Délai 1 Créer l’Organisme de Gestion des Enjeux Climatiques, comprenant le mécanisme de coordination À court terme technique thématique, des représentants des ministères en charge de l’économie et du budget, ainsi qu’un système de suivi et évaluation. 2 Mettre à jour, adopter et diffuser une Stratégie Climatique à Long Terme (couvrant l’adaptation et À court terme l’atténuation), assortie d’objectifs clairs, d’un plan opérationnel sur cinq ans et d’un mécanisme de suivi et évaluation. En alternative, intégrer les engagements climatiques (Loi 2022, CDN) dans la Vision de Développement et les Plans Sectoriels actualisés. 3 Tirer parti de la budgétisation par programme pour intégrer la dimension climatique dans la GFP :(i) À court terme demander une contribution à la lutte contre le changement climatique dans la circulaire de préparation du budget ; (ii) demander aux ministères de tutelle d’inclure au moins un indicateur de performance climatique dans leurs programmes ; (iii) mettre en œuvre, à titre pilote, la classification du budget en rapport au climat. 4 Inclure une dimension verte dans la révision de la Loi sur les marchés publics. À court terme 5 Mettre en œuvre, à titre pilote, un mécanisme de développement local participatif intégrant la À court terme dimension climatique 6 Adopter un cadre de gestion des investissements publics prenant en compte le risque climatique et Moyen terme la stratégie de lutte contre le changement climatique dans la sélection et l’évaluation des projets. À court terme, renforcer le cadre juridique régissant les études d’impact environnemental systématiques afin d’y intégrer les émissions de GES, les risques climatiques et la dimension d’adaptation au changement climatique. 7 Finaliser et adopter la loi d’aménagement du territoire (en suspens). Moyen terme 8 Opérationnaliser le Fonds Climat. Moyen terme 9 Identifier les principales entreprises publiques performantes afin de mettre en œuvre : (i) des normes Moyen terme environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) conformes aux standards internationaux et/ou (ii) des sauvegardes fiduciaires, environnementales et sociales solides pour accéder aux guichets de financement mondiaux sur le climat. 20 3. Renforcer la résilience climatique à travers les infrastructures, le capital naturel et le développement humain Points clés • Le parcours du Gabon vers la décarbonation à l’horizon 2050 requiert une approche globale, priorisant le développement des énergies renouvelables, notamment l’hydroélectricité, ainsi que des investissements dans les infrastructures énergétiques essentielles et la participation du secteur privé. Le renforcement et l’interconnexion des réseaux électriques seront essentiels pour élargir l’accès à une électricité abordable, améliorer la fiabilité du service et réduire les coûts. L’exploitation de l’énergie gazière constitue une solution transitoire, permettant la stabilité du réseau, la réduction des coûts et la diminution des émissions par la réduction du torchage de gaz et de la dépendance à la production d’énergie à base de carburants. Parallèlement, des investissements ciblés sont également nécessaires pour élargir l’accès à l’eau en milieu rural, réduire les pertes et améliorer les infrastructures d’assainissement. Il est essentiel d’améliorer la gouvernance et la performance des services publics dans les secteurs de l’électricité et de l’eau. Cela nécessite d’améliorer l’efficacité, la redevabilité et la transparence des services publics, tout en assurant une réglementation efficace. • Les villes et les routes du Gabon sont fortement exposées aux risques liés au climat, notamment les inondations, l’élévation du niveau de la mer, le stress thermique et la pollution atmosphérique. Les zones d’habitation informelles sont particulièrement menacées et manquent souvent d’accès aux services de base. Les investissements dans l’urbanisme, les infrastructures résilientes et la protection contre les effets du changement climatique sont donc indispensables pour renforcer la résilience. À cet égard, les systèmes d’alerte précoce, la gestion intégrée de l’eau et les solutions fondées sur la nature peuvent constituer des stratégies d’adaptation essentielles. • Les initiatives prises par le pays ont permis de développer une industrie locale du bois, maintenant des taux de déforestation faibles ; cependant, des défis persistent dans la valorisation des essences de bois moins connues, l’exploitation des produits forestiers non ligneux et la montée en gamme dans les chaînes de valeur. La diversification et la dynamisation du secteur du bois seront essentielles face aux impacts climatiques potentiels sur les forêts. Dans le secteur de l’agriculture, le Gabon fait face à des défis en matière d’amélioration de la productivité, alors que le changement climatique risque d’affecter plusieurs cultures essentielles. Des investissements dans des variétés de cultures résilientes, dans l’irrigation et dans une réforme du régime foncier sont indispensables pour dynamiser la production agricole. • Malgré l’abondance de ses richesses naturelles, le Gabon fait face à des défis dans le développement de son capital humain, les indices de capital humain étant au-dessous du potentiel du pays et le taux de chômage élevé. Le changement climatique menace la santé, l’éducation et la protection sociale, exposant particulièrement les groupes vulnérables aux risques. Les investissements dans les infrastructures de santé, l’éducation et la formation, ainsi que dans des systèmes de protection sociale adaptés aux chocs sont essentiels pour renforcer la résilience. Le développement des compétences et la promotion des emplois verts constituent des opportunités pour bâtir une économie plus inclusive à l’avenir. 21 Ce chapitre présente les parcours des différents secteurs vers un développement vert, résilient et inclusif. Il analyse les principaux défis de développement à surmonter dans chaque secteur, ainsi que les impacts du changement climatique et les opportunités d’action pour le Gouvernement et la participation du secteur privé. Les secteurs clés évalués dans ce chapitre concernent a) le capital physique du Gabon : énergie ; eau ; infrastructures urbaines, de transport et numériques ; b) le capital naturel : agriculture ; pêche ; et foresterie ; et c) le capital humain : santé ; éducation ; protection sociale ; inclusion et emplois. Pour certains secteurs, une modélisation initiale a été effectuée afin d’analyser les risques et les options spécifiques dans différents scénarios de croissance et de climat. Dans chaque domaine, des options politiques sont proposées pour promouvoir les objectifs de développement et climatiques, afin de tracer une voie de développement résiliente pour le Gabon. 3.1 Environnement bâti et infrastructures Améliorer l’accès à l’énergie, son accessibilité financière et sa fiabilité dans une optique de faibles émissions de carbone Le secteur de l’électricité est un pilier du développement durable du Gabon, nécessitant une expansion des énergies renouvelables et une modernisation des infrastructures afin de réduire les émissions et de répondre à la demande énergétique. Pour bâtir un avenir énergétique durable, il est important pour le Gabon de réduire sa dépendance à l’énergie thermique et optimiser l’exploitation de ses abondantes ressources renouvelables. Malgré un potentiel hydroélectrique de plus de 10 GW, le mix énergétique du pays en 2023 demeurait encore largement dominé par les sources thermiques (plus de 50 pour cent de la production totale). Sur une capacité installée totale de 704 MW en 2024, 54 pour cent provient du gaz et du diesel (380 MW), tandis que seulment 46 pour cent de l’hydroélectricité (324 MW). Les réseaux de transport et de distribution existants sont obsolètes et insuffisants, en proie à des problèmes de maintenance et de manque d’interconnexion ; cette situation entrave une distribution efficace de l’électricité excédentaire et décourage les investissements dans des projets hydroélectriques de grande envergure. Elle limite le recours aux ressources renouvelables et freine les efforts de réduction des émissions, mettant en évidence la nécessité de moderniser les infrastructures électriques et d ’élargir l’hydroélectricité. L’amélioration de l’accès à un approvisionnement en énergie abordable et fiable sera également essentielle pour réaliser les objectifs de développement. Le manque d’électricité figure parmi les principales préoccupations des entreprises du pays, en particulier celles qui opèrent en milieu rural, telles que les industries minières et du bois. Les récents délestages d’août 2024 sont dus à des niveaux d’eau historiquement bas, insuffisants et imprévus, affectant la production hydroélectrique. Ces pénuries ont considérablement affecté les entreprises et les ménages, aussi bien à Libreville que dans les zones rurales et industrielles, soulignant davantage la nécessité de diversifier le mix énergétique du Gabon, d ’investir dans les énergies renouvelables pour répondre à la demande et de renforcer la résilience face au changement climatique. Compte tenu des investissements prévus dans les énergies renouvelables et de ses abondantes ressources en eau, le Gabon est bien placé pour réaliser la décarbonation de son secteur énergétique. Une analyse exploratoire a été menée afin de définir les politiques et investissements nécessaires au développement de stratégies de transition énergétique propre au Gabon, dans la perspective de parvenir à l’objectif d’émissions nettes nulles dans le secteur de l’électricité à l’horizon 2050. En s’appuyant sur le modèle de planification de l’électricité de la Banque mondiale, l’analyse a évalué l’impact d’une trajectoire 22 d’émissions nettes nulles sur la capacité énergétique et le mix de production du Gabon, en prenant en compte la croissance prévisionnelle de la demande et les technologies disponibles. Trois scénarios ont été étudiés afin de définir les stratégies les plus efficaces pour maximiser les ressources renouvelables et réduire la dépendance aux combustibles fossiles. Ces scénarios sont : (a) scénario de référence conservateur sans déploiement supplémentaire de l'hydroélectricité avant 2032 dans le réseau régional de Libreville (Réseau interconnecté ou RIC30) et avant 2035 dans les autres réseaux régionaux du Gabon, et sans interconnexion entre les différents réseaux régionaux (zones internes) du pays [Base] ; (b) objectif de zéro émission nette pour le secteur électrique sans interconnexion entre les zones internes du Gabon et développement des ressources hydroélectriques31 dans un délai raisonnable [NZP] ; (c) objectif de zéro émission nette pour le secteur électrique avec interconnexion entre les zones internes du Gabon à partir de 2035 et développement des ressources hydroélectriques dans un délai raisonnable [NZPI]. De plus, une analyse de sensibilité du calendrier de déploiement de l’hydroélectricité a été effectuée ; celle-ci compare : la réalisation dans un délai raisonnable des investissements hydroélectriques prévus dans le scénario de référence ; et déploiement hydroélectrique tardif, conformément au scénario de référence conservateur, dans les scénarios de zéro émission nette. Dans le scénario de référence conservateur, les émissions du secteur électrique du Gabon devraient rester supérieures à 1 MtCO2 jusqu’en 203032. Un retard dans le développement de l’hydroélectricité entraînera, à court terme, une augmentation de la capacité et de la production de gaz gazières dans tous les scénarios, accompagnée d’une hausse des émissions de GES. Dans le scénario de référence, la capacité en gaz pour la production d‘électricité prévue d’ici 2030 est estimée à 330 MW (Error! Reference source not found.). Une analyse de sensibilité avec un déploiement opportun de l’hydroélectricité réduit la capacité en gaz nécessaire à 222 MW d’ici 2030, soit une diminution de 30 pour cent par rapport au scénario de référence conservateur prudent (Error! Reference source not found.). Avec une croissance annuelle moyenne du PIB de 5 pour cent sur l’horizon de modélisation 2025-2050 du scénario NZP, le déploiement opportun de l’hydroélectricité pourrait réduire la capacité en gaz requise d’environ 400 MW à 280 MW, soit une baisse de 30 pour cent ; et diminuer les émissions de GES prévues d’ici 2030 à 220 ktCO2eq par an. La dépendance continue au gaz, due au retard des investissements dans l’hydroélectricité, combinée au déploiement prévu de navires-centrales électriques fonctionnant au fioul lourd, compromettront les progrès à court terme en matière de réduction des émissions. Cependant, avec un déploiement opportun de l’hydroélectricité dans le scénario NZP, l’intensité des émissions devrait diminuer drastiquement, passant de 335 gCO2e/kWh actuellement à environ 50 gCO2e/kWh d’ici 2030 (Error! Reference source not found.)33. 30 Le Gabon compte 5 RIC différents : Libreville, Francheville, Point-Gentil, Louetsi et la région Nord. 31 Conformément au schéma directeur du Gouvernement le plus récent (Plan de développement du système de production, de transport et de distribution d’énergie électrique à l’horizon 2040, 2020). 32 Le niveau d’émissions historique le plus récent enregistré dans le secteur de l’électricité s’élevait à 1,6 MtCO2eq en 2022. 33 L’annexe sur la modélisation énergétique comprend des données supplémentaires illustrant les résultats en termes d ’émissions pour tous les scénarios et en fonction des analyses de sensibilité. 23 Figure 3.5. Projection de du mix énergétique en termes de capacite et production pour les scénarios de Base, NZP et NZPI (202434, 2030, 2050). a) Mix de capacité (MW) b) Mix de production (GWh) Figure 3.6. Mix des capacités par scénario de sensibilité et l’intensité des émissions dans les différents scénarios énergétiques d’ici 2030. a) Mix des capacités en 2030 par scénario de sensibilité b) Intensité des émissions selon les scénarios (gCO2 par MWh) Remarque : Base (EH) : Scénario de base avec déploiement rapide de l’hydroélectricité ; NZP (DH) : Scénario NZP avec déploiement tardif de l’hydroélectricité. Le déploiement de navires-centrales électriques fonctionnant au fioul lourd entraîne une hausse initiale de l’intensité des émissions dans tous les scénarios. L’hydroélectricité du Gabon est généralement résiliente au changement climatique, bien que les variations des débits fluviaux et la variabilité des précipitations puissent affecter la production. Cependant, l’hydroélectricité présente également certains risques environnementaux potentiels, notamment des impacts sur la biodiversité et la sécurité hydrique, qui doivent être rigoureusement gérés ou évités. Selon une évaluation rapide des risques liés au changement climatique du bassin du fleuve Ogooué, qui draine 34La capacité prévue en 2024 a été estimée sur la base du schéma directeur du Gouvernement le plus récent et des données sur la capacité installée reçues du Ministère de l’Énergie et des Ressources Hydrauliques en mars 2024. 24 près de 80 pour cent du Gabon, la production hydroélectrique annuelle (GWh/an) est modérément sensible aux changements climatiques futurs, avec une augmentation potentielle de la production d’ici 2050. Bien que la puissance garantie pendant la saison sèche (définie comme étant la production moyenne d’électricité durant les deux mois où le débit des rivières est le plus faible) soit plus vulnérable en raison d’un stockage limité, la plupart des modèles climatiques prévoient un futur plus humide pour le Gabon. Ainsi, le changement climatique ne devrait pas affecter significativement le potentiel hydroélectrique du Gabon et pourrait même constituer une opportunité pour l’augmenter, avec des projections indiquant une hausse de 10 pour cent de la production annuelle et une augmentation de 20 pour cent de la puissance garantie en saison sèche. Au vu de ces projections et de la nécessité d’une hydroélectricité résiliente pour appuyer les objectifs du Gabon en matière d’énergie propre et de climat, le pays devrait poursuivre le développement de son potentiel hydroélectrique avec un appui renforcé des partenaires de développement et des investisseurs privés, tout en améliorant sa capacité de prévision hydrologique. En cas de retards dans le développement de l’hydroélectricité, l’utilisation du gaz en tant que combustible de transition plutôt que des carburants pétroliers pourrait constituer une alternative viable pour maintenir la stabilité du réseau, assurer l’approvisionnement énergétique et réaliser les objectifs de réduction des émissions. Les centrales électriques fonctionnant au diesel et au fioul lourd sont considérées comme une solution de dernier recours et ne sont pas rentables dans des conditions normales. Ils exposent le secteur de l’énergie à la volatilité des cours mondiaux du carburant. Cependant, des investissements majeurs dans les infrastructures gazières risquent de devenir des actifs échoués en cas de transition rapide vers les énergies renouvelables au Gabon ; il est donc crucial de trouver un équilibre entre les besoins énergétiques à court terme et les objectifs de durabilité à long terme. En effet, l’électricité produite à partir du gaz devrait assurer la stabilité nécessaire dans le scénario NZP et contribuer à la flexibilité du système électrique du Gabon à’ l’horizon 2030 et au-delà (même en cas de déploiement rapide de l’hydroélectricité) bien que les facteurs de capacité moyens pourraient diminuer de 71 pour cent en 2024 à 20 pour cent d’ici 2035 dans le scénario NZP. Les futurs contrats d’achat d’électricité produite à partir du gaz, conclus avec des producteurs d’électricité indépendants, devront inclure des dispositions spécifiques visant à assurer la flexibilité et la stabilité requises. L’interconnexion de tous les réseaux électriques régionaux (Réseau Interconnecté ou RIC) pourrait débloquer pleinement le potentiel hydroélectrique du Gabon et réduire le coût de la transition énergétique, permettant ainsi le passage à un système électrique 100 pour cent renouvelable, principalement alimenté par l’hydroélectricité, d’ici 2050. Dans le scénario zéro émission nette avec interconnexion (NZPI), la part de l’hydroélectricité dans le mix de production devrait augmenter, passant d’environ 30 pour cent en 2024 à 86 pour cent d’ici 2050 (Error! Reference source not found.). Dans ce scénario, d’ici 2040, l’hydroélectricité stockée contribuerait à hauteur de 15 pour cent à la production hydroélectrique, apportant ainsi la flexibilité dont le système a tant besoin. Le photovoltaïque (PV) solaire, associé à un système de stockage d’énergie par batterie (BESS), devrait jouer un rôle à importance croissante vers la fin de l’horizon de planification, en raison des objectifs de zéro émission nette, d’une parité des coûts de plus en plus avantageuse et du besoin de capacité de réserve fiable. Pour réaliser l’objectif de zéro émission nette, le BESS sera essentiel pour maintenir la stabilité et la flexibilité du réseau, en particulier face aux exigences de réponse rapide liées à l’intermittence solaire et aux fluctuations de la production hydroélectrique causées par les variations saisonnières. Le PV et le BESS devraient connaître une forte croissance, passant de presque zéro aujourd’hui à 2,4 GW pour le PV et 470 MW pour le BESS à l’horizon 2050, dans la perspective de réaliser l’objectif de zéro émission nette (Error! Reference source not found.). 25 Pour réaliser l’objectif de zéro émission nette dans le secteur électrique du Gabon d’ici 2050, tout en appuyant une plus grande croissance économique, des investissements actualisés supplémentaires de 1,75 milliard USD seront nécessaires dans le scénario NZPI par rapport au scénario de référence ; ce besoin reste valable même avec la mise en œuvre du déploiement hydroélectrique et des interconnexions entre les réseaux internes prévues par le Gouvernement. Dans le scénario NZPI avec un déploiement hydroélectrique dans un délai raisonnable, les besoins totaux d’investissement actualisés35 s’élèvent à 2,2 milliards d’USD pour la production d’électricité et à 530 millions d’USD pour les réseaux 36 à l’horizon 2050 (Error! Reference source not found.). La majorité de ces investissements est requise pour faire face à l’augmentation de la demande, due à une croissance économique plus élevée dans le scénario NZPI par rapport au scénario de référence. Le déploiement tardif de l’hydroélectricité augmentera les coûts totaux du système37 de 342 millions d’USD d’ici 2050 par rapport au scénario NZPI où l’hydroélectricité est déployée en temps voulu. Bien que les besoins en investissement soient moins élevés au cours de la prochaine décennie, en raison du coût initial inférieur de la production d’électricité à partir du gaz ou du fioul lourd par rapport à l’hydroélectricité, cette réduction sera compensée par des dépenses en combustible plus élevées sur l’ensemble de l’horizon de modélisation (Error! Reference source not found.). La décarbonation du secteur énergétique a un impact minime sur les coûts moyens de production au Gabon jusqu’en 2040. Par la suite, le coût de production moyens dans le scénario à zéro émission nette sans interconnexion pourrait être 25 à 30 pour cent plus élevé que dans le scénario de référence, en raison de l’augmentation des investissements dans le PV et le BESS. Pour bien gérer la question de l’accessibilité financière des services énergétiques, il sera essentiel de mettre en œuvre des stratégies exp loitant des ressources énergétiques rentables, intégrant un financement concessionnel mixte et optimisant l’interconnexion des réseaux. Un réseau national intégré dans le scénario NZPI pourrait réduire les coûts de production moyen d’environ 10 pour cent par rapport au scénario NZP, à travers la mutualisation de ressources énergétiques les plus compétitives. La mobilisation du secteur privé pour introduire des technologies à haut rendement énergétique, le stockage sur batterie et les carburants alternatifs contribuerait également à renforcer les systèmes énergétiques du Gabon et à réaliser l ’objectif de zéro émission nette. 35 Les besoins d’investissement correspondent aux dépenses d’investissement actualisées (CAPEX) pour la production et les réseaux, en appliquant un taux d’actualisation de 6 pour cent. 36 Les besoins d’investissement dans le réseau correspondent aux coûts d’immobilisation pour : a) le renforcement des lignes de transport d’électricité existantes ; b) la mise en place de l’interconnexion entre les zones internes isolées (uniquement dans le scénario NZPI) ; et c) l’extension de l’accès à l’électricité à travers les branchements au réseau - ces investissements sont basés sur le schéma directeur le plus récent du gouvernement. 37 Les coûts totaux du système correspondent à la somme actualisée des éléments suivants : a) les annuités de capital pour la production et le réseau ; b) les coûts fixes et variables d’exploitation et de maintenance ; c) les coûts du carburant ; d) le coût de la réserve tournante ; e) les coûts d’élimination du carbone pour réaliser les objectifs d’émission. 26 Figure 3.7. Besoins d’investissement actualisés pour le scénario NZPI (à gauche) et coûts totaux du système énergétique dans le scénario NZPI/NZPI (DH) Remarque : (RoR = hydroélectricité au fil de l’eau ; STO HY = hydroélectricité stockée ; GT = turbine à gaz ; CCGT = turbine à gaz à cycle combiné). NZPI (DH) : Scénario NZPI avec déploiement tardif de l’hydroélectricité. La transition vers un scénario à zéro émission nette nécessitera des efforts considérables pour développer des infrastructures renouvelables, aussi bien hors réseau que sur le réseau central parce qu’il persiste d’importantes disparités dans l’accès aux services de base entre les milieux urbain et rural au Gabon. Alors que le taux d’accès à l’électricité atteint 92 pour cent à l’échelle nationale, seuls 25 pour cent de la population rurale ont accès aux réseaux électriques. Environ 14 pour cent de la population vit dans des zones isolées alimentées par des systèmes hors réseau, tandis que 7 pour cent réside dans des localités reculées et non électrifiées, éloignées du réseau moyenne tension. Dans ce contexte, il est essentiel de développer la production d’énergie solaire à travers des mini-réseaux ou des systèmes hors réseau, notamment dans les zones reculées bénéficiant d’un bon ensoleillement ou lorsque les grands projets hydroélectriques ne sont pas faisables. La réalisation d’un système énergétique durable au Gabon repose sur la viabilité financière de l’opérateur national. Le secteur de l’électricité est actuellement freiné par le sous-investissement de l’État et de la compagnie nationale des services publics, la Société d’Eau et d’Électricité du Gabon (SEEG), ainsi que par le manque d’investissements du secteur privé et de PPP, en raison des risques de défaillance de la SEEG en tant qu’acheteur d’électricité. La SEEG, qui assure la gestion des services d’eau et d’électricité, a obtenu en 2022 le renouvellement de sa concession de production, de transport et de distribution d’électricité pour une durée de 20 ans. Cependant, le chiffre d’affaires de la SEEG est resté stable au cours des six dernières années, et l’entreprise a enregistré une perte nette de 21,6 millions d’USD en 2022. Cette perte est attribuée à : des pertes élevées en transport et distribution atteignant 29 pour cent ; un faible taux de recouvrement des factures d’électricité, n’atteignant que 84 pour cent ; des coûts de production élevés à cause de la dépendance aux carburants liquides ; et un gel des tarifs en vigueur depuis 2018. Il est essentiel d’accélérer les efforts visant à rationaliser les prix, à assurer une tarification prenant en compte les coûts, à réduire les pertes techniques et à améliorer l’efficacité opérationnelle afin de réduire les risques associés aux projets énergétiques et d’attirer davantage d’investissements du secteur privé. Le Gabon pourrait accélérer ses efforts visant à améliorer la gestion de ses ressources pétrolières afin de maximiser les recettes en vue de créer de nouvelles opportunités de croissance tout en réduisant son empreinte carbone. En cherchant à s’affranchir de sa dépendance à l’extraction pétrolière, le Gabon s’expose à l’un des principaux risques de sa transition. En effet, le pétrole constitue 74 pour cent des 27 exportations du Gabon et 45 pour cent de son PIB (Source : EIA, 2020 - EIA Gabon). À mesure que les tendances mondiales de décarbonation s’accélèrent, la demande de pétrole devrait diminuer, influençant ainsi les décisions d’investissement. Les compagnies pétrolières mondiales diversifient leurs activités en passant aux énergies renouvelables, ce qui affecte le Gabon, où les coûts d’extraction du pétrole sont relativement élevés. Avec la réduction des investissements dans l’exploration, la production pétrolière est passée de 230 000 barils par jour en 2012 à 196 000 barils par jour en 2022 (source : EIA, 2022). Cette situation, en combinaison avec la volatilité du cours du pétrole, crée une incertitude majeure pour les finances publiques. De plus, la production pétrolière devrait diminuer progressivement à partir de 2025, en raison du vieillissement naturel des champs pétroliers existants. Malgré les progrès réalisés, le torchage et les émissions fugaces restent des défis majeurs au Gabon. Le Gabon figure parmi les 20 premiers pays au monde en termes de volumes absolus de gaz torché et se classe parmi les 10 premiers en matière d’intensité de torchage (mètre cube de gaz torché par baril de pétrole produit), en raison de ses volumes élevés de gaz torché par rapport à sa modeste production pétrolière. Avec un volume de torchage actuel de 1,4 milliard de mètres cubes par an, le Gabon émet environ 3 millions de tonnes de CO2 par an, l’activité de torchage étant répartie équitablement entre les champs terrestres et au large. Bien que la production pétrolière du Gabon soit inférieure à celle de l’Angola (0,2 million de barils par jour contre 1,1 million respectivement), ses niveaux de torchage sont plus élevés. Le Gabon ambitionne de mettre en œuvre une politique de zéro torchage afin de remédier à ces problèmes ; cela nécessitera le renforcement des institutions et de la viabilité financière des compagnies responsables pour attirer les capitaux nécessaires. Recommandations (voir Annexe VII pour les recommandations détaillées) Pour améliorer le secteur électrique du Gabon et assurer sa pérennité, plusieurs actions essentielles sont recommandées : • Élaborer et mettre en œuvre un plan de redressement pour la SEEG afin d’améliorer la gouvernance, de réduire les pertes et apurer ses dettes. Le règlement des arriérés et la réduction des pertes techniques et commerciales sont essentiels pour attirer les investissements. Le Gouvernement devrait actualiser les plans de production et d’électrification, réviser les tarifs et collaborer avec le sect eur privé pour étendre l’accès aux énergies renouvelables. La priorité doit être donnée à l’intégration au réseau et aux lignes de transport clés, notamment entre le Haut-Ogooué et Libreville, afin de soutenir les grands projets hydroélectriques comme celui de Booué et de stabiliser l’approvisionnement en électricité. • Améliorer les données hydrologiques. La plupart des sites hydroélectriques potentiels au Gabon manquent de données hydrologiques adéquates, essentielles pour la conception des projets. Cette carence constitue une préoccupation majeure pour l’évaluation des débits de conception et de contrôle de sécurité, des exigences de flux environnementaux et de l’optimisation du fonctionnement du système électrique. Il est recommandé de mettre en place d’urgence un système de surveillance hydrométéorologique dans le bassin du fleuve Ogooué, en installant des stations de jaugeage essentielles sur le fleuve principal et ses principaux affluents à potentiel hydroélectrique. • Élaborer une stratégie de transition incluant des mesures strictes pour lutter contre le torchage et la mise à l’évent de gaz, afin d’avancer vers un avenir à faibles émissions de carbone et d’offrir plus de certitudes aux investisseurs. Il faudrait, à travers des mesures immédiates, renforcer la réglementation 28 et son application afin de sanctionner le torchage, le dégazage et les émissions de méthane. Les plans de développement pétrolier doivent imposer l’utilisation ou la capture du gaz associé et du méthane. Renforcer la sécurité hydrique Les ressources en eau sont abondantes au Gabon. En 2022, les ressources en eau totales renouvelables atteignaient 190 milliards de mètres cubes par an, tandis que le prélèvement d’eau s’élevait à seulement 0,14 milliard de mètres cubes par an. À long terme, selon les projections, la disponibilité totale en eau du pays devrait rester relativement stable, au-dessus de 150 km3/an. Les estimations de la disponibilité totale en eau au Gabon ont été évaluées dans quatre scénarios climatiques (RCP), sur la base de l’écoulement généré par les bassins hydrographiques couvrant le pays, ainsi que des ressources en eaux souterraines renouvelables. Les projections du scénario RCP4.5 montrent une tendance à la hausse, avec des niveaux dépassant 200 km3/an à l’horizon 2050. Cependant, dans le scénario RCP6.0, la disponibilité totale en eau renouvelable au Gabon pourrait diminuer de jusqu’à 40 pour cent par rapport au niveau de référence dans la plupart des régions du centre et de l’est. Bien que le changement climatique devrait influencer aussi bien l’approvisionnement en eau renouvelable que la demande en eau, les projections indiquent que le Gabon devrait demeurer un pays « sans pénurie d’eau » d’ici 2050. Selon une analyse basée sur le Modèle d’évaluation du changement global (GCAM)38, la demande totale en eau du Gabon devrait doubler. Les projections de croissance de la demande en eau par secteur d’ici 2050, par rapport aux niveaux de 2010, sont comme suit - Élevage : 108 pour cent ; Municipal : 84 pour cent ; Électricité : 94 pour cent ; Industrie : 108 pour cent ; Irrigation : 220 pour cent. Le secteur municipal constitue un contributeur majeur à la demande totale en eau, représentant plus de 50 pour cent de la consommation dans de nombreuses régions. Cependant, selon les projections, la part de l’eau municipale dans la demande totale devrait diminuer, notamment dans les régions du centre-nord, en raison de la plus forte concurrence avec le secteur de l’élevage. Les services d’approvisionnement en eau et d’assainissement ne répondent pas suffisamment aux besoins de la population. Les améliorations en matière d’accès et de durabilité des services restent insuffisantes en raison du manque de clarté dans la définition des rôles et responsabilités des institutions du secteur, notamment en ce qui concerne l’assainissement et l’approvisionnement en eau en milieu rural. Environ 90 pour cent des habitants des villes, qui regroupent 91 pour cent de la population gabonaise, ont accès aux services d’eau de base, contre 55 pour cent en milieu rural (2022)39. Cependant, les services d’eau urbains gérés par la SEEG sont affectés par des défis rencontrés en matière de gestion d’entreprise et le manque d’entretien des infrastructures existantes - mis en évidence par un taux d’eau non facturée (ENF) supérieur à 50 pour cent40. Les pénuries d'eau chroniques qui en résultent dans de vastes zones du réseau de distribution urbain peuvent résulter dans l’utilisation de sources d'eau insalubres. La performance opérationnelle de la SEEG s’est détériorée depuis la rupture en 2018 du contrat d’affermage avec Veolia, opérateur d’électricité et d’eau. Le faible taux de facturation des consommateurs et de recouvrement s’accompagnent d’importants arriérés de factures impayées accumulés par l’État envers la SEEG. En 35 Le Modèle d’évaluation du changement global (GCAM) est un modèle d’évaluation intégré (MEI) de pointe, conçu pour analyser les interactions entre les secteurs-clés de l’économie, les systèmes humains et physiques, et pour appuyer la prise de décision en matière de politiques (Edmonds et Reilly 1985, Wise et al. 2009, Clarke et al. 2014). En tant que MEI de premier plan, le GCAM a joué un rôle majeur dans l’avancement de la compréhension scientifique du changement climatique ; il a notamment été sélectionné par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour modéliser le profil représentatif d’évolution de concentration (RCP) 4.5 (Thomson et al. , 2011). Le GCAM est disponible gratuitement en tant que modèle communautaire et peut être téléchargé depuis un référentiel de logiciels largement utilisé : https://github.com/JGCRI/gcam-core. 39 UNICEF/OMS 40 L’ENF est définie par l’American Water Works Association (AWWA) comme la somme des pertes d’eau et de la consommation non facturée dans un système de distribution d’eau. 29 conséquence, la SEEG enregistre des pertes financières croissantes depuis 2018, ce qui l’empêche d’honorer ses engagements financiers et limite sa capacité à investir dans la maintenance et dans des infrastructures résilientes au changement climatique, essentielles pour assurer des services d’eau universels capables de résister à la variabilité des précipitations et aux fluctuations saisonnières des débits des eaux de surface. En milieu rural, de nombreuses communautés restent privées de services d’approvisionnement en eau de base, une situation qui nécessite des investissements dans de nouveaux points d’eau ainsi que dans des systèmes de mini-réseaux. Par ailleurs, l’Agence de Régulation du Secteur de l’Eau potable et de l’Énergie Électrique (ARSEE) rencontre des défis importants en matière de capacité de surveillance du secteur. Il est essentiel de renforcer la SEEG et l’ARSEE à travers des réformes politiques et un renforcemen t des capacités, afin d’appuyer une gestion efficace et d’assurer la durabilité des services d’eau. En matière d’assainissement, le Gabon manque d’infrastructures adéquates au niveau des ménages et n’a pas encore développé une chaîne de valeur holistique couvrant la collecte, la vidange, le transport, le traitement et la réutilisation des eaux usées. En 2022, 50 pour cent des Gabonais n’avaient pas accès aux services d’assainissement de base. L’assainissement géré en toute sécurité et la gestion des boues fécales sont quasiment inexistants, les boues fécales étant actuellement déversées directement dans l’environnement en raison du manque des installations de traitement des boues de vidange. Le déversement des boues fécales dans l’environnement, aggravé par l’augmentation des inondations due au changement climatique, entraîne des dommages majeurs à l’environnement et à la biodiversité et favorise par ailleurs la propagation de maladies d’origine hydrique. Il serait important de réaliser des réformes essentielles dans le secteur, renforcer les capacités des acteurs concernés, faire appliquer les réglementations environnementales et aménager les infrastructures nécessaires à la collecte et au traitement des boues fécales. Les inondations, qu’elles soient côtières, urbaines ou fluviales, représentent un aléa très présent au Gabon. Les inondations entraînent d’importants dégâts matériels, des pertes économiques, le déplacement des populations affectées et la propagation de maladies d’origine hydrique, mettant souvent des vies en danger. Parmi la population gabonaise, 70 pour cent vivent dans des zones côtières exposées au risque d’inondation, en raison de l’élévation du niveau de la mer41. Les inondations en milieu urbain sont aggravées par des défis en matière de gestion des eaux pluviales. Les institutions et les prestataires de services des secteurs de l’eau, de l’assainissement et de la gestion des ressources en eau sont mal équipés et insuffisamment adaptés pour assurer des services durables et résilients face au changement climatique. La gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) doit encore être mise en œuvre pour préserver la disponibilité et la qualité des ressources en eau pour des utilisations concurrentes. Le manque de données opérationnelles et de systèmes de suivi empêche le Gouvernement de de prendre des décisions efficaces, en particulier face à la variabilité des précipitations. Pour assurer des services d’approvisionnement en eau et d’assainissement sûrs et résilients au changement climatique pour tous les Gabonais d’ici 2030, un financement annuel substantiel sera nécessaire. Compte tenu des contraintes budgétaires, la mobilisation des différentes sources de financement sera essentielle pour compléter les allocations budgétaires. Au total, les coûts d’extension de l’accès géré en toute sécurité aux populations non desservies sont estimés à environ 1,24 milliard USD en milieu urbain et 85 millions d’USD en milieu rural, selon la méthodologie développée par Hutton et 41 Profil de risques climatiques par pays : Gabon, Groupe de la Banque mondiale, 2021 30 Varughese (2016)42. Une enveloppe supplémentaire d’environ 62 millions d’USD serait nécessaire pour réduire l’ENF dans la zone urbaine de Libreville43. Enfin, il est essentiel de prendre en compte les dépenses nécessaires à la mise en œuvre du plan de redressement de la SEEG, estimées à environ 50 millions d’USD. Au total, environ 1,43 milliards d’USD seraient nécessaires, sans compter les coûts récurrents d’exploitation et de maintenance des infrastructures existantes, ainsi que ceux de toute installation de production d’eau supplémentaire dont la nécessité serait établie par un audit de l ’eau pour compléter la réduction de l’ENF. Le Gouvernement pourrait considérer l’adoption des politiques proactives et mettre en place un cadre réglementaire favorable afin d’attirer les investissements privés et les PPP pour améliorer la gestion de l’eau et l’accès à l’eau. Pour élargir l’accès dans les villes secondaires, il pourrait collaborer avec le secteur privé afin de développer des initiatives ciblées, des modèles de concession et des tarifs mixtes, permettant ainsi d’élargir l’accès à l’eau dans les communautés mal desservies. Recommandations (Voir Annexe VII pour les recommandations détaillées) • Mettre en œuvre un plan de redressement de la SEEG pour améliorer la performance de la compagnie et optimiser l’utilisation des ressources en eau.La SEEG devrait adopter un plan de redressement comportant des actions claires en matière d’efficacité, de résilience et de qualité de service. Ce plan devrait accorder la priorité à la réduction des pertes d’eau dans le Grand Libreville et envisager des partenariats public-privé pour améliorer la performance. Un diagnostic devrait permettre d’évaluer les besoins futurs en production, suivi d’études techniques. Une fois le service amélioré, les tarifs — inchangés depuis 2018 — devraient être ajustés progressivement afin d’assurer la viabilité financière, tout en maintenant un équilibre entre accessibilité et viabilité. • De plus, il est essentiel de renforcer les capacités institutionnelles et d’améliorer la gouvernance en améliorant le cadre réglementaire, en appuyant le Ministère de l’Énergie et des Ressources Hydrauliques dans la mobilisation des financements publics et privés, et en renforçant la capacité de l’ARSEE à réguler efficacement le secteur. La clarification des rôles, le renforcement des capacités institutionnelles et l’amélioration du cadre politique sont essentiels pour permettre une gestion durable de l’eau et attirer des partenariats public-privé. • Élargir l’accès à l’approvisionnement en eau en milieu rural, tout en garantissant une exploitation et une maintenance (E&M) efficaces. Dans les zones rurales, l’accès devrait être élargi par la mise en place de nouveaux mini-réseaux d’approvisionnement en eau, de points d’eau, et par l’extension du réseau de la SEEG lorsque cela est possible. En dehors du périmètre d’intervention de la SEEG, le GdG devrait garantir la pérennité en clarifiant les responsabilités en matière d’exploitation et de maintenance, en améliorant la viabilité financière, et en renforçant les capacités institutionnelles ainsi que la régulation au sein de la CNEE, de la SEEG et des municipalités. • Améliorer l’assainissement en investissant dans des stations de traitement des boues fécales et les services associés, et en appliquant des réglementations environnementales pour prévenir le déversement de déchets non traités. Trois stations de traitement des boues de vidange (STBV) sont 42 Calcul de l’équipe basé sur les données de la Banque mondiale sur la population, la croissance démographique et l’urbanisation, ainsi que sur les coûts unitaires estimés pour les services d’eau et d’assainissement de base gérés en toute sécurité au Gabon, selon Hutton, Guy ; Varughese, Mili (2016). The Costs of Meeting the 2030 Sustainable Development Goal Targets on Drinking Water, Sanitation, and Hygiene. © Banque mondiale, Washington, DC. http://hdl.handle.net/10986/23681 License : CC BY 3. 0 IGO. . 43 Table sur une réduction des pertes en rapport aux ENF de 103 633 m3/j. C’est-à-dire réduire les pertes pour les faire passer de 170 794 m3/jour, soit 51 pour cent, à un niveau économiquement efficient de 67 162 m3/jour, soit 20 pour cent (chiffres tirés du rapport annuel de la SEEG le plus récent de 2021). Selon l’hypothèse retenue, le coût unitaire moyen est de 600 USD par mètre cube par jour pour la réduction des fuites physiques, sur la base de l’étude de Liemberger R. & Wyatt A. (2019) – Quantifying the global non-revenue water problem. Approvisionnement en eau 19 (3), 831–837. https://doi.org/10.2166/ws.2018.129 31 prévues avec l’appui de la Banque mondiale et de la BAD, et leur mise en place devra être accompagnée par la structuration de la chaîne de valeur de l’assainissement. La réglementation et son application devront empêcher le déversement de boues non traitées une fois les stations en service. • Opérationnaliser la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) et adopter une approche multidimensionnelle afin d’améliorer la sécurité hydrique. Le Gouvernement devrait mettre en œuvre la politique régionale de l’eau de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), en mettant l’accent sur la gestion des ressources en eau transfrontalières, le suivi des ressources et la planification des investissements. Le renforcement des systèmes de données, la promotion de solutions naturelles de protection contre les inondations et la reconnaissance des écosystèmes d’eaux souterraines sont des éléments clés de la résilience climatique. Gérer les risques climatiques dans les centres urbains La population urbaine du Gabon est dispersée dans des zones urbaines faiblement peuplées et mal reliées entre elles. À l’exception de Libreville (703 940 habitants), Port-Gentil (136 462 habitants) et Franceville (110 568 habitants), toutes les autres villes du pays sont de petite ou très petite taille, 14 villes ayant une population comptant entre 10 000 et 80 000 habitants44. Ces villes sont dispersées sur un territoire relativement vaste de 267 667 km2. La densité moyenne de population est de 8,1 personnes au kilomètre carré. En l’absence d’investissements substantiels dans les infrastructures de transport, la connectivité, aussi bien entre les villes qu’à l’intérieur de celles-ci, constitue un défi majeur pour l’urbanisation du Gabon et le développement économique du pays. Le manque de budgétisation et de dépenses publiques dans le secteur urbain a causé d’importants déficits en infrastructures et en services de base dans la majorité des villes. Au cours des dernières décennies, les investissements n’ont pas réussi à suivre le rythme de l’urbanisation rapide et incontrôlée du pays. Ce décalage a favorisé la prolifération de peuplements informels dans les villes, marqués par un accès insuffisant aux services de base, la pauvreté, une connectivité insuffisante, l’absence de systèmes de drainage, l’insécurité foncière et une exposition accrue aux risques. Le manque de planification, l’absence d’application des lois et le sous-investissement dans les infrastructures ont fait que les aménagements se développent souvent dans des zones inondables, des plaines marécageuses ou sur des collines inadaptées à la construction. Ces zones d’habitation informelles, principalement occupées par des ménages pauvres, représentent 36,6 pour cent de la population urbaine à l’échelle nationale45. La stratégie urbaine nationale manque de coordination dans la gestion de l’aménagement du territoire, tandis que les capacités financières et techniques des municipalités sont insuffisantes pour mettre en œuvre efficacement les plans et investir dans les infrastructures. Le Gabon ne dispose d’aucune politique récente en matière de développement urbain, et l’urbanisation s’est faite sans plans d’aménagement cohérents46, conduisant ainsi à un étalement urbain. Cette situation crée de grandes difficultés pour les 44 Source : citypopulation. de. Les chiffres sur la population sont basés sur le dernier recensement de 2013. Projections 2020 pour Libreville (834 000), Port-Gentil (163 000), Franceville (132 000). 45 Comparé à la moyenne de 65 pour cent de la population urbaine vivant dans des bidonvilles en Afrique subsaharienne (Données de 2018, Source : ONU-Habitat) 43 Bien que la Stratégie Nationale de Développement Urbain et des Transports ait été définie à travers le PAPSUT (avec l’appui de la Banque mondiale entre 1996 et 2001), sa mise en œuvre est restée très limitée, principalement en raison de la faible mobilisation de s ressources et de la complexité des opérations visant à rénover les quartiers dans les zones mal desservies. Les Schémas Directeurs d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) des neuf capitales provinciales ont été mis à jour et approuvés, mais la plupart ne sont pas encore mis en œ uvre. 32 municipalités, qui doivent équiper et gérer leur territoire avec peu de ressources. Par conséquent, la gestion urbaine est affectée par des problèmes chroniques, tels qu’une utilisation inefficace des terres, le dysfonctionnement des marchés fonciers, un manque d’entretien des infrastructures existantes, une priorisation inadaptée et l’absence d’application de la réglementation47. Les villes secondaires sont caractérisées par une faible densité de population et un fort étalement urbain, sans structure claire ni centralité définie. Les pôles commerciaux sont structurés le long des axes routiers principaux, mais les entreprises sont souvent installées dans des structures précaires et informelles, dépourvues des services essentiels (exemple : gestion des déchets, stationnement, équipements, etc.). Alors que les routes principales sont souvent de bonne qualité, les routes secondaires sont, en revanche, généralement non revêtues et deviennent impraticables par temps de pluie, ce qui limite l’accès et freine l’activité économique. Les infrastructures piétonnes sont insuffisantes, et l’érosion des berges des plans d’eau constitue un risque supplémentaire. Les espaces publics et verts sont peu développés et les installations publiques sont mal connectées et souvent exposées aux inondations. Les habitations informelles sont répandues, et les problèmes de gestion de l’eau et des déchets provoquent d’importants problèmes sanitaires. Les centres urbains du pays sont également exposés aux inondations pluviales, fluviales et côtières qui causent des dégâts matériels et perturbent les activités humaines. Les pertes économiques liées directement aux inondations fluviales et pluviales s’élèvent en moyenne chaque année (Pertes moyennes annuelles ou PMA) à 270 millions d’USD (0,23 pour cent de la valeur totale du stock) alors que les zones affectées ont généré environ 0,22 pour cent du PIB national (année de référence 2016)48. Ces valeurs devraient augmenter considérablement à l’horizon 2050 selon les scénarios climatiques futurs (soit des PMA de 450 millions d’USD, soit 0,37 pour cent des stocks totaux pour 0,3 pour cent du PIB). Ces chiffres ne prennent pas encore en compte l’impact des inondations côtières ; étant donné que les zones côtières contribuent significativement au PIB, les pertes annuelles en PIB seraient considérablement plus élevées. Bien que les inondations affectent actuellement en moyenne 0,21 pour cent de la population totale, ce chiffre pourrait augmenter en raison des prévisions de phénomènes climatiques plus extrêmes à court et moyen terme. Les systèmes de drainage, d’assainissement et de gestion des déchets solides, insuffisamment développés ou mal entretenus, exacerbent les risques d’inondation et contribuent à la dégradation de l’environnement. Le Gabon génère 0,56 kg de déchets solides municipaux (DSM) par habitant et par jour, soit une production totale quotidienne de 652 000 kg49. Environ 34 pour cent des DSM produits au Gabon sont mal gérés. À titre de comparaison, la production quotidienne moyenne de déchets par habitant en Afrique subsaharienne est de 0,46 kg, et moins de 44 pour cent de ces déchets sont collectés50. Au Gabon, les déchets plastiques constituent 12 pour cent des DSM, avec une production quotidienne d’environ 118 000 kg51. Les systèmes de récupération et d’élimination des déchets sont peu développés dans la plupart des villes, et les décharges posent souvent des problèmes environnementaux et de sécurité. À Libreville, par exemple, la décharge de Mindoubé est traversée par la rivière Lowé, qui, lors de fortes pluies, 47 Une loi sur la décentralisation a été adoptée en 2015, et sa mise en œuvre effective devrait renforcer la capacité des villes à exploiter pleinement leur potentiel fonctionnel, notamment si elle s’accompagne d’une meilleure allocation des ressources et d’une gestion plus efficace par les administrations locales. 48 Fondation de recherche CIMA et al. (2018). Disaster Risk Profiles Gabon. https://reliefweb.int/report/gabon/disaster-risk-profile-gabon- building-disaster-resilience-natural-hazards-sub-saharan 49 Source : WACA, 2019 (https://www.wacaprogram.org/sites/waca/files/knowdoc/6. percent20Gabon. pdf). 50 PNUE, 2020 ( https://www.switchtogreen.eu/wp-content/uploads/2021/02/Integrated-Waste-Management-in-Africa-Focus-on- Circularity-.pdf). 51 Source : https://www.wacaprogram.org/sites/waca/files/knowdoc/6.percent20Gabon.pdf 33 charrie de grandes quantités de déchets jusqu’à la mer52. Bien que le système de collecte fonctionne relativement bien, les égouts obstrués par les déchets, les détritus et la pollution plastique des eaux de surface restent un défi majeur. De plus, la plupart des parcelles ne sont pas branchées à un système d’évacuation des eaux grises et les rejettent dans les eaux pluviales ou les rivières. Les systèmes de drainage urbain sont généralement peu développés et/ou mal entretenus, et leur écoulement est bloqué soit par l’environnement bâti, soit par les déchets. Bien que comparables à d’autres villes d’Afrique subsaharienne, les villes du Gabon génèrent une proportion relativement plus élevée d’émissions de CO2 provenant des transports et des zones résidentielles par rapport aux villes de taille ou de niveau de richesse similaire. En tant que la plus grande ville du pays, Libreville est responsable de la plupart des émissions urbaines de CO 2 du Gabon. Les transports représentent 20 pour cent et le secteur résidentiel 12 pour cent des émissions directes totales de Libreville. Les sites industriels et les installations de production d’énergie sont situés à proximité des zones urbaines dans de nombreuses villes du Gabon (exemple : industrie d’extraction de manganèse et d’uranium à Franceville, industrie pétrolière et gazière à Port-Gentil). Figure 3.8. Parts des différents secteurs dans les émissions urbaines à Libreville et dans les villes de niveau de revenu ou de taille similaire Source : Données sur les émissions des centres urbains d’EDGAR basées sur la Banque mondiale (1975-2015). Les villes du Gabon font face à de multiples risques climatiques qui peuvent compromettre les gains tirés du développement urbain en l’absence d’actions climatiques. Le Gabon est vulnérable aux impacts du changement climatique, notamment les modifications des régimes de précipitations (qui provoquent des inondations et des glissements de terrain), l’élévation du niveau de la mer, la hausse des températures et les épisodes de sécheresse. Ces risques exerceront une pression considérable sur l’économie du pays, sur les infrastructures urbaines et sur les groupes vulnérables. La convergence des facteurs de risque est particulièrement marquée dans les grandes villes côtières du Gabon, à savoir Libreville et Port-Gentil, où vit une part importante de la population. Les risques pourraient s’intensifier à l’avenir et affecter un plus grand nombre de résidents en raison du changement climatique, de l’urbanisation rapide et incontrôlée et de la dégradation continue de l’environnement. En l’absence de mesures d’adaptation adéquates, les 52 https://copip.eu/news/integrated-solid-waste-management-project-cvtd-libreville/ 34 chocs climatiques risquent d’altérer la qualité de vie, de réduire la résilience des villes du Gabon et de compromettre les gains du développement que les investissements urbains pourraient générer. La croissance urbaine rapide de ces dernières décennies a conduit à l’implantation de nouvelles zones bâties dans des zones inondables, accentuant l’exposition déjà élevée aux inondations dans certaines villes, notamment celles situées le long de cours d’eau. Par exemple, selon les estimations, 37 pour cent de la population de Libreville serait directement menacée par les inondations53. Libreville et Port-Gentil devraient connaître une augmentation annuelle des précipitations, ainsi que des précipitations extrêmes, en plus d’une prolongation des épisodes de sécheresse. Ainsi, un aménagement du territoire et une gestion stratégique et intégrée des villes, incluant l’application des lois de zonage et des codes du bâtiment, deviendront encore plus essentiels face aux scénarios de changement climatique futur. Une amélioration de l’aménagement du territoire et de la gestion des villes, ainsi que la protection des infrastructures et services, existants et futurs, contre les effets du changement climatique, seront essentiels pour les villes du Gabon. Le changement climatique et la croissance urbaine peuvent mettre à rude épreuve la capacité et la performance des infrastructures et des services urbains du Gabon. Par exemple, la production de déchets devrait plus que doubler au cours des 25 prochaines années54 ; sans investissements adéquats dans la gestion des déchets, le système de drainage et un cadre réglementaire adapté, les impacts des inondations urbaines risquent d’être bien plus graves que dans un scénario basé uniquement sur le changement climatique. Parmi les secteurs urbains, le logement et les services devraient être les plus affectés par l’augmentation des inondations liée au changement climatique55. Les pertes directes dues aux inondations dans le secteur du logement devraient être multipliées par 1,7, passant d’une moyenne annuelle d’environ 135 millions d’USD à environ 230 millions d’USD ; parallèlement, les pertes du secteur des services devraient augmenter, passant d’environ 60 millions d’USD à 95 millions d’USD56. Les systèmes de transport et les infrastructures critiques connaîtront également une augmentation significative des pertes. Il est donc essentiel d’investir dans la protection des infrastructures et des services urbains contre les effets du changement climatique, tout en mettant en œuvre un aménagement du territoire et une gestion des villes appropriés. Les conditions de sécheresse varient considérablement selon les villes gabonaises : certaines devraient faire face à une sécheresse plus sévère, tandis que pour d’autres, le risque pourrait diminuer à moyen terme. Plusieurs villes du Gabon pourraient être confrontées à des périodes chaudes et sèches prolongées, à une hausse des températures et à une variabilité accrue des précipitations. Chaque année, environ 21 000 personnes sont affectées par la sécheresse, et selon les estimations, les pertes potentielles atteindraient 185 millions d’USD par an. Ces chiffres devraient atteindre 50 000 en ce qui concerne les personnes affectées et 214 millions d’USD en ce qui concerne les pertes potentielles57. Lambaréné, qui a connu des conditions de sécheresse historiques, est particulièrement vulnérable. La sécheresse aura un impact sur l’approvisionnement en eau des villes, entraînant des pénuries d’eau plus fréquentes et plus importantes, notamment à Libreville. Les épisodes de sécheresse plus longues dans toutes les villes auront des répercussions en cascade, affectant non seulement l’eau potable, mais aussi les moyens de subsistance, l’approvisionnement alimentaire et potentiellement la production d’électricité. Cette situation 53 GFDRR, 2024. Analyse des risques climatiques en milieu urbain. 54 More Growth, Less Garbage, Banque mondiale, 2021 55 Par exemple, une augmentation des précipitations de 10 pour cent d ’ici 2074 à 14 pour cent d’ici 2095, ainsi qu’une hausse des températures de 2 degrés Celsius d’ici 2074 à 4 degrés Celsius d’ici 2095. 56 CIMA 2018 57 CIMA 2018 35 posera un défi majeur pour les secteurs de l’eau parce qu’une action coordonnée sera indispensable alors que ces secteurs sont fragmentés et complexe au Gabon. La chaleur urbaine posera un risque pour la santé des habitants et aura un impact négatif sur la productivité de la main-d’œuvre ainsi que sur les infrastructures. La température de surface dans les villes du Gabon pendant les mois les plus chauds peut actuellement dépasser 45 degrés Celsius. Avec la croissance ininterrompue des surfaces bâties et des zones revêtues ou en béton, à mesure que les villes s’étendent et se densifient, les températures urbaines estivales devraient encore augmenter d ’ici 2050, même sans prendre en compte le changement climatique. À Franceville, une augmentation moyenne de la température de 1,6 degré Celsius est prévue pour la période 2040-2059. Il faudra accroitre significativement les efforts pour réduire l’empreinte carbone des zones urbaines (exemple : bâtiments verts, transports) ; parallèlement, des mesures d’adaptation (exemple : verdissement des quartiers, amélioration de la circulation de l’air et de la ventilation, systèmes de refroidissement) seront essentielles pour préserver la santé et limiter l’impact de la chaleur sur la productivité de la main-d’œuvre. Les impacts du stress thermique sur la productivité de la main-d’œuvre sont relativement élevés au Gabon en raison de son climat chaud. Le secteur le plus affecté est l’agriculture, tandis que des effets modérés sont prévus dans l’industrie et le secteur des services. La qualité de l’air est une préoccupation majeure dans les villes du Gabon, où la plupart dépassent le seuil recommandé par l’OMS pour les PM2.5, indicateur de la concentration de particules fines dans l’air58. Les principales sources de pollution atmosphérique en milieu urbain sont les émissions des véhicules, des industries de raffinage et de l’incinération des déchets. De plus, les activités ménagères, telles que la combustion de bois et de biomasse pour la cuisine, libèrent également des polluants nocifs dans l ’air même si l’accès à des solutions de cuisson propres est élevé en milieu urbain, atteignant 96 pour cent de la population en 2022.59 Avec l’augmentation de la demande énergétique urbaine, les centrales électriques fonctionnant au pétrole et au gaz sont devenues des sources majeures d ’émissions de PM2.5, affectant ainsi une qualité de l’air déjà dégradée. Des niveaux de pollution atmosphérique étonnamment élevés sont également observés en milieu rural, notamment dans l’arrière-pays, tel qu’à Oyem. L’absence de données sur la surveillance de la qualité de l’air et sur les capacités de gestion associées n’ont fait qu’aggraver ce problème. L’amélioration de la qualité de l’air nécessitera à la fois l’application des réglementations environnementales (exemple : pétrole/gaz, déchets, qualité de l’air, etc.), la mise en œuvre d’un cadre cohérent pour l’atténuation de la pollution atmosphérique, et des efforts à long terme en faveur d ’une économie à faibles émissions de carbone ou décarbonée. Le système de gestion des risques de catastrophe (GRC) au Gabon est incomplet et demeure principalement axé sur la protection civile ainsi que sur quelques efforts de réduction des risques. Ces activités sont menées par plusieurs agences gouvernementales, en collaboration avec différents acteurs non gouvernementaux, notamment des partenaires au développement. Le cadre juridique repose sur plusieurs textes législatifs plutôt que sur une loi unique60, et l’intégration de la GRC dans le budget national reste limitée. Bien que des budgets soient prévus pour la prévention et l’atténuation des catastrophes sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité, le budget direct alloué à la GRC reste relativement 58 Les six principales villes présentent une concentration moyenne de PM2.5 supérieure à 5 μg/m3, un seuil qui, selon l’OMS, est associé à une augmentation de 6 à 13 pour cent de la mortalité à long terme. Le transport, l’exploitation minière et la foresterie contribuent fortement à la pollution de l’air au Gabon. Source : GFDRR (2024). Analyse des risques climatiques en milieu urbain (basée sur les données du SEDAC et de l’OMS). 59 Banque mondiale. Base de données des Indicateurs du développement dans le monde. En milieu rural, moins de la moitié des habitants (49 pour cent) ont accès à des combustibles propres et à des technologies de cuisson non polluantes. 60 Examen du budget tenant compte des risques de l’UNDRR, 2020. 36 faible : entre 2014 et 201761, le budget classé comme destiné à la RRC représentait 7,5 pour cent du budget national, dont seulement 0,1 pour cent était directement en rapport aux principaux objectifs de la politique de RRC62. La majeure partie de ce budget principal de la RRC est dédiée aux interventions sociales, plutôt qu’aux investissements économiques et infrastructurels. Pour la gestion post-catastrophe, le Gabon dépend fortement du financement des bailleurs. Il est donc crucial que le pays se prépare aux impacts climatiques futurs en mettant en place un système complet, intégrant le renforcement des capacités de préparation (exemple : systèmes d’alerte précoce) et de réponse. Les capacités de GRC peuvent être renforcées dans plusieurs domaines, notamment : l’information sur les risques, l’analyse et la cartographie, afin de favoriser une planification et une prise de décision éclairées ; le renforcement de la prévention des risques (exemple : entretien et mise à niveau des infrastructures) ; et l’amélioration des capacités de réponse et de redressement après une catastrophe (exemple : financement des risques de catastrophe/protection financière). Cela peut contribuer à prévenir ou à récupérer des pertes et dommages affectant la sécurité des personnes, la santé, les moyens de subsistance et les biens en milieu urbain. Recommandations (Voir Annexe VII pour les recommandations détaillées) Sept recommandations prioritaires sont formulées pour renforcer la résilience des villes gabonaises en tenant compte des niveaux de risque, de l’impact et de la faisabilité. Elles encouragent la cohérence des politiques, la sensibilisation aux risques climatiques et une résilience communautaire renforcée grâce à des partenariats entre les secteurs public et privé ainsi que la société civile. • Créer des systèmes d’alerte précoce éclairés par des données factuelles et renforcer les mesures de planification et d’intervention. Le renforcement des systèmes d’alerte précoce multialéas est essentiel pour renforcer la résilience face aux catastrophes, en donnant aux communautés le temps d’agir et de s’approprier les réponses. Les efforts devraient se concentrer sur le renforcement des capacités locales, la sensibilisation aux vulnérabilités, la traduction des alertes en actions concrètes, ainsi que sur la réduction des lacunes en matière de formation à la préparation et à la réponse. Il est essentiel de renforcer la surveillance et la prévision des inondations afin de garantir que les informations sont plus précises et plus fiables Le renforcement des capacités devrait aider les communautés à interpréter les informations climatiques et à comprendre les facteurs de risque locaux. L'adaptation des messages d’alerte aux contextes et aux canaux locaux améliore la réactivité, tandis que l’intégration des savoirs traditionnels favorise une gestion efficace des risques de catastrophe (GRC). Il est également essentiel de renforcer la capacité des collectivités locales à diffuser l’information et à coordonner les actions. • Intégrer la résilience aux inondations dans l’urbanisme et le développement urbain et adopter des approches intégrées de gestion des risques en matière d’eau et d’inondations, en mettant l’accent sur les solutions fondées sur la nature. Au-delà de l’amélioration des matériaux et des conceptions résistantes aux inondations, le Gouvernement devrait orienter la croissance urbaine et la planification de l’utilisation des sols afin de donner la priorité à la résilience face aux inondations et de protéger les populations croissantes contre les catastrophes naturelles. • Cela devrait inclure la mise en place de réglementations pour la gestion des plaines inondables, l’élaboration de codes de zonage et la mise à jour des codes du bâtiment existants, afin de réglementer 61 Les calculs sont basés sur les Lois de finances 2014-2017, Ministère du Budget et des Comptes Publics, Gouvernement du Gabon 62 Examen du budget tenant compte des risques de l’UNDRR, 2020. 37 ou orienter les aménagements dans les zones sujettes aux inondations, en s ’appuyant sur des évaluations complètes des risques d’inondation. Il est non seulement essentiel pour les résidents et les promoteurs de comprendre les risques associés à l’habitation ou à la construction dans certaines zones, mais cela a aussi des répercussions sur d’autres secteurs. Par exemple, les inondations ont endommagé les infrastructures d’assainissement au Gabon, provoquant la dispersion de matières fécales dans les eaux de crue, avec des conséquences néfastes sur la santé humaine et l’environnement. La promotion de SFN et des infrastructures vertes, lorsque cela est faisable, viendra en appui à la gestion des inondations. En ce qui concerne les solutions, il faudrait adopter une approche par bassin versant, incluant l’utilisation des eaux pluviales, la maîtrise des inondations, la recharge des aquifères et la réutilisation de l’eau, afin de gérer à la fois les inondations et les épisodes de sécheresse. Le secteur privé devrait évaluer les risques liés à l’eau et s’engager dans une gestion responsable pour améliorer la santé des bassins versants. Les SFN peuvent également renforcer considérablement la résilience à la sécheresse au Gabon et font actuellement l’objet d’expérimentation pour en évaluer l’efficacité dans l’amélioration de la résilience aux inondations à travers le pays. Par exemple, les zones humides peuvent remplacer des systèmes coûteux de traitement des eaux pluviales et des eaux grises, tout en soutenant des moyens de subsistance telles que la pêche et l’agriculture. En réponse aux défis liés à l’eau et aux risques climatiques, les collectivités locales devraient adopter une approche ascendante, intégrant les solutions fondées sur la nature et les infrastructures vertes à des infrastructures grises résilientes. • Systématiser les plans d’action urbains résilients afin d’atténuer la chaleur extrême et la pollution atmosphérique, tout en mettant en œuvre des solutions innovantes dans le développement urbain. Pour faire face à la chaleur extrême, à la pollution et aux émissions, les collectivités locales devraient coordonner les parties prenantes afin d’améliorer la planification et de mettre en place des programmes de réduction à long terme. Les quartiers informels, en expansion avec la croissance démographique, sont souvent plus exposés aux risques liés à la chaleur et nécessitent une attention particulière. Les solutions de refroidissement passif peuvent atténuer immédiatement et de manière rentable le stress thermique dans les quartiers informels ou à faible revenu (exemple : toits frais et verts, promotion du verdissement des quartiers et création de canaux de ventilation urbains dans le cadre des efforts de mise à niveau des zones d’habitation). Pour réduire les émissions liées au transport, les villes devraient améliorer la planification de la mobilité urbaine, promouvoir les modes de transport décarbonés et développer les espaces publics verts ainsi que les solutions fondées sur la nature. L'implication des habitants et le réaménagement des espaces vacants en centres de rafraîchissement peuvent également contribuer à réduire le stress thermique. L’élaboration de plans d’action sur le changement climatique en milieu urbain, aux niveaux des villes et des collectivités territoriales, est essentielle pour améliorer la compréhension des citoyens et promouvoir les actions nécessaires pour remédier aux effets des vagues de chaleur et de la pollution au Gabon. Cette démarche devrait être renforcée par des réformes institutionnelles visant à assurer une coordination efficiente et une allocation efficace des ressources. Le Gouvernement devrait apporter un appui financier et politique conséquent en appui à l’objectif de réduire la chaleur en milieu urbain et de créer des espaces publics vivables. 38 • Renforcer le rôle et les capacités des autorités locales pour accroître la résilience de leurs communautés. Les municipalités sont les premières lignes de défense face aux impacts du changement climatique. Le Gouvernement devrait renforcer les lois et les institutions pour appuyer l’adaptation au niveau local, améliorer la coordination et doter les autorités locales des capacités techniques et financières nécessaires pour renforcer la résilience. La planification de la résilience à base communautaire pourrait jouer un rôle crucial dans le renforcement de la capacité d’adaptation des résidents en mobilisant les ressources locales. De plus, le renforcement de la résilience des plus pauvres et des plus vulnérables sera essentielle pour la résilience des communautés. Avec un niveau de résilience sociale de 42 pour cent, le Gabon se situe en dessous de la moyenne mondiale (62 pour cent), ce qui signifie que les pertes de bien-être dépassent les pertes d’actifs et fait que le redressement et la gestion des catastrophes sont plus difficiles. La forte vulnérabilité des actifs, l’inclusion financière limitée et le manque d’accès aux systèmes d’alerte précoce y contribuent. Le renforcement des initiatives locales peut soutenir les communautés, accélérer le relèvement et consolider des ressources essentielles telles que les écoles et les hôpitaux en tant que centres de résilience. Renforcer la résilience du transport et la connectivité numérique Les enjeux de connectivité physique et numérique constituent à la fois des contraintes et des leviers pour une économie plus verte au Gabon. Le secteur des transports – incluant le rail, la route, le transport fluvial et aérien – dépend fortement des produits pétroliers, qui représentent près de 91 pour cent de sa consommation finale d’énergie. Le secteur du transport urbain est un contributeur majeur aux émissions de GES au Gabon et contribuerait, selon les estimations, à 20 pour cent des émissions totales du secteur énergétique. Le transport motorisé, notamment routier, maritime et aérien, reste dépendant du pétrole et des moteurs à combustion. La part des biocarburants consommés par les véhicules a progressivement augmenté au fil des ans, mais les impacts sur les émissions de GES varient considérablement en fonction de la matière première et des technologies de conversion employées. Dans le secteur du transport, le transport routier est celui qui produit la grande proportion des émissions de GES, suivi du transport maritime et du transport aérien. La route est le principal moyen de transport des personnes, des biens et des services au Gabon. Le pays dispose d’un réseau routier total de 9 170 km (2018) dont seuls 1 097 km sont revêtus. Le transport ferroviaire au Gabon, principalement géré par la SETRAG, joue un rôle essentiel dans l’économie, en facilitant le transport des marchandises et des passagers. L’amélioration de la planification pourrait contribuer à réduire l’empreinte carbone du secteur, notamment par l’adoption de technologies plus propres dans le transport et l’amélioration de l’efficacité énergétique. L’amélioration de l’efficacité énergétique pourrait également contribuer à réduire les coûts de transport et d’exploitation, ce qui serait très bénéfique à l’économie, y compris aux secteurs clés tels que le bois et l’exploitation minière, qui dépendent du transport ferroviaire. De plus, des mesures restent nécessaires pour rendre les infrastructures ferroviaires plus résilientes face aux événements météorologiques extrêmes, contribuant ainsi à une économie plus verte et plus durable. Le Gabon est sensible aux effets du changement climatique en raison de son exposition à un large éventail d’aléas naturels, notamment les vents extrêmes, les inondations saisonnières et les glissements de terrain. Ces risques ont un impact négatif sur le secteur du transport du pays. Le risque d’inondation en milieu urbain est jugé élevé, ce qui signifie que des inondations urbaines susceptibles des causer des dommages matériels et des pertes de vies humaines pourraient survenir au moins une fois au cours des 10 prochaines 39 années. Le pays est résolument engagé à améliorer son environnement, et l’efficience du système national de transport devrait jouer un rôle majeur dans la réalisation de ces objectifs. Les engagements environnementaux comprennent une réduction de 50 pour cent des émissions de GES à l’horizon 2025 et la préservation de 98 pour cent des forêts tropicales du Gabon. Les facteurs contribuant aux émissions liées au transport incluent : (i) la consommation de carburant (actuellement, 70 pour cent du parc automobile du Gabon fonctionne au diesel) ; (ii) le vieillissement du parc automobile ; (iii) le manque d’infrastructures de transport public efficientes (le manque de systèmes de transport public fiables et accessibles oblige la population à se tourner vers les véhicules personnels, ce qui aggrave les embouteillages et les émissions) ; et (iv) la croissance du trafic aérien, notamment dans les grandes villes telles que Libreville et Port-Gentil, qui contribue également aux émissions de GES. Pour accélérer la transition dans la lutte contre le changement climatique et bâtir une société plus résiliente et plus connectée, l’infrastructure numérique avancée du Gabon pourrait être utilisée comme levier pour stimuler une croissance économique rapide, à la différence d’autres secteurs. Le Gabon figure parmi les marchés numériques les plus avancés d’Afrique centrale et possède des bases solides sur lesquelles il peut s’appuyer. Il dispose de l’un des secteurs numériques les plus libéralisés de la région, offrant des services à des prix abordables. Il présente le taux d’utilisateurs d’Internet le plus élevé et propose également les données mobiles à haut débit les plus abordables d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, avec une couverture Internet atteignant 74 pour cent de la population en 2022 et un coût des données mobiles à haut débit représentant 1,6 pour cent du RNB mensuel par habitant la même année63. Cependant, bien que le Gabon ait renforcé sa connectivité à haut débit, dépassant la moyenne régionale, des disparités persistent en termes d’accès et de littératie numérique. Des lacunes persistent dans l’infrastructure de données et la connectivité du dernier maillon en ce qui concerne les écoles, les hôpitaux et autres institutions publiques. De plus, l’infrastructure dorsale nationale existante gagnerait d’éventuelles mises à niveau. Dans l’ensemble, le pays n’a pas encore réussi à tirer pleinement parti de ses investissements dans l’infrastructure numérique pour améliorer l’administration publique, la prestation de services et développer un écosystème entrepreneurial local dynamique, capable de générer davantage d’emplois et de renforcer la présence en ligne des entreprises et des particuliers. En 2020, l’Indice d’adoption du numérique du Gabon s’élevait à 28 points sur 100, un score inférieur à la moyenne de l’Afrique de l’Ouest et centrale, qui est de 47,43 points64. L’analyse des impacts sur le secteur du transport est centrée sur les sous-secteurs des routes et des ponts, avec une estimation des impacts totaux dans un scénario de référence de « politiques actuelles » et un scénario avec adaptation. Le scénario avec adaptation suppose la mise en œuvre de mesures proactives de résilience au changement climatique sur l’ensemble du réseau routier. L’analyse étudie les impacts du changement climatique à travers l’augmentation des coûts de réparation et d’entretien engagés à cause des dommages provoqués par les phénomènes climatiques. Elle se penche également sur les coûts de perturbation afin d’estimer l’impact, en termes de coûts, des retards causés par les dommages aux routes et ponts qui exigent des réparations et un entretien, ce qui affecte à son tour la productivité de la main- d’œuvre. Les principaux facteurs de dommages dans tous les climats futurs pris en compte sont les inondations et les précipitations, représentant respectivement environ 84 pour cent et 16 pour cent des dommages. En moyenne, les coûts annuels dans les années 2040 devraient augmenter d’environ 14,4 à 15,9 millions d’USD pour les routes et d’environ 2,2 millions d’USD pour les ponts. Les impacts sont 63WDI. 64L’IAN est un indicateur mondial qui évalue l’adoption du numérique dans les pays sur trois dimensions de l’économie : la population, le Gouvernement et les entreprises. L’indice évalue 180 pays sur une échelle de 0 à 1. 40 concentrés dans les provinces occidentales de l’Estuaire, du Moyen-Ogooué et de l’Ogooué-Maritime, tandis que le reste du pays subit des dommages plus modérés et uniformes. Figure 3.9. Coûts supplémentaires annuels et retards dans le cadre du scénario de référence de politiques actuelles, 2041-2050 Figure 3.10. Projections des coûts routiers annuels et dommages annuels moyens aux ponts Source : Estimating the Economic Damages of Climate Change in Gabon, IEc, 2024. L’investissement dans l’adaptation permet de réduire les dommages totaux aux routes d’environ 13,3 à 15,6 millions d’USD par an, alors que les retards annuels augmentent progressivement, atteignant entre 240 000 et 270 000 heures à l’horizon 2041-2050. De même, le choc annuel attendu sur l’offre de main- d’œuvre devrait atteindre environ -0,03 pour cent à l’horizon 2041-2050. La réduction des coûts totaux relatifs aux routes et ponts résulte des investissements dans des infrastructures routières plus résilientes et de l’amélioration des normes de conception des ponts, ce qui fait qu’ils résistent mieux aux impacts majeurs des inondations et des précipitations. Recommandations (Voir Annexe VII pour les recommandations détaillées) Pour réaliser ses objectifs économiques, sociaux et climatiques, le Gouvernement - à travers différents ministères tels que le Ministère de l’Énergie et des Ressources Hydrauliques, le Ministère des Eaux et Forêts et le Ministère des Travaux Publics, de l’Équipement et des Infrastructures – pourrait renforcer les efforts de collaboration interministérielle afin d’élaborer et de mettre en œuvre des plans d’action efficaces pour le secteur du transport. • Adopter un plan de réforme visant à renforcer la résilience des infrastructures de transport, incluant des investissements dans les transports publics, les routes urbaines et nationales, ainsi que dans les infrastructures ferroviaires, aériennes et maritimes. Il serait important de prendre en compte les différents aspects de la résilience, notamment pour réduire au minimum les impacts attendus du 41 changement climatique sur les routes et les ponts65. Les stratégies d’adaptation incluront la réduction de la probabilité d’inondation et le renforcement de la stabilité, notamment par la construction ou l’amélioration des systèmes de drainage transversal, l’élévation des surfaces de roulement au-dessus du niveau probable des crues, le renforcement des chaussées et la réparation des dommages (fissures, nids-de-poule) afin d’augmenter leur résistance à l’écoulement de l’eau ; elles prévoiront également l’augmentation des capacités hydrauliques des ponts, avec des mesures de lutte contre l’affouillement et l’érosion dans les sites concernés. Il faudra aussi prioriser les liaisons routières et les ponts nécessitant une adaptation, notamment dans l’Estuaire, le Moyen-Ogooué et l’Ogooué-Maritime. • S’appuyer sur les investissements en cours pour élargir la connectivité numérique tout en intégrant les différents aspects de la durabilité. Le programme de transformation numérique du Gouvernement offre des opportunités pour dynamiser l’économie numérique et promouvoir la durabilité. Le développement des infrastructures numériques peut soutenir les zones mal desservies, améliorer l’efficacité des secteurs, renforcer les services financiers numériques, former une main-d’œuvre qualifiée et moderniser les services publics. Les réformes devraient intégrer la durabilité à travers un cadre favorisant l’efficacité énergétique, l’utilisation des énergies renouvelables, la gestion des déchets électroniques, l’économie circulaire et la gouvernance des investissements numériques verts. • De plus, l’élargissement de l’accès, le développement des compétences numériques, la mise à l’échelle des infrastructures avec des pylônes 4/5G et la fibre métropolitaine, ainsi que la promotion de cas d’usage plus avancés tels que les centres de données, le cloud et les solutions d’IA, peuvent contribuer à exploiter pleinement le potentiel de l’économie numérique. Parmi les autres recommandations figurent : (1) la réactivation du fonds d’accès universel pour étendre davantage la couverture du haut débit ; (2) la promotion de l’investissement en milieu rural à travers des mesures incitatives fiscales et des subventions ; et (3) la mise à jour des lois et réglementations encadrant le secteur de la technologie, des médias et de télécommunication (TMT) afin de permettre l’entrée de nouveaux fournisseurs de services de données sur le marché et d’encourager le secteur privé à développer l’infrastructure numérique. • En ce qui concerne le transport maritime, intégrer des solutions technologiques alternatives et analyser la capacité nationale à produire des carburants verts. Il est également important d’appuyer les acteurs de la chaîne logistique du transport en leur donnant les moyens nécessaires pour évaluer et réduire efficacement leur empreinte carbone. Spécifiquement, il s’agira de : (i) mener une étude de faisabilité pour le renouvellement progressif du parc automobile national ; (ii) dresser un inventaire des GES du secteur du transport en utilisant la méthodologie ascendante de niveau 2 du GIEC ; et (iii) encourager des options respectueuses de l’environnement en diminuant les taux d’utilisation associés. 3.2 Gestion du capital naturel Augmenter la productivité et la production (agriculture, pêche et sécurité alimentaire) La productivité et la production agricoles stagnent au Gabon, malgré le potentiel considérable du pays et les programmes gouvernementaux de dynamisation de la production alimentaire locale. Malgré les trois millions d’hectares de terres agricoles, un réseau hydrographique dense et des précipitations annuelles abondantes, variant de 1 450 à 4 000 mm, l’agriculture gabonaise demeure dans un équilibre de faible 65Les résultats de la modélisation des impacts attendus du changement climatique sur les routes et les ponts du Gabon, ainsi que les coûts d’adaptation, sont discutés au Chapitre 4 et à l’Annexe 1. 42 productivité et de faible production. La production agricole locale stagne depuis dix ans et est estimée à environ 800 000 tonnes, dont plus de 90 pour cent sont constituées de bananes, de racines et de tubercules. Les rendements n’ont connu aucune amélioration depuis les années 196066, ce qui fait que l’offre des principales cultures reste inférieure à la demande nationale. La production de manioc et de bananes plantains, par exemple, est restée stable à 230 000 tonnes par an et 175 000 tonnes par an respectivement, ce qui correspond à des déficits d’approvisionnement de 130 000 tonnes par an et 85 000 tonnes par an. Le secteur de l’élevage est principalement composé de petits exploitants, fonctionnant selon un système semi-nomade, avec quelques unités industrielles de production de volaille et de bovins de boucherie. De même, la pêche reste majoritairement artisanale, avec quelques grands armateurs d’origine étrangère, malgré un littoral étendu de 800 km. Par conséquent, le Gabon demeure fortement dépendant des importations alimentaires, qui couvrent environ 60 pour cent des besoins nutritionnels67. Rien qu’en 2022, ces importations ont coûté 450 milliards de FCFA68. Cette dépendance excessive aux importations alimentaires expose le pays aux fluctuations des marchés extérieurs, notamment à la hausse des cours mondiaux des denrées alimentaires et des coûts du transport international, ce qui exerce une pression inflationniste et compromet la sécurité alimentaire. Figure 3.11. Rendement des principales cultures 1960 - 2022. Source : FAO. Les systèmes de production agricole du pays sont constitués de : (i) systèmes familiaux en zones forestières et de savane ; (ii) systèmes périurbains (maraîchage) ; et (iii) systèmes agro-industriels. Les systèmes familiaux forment l’épine dorsale du secteur agricole du pays, regroupant 70 000 exploitations et une population d’environ 150 000 personnes. Ces exploitations, d’une superficie allant de 1 à 2 hectares, cultivent principalement des bananes plantains, du manioc, du taro, de l ’igname et différents autres légumes. Les systèmes périurbains sont aménagés dans des zones moins rurales, où des particuliers – notamment des fonctionnaires actifs ou retraités – cultivent des fruits et légumes sur des exploitations agricoles privées de taille moyenne. Les systèmes de production agro-industriels sont dominés par quelques acteurs industriels, notamment la Société d’Investissement pour l’Agriculture Tropicale (SIAT) et Olam International, une multinationale spécialisée dans la production de caoutchouc et 66La diminution des rendements de la production d’huile de palme au Gabon est principalement attribuée au phénomène climatique El Niño. Par exemple, en 2017, de fortes précipitations dans la plantation d ’Awala au Gabon ont entraîné des pertes de récolte de 1 093 kg/hectare. Les autres facteurs contribuant à la baisse de la productivité incluent le vieillissement des plantations, dû à l ’incapacité des agriculteurs à replanter. 67 Département du commerce des États-Unis. 2024. Gabon : Country Commercial Guide. Opportunités de marché (https://www.trade.gov/country-commercial-guides/gabon-market-opportunities). 68 Département du commerce des États-Unis. 2024. Gabon : Country Commercial Guide. Opportunités de marché (https://www.trade.gov/country-commercial-guides/gabon-market-opportunities). 43 d’huile de palme. En 2024, l’IFC a investi dans Olam Palm Gabon pour appuyer les opérations de plantation de 63 000 hectares de palmiers à huile et de mouture. Le secteur agricole du Gabon, hors foresterie, joue un rôle marginal dans la vie économique et sociale du pays. Au fil des décennies, sa contribution au PIB a chuté pour représenter environ 3 pour cent aujourd’hui, contre 16 pour cent en 1970. La tendance à la baisse de la contribution du secteur s ’explique principalement par la prédominance du secteur pétrolier dans l’économie. Néanmoins, l’agriculture, l’élevage et la pêche ont enregistré une baisse de près de 80 pour cent de leur production alimentaire annuelle69. Cela a entraîné des déficits et une insécurité alimentaires chroniques menaçant une grande partie de la population gabonaise. Conscient de sa forte dépendance au secteur pétrolier et aux importations alimentaires, le Gabon a fait de la production agricole un pilier essentiel de ses plans de développement successifs. Lancé en 2016, le Plan Stratégique Gabon Émergent (PSGE) a été conçu comme une feuille de route pour la transformation d’une économie reposant sur la rente en une économie diversifiée et à haute valeur ajoutée, tout en préservant les vastes richesses naturelles du pays. Dans le cadre du pilier « Croissance verte », l’accent était mis sur la transformation du secteur agricole afin d’en faire le principal moteur de la diversification économique et de la croissance inclusive. L’augmentation de la production locale est considérée comme un moyen pour réduire la dépendance du Gabon aux importations alimentaires, améliorer la sécurité alimentaire et atténuer le coût de la vie élevé. Au fil des années, plusieurs politiques, plans et programmes ont été mis en place, notamment : (i) le programme GRAINE, lancé fin 2014 pour développer le secteur agricole gabonais et améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle (SAN) de la population ; et (ii) le Programme de Développement et d’Investissement Agricole au Gabon (PRODIAG), ainsi que le Plan d’Accélération de la Transformation (PAT) de l’économie gabonaise, qui a fait de l’agriculture un moteur de la croissance économique. Le PAT visait à développer les filières agricoles locales en augmentant les surfaces cultivées. Pour réaliser cet objectif, cinq filières ont été privilégiées : le manioc, la banane plantain, le sucre, la volaille et la pêche. Un programme plus récent, le Plan National de Développement pour la Transition (PNDT) 2024-2026, a été conçu comme cadre de référence pour orienter les actions prioritaires du Gouvernement de Transition. Il accorde également un rôle central à l’agriculture et à la pêche. Malgré ces stratégies et les programmes gouvernementaux successifs, le secteur bénéficie de peu d’appui public. Environ 51 pour cent des terres agricoles au Gabon sont exploitées selon des pratiques de gestion durable des terres. Cependant, la part de l’agriculture dans les dépenses publiques n’est que de 0,7 pour cent, loin de l’objectif de 10 pour cent fixé par le Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA) de Malabo. Le financement de la recherche agricole en vue de l’amélioration de la productivité reste également faible (0,16 pour cent du PIB). En conséquence, seuls 10 pour cent des exploitants agricoles ont accès à des services de conseil agricole de qualité. De plus, seul un petit nombre d’exploitants agricoles ont accès aux services financiers, utilisant en moyenne 8,79 kg d ’engrais par hectare de terres arables, ce qui est bien en dessous des 50 kg/ha recommandés. L’exode rural diminue la disponibilité de la main-d’œuvre agricole tout en augmentant la demande alimentaire en milieu urbain. Bien que l’agriculture emploie 40 pour cent de la population rurale70 et que les secteurs combinés de l’agriculture, de la foresterie et de la pêche représentent 72 pour cent de l’emploi rural71, la population rurale continue de diminuer et ne représente plus que 9 pour cent de la population 69 Technical Support for the Agriculture Transformation Strategy and Promotion of Youth Entrepreneurship in Agricultural sector and Agribusiness, Banque africaine de développement, 2017 70 Fonds international de développement agricole (FIDA), 2018 71 Banque mondiale 2020. 44 totale du Gabon. L’exode rural pose un double défi : l’augmentation de la demande alimentaire en milieu urbain et la pénurie de main-d’œuvre en milieu rural pourtant responsable de la production alimentaire. Les défis institutionnels associés au régime foncier limite la production et la productivité agricoles. La propriété foncière est généralement non réglementée et précaire, ce qui fait que l ’accès à la terre est difficile pour les résidents et les producteurs agricoles. Le taux de détention de titres fonciers est au- dessous du potentiel du pays. Seuls 14,8 pour cent des femmes et 14,2 pour cent des hommes détiennent un titre de propriété pour leurs terres72. Cette incertitude décourage les investissements dans l’amélioration des terres, minant la productivité. De plus, en l’absence d’une planification globale de l’occupation des sols, des conflits ont surgi, notamment en raison de chevauchements entre les activités agricoles et les aires protégées. Actuellement, le Gabon élabore un Plan National d’Affectation des Terres (PNAT) visant à identifier les différentes utilisations des terres, à sécuriser et à mettre à disposition des terres agricoles pour les exploitants agricoles, les coopératives, les opérateurs économiques, les investisseurs et les promoteurs. Cependant, ce plan n’est pas encore finalisé, et les personnes sans titres fonciers restent vulnérables. Les conflits entre les humains et la faune sauvage découragent l’agriculture. Les conflits entre l’homme et la faune sauvage sont notamment provoqués par les éléphants, souvent contraints de pénétrer dans les villages et les plantations en quête de nourriture. Le braconnage dans les forêts protégées et même les parcs nationaux contraint ces éléphants à se réfugier dans des zones où la pression de la chasse est moindre, notamment les zones agricoles. Les conflits résultent également des perturbations de l ’habitat causées par la déforestation, l’exploitation minière, l’exploitation forestière et l’aménagement d’infrastructures, qui ne garantissent pas la présence de corridors forestiers sécurisés pour la migration des éléphants. Les éléphants endommagent les récoltes, détruisent les plantations et présentent des risques pour la sécurité des populations rurales. Un projet de la Banque mondiale a montré que la construction de clôtures électriques peut réduire efficacement ces conflits, entraînant une augmentation de 40 pour cent des revenus mensuels des exploitants agricoles suite à la protection des cultures73. Par ailleurs, le manque d’investissements dans l’irrigation face au changement climatique entrave l’intensification agricole. Les systèmes d’irrigation sont relativement peu développés, la majorité de l’agriculture dépendant encore de l’eau de pluie. Le Gouvernement a mis en place plusieurs initiatives pour améliorer la productivité agricole et renforcer la sécurité alimentaire, notamment la construction de nouveaux systèmes d’irrigation. L’un de ces projets est le Projet d’irrigation de Lambaréné, qui prévoit l’aménagement de périmètres agricoles irrigués le long du fleuve Ogooué. Malgré ces efforts, les investissements dans l’irrigation restent insuffisants. Actuellement, le potentiel d’irrigation du Gabon reste inexploité. Seuls 4 450 hectares sont aménagés pour l’irrigation, alors que le potentiel est estimé à environ 440 000 hectares dans l’ensemble du pays. Le manque de diversification agricole et la dépendance à l’agriculture pluviale traditionnelle font que le pays est vulnérable aux chocs lés au changement climatique, notamment à la sécheresse et aux inondations. Le manque d’infrastructures routières pour appuyer la production et la commercialisation fait partie des contraintes majeures, entre autres défis auxquels le secteur agricole est confronté. Ces défis incluent74 72 Projet de développement agricole et rural, 2ème phase (PDAR2) Rapport de conception détaillée, FIDA 2018. 73 Banque mondiale. Gabon - Wildlife and Human-Elephant Conflicts Management in the South of Gabon Project. Washington, DC : Groupe de la Banque mondiale. http://documents.worldbank.org/curated/en/099080323104036065/BOSIB0225e353a0a80b2f5043ddc439090e 74 Enjeux de l’agriculture vivrière et de la sécurité alimentaire et nutritionnelle durable au Gabon, Centre Universitaire de Formation en Environnement Durable 2022 45 l’absence d’appui technique et financier, l’insuffisance des investissements dans l’agriculture moderne, la qualification insuffisante des ressources humaines, des pratiques agricoles rudimentaires, l ’absence de semences et d’intrants améliorés, le manque d’élevage de gros bétail – les petits ruminants et la volaille étant privilégiés – ainsi que le manque de sensibilisation à la contribution des PFNL à la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Comme la valeur ajoutée apportée par l’exportation de matières premières est insuffisante pour créer des chaines de valeur, les producteurs et les exportateurs en tirent moins de retours. Il est nécessaire de renforcer la transformation locale en s ’appuyant sur les initiatives d’investissement existantes dans ce domaine, afin d’accroître la rentabilité et la sécurité économique des exploitants agricoles et des entreprises. Le secteur agricole du Gabon est de plus en plus exposé à une variété d’aléas naturels, accentués par le changement climatique, tels que les vents extrêmes, la chaleur, les inondations et les glissements de terrain. Les pertes agricoles sont plus marquées dans les provinces du Haut-Ogooué, de la Nyanga, de la Ngounié et de l’Ogooué-Lolo, principalement en raison des épisodes de sécheresse. Selon les prévisions, le changement climatique aura différents impacts sur la production agricole, animale et halieutique. La hausse des températures pourrait affecter l’adéquation et la productivité des cultures et des pâturages. Les variations des régimes de précipitations devraient diminuer les ressources en eau disponibles pour les utilisateurs agricoles et influencer les niveaux d’érosion, ce qui affectera à son tour la fertilité des sols. De plus, les variations de la température de la surface de la mer pourraient avoir un impact sur les écosystèmes aquatiques et les prises de poissons. En termes de production agricole, la hausse des températures et la réduction de la disponibilité en eau, dues aux variations des régimes de précipitations, devraient entraîner un choc négatif sur la production de la plupart des cultures pluviales dans un scénario de référence maintenant les « politiques actuelles » (Figure 3. 9). Les légumes, le taro, le manioc et les fruits tropicaux figurent parmi les cultures pluviales les plus vulnérables. Ces cultures devraient enregistrer une baisse de production de 23 pour cent dans le scénario sec/très chaud75 et de 10 pour cent dans le scénario humide/chaud76. Les autres cultures présentent des réactions plus modérées ou variables face au changement climatique. Les arachides, le maïs, les bananes plantains et les ignames devraient tous connaître des chocs négatifs sous des conditions climatiques humides et chaudes ainsi que sèches et très chaudes ; en revanche, les bananes et la canne à sucre présenteraient de légers gains de production dans un climat humide et chaud, mais connaîtraient des chocs négatifs dans des conditions sèches et très chaudes77. Les discussions sur les dommages globaux dans l’agriculture dus à la diminution de la production agricole et aux pertes de productivité de la main-d’œuvre sont quantifiées et abordées au Chapitre 4. 75 Voir le Chapitre 1, page 18, pour une description des variations projetées des températures et des précipitations dans les scénarios sec/très chaud et humide/chaud. 76 Les scénarios climatiques ont été présentés dans le rapport de l’IEc et étaient basés sur les Modèles de circulation générale (MCG) du Modèle couplé. Le scénario moyen sec/très chaud a pris en compte les effets combinés de la sécheresse et de la chaleur. Dans ce scénario, selon les hypothèses retenues, les conditions de sécheresse s’aggravent lorsqu’elles sont associées à des températures élevées. Le scénario moyen humide/chaud prend en compte la combinaison de précipitations accrues et d’un fort ensoleillement ou d’un réchauffement intense dû à l’effet de serre. Dans ce scénario, selon les hypothèses retenues, les variations des précipitations saisonnières s ’intensifient lorsqu’elles sont associées à un fort ensoleillement. 77 Rapport de l’IEc : Estimating the Economic Damages of Climate Change in Gabon, mai 2024. 46 Figure 3.12. Choc sur la production des cultures pluviales dans le scénario de référence, 2041-2050 Source : IEc, 2024. Le Gabon importe la quasi-totalité de la viande de bœuf, de mouton, de porc et de volaille destinée à sa consommation. La production animale locale est limitée à l’élevage bovin. L’élevage porcin et avicole rencontre plusieurs difficultés, notamment un accès limité aux provendes, ce qui restreint la production animale du pays. Dans les conditions climatiques actuelles, environ 1,6 pour cent de la production de petits animaux d’élevage du pays est affectée par la sécheresse, tandis que dans les conditions climatiques futures, cette proportion pourrait atteindre jusqu’à 4,8 pour cent selon les projections78. Actuellement, la plupart des animaux d’élevage affectés par la sécheresse se trouvent à Ngounié ; à l’avenir, un grand nombre d’entre eux seront également affectés dans les provinces de la Nyanga, du Haut-Ogooué et de l’Ogooué-Ivindo (UNDRR, 2019). Le secteur de la pêche du Gabon opère à un niveau est largement en deçà de son potentiel. La production annuelle de 30 000 tonnes reste largement inférieure au potentiel de prise durable de poissons, estimé à 230 000 tonnes79. Le secteur de la pêche au Gabon est principalement constitué de la pêche industrielle, de la pêche artisanale et de la pêche continentale. L’aquaculture est également pratiquée, mais elle ne représente qu’une petite part des prises totales. La pêche industrielle englobe les activités de pêche hauturière et est principalement dominée par des flottes étrangères dont les efforts portent essentiellement sur la pêche du thon destiné à la transformation à l ’étranger. La relance de l’industrie locale de transformation du thon figure parmi les objectifs du plan de développement le plus récent, le PNDT. La pêche artisanale, pratiquée principalement dans les estuaires et les lagons, représente la majorité des prises du pays, soit environ 66 pour cent80. La pêche joue un rôle important dans l’alimentation des Gabonais, leur consommation annuelle de poisson étant estimée à 35 kilogrammes par personne 81. Les principales espèces exploitées sont le thon, les sardines et les bonites. À l’avenir, le changement climatique pourrait avoir des impacts majeurs sur les stocks halieutiques du pays, parce que la hausse de la température de la surface de la mer et l’acidification des océans pourraient entraîner une diminution de 78 UNDRR, Profil de risque de catastrophe du Gabon, 2019 79 Banque mondiale. 2022. Pathways for Blue and Green Economic Diversification in Gabon. Washington, DC : Banque mondiale. 80 Fisheries Committee for the West Central Gulf of Guinea (FCWC) 2018 81 FAO 2022b 47 l’abondance des espèces82. Les impacts du changement climatique devraient s’accroître progressivement vers le milieu du siècle et varier en fonction du scénario climatique considéré. Entre 2041 et 2050, les chocs moyens sur les stocks halieutiques varieront d’environ -23,1 pour cent dans le scénario climatique de profils représentatifs d’évolution de concentration radiative les plus faibles (RCP 2.6) à environ -30,4 pour cent dans le scénario des pires profils représentatifs d’évolution de concentration radiative (RCP 8.5). Le Gabon se classe au 80e rang sur 125 pays à l’Indice de la faim dans le monde en 2023 place le Gabon, un classement qui met en lumière d’importants problèmes de sécurité alimentaire. Avec un score de 17,4 en 2024 - en hausse par rapport à 16,7 en 2016 - la situation est toujours considérée comme modérée selon l’Indice de la faim dans le monde, mais elle se détériore83. Le changement climatique pourrait accentuer l’insécurité alimentaire à l’avenir en perturbant la production agricole et la distribution des denrées alimentaires. En raison de leurs effets largement négatifs sur l’agriculture et la distribution alimentaire au Gabon, l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des inondations, des épisodes de sécheresse, la hausse des températures et l’élévation du niveau de la mer devraient affecter défavorablement la sécurité alimentaire. La disponibilité des denrées alimentaires est le canal par lequel le changement climatique affecte directement la sécurité alimentaire ; selon les prévisions, il entraînerait une baisse de la production agricole, halieutique et animale. La production agricole est par nature influencée par les conditions climatiques et figure parmi les secteurs les plus exposés aux risques et aux effets du changement climatique à l’échelle mondiale84. L’offre de viande et d’autres produits d’élevage dépendra des tendances de la production agricole, étant donné que les cultures fourragères occupent environ 30 à 40 pour cent des terres cultivées au Gabon. Selon les prévisions, les populations de poissons marins connaîtraient une forte diminution, principalement parce que le Gabon se trouve dans la ceinture tropicale. Comme indiqué dans la Section I, à l’horizon 2041-2050, les productions végétales, animales et halieutiques devraient diminuer à concurrence de 23 pour cent, 4,8 pour cent et 30 pour cent, respectivement. Dans la mesure où le changement climatique entraîne une hausse des prix des denrées alimentaires, il devrait en réduire l’accessibilité financière et affecter le niveau de vie des populations. Le changement climatique pourrait affecter les prix des denrées alimentaires en causant une augmentation des coûts de transaction pour les producteurs et les commerçants. Par exemple, la hausse des températures ainsi que l’augmentation des précipitations et des inondations accélèrent la détérioration des routes, ce qui, à son tour, influe sur les coûts de réparation et d’entretien des infrastructures, provoque des retards dans les transports et peut accroître les coûts de transaction pour les utilisateurs, impactant ainsi les prix des denrées alimentaires. Comme discuté dans la section sur les transports, les coûts routiers annuels devraient significativement augmenter tandis que les retards liés au changement climatique devraient s’aggraver considérablement dans le cadre des moyennes SSP2-4.5 et SSP3-7.0 par rapport à la référence historique. Dans le cadre des MCG SSP2-4.5 et SSP3-7.0, les coûts annuels dans les années 2040 augmenteraient en moyenne d’environ 14,4 millions d’USD et 15,9 millions d’USD, respectivement, par rapport aux coûts de la période historique. Parmi les autres facteurs pouvant affecter l’accessibilité financière figure les pertes de revenus suite à des phénomènes météorologiques catastrophiques. Les inondations au Gabon affectent généralement environ 0,33 pour cent de la population totale, posant ainsi 82 Banque mondiale 2021a 83 Base de données de l’Indice de la faim dans le monde. https://www.globalhungerindex.org/ranking. html 84 Parry et al. , 1999. 48 des défis majeurs à l’économie locale. Selon les projections climatiques futures, ce chiffre devrait grimper à 3,4 pour cent. Recommandations (Voir Annexe VII pour les recommandations détaillées) • Préparer un Plan d’investissement dans l’agriculture climato-intelligente (PIACI). Le plan définira les mesures concrètes que le Gouvernement et le secteur privé peuvent prendre pour stimuler l’agriculture climato-intelligente, tant en matière d’opportunités d’investissement que de conception et de mise en œuvre de politiques. • Appuyer l’adoption de pratiques agricoles climato-intelligentes et économes en eau, avec le secteur privé comme catalyseur essentiel. Il s’agira d’adopter des variétés de cultures résistantes à la chaleur pour le manioc, l’igname, le taro, l’arachide et les légumes. Cette mesure d’adaptation vise à diminuer le stress thermique, en particulier pour les cultures à haute valeur ajoutée. La rotation et l ’association des cultures sont des pratiques de gestion durable des sols et de l’eau qui favorisent la diversification des cultures et de l’alimentation, tout en réduisant le déficit de rendement sans accroître l’utilisation d’intrants externes. Il est essentiel de développer un secteur d’agriculture régénératrice orienté sur l’exportation ainsi que d’élargir et faciliter l’accès aux certifications de durabilité. Il faudrait investir dans des infrastructures de stockage et de transformation modernes et adopter des technologies innovantes pour transformer les opérations en pratiques climato-intelligentes. • Tirer parti des infrastructures et initiatives existantes dans le secteur du bois pour promouvoir la transformation locale du cacao, de l’huile de palme et d’autres cultures, afin de créer des produits à plus forte valeur ajoutée, diversifier les exportations et accroître les revenus des exploitants agricoles et des entreprises agroalimentaires. Il est nécessaire d’améliorer les infrastructures pour stimuler l’accès aux marchés, réduire les coûts et faire en sorte que les produits agricoles du Gabon deviennent plus compétitifs sur les marchés régionaux. La demande d’électricité dans les zones hors réseau peut favoriser l’électrification rurale et débloquer un plus grand potentiel pour le commerce local. • Augmenter les investissements dans les systèmes d’irrigation pour augmenter la superficie irriguée (de 4 500 à 25 000 ha à moyen terme) : Le scénario avec actions climatiques prévoit une adoption plus large de l’irrigation pour certaines cultures actuellement pluviales ainsi qu ’une augmentation de la production agricole irriguée dans son ensemble. L’agriculture de précision et l’irrigation intelligente sont essentielles pour adapter l’agriculture à la variabilité des conditions météorologiques, optimiser l’utilisation des ressources et améliorer la productivité. La demande de systèmes d’irrigation périurbains de petite et moyenne taille (exemple : appareils portables et capteurs abordables) est en augmentation. • Améliorer et simplifier le régime foncier. Les droits d’accès, de retrait, de gestion et d’exclusion d’autrui des terres influencent à la fois le choix de système par les exploitants agricoles et les profits qu ’ils en tirent. Le mode de possession des terres joue également un rôle-clé dans l’adoption des PACI. • Améliorer la gouvernance au sein des organisations de producteurs (OP) agricoles. Le renforcement des capacités des OP dans différents domaines, notamment en favorisant l’interaction et la coordination des acteurs tout au long des chaînes de valeur ciblées à travers la bonne gouvernance et un leadership solide, pourrait faciliter l’adoption des PACI. 49 Promouvoir une gestion durable des forêts et la création de valeur ajoutée locale Grâce à d’importants efforts de conservation, le Gabon présente des taux de déforestation et de dégradation des forêts extrêmement bas. Au fil des années, plusieurs politiques ont été adoptées pour favoriser la gestion durable des forêts et la conservation de la biodiversité. Parmi les autres facteurs contribuant à la préservation des forêts figurent la dépendance économique du Gabon au pétrole depuis une longue période, un taux d’urbanisation de 90 pour cent et une faible densité de population de 9 personnes par km2. Au cours de la dernière décennie, face au déclin à long terme du secteur pétrolier, le Gabon a cherché à renforcer la contribution du secteur forestier à l’économie nationale et à la création d’emplois, tout en veillant à préserver des pratiques d’exploitation forestière durables. En conséquence, le Gabon fait partie des rares pays à « forte couverture forestière et faible déforestation » (FCFFD) ; il est le quatrième pays le plus boisé au monde, avec plus de 90 pour cent de couverture forestière et un taux de déforestation estimé à moins de 0,1 pour cent par an85. Avec environ 240 000 km2 de forêts, le Gabon représente 18 pour cent de la forêt tropicale du bassin du Congo. Chaque année, les forêts du Gabon absorbent environ 140 millions de tonnes de CO 2 et en émettent environ 40 millions de tonnes, ce qui représente une séquestration nette d’environ 100 millions de tonnes, soit l’équivalent de la moitié des émissions annuelles des Pays-Bas. Par conséquent, les émissions du secteur de l’affectation des terres proviennent principalement de la dégradation des forêts plutôt que de la déforestation. La déforestation a légèrement augmenté entre 2010 et 2018, avec des émissions totales estimées à 9,7 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an, une grande partie (~40 pour cent) de la déforestation historique étant considérée comme « temporaire » dans le cadre de l’évolution des systèmes agricoles. Actuellement, environ 2 080 km2 de terres sont consacrées à l’agriculture, dont 40 pour cent sont occupés par des plantations commerciales de palmiers à huile. La majeure partie de la déforestation « permanente » observée au cours de la dernière décennie résulte de l’expansion des plantations de palmiers à huile. En revanche, les concessions forestières commerciales s’étendent sur environ 157 000 km2, représentant 65 pour cent des forêts du Gabon et 12 pour cent de la superficie totale de la forêt du bassin du Congo. En plus des concessions commerciales, le pays compte des zones de préservation ainsi que des zones de foresterie communautaire. Sur environ 30 millions de tonnes de CO 2 d’émissions dues à la dégradation des forêts, selon les estimations, 19,3 millions de tonnes de CO2 proviennent des activités légales de récolte de bois et des investissements en infrastructures associés à l’industrie forestière, tandis que les activités illégales dans le secteur forestier contribuent à environ 10 à 15 millions de tonnes de CO 2 d’émissions supplémentaires par an. Les conventions environnementales internationales, notamment la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et la Convention sur la diversité biologique, ne permettent pas actuellement de rémunérer de manière adéquate les pays à FCFFD pour les services climatiques essentiels qu’ils fournissent. La communauté internationale ne dispose pas encore de mécanismes permettant de récompenser pleinement les pays à FCFFD pour les services écosystémiques forestiers mondiaux et régionaux qu’ils fournissent, tels que la séquestration et le stockage du carbone dans les forêts intactes, les services de refroidissement et de recyclage des eaux de pluie profitant à d’autres pays, ainsi que la conservation de la biodiversité menacée à l’échelle mondiale. 85 Basé sur FAO. 2023. Utilisation du sol. Dans : FAOSTAT. Rome. [Cité en octobre 2023], http://www. fao. org/faostat/en/#data/RL. Pour la période 2015-2020, la déforestation annuelle moyenne était de 19 300 ha, selon l’Évaluation des ressources forestières 2020 de la FAO, voir https://openknowledge.fao.org/server/api/core/bitstreams/3eff2288-0c53-4fd8-ad10-b3f417b71836/content 50 Le Gabon se distingue également en Afrique subsaharienne par la mise en œuvre, depuis plus d’une décennie, d’une combinaison de politiques forestières et d’instruments juridiques à la fois respectueux de l’environnement et créateurs d’emplois. Cela inclut : (i) l’extension des parcs nationaux forestiers, qui couvrent plus de 10 pour cent du territoire national depuis 2002 ; (ii) l’interdiction d’exportation des grumes et la création de Zones économiques spéciales (ZES) pour promouvoir la transformation locale du bois créant de la valeur ajoutée, pleinement appliquée et mise en œuvre depuis 2010 ; (iii) l’introduction de mesures incitatives de nature fiscale pour la gestion durable des forêts (GDF), avec des redevances de superficie différenciées selon que les concessions sont non certifiées, à légalité vérifiée ou certifiées GDF par FSC et/ou PEFC/PAFC, depuis 201086 ; et (iv) l’élaboration et le déploiement d’un système national conjoint de traçabilité du bois par les ministères en charge des forêts, de l’économie et de l’administration des douanes, en cours depuis 2022. Le Gabon présente une caractéristique commune avec les autres pays producteurs de bois d’Afrique centrale : l’industrie du bois et les concessionnaires privilégient un très petit nombre d’essences commerciales. Au Gabon, une seule espèce (Okoumé) compte pour plus de la moitié de toute la production industrielle de bois. Pourtant, une quarantaine à une cinquantaine d’autres espèces de bois, qui ne sont pas actuellement exportées, ont été jugées techniquement et commercialement viables87. En raison de cette concentration de toute l’attention sur un très petit nombre d’essences de bois, les taux de récolte actuels dans les concessions forestières du Gabon sont extrêmement bas, variant généralement entre 2 et 5 m3 par hectare, ce qui reste bien en dessous de la capacité de production durable de la forêt. Dans les concessions bien gérées appliquant l’Exploitation forestière à impact réduit (EFIR) et d’autres pratiques GDF, la diversification de la récolte en l’élargissant à un plus grand nombre d’espèces permettrait d’augmenter significativement la production globale de bois. Elle permettrait également de réduire la pression sur les espèces menacées de surexploitation et favoriserait la régénération ainsi que la croissance des principales essences de bois d’œuvre, dont la majorité sont des arbres « non pionniers héliophiles », nécessitant une forte exposition au soleil pour parvenir à maturité et se développer dans la canopée88. La réduction de la dépendance à un nombre restreint d’espèces contribuerait également à répartir les risques et à limiter les effets imprévisibles du changement climatique ou d’autres phénomènes naturels, tels que les épidémies, sur l’une de ces espèces. La mise en œuvre de politiques forestières durables et l’application de nouveaux instruments juridiques ont été relativement cohérentes et ont produit des résultats concrets. À la différence d’autres pays africains, le Gabon a vu une augmentation de ses populations d’éléphants de forêt africains et d’autres espèces sauvages menacées ; le nombre d’emplois dans l’industrie forestière a été multiplié par quatre au cours de la dernière décennie ; la déforestation et la dégradation des forêts ont été contenues, et d’importantes quantités de CO2 ont été séquestrées par les peuplements forestiers du pays89. Les forêts africaines intactes, dont la majorité se trouvent en Afrique centrale, ont constitué un puits de carbone 85 Les redevances superficiaires pour les concessions certifiées par FSCP ou PEFC/PAFC, légalement certifiées et non certifiées, sont respectivement de 300 XAF par hectare, 600 XAF par hectare et 800 XAF par hectare, contre 400 XAF par hectare avec l’ancienne redevance superficielle uniforme. 87 Voir par exemple https://www.atibt.org/en/p/90/lesser-known-timber-species 88 En réalité, un grand nombre des principales espèces ligneuses ne se régénèrent pas bien non plus dans les forêts entièrement protégées. L’intensification de l’exploitation des espèces de bois moins connues (EBMC), parfois appelées espèces moins utilisées (EMU), est également encouragée en tant qu’outil de gestion durable des forêts tropicales par le Conseil de bonne gestion forestière (FSC) et le Fonds mondial pour la nature (WWF), voir par exemple https://www.lesserknowntimberspecies.com/ et https://www.worldwildlife.org/publications/guide-to-lesser-known-tropical-timber-species 89 Selon les estimations du Niveau de référence des émissions forestières modifié du Gabon, soumis à la CCNUCC en octobre 2021, les absorptions nettes projetées préliminaires devraient atteindre 116,4 millions de tCO2eq par an d’ici 2025, soit une augmentation de 7,8 pour cent par rapport aux niveaux de 2005, tandis que les émissions brutes projetées préliminaires devraient s ’élever à 25,5 millions de tCO2eq par an d’ici 2025, soit une réduction de 28 pour cent par rapport aux niveaux de 2005, voir https://redd.unfccc.int/media/gabon_frl_modified_oct2021_clean_final. pdf. 51 remarquablement stable entre 1985 et 2015, absorbant en moyenne 0,66 tonne de carbone par hectare et par an (2,42 tCO2eq par hectare et par an), contrairement à la forêt amazonienne, où la mortalité des arbres a augmenté sur cette période90. Il est essentiel de distinguer l’impact direct du changement climatique sur les forêts et le secteur forestier du Gabon dans les décennies à venir, des impacts indirects probables. Bien que les impacts directs à l’horizon 2050, tels que modélisés par l’Université de Gand pour ce CCDR, devraient rester limités, il persiste des risques majeurs.91 Premièrement, la hausse des températures augmentera la demande d’évaporation des forêts, faisant peser un risque de sécheresse d’une ampleur et d’une intensité inédites. Ce risque accru de sécheresse devrait devenir la norme dans plusieurs régions du monde d’ici 2050, quel que soit le scénario de changement climatique retenu. Une grande incertitude demeure quant à la manière dont les forêts tropicales réagiront à ces futurs phénomènes extrêmes. Certains modèles prévoient une mortalité massive des arbres, tandis que d’autres estiment que l’écosystème conservera sa productivité actuelle, voire deviendra plus productif. La question essentielle de savoir comment les plantes s’acclimateront aux températures élevées dans les forêts tropicales demeure sans réponse à ce jour ; bien que certains modèles anticipent une forte baisse de la productivité forestière d’ici 2050, la majorité n’en prévoit pas. Selon l’exercice de modélisation mené par l’Université de Gand pour ce CCDR, la probabilité d’impacts climatiques à grande échelle sur les forêts pourrait doubler voire tripler d’ici 2050, en fonction des scénarios d’émissions les plus probables.92 Deuxièmement, indépendamment des impacts directs du changement climatique au Gabon, un point de basculement pour les forêts du pays pourrait être atteint, résultant de la déforestation et des effets du changement climatique au-delà de ses frontières. Les modifications de l’affectation des terres et les changements climatiques en Afrique centrale pourraient également avoir des conséquences directes sur les forêts du Gabon et entraîner des boucles de rétroaction auto-renforcées dans les décennies à venir. Même si la probabilité d’un dépérissement terminal à grande échelle ou de l’atteinte d’un point de basculement augmente avec l’intensité du changement climatique et des modifications de l’utilisation des terres avant 2050, le risque demeure inférieur à celui prévu d’ici la fin du siècle. En termes d’implications pratiques pour la gestion forestière, le changement climatique pourrait accentuer les risques d’incendie, notamment dans les forêts déjà exploitées. À son tour, cette évolution entrainerait une augmentation des coûts de GDF, ce qui exigerait d’intégrer des mesures pour prévenir ou au moins de réduire ces risques, ainsi que pour éviter les impacts sociaux négatifs et l’augmentation des émissions de CO2 résultant de feux de forêt plus fréquents93. Outre le risque accru de mortalité généralisée des arbres dû à la probable augmentation de la fréquence des épisodes de sécheresse extrême mentionnée précédemment, le changement climatique pourrait également avoir un impact plus large sur la régénération et la croissance de certaines guildes écologiques d’espèces d’arbres. Cela pourrait avoir un impact négatif majeur sur l’industrie gabonaise du bois, d’autant plus que sa forte dépendance à un petit 90 Les forêts tropicales structurellement intactes ont absorbé environ la moitié du carbone terrestre séquestré à l’échelle mondiale dans les années 1990 et au début des années 2000, éliminant environ 15 pour cent des émissions anthropiques de dioxyde de carbone, voir Hubau, W, Lewis, SL, Phillips, OL, Affun-Baffoe, K, et al. 2020. Asynchronous carbon sink saturation in African and Amazonian tropical forests , Nature 579, pages 80–87 (2020), https://www.nature.com/articles/s41586-020-2035-0 91 Les paragraphes suivants reposent sur les résultats de l’exercice de modélisation de l’impact du changement climatique réalisé par l’Université de Gand. Pour de plus amples détails sur leurs constats, voir l’Annexe 2 ainsi que le rapport technique distinct rédigé par Félicien Meunier de l’Université de Gand. 92 Les modèles climatiques issus de cet exercice de modélisation indiquent une probabilité croissante d’impacts du changement climatique à grande échelle, passant d’environ 5 pour cent actuellement à 10-15 pour cent en 2050, sauf dans le scénario d’émissions le plus optimiste (Moyenne SSP1-1.9). L’étude a également souligné les incertitudes quant à la réaction des forêts tropicales face à des événements inédits, tels que des températures élevées et des épisodes de sécheresse extrême, pouvant ainsi accroître les risques. 93 L’augmentation du risque d’incendie pourrait également nécessiter l’instauration de limites de volume dans le cadre de la diversification des essences de bois récoltées, notamment dans les forêts situées en bordure de la savane ou d’autres zones à risque élevé d’incendie. 52 nombre d’essences commerciales la rend particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique. Le changement climatique pourrait également affecter la régénération et la croissance de certaines espèces d’arbres, constituant ainsi un risque à long terme (au-delà de 2050) pour la viabilité des forêts tropicales. Selon les constats de recherches menées au Gabon, la production de fruits de 73 espèces aurait déjà diminué de 80 pour cent dans un parc national entre 1986 et 201894. Selon l’hypothèse émise par les chercheurs, le changement climatique (+0,25°C par décennie enregistré sur la même période) serait responsable de ce déclin de la production de fruits, le déclenchement de la floraison exigeant une température minimale critique chez certaines espèces. La baisse de la production de fruits affecte probablement déjà les animaux frugivores tels que les éléphants, les gorilles et les chimpanzés, d ’autant plus que la même étude a mis en évidence une détérioration significative de la condition physique des éléphants depuis 2008. Les conflits entre l’homme et la faune sauvage représentent déjà un enjeu environnemental et social majeur au Gabon, avec environ 30 décès causés par des éléphants depuis 2020 et d’importantes pertes agricoles. Une diminution de la production fruitière pourrait aussi avoir des effets négatifs sur les moyens de subsistance des communautés rurales, qui dépendent de la consommation et de la vente de produits forestiers non ligneux. De plus, la plus grande fréquence des catastrophes liées au changement climatique, telles que les glissements de terrain, les épisodes de sécheresse et les inondations, devrait avoir des impacts majeurs sur les communautés rurales et les populations locales vivant dans les forêts ou à proximité des forêts, déjà socialement défavorisées95. Ces impacts devraient entraîner des impacts indirects sur les ressources forestières et fauniques, avec des conséquences négatives sur la séquestration du carbone et la conservation de la biodiversité. Il sera essentiel de renforcer la participation des communautés rurales aux décisions relatives à la gestion des forêts et des autres ressources naturelles, ainsi qu ’au partage des avantages économiques tirés de ces ressources, afin de réduire leur vulnérabilité au changement climatique. L’impact indirect du changement climatique dans d’autres régions d’Afrique sur les forêts et le secteur forestier du Gabon est plus difficile à prévoir, mais il pourrait constituer à la fois un risque et une opportunité pour le développement durable.96 Par exemple, selon les projections, en Côte d’Ivoire et au Ghana, qui à eux deux assurent plus de 60 pour cent de la production mondiale de cacao, un tiers des superficies actuellement cultivées pourraient ne plus être adaptées à cette culture en raison du changement climatique dans les décennies à venir97. Bien que ces projections climatiques présentent de grandes incertitudes, elles pourraient créer des opportunités pour d’autres pays africains producteurs de cacao, dont le Gabon. Le Gabon pourrait tirer parti d’investissements dans une production agroforestière de cacao durable et résiliente au changement climatique, à condition qu’elle soit correctement planifiée et 94 Bush et al. 2020. Long-term collapse in fruit availability threatens Central African forest megafauna . Science 370 (65210) pp 1219-1222. Bien que l’impact probable sur la mégafaune forestière soit évident, celui sur la régénération des espèces d ’arbres concernées est plus difficile à évaluer, parce que de nombreuses espèces produisent des quantités extrêmement élevées de fruits et de graines selon un cycle irrégulier (non annuel), afin d’assurer leur régénération malgré la consommation de leurs produits par la faune sauvage. 95 Tel qu’indiqué dans la section suivante sur la promotion du capital humain, les communautés rurales sont confrontées à d ’importantes disparités sociales, résultant du manque d’accès aux services, aux marchés et aux mesures pour la résilience, tels que la sécurité alimentaire et hydrique, la qualité de l’habitat et la propriété des biens. Les préoccupations climatiques risquent d’aggraver davantage les problèmes d’inclusion sociale dans ces régions, notamment lorsqu’elles s’ajoutent aux défis de gouvernance. 96 Le rapport sur l’exercice de modélisation de l’impact du changement climatique réalisé par l’Université de Gand pour ce CCDR reconnaît que le manque de données sur le recyclage des précipitations par les forêts africaines représente une source majeure d ’incertitude dans leurs résultats de modélisation d’impact. 97 P. Laderach, A. Martinez-Valle, G. Schroth et N. Castro 2013. Predicting the future climatic suitability for cocoa farming of the world ’s leading producer countries, Ghana and Côte d’Ivoire. Changement climatique, (3-4) : 841-854, 2013. 53 mise en œuvre sans entraîner de déforestation non durable, parce que celle-ci pourrait compromettre son accès aux principaux marchés d’exportation du cacao. Parmi les autres éléments essentiels à prendre en compte, il y a les modifications de la couverture forestière au Gabon qui pourraient avoir des impacts sur l’ensemble du continent africain, bien au-delà des frontières nationales. En Amazonie, des recherches scientifiques ont confirmé l’existence de « rivières volantes » ou rios voadores98, qui alimentent les précipitations de l’Amazonie occidentale en recyclant l’évapotranspiration des forêts situées à l’est99. En leur absence, la majeure partie des précipitations ne serait pas recyclée mais s’écoulerait directement dans l’océan Atlantique, transformant l’Amazonie occidentale en savane plutôt qu’en forêt, ce qui réduirait considérablement sa capacité de séquestration des GES. Selon les estimations, des mécanismes similaires opéreraient sur le continent africain, où les précipitations dans les pays du Sahel central et oriental se sont rétablies bien plus efficacement depuis les sécheresses des années 1970-1980 que dans le Sahel occidental100. Cette situation est probablement liée à la dégradation et/ou à la disparition de plus de 75 pour cent des forêts le long de la côte ouest-africaine depuis 1980, contre moins de 25 pour cent dans les pays d’Afrique centrale. En plus de cet effet de recyclage des précipitations, les forêts du Gabon exercent également un effet de refroidissement direct, ce qui est important non seulement pour le bien-être des populations rurales, mais aussi à une échelle plus large. Étant donné que la conservation et l’exploitation actuelles des forêts au Gabon génèrent zéro émission nette mais permettent également une absorption nette de 100 mtCO2 par an, l’un des défis majeurs et prioritaires consiste à préserver le statu quo forestier. Le Gabon traverse une grande transition économique, caractérisée par des prévisions de baisse de la production pétrolière, une croissance démographique et un taux de chômage élevé. Pour contribuer davantage au rendement économique et à la création d’emploi, le secteur forestier gabonais doit augmenter la valeur ajoutée et le potentiel de création d’emplois de la transformation locale du bois, qui représente déjà la principale source d’emplois dans le secteur privé formel (Encadré 3.2). Encadré 3.2. Foresterie – Une opportunité pour des emplois plus nombreux, de meilleure qualité et durables au Gabon Le secteur forestier gabonais possède un fort potentiel d’expansion, notamment à travers le renforcement de la création de valeur au niveau national et un meilleur accès aux marchés internationaux. La foresterie est un secteur clé de l’économie du Gabon, représentant 3,2 pour cent du PIB et 6 pour cent des exportations en 2023. Elle emploie près de 15 000 personnes dans le secteur formel. En misant sur des produits à forte valeur ajoutée, en intégrant davantage la chaîne de valeur et en développant la transformation locale, le Gabon peut améliorer sa compétitivité, créer plus d’opportunités d’emplois et offrir de meilleurs salaires . Les produits transformés, tels que les sciages et les meubles, génèrent des salaires plus élevés et une plus grande valeur ajoutée. La contribution du secteur varie selon les filières, les produits transformés apportant davantage de valeur que les grumes brutes (Figure A). Les sciages se distinguent par leur forte valeur ajoutée, tandis que la fabrication de meubles, bien que de moindre ampleur, offre des rémunérations plus attractives. L’expansion de ces filières à haute valeur nécessitera une montée en compétences des travailleurs pour répondre aux standards de qualité avancés. Il sera essentiel d’investir dans la formation et l’éducation pour accroître l’efficacité de la main-d’œuvre et soutenir la croissance du secteur. 98 Voir https://riosvoadores.com.br/english/ 99 Le mécanisme physique à la base de ces « rivières volantes » a été expliqué pour la première fois dans la publication de 2007 de Makarieva, A. et Gorshkov, V. , Biotic pump of atmosphere moisture as driver of the hydrological cycle on land. Hydrologie et sciences du système terrestre, 11, pp. 1013-1033, 2007. DOI : 10. 5194/hess-11 100 Giannini, A. , Biasutti, M. et Verstraete, M. M. (2008). A climate model-based review of drought in the Sahel: desertification, the re- greening and climate change. Changements globaux et planétaires, 64, 119-128. 54 L’augmentation de la production forestière stimulera également la création d’emplois dans d’autres secteurs économiques liés à la chaîne de valeur. Celle-ci englobe des activités en amont et en aval, impliquant l’achat de biens et services issus de divers secteurs tels que la machinerie, le transport, l’agriculture et le bâtiment (Figure B). Une plus grande production forestière générerait ainsi une demande supplémentaire dans ces secteurs connexes, renforçant la demande de main-d’œuvre et favorisant la croissance économique dans son ensemble. Figure A. Salaires par unité de production et valeur ajoutée Figure B. Structure des intrants du secteur forestier par unité de production, secteurs sélectionnés gabonais Notes : (A) Les barres avec des lignes diagonales représentent les secteurs liés à la foresterie. Les secteurs non répertoriés sont Extraction pétrolière (0,03 ; 0,10), Production alimentaire (0,05 ; 0,15), Produits chimiques, minéraux, métaux de base (0,11 ; 0,24), Machines et équipements (0,11 ; 0,53), Véhicules à moteur et remorques (0,12 ; 0,25), Électricité et gaz (0,15 ; 0,30), Bâtiment (0,16 ; 0,35), Transport (0,17 ; 0,86), Hôtellerie (0,20 ; 0,35). Source : (A, B) Version 57 de la base de données GLORIA, base de données mondiale d’entrées-sorties multi-régions (MRIO) étendue aux aspects environnementaux (Lenzen et al., 2022), construite par le Global MRIO Lab (Lenzen et al., 2017). Pour s’assurer que l’augmentation de la transformation du bois ne nuise pas aux forêts du Gabon, il faudrait renforcer les pratiques de foresterie durable. Ce renforcement pourrait inclure la mise en œuvre complète des systèmes de traçabilité du bois, l’amélioration du respect des obligations de vérification légale et de certification en gestion forestière durable, ainsi que l’instauration d’incitations fisca les pour encourager une plus grande utilisation des essences de bois moins connues. La Suède constitue un exemple de valorisation des produits forestiers tout en maintenant une gestion durable des forêts. Ses chaînes de valeur, incluant les sciages, le papier, la pâte à papier et la fabrication de meubles, répondent à la fois à la demande intérieure et aux exigences des marchés d’exportation, avec 33 pour cent des produits du bois et 59 pour cent des produits papetiers destinés à l’export. Pour garantir l’accès aux marchés, la Suède impose une certification attestant d’un approvisionnement responsable et de mesures de reforestation qui créent des opportunités d’emplois supplémentaires en milieu rural. Le Gabon, quant à lui, est un acteur clé de l’approche « exploiter pour sauver », ayant développé une industrie du bois fondée sur des pratiques durables et une faible déforestation. Des politiques sont en cours d’application pour numériser la traçabilité du bois, lutter contre l’exploitation illégale et promouvoir la certification en gestion forestière par des organismes tiers. Des investissements supplémentaires pourraient être envisagés pour dynamiser les secteurs de transformation du bois en aval, contribuant ainsi à la diversification économique. Leur mise en œuvre devrait s’appuyer sur des analyses approfondies, incluant des études visant à évaluer comment créer davantage d’emplois de qualité selon les différentes politiques et stratégies adoptées. Sources : Banque mondiale 2024. Note de conjoncture économique du Gabon ; Swedish Wood, 2024. La production de bois au Gabon est en hausse, la production totale de grumes ayant progressé de 2 820 000 m3 en 2018 à 3 771 000 m3 en 2022, soit une augmentation d’environ 34 pour cent101. Cette hausse a entraîné une augmentation de la production de sciages (passant de 960 000 à 1 033 000 m3), 101 Bilan biennal de l’OIBT 2021-2022 (2023). 55 de placages (passant de 389 000 à 465 000 m3) et de contreplaqués (passant de 41 000 à 85 000 m3). Cependant, sur cette même période, la valeur des exportations n’a pas suivi l’augmentation des volumes de bois en raison de la baisse de la valeur unitaire des produits du bois à l ’échelle mondiale, passant de 554 à 473 USD par m3 pour le bois scié (soit une diminution de 15 pour cent), de 906 à 654 USD par m 3 pour le placage (moins 28 pour cent) et de 780 à 672 USD par m 3 pour le contreplaqué (moins 14 pour cent). Pour promouvoir la foresterie, la politique du Gabon prévoit une nouvelle augmentation de la production de bois de 20 pour cent d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2020. Les efforts en réponse à ce défi devraient être axés sur la transformation tertiaire du bois en produits (semi- )finis, tels que les matériaux de construction et les meubles, ainsi que sur l ’exploitation des espèces de bois moins connues, qui présentent un potentiel important d’une plus grande utilisation sans compromettre la durabilité de la gestion des forêts naturelles. Cela contribuerait à favoriser la diversification économique, tant essentielle au pays, tout en compensant partiellement la baisse des revenus issus des exportations pétrolières et en créant un nombre significatif d’emplois en milieu rural et urbain. Un autre défi de développement se pose, celui d’appuyer les communautés rurales locales dans la mise en place de chaînes de valeur durables et diversifiées pour les PFNL, en renforçant leurs capacités en matière de gestion durable, d’amélioration de la transformation et de la conservation des PFNL, ainsi qu’en organisant des groupements de producteurs pour un meilleur positionnement sur le marché, conformément à la stratégie nationale de 2012 du Gouvernement pour le développement des PFNL102. La production durable de PFNL et la création de valeur ajoutée peuvent résulter à la fois de l ’exploitation d’arbres naturellement présents dans les forêts communautaires et de la plantation d’arbres au sein de systèmes agroforestiers. Une telle production, associée à la garantie que les communautés locales reçoivent une part plus équitable des revenus tirés des concessions forestières et des aires protégées, sera essentiel pour réduire les inégalités entre les milieux rural et urbain. L’un des principaux défis liés au changement climatique auxquels le Gabon est confronté est que, en tant que pays à FCFFD, les règles actuelles des systèmes de paiement du programme de Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement (REDD+) ne lui permettent pas d’être correctement rémunéré pour les grandes quantités de CO2 séquestrées par ses peuplements forestiers. Le pays peut tirer certains avantages de l’intensification de la mise en œuvre de l’Exploitation forestière à impact réduit (EFIR) dans le cadre du volet Dégradation de REDD+, qui génère des réductions d’émissions issus de l’exploitation du bois à concurrence de 50 pour cent par rapport aux niveaux actuels.103 Cependant, selon les données du Niveau de référence des émissions forestières modifié du Gabon soumises à la CCNUCC en 2021, ces réductions ne représentent qu’environ 12 pour cent des services de séquestration du carbone fournis par les peuplements forestiers du pays, mentionnés précédemment104. Les nouveaux mécanismes de récompense de la séquestration du carbone forestier 102 Un certain nombre de PFNL alimentaires favorables à la santé, tels que le Nkumu (Gnetum spp) et l’Odika (Irvingia gabonensis), sont déjà couramment commercialisés sur les marchés de Libreville et d’autres villes du pays. Voir : « République Gabonaise Ministère des Eaux et Forêts 2012. Stratégie Nationale et Plan d’Actions pour le Développement du Secteur des Produits Forestiers Non-Ligneux au Gabon », https://faolex.fao.org/docs/pdf/Gab165020. pdf 103 Pour l’Accord d’achat de réductions d’émissions Sangha-Likouala entre le Fonds carbone du Fonds de partenariat pour le carbone forestier et le Gouvernement du Congo (comparable au Gabon mais avec un taux de déforestation légèrement plus élevé), 64 pour cent des réductions brutes d’émissions (RE, hors réserves de risque/incertitude) étaient en rapport à la mise en œuvre de l’Exploitation forestière à impact réduit (EFIR), voir https://www.forestcarbonpartnership.org/system/files/documents/Revised percent20ER-PD_English_1.pdf. Pour le Gabon, le pourcentage de RE en rapport à l’EFIR serait encore plus élevé. 104 Selon les estimations, les émissions totales dues à la dégradation des forêts pour 2020 seraient d’environ 15 millions de tCO eq. Réduire 2 ce chiffre de moitié permettrait de réaliser des réductions d’émissions d’environ 7,5 millions de tCO2eq, soit environ 6 pour cent des suppressions nettes prévues de 116,4 millions de tCO2eq/an d’ici 2025, voir https://redd.unfccc.int/media/gabon_frl_modified_oct2021_clean_final.pdf. 56 doivent dépasser le cadre actuel du mécanisme REDD+, qui offre peu d’incitations à la conservation des forêts dans les pays à FCFFD. En outre, comme mentionné précédemment, le développement d’un nouveau mécanisme international ayant pour vocation de récompenser d’autres services écosystémiques offerts par les forêts gabonaises — notamment leur effet direct de refroidissement et leur rôle dans le recyclage de l’évaporation, qui contribue à augmenter les précipitations dans les pays situés au nord et au nord-est du Gabon — constitue un enjeu clé pour accroître les retours économiques de la gestion et de la protection durable des forêts. Cet enjeu ne concerne pas uniquement le Gabon, mais aussi d’autres pays à forte couverture forestière et faible déforestation (FCFFD) de la région. À mesure que les effets du changement climatique s ’intensifient, les précipitations recyclées par les forêts d’Afrique centrale pourraient jouer un rôle de plus en plus crucial dans l’adaptation au changement climatique des pays africains plus arides. Comme mentionné précédemment, les impacts directs du changement climatique sur le secteur forestier à l’horizon 2050 devraient être limités. Cependant, certains impacts en termes de disponibilité d’espèces d’arbres, de plantes et d’animaux pourraient avoir des conséquences négatives sur les moyens de subsistance des communautés locales dépendantes des forêts, ainsi que sur l’approvisionnement en quelques essences de bois actuellement utilisées par l’industrie de transformation. Les impacts indirects du changement climatique sur les forêts gabonaises, qu ’ils résultent des effets du climat sur le comportement des communautés rurales et de la faune ou des conséquences du changement climatique dans d’autres pays africains, sont probablement plus significatifs. Cependant, ces impacts sont difficiles à quantifier en raison des nombreuses incertitudes qui les entourent. Heureusement, le Gabon dispose déjà d’importants cadres politiques, instruments juridiques et capacités institutionnelles pour répondre aux enjeux d’adaptation et d’atténuation du changement climatique dans le secteur forestier. Parmi ces outils figurent les obligations légales de gestion durable des concessions forestières et de transformation locale du bois, ainsi que des incitations fiscales encourageant les concessionnaires à respecter ces exigences. En s’appuyant sur ces cadres et mécanismes existants, le pays devrait être en mesure de relever les défis du développement du secteur forestier et de l’adaptation au changement climatique évoqués précédemment. Recommandations (voir Annexe VII pour les recommandations détaillées) • Finaliser et rendre pleinement opérationnels les systèmes de traçabilité numérique du bois afin de réduire l’exploitation illégale et garantir une application équitable de la loi. Une série de systèmes ont été conçus et sont à différents stades de mise en œuvre et de test : le Système de Traçabilité de la Chaîne d’Approvisionnement, développé en partenariat avec l’ONG internationale Environmental Investigation Agency ; le Système de Contrôle de la Légalité et de la Traçabilité du Bois (SCLB) ; et le système de gouvernance électronique (eGovernance), destiné à numériser le processus d’octroi des permis. • Renforcer le respect des obligations de vérification légale et de certification pour une gestion forestière durable par les concessionnaires [passer d’environ 30 pour cent à 100 pour cent]. Ce renforcement peut se faire à travers deux approches principales: (a) la première concerne les concessionnaires qui n’ont réalisé aucun progrès dans le respect de ces obligations, malgré plusieurs reports des sanctions pour non-conformité(b) La seconde approche consiste à offrir une incitation supplémentaire pour encourager la conformité aux exigences de vérification légale et de certification 57 en gestion forestière durable (GFD) en élargissant la différenciation fiscale actuelle appliquée aux redevances foncières des concessions de manière à inclure également les volumes de bois récoltés. • Mettre en place des incitations fiscales pour l’utilisation des « essences de bois moins connues ». Il existe un fort potentiel économique pour accroître la production de bois, en particulier dans la transformation secondaire et tertiaire (produits semi-finis et finis, tels que les meubles et leurs composants), sans compromettre la durabilité de la gestion forestière. • Renforcer les partenariats avec les institutions financières publiques et privées afin de mobiliser des financements concessionnels pour les investissements privés dans la gestion forestière durable et la transformation du bois issu de la production durable. Le solide bilan du Gabon en matière de foresterie lui confère un positionnement favorable pour développer un marché de produits durables. Des opportunités d’exportation existent pour les pratiques régénératrices, l’agroforesterie pouvant notamment générer des revenus issus des crédits carbone tout en renforçant la résilience climatique. La prochaine phase des initiatives REDD+ et CAFI pourrait cibler les agro-entrepreneurs à l’aide de solutions fondées sur la nature. • Renforcer les avantages que les communautés locales tirent des forêts en : (i) améliorant les modalités de partage des revenus issus du bois avec les populations rurales vivant dans ou à proximité des concessions forestières et des zones de séquestration du carbone, et en veillant à ce que les Fonds de Développement Local, qui constituent une obligation légale pour toute concession forestière, soient correctement financés par les concessionnaires et utilisés pour des investissements sociaux visant à améliorer le bien-être des communautés locales 105; (ii) apportant un appui à la création, à la gestion durable et à l’exploitation des forêts communautaires106, ainsi qu’au développement des chaînes de valeur pour les Produits forestiers non ligneux (PFNL) au bénéfice des petits exploitants. • Renforcer les mesures de réduction des conflits entre l’homme et la faune, en particulier ceux impliquant les éléphantsLe Gabon pourrait (a) élargir le programme de clôtures mobiles, (b) étendre les corridors sécurisés pour faciliter la migration des éléphants et (c) développer une assurance nationale pour une indemnisation systématique contre les dommages causés par les éléphants, potentiellement financée par les crédits biodiversité et carbone. • Renforcer la reconnaissance internationale et le financement international des services écosystémiques des forêts gabonaises. • Le Gabon et ses partenaires pourraient mener des études analytiques afin de mieux quantifier et confirmer la valeur financière et économique à long terme des services écosystémiques fournis par les forêts des pays à FCFFD, ainsi que les mécanismes de rémunération associés. • 105 Le décret 105 a été adopté afin d’assurer la mise en œuvre de la clause relative aux Fonds de développement local prévue à l’article 251 du Code forestier (loi 16/01 du 31/12/2001). Il établit le modèle de cahier des charges contractuel pour la création du Fonds de développement local, dont l’objectif est de partager les revenus de l’exploitation forestière avec les communautés locales concernées. 106 La loi forestière de 2001 mentionnée ci-dessus constitue une base juridique solide pour la création et la gestion des forêts communautaires au Gabon. Ses articles 156 à 161 stipulent qu’« une forêt communautaire est une portion du domaine forestier rural attribuée à un village ou à une communauté pour y mener des activités ou entreprendre des démarches dynamiques en faveur d’une gestion durable des ressources naturelles, sur la base d’un plan de gestion simplifié », les revenus générés par son exploitation étant la propriété de la communauté. Plusieurs instruments juridiques ont été adoptés depuis pour faciliter la mise en place de la foresterie communautaire, notamment le décret n° 001028/PR/MEFEPEPN du 1er décembre 2004 fixant les conditions de création des forêts communautaires, l’arrêté n° 018/MEF/SG/DGF/DFC du 31 janvier 2013 définissant les modalités d’attribution et de gestion des forêts communautaires, ainsi que l’arrêté n° 106/MEFPRN du 6 mai 2014 relatif au droit de réservation d’une forêt par une communauté villageoise. Toutefois, à ce jour, seules quelques forêts communautaires ont été établies. 58 3.3 Développement du capital humain Préparer les systèmes de santé à la prise en charge des maladies et des urgences sanitaires sensibles au climat Des maladies telles que le paludisme, les infections respiratoires aiguës, le VIH et les diarrhées représentent un fardeau considérable pour le Gabon en tant que principales causes de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans, aux côtés de la prématurité. Parallèlement, les cas de maladies non transmissibles, notamment les maladies cardiovasculaires, le diabète, l’insuffisance rénale et les cancers, sont en hausse, créant un double fardeau pour le pays, les taux de mortalité associés étant élevés et affectant la population et l’offre de main-d’œuvre. En 2019, les maladies d’origine hydrique avaient une incidence élevée, avec 94 094 cas pour 100 000 habitants, et 384 décès liés au paludisme ont été enregistrés, touchant particulièrement les provinces du Nord, notamment le Woleu-Ntem et l’Ogooué- Ivindo. Entre 2015 et 2019, 7,2 pour cent des décès non traumatiques étaient dus au paludisme et 2,8 pour cent aux maladies d’origine hydrique, tandis que les maladies non transmissibles représentaient 45 pour cent des décès.107 En réponse à ces défis, le Gabon a adopté la Politique Nationale de Santé (PNS) 2010-2020 dont le but est de réduire la mortalité maternelle, infantile et juvénile, ainsi que la prévalence du paludisme, du VIH/sida, de la tuberculose, des maladies tropicales et des maladies non transmissibles. Au cours des prochaines décennies, le changement climatique entraînera de nombreux risques sanitaires pour la population gabonaise, les impacts les plus marqués étant liés à l’augmentation de l’incidence et de la mortalité des maladies d’origine hydrique. Des températures plus élevées et des vagues de chaleur plus fréquentes entraineront une augmentation des cas de maladies liées à la chaleur, mettant en danger les groupes vulnérables tels que les personnes âgées et celles souffrant de maladies chroniques. Des conditions plus chaudes et plus humides pourraient également favoriser la propagation des maladies d’origine alimentaire ou hydrique, telles que la diarrhée et la dysenterie. Cependant, les effets sur la dengue devraient être négligeables et l’incidence du paludisme devrait diminuer dans la plupart des régions, les changements climatiques rendant les conditions moins favorables à la prolifération des moustiques (voir Tableau 3.2 et Figure 3.12). La propagation des maladies liées au climat devrait réduire l’offre de main- d’œuvre de 0,5 pour cent à l’horizon 2050, en raison des heures de travail perdues à cause des décès et de l’absentéisme lié aux maladies affectant les travailleurs et leurs enfants. Cette évolution aurait également des impacts négatifs sur les ménages, le système de santé et les capacités d’apprentissage. Tableau 3.3. Évolution des taux de mortalité et de morbidité (pour 100 000 personnes) par maladie, 2041- 2050 Taux d’origine à l’horizon 2041- Évolution du taux dans un Évolution du taux dans un scénario 50 (continuité des taux de 2019 scénario climatique sec/très climatique humide/chaud sans changement climatique) chaud Maladies Décès Cas Décès Cas Décès Cas D’origine hydrique 17,4 91 731 +2,2 +11 679 +1,2 +6 456 107 World Bank. 2021. Climate Risk Country Profile for Gabon. 59 Maladies liées à la chaleur 0,8 805 +2,1 +2 118 +0,9 +873 Paludisme 45,6 26 558 -1,2 -688 -0,2 -127 Dengue 0,0006 1 039 +0,00003 +44,4 +0,00002 +28,7 Source: IEc. 2024. De plus, le Gabon est vulnérable aux chocs climatiques et aux catastrophes naturelles, qui peuvent favoriser la propagation des maladies hydriques. Les inondations, le manque de logements, l’occupation informelle des terres ainsi que l’insuffisance des infrastructures sanitaires, de l’aménagement urbain et de la gestion des déchets aggravent les risques pour la santé et contribuent à la diffusion des maladies. Plus de 70 pour cent de la population gabonaise vit dans des zones côtières exposées aux inondations, à l’élévation du niveau de la mer et à l’érosion. Des crues fluviales potentiellement mortelles devraient se produire au moins une fois au cours des dix prochaines années. Recommandations (Voir Annexe VII pour les recommandations détaillées) • Renforcer la formation et les capacités du personnel de santé afin d’améliorer leurs connaissances et compétences dans la prévention des maladies liées au climat. La troisième Communication nationale du Gabon (2022) à la CCNUCC108 met en lumière la nécessité d’intégrer la vulnérabilité climatique et l’adaptation dans le secteur de la santé. Il est nécessaire d’évaluer les risques sanitaires liés au changement climatique pour fournir des informations exploitables en appui à des plans d’adaptation efficaces. • Renforcer les systèmes de collecte des données climatiques, le suivi sanitaire et les capacités du personnel à mieux faire face aux risques sanitaires liés au climat. La Un système pourrait être mis en place pour le suivi des effets du changement climatique sur la santé, en intégrant des indicateurs sur les principales maladies. Il serait important d’investir dans la formation du personnel de santé afin d’améliorer ses compétences en matière de prévention des maladies liées au climat. Des campagnes de sensibilisation sur les impacts sanitaires sont aussi essentielles. • Établir une politique de sécurité sanitaire et des mécanismes pour faire face aux épidémies. La pandémie de COVID-19 a mis en lumière l’urgence d’améliorer la sécurité sanitaire et la préparation aux pandémies, notamment à travers le développement d’une coopération régionale plus forte, des capacités de prévention et de réponse aux flambées épidémiques, le renforcement de la surveillance aux points d’entrée et l’amélioration des infrastructures de laboratoire. Renforcer la résilience des systèmes éducatifs face au climat et développer les compétences vertes Le secteur de l’éducation au Gabon fait face à d’importants défis qui menacent ses objectifs de développement. Les données du Tableau de bord mondial des politiques éducatives (GEPD) de 2023 relève des difficultés majeures au niveau primaire : 73,3 pour cent des élèves entrant à l’école primaire ne sont 108Gouvernement du Gabon. 2022. Troisième Communication Nationale. Février 2022. https://unfccc.int/sites/default/files/resource/TROISIEME%20COMMUNICATION%20NATIONALE%20DU%20GABON%20SUR%20LES%20 CC.pdf 60 pas prêts pour l’apprentissage et 89,9 pour cent ne parviennent pas à acquérir les compétences fondamentales en littératie et numératie109. De plus, la qualité de l’enseignement constitue un obstacle majeur. Seuls 12 pour cent des enseignants atteignent les seuils de compétence requis en langue ou en mathématiques, ce qui accentue les inégalités éducatives et souligne l’urgence d’investir dans la formation et le développement professionnel des enseignants. Ces défis sont aggravés par les carences en infrastructures et en ressources. Si la majorité des salles de classe disposent de tableaux noirs (96 pour cent) et de mobilier (86 pour cent), seules 60 pour cent sont correctement approvisionnées en fournitures d’apprentissage essentielles, tels que les stylos et les crayons. Les défis en matière d’accès à la technologie, comme l’illustre le fait que seules 73 pour cent des écoles sont équipées d’ordinateurs et d’une connexion Internet. Les zones rurales sont particulièrement touchées, réduisant ainsi les opportunités pour les enfants vivant en milieu rural (Figure 3.14). Seules 0,4 pour cent des écoles rurales disposent de toilettes fonctionnelles, 14,5 pour cent ont accès à l ’électricité et aucune n’a accès à Internet. Figure 3.13. Comparaison entre les écoles en milieux urbain et rural en termes de préparation des élèves, de compétence des enseignants et de disponibilité d’infrastructures Source : Données du GEPD pour le Gabon (2023). Le changement climatique menace l’éducation et peut ainsi contribuer à perpétuer les cycles de pauvreté. Les phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les inondations et les vagues de chaleur, perturbent de plus en plus le fonctionnement des écoles, en particulier en milieu rural (Figure 3.15), Ces perturbations entravent la fréquentation scolaire et endommagent les infrastructures éducatives essentielles. Les familles confrontées à des difficultés liées au climat peuvent être contraintes de retirer leurs enfants de l’école pour réduire les dépenses ou pour les faire participer à la recherche de revenus du ménage. De telles situations entraînent une baisse de la scolarisation et aggrave les inégalités, les populations les plus pauvres et les zones rurales étant particulièrement touchées. Par ailleurs, le stress psychologique et physique induit par le changement climatique affecte la concentration et les performances scolaires des élèves. L’anxiété, les traumatismes et les problèmes de santé liés aux événements climatiques peuvent entraîner des taux de d’abandon scolaire plus élevés et une baisse des résultats académiques. Par exemple, les températures élevées peuvent avoir un impact négatif sur la performance des élèves lors des examens, compromettant ainsi leur parcours scolaire et leurs perspectives professionnelles.110 109Global Education Policy Dashboard. https://www.educationpolicydashboard.org/ 110 Srivastava, B., Tafere, K., and Behrer, A. (Mars 2024). High Temperature and Learning Outcomes: Evidence from Ethiopia. World Bank Policy Research Working Paper 10714. 61 Pour renforcer la résilience du secteur éducatif, le Gouvernement a élaboré le Plan National de Contingence Multirisques pour le Secteur Éducatif définit des mesures visant à renforcer les infrastructures scolaires, à développer des systèmes d’alerte précoce et à former les acteurs du secteur à la gestion des crises. Le plan propose également de tirer parti d’outils tels que GEPAS (Gestion du Patrimoine Scolaire), une plateforme numérique lancée en 2021, permettant de collecter et de gérer en temps réel des données sur les infrastructures et équipements scolaires. Figure 3.14. Évolution des différents types de catastrophes naturelles affectant le Gabon (1980-2040) Source : https://climateknowledgeportal.worldbank.org/country/gabon/vulnerability La pertinence des programmes scolaires du Gabon se trouve également remise en question face aux réalités d’un avenir où le climat a une telle influence. L’intégration de l’éducation au changement climatique et des compétences liées à l’économie verte dans le programme national est essentielle. En dotant les élèves de connaissances et de compétences en matière de pratiques durables, d ’énergies renouvelables et de gestion environnementale, le Gabon pourra mieux préparer sa jeunesse aux défis et aux opportunités d’une économie à faibles émissions de carbone. Depuis 2024, le Gouvernement a commencé à intégrer des notions sur le changement climatique et la conservation dans le programme national, tout en formant les enseignants à la préservation de l’environnement. Alors que le Gabon continue de placer le développement durable au cœur de sa stratégie nationale, il serait important pour le secteur de l’éducation d’évoluer afin de pouvoir accompagner cette vision. Le précédent Plan Stratégique Gabon Émergent (PSGE) et le Plan National de Développement pour la Transition (PNDT) mettent l’accent sur l’importance de la transition vers une économie verte. L’expansion et le renforcement de l’Enseignement et la formation techniques et professionnels (EFTP) sont essentiels à cette transition, dans la mesure où ils permettraient de combler les lacunes en compétences dans des domaines tels que les énergies renouvelables, l’agriculture durable et la protection de l’environnement. Une telle évolution permettrait de former une main-d’œuvre qualifiée et capable de s’épanouir dans une économie résiliente face aux changements climatiques. Recommandations (voir Annexe VII pour les recommandations détaillées) • Intégrer le changement climatique et l’économie verte dans les programmes scolaires. Pour préparer les futures générations du Gabon aux défis climatiques et leur donner les compétences nécessaires pour saisir les opportunités de l’économie verte, il est essentiel d’intégrer l’éducation au changement climatique dans le programme national à tous les niveaux et dans toutes les régions. 62 • Investir dans des infrastructures éducatives résilientes pour faire face à des événements climatiques de plus en plus fréquents et intenses. Il est essentiel de réhabiliter les écoles existantes et d’en concevoir de plus résistantes aux inondations et aux tempêtes, afin de garantir la sécurité des élèves et du personnel tout en assurant la continuité de l’éducation pendant et après les catastrophes climatiques, selon le cadre établi par le projet de Plan National de Contingence Multirisques pour le Secteur Éducatif. • Améliorer l’accès à l’éducation dans les régions vulnérables. Le Le Gabon devrait chercher à améliorer la qualité et la pertinence de l’éducation et à réduire les barrières financières à l’éducation, à travers des bourses, une aide aux familles à faible revenu via des programmes de cantines scolaires, ainsi que des transferts monétaires conditionnels pour le maintien des enfants à l’école. D’un point de vue politique, ces recommandations s’inscrivent dans l’engagement déjà pris par le Gabon en faveur du développement durable et de la transition vers une économie verte. Les investissements dans la modernisation des infrastructures, l’élaboration des programmes scolaires et la formation des enseignants peuvent être compensés par les avantages à long terme qu’offrent un système éducatif plus résilient, la réduction des coûts liés à la gestion des catastrophes, l’amélioration du capital humain et un renforcement de la résilience climatique. À l’inverse, l’inaction risquerait de maintenir la vulnérabilité climatique, de perpétuer les cycles de pauvreté et de faire manquer au pays d’importantes opportunités de développement. Soutenir une protection sociale inclusive et adaptée au climat Malgré l’immense richesse naturelle du Gabon, le pays fait face à une pauvreté élevée et à des inégalités persistantes. En 2017, 33,4 pour cent de la population vivaient sous le seuil de pauvreté national, un chiffre qui est resté pratiquement inchangé au cours des deux dernières décennies. Le taux de pauvreté du Gabon dépasse la moyenne des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure (PRITS)111 et le nombre de personnes pauvres continue d’augmenter. La croissance, portée par les industries pétrolière et minière à forte intensité de capital, n’a pas généré suffisamment d’emplois ni favorisé une distribution équitable des revenus. L’indice de Gini, qui mesure les inégalités de revenu, est passé de 42,2 en 2005 à 38 en 2017, cette amélioration étant principalement attribuée aux progrès observés dans les villes secondaires et les ménages dirigés par des hommes. Les disparités sociales sont persistantes dans le pays, touchant particulièrement les communautés rurales et les femmes. Environ 90 pour cent des Gabonais sont confrontés à des disparités sociales, les provinces rurales de l’Ogooué-Ivindo, de l’Ogooué-Lolo et de la Ngounié étant les plus défavorisées en raison des lacunes en matière d’accès aux services de base et au logement et de l’insécurité alimentaire. Les femmes sont particulièrement affectées (93 pour cent), souffrant d’un accès plus restreint à la propriété, de moins d’opportunités d’emploi et de niveaux d’éducation plus faibles que les hommes. La pauvreté est plus élevée parmi les ménages dirigés par des femmes (36 pour cent contre 32 pour cent pour ceux dirigés par des hommes). De plus, les normes sociales posent davantage de restrictions aux femmes, les rendant plus vulnérables aux pénuries de ressources et à la violences basée sur le genre. Les mécanismes de protection sociale et d’adaptation locale ne sont pas pleinement mobilisés pour réduire la pauvreté et la vulnérabilité. Malgré certains progrès, notamment dans la prise en charge des risques sanitaires, la couverture des ménages pauvres et vulnérables reste insuffisante. Au Gabon, la 111 WDI 63 protection sociale profite principalement aux travailleurs du secteur formel, laissant les populations les plus exposées aux effets du changement climatique sans protection adéquate. Les employés du secteur formel, qui représentent 47 pour cent de l’ensemble des travailleurs et 13 pour cent de la population, bénéficient de pensions et de prestations sociales. En revanche, seuls 16 pour cent des personnes en situation de pauvreté ont accès à une assurance maladie subventionnée, et 17 pour cent reçoivent d’autres formes d’aide sociale. 112, Cette répartition inégale perpétue les disparités et limite la capacité à protéger efficacement les plus vulnérables face aux effets du changement climatique. Au Gabon, l’aide sociale destinée aux populations pauvres et vulnérables est presque exclusivement axée sur les risques sanitaires. En 2021, les dépenses d’aide sociale non contributive représentaient seulement 0,5 pour cent du PIB, soit le niveau le plus bas parmi les PRITS et seulement un quart de la moyenne de cette catégorie. La majeure partie de ces dépenses était consacrée à l’assurance maladie, avec 89 pour cent des fonds alloués aux subventions de santé en faveur des Gabonais Économiquement Faibles (GEF). Cet accent mis sur la santé devrait être complété par des interventions adaptées au climat — telles que des transferts monétaires d’urgence ou des travaux publics verts à forte intensité de main -d’œuvre — afin d’assurer une protection plus efficace contre les risques climatiques croissants (Encadré 3.3). En outre, le système d’aide sociale du Gabon peine à réagir efficacement aux chocs. La base de données des Gabonais Économiquement Faibles (GEF) de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie et de Garantie Sociale (CNAMGS) nécessite des améliorations afin d’assurer des mises à jour régulières et l’interopérabilité avec d’autres systèmes. Par ailleurs, le pays ne dispose ni d’un système d’alerte précoce ni d’un plan national de gestion des risques de catastrophes, pourtant essentiels pour se préparer aux aléas. La dépendance aux transferts sociaux en nature ou en espèces, plutôt qu ’à des systèmes plus efficaces tels que le paiement mobile, complique davantage la distribution de l’aide. L’absence d’un cadre d’aide sociale adaptatif entrave les interventions face aux chocs. Par exemple, le programme d’aide alimentaire d’urgence mis en place durant la pandémie de COVID-19 s’est heurté à plusieurs défis, notamment une couverture insuffisante et des problèmes de répartition équitable113. À l’avenir, le Gabon pourrait renforcer son système d’aide sociale et accroitre sa capacité à fournir un appui ciblé en réponse aux chocs covariants, y compris ceux liés au changement climatique. 112Banque mondiale. 2022. Mémorandum économique pays du Gabon. 113 Le Programme d’aide alimentaire a bénéficié d’un budget de 5 milliards de FCFA (8 millions d’USD) pour distribuer 31 000 bons alimentaires et 4 700 kits alimentaires à 60 000 ménages. La distribution de ces aides a été confiée aux autorités locales (maires et députés), ce qui a entraîné des détournements et des fuites. Des manifestations ont éclaté dans plusieurs localités, des habitants informés de l’existence du programme estimant avoir été injustement exclus. Le programme a fait l’objet de vives critiques sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels. 64 Encadré 3.3. Interventions d’aide sociale adaptées au climat Registres sociaux réactifs aux chocs. Ces registres permettent d’identifier les populations vulnérables et de leur apporter une aide ciblée en cas de chocs climatiques. Par exemple, le Registre unique des bénéficiaires en République dominicaine utilise différentes méthodes d’enregistrement, telles que les visites à domicile, l’auto-enregistrement en ligne et les centres de service. Son interopérabilité avec d’autres bases de données garantit la disponibilité de données précises pour les interventions d ’urgence, comme l’activation de bons d’achat lors des ouragans et des inondations, ainsi que pour la compensation dans le cadre de la réforme des subventions à l’énergie. Travaux publics climato-intelligents. Les initiatives de travaux publics à haute intensité de main-d’œuvre permettent d’offrir des emplois dans l’immédiat tout en créant des infrastructures communautaires. En Éthiopie, des projets écologiques impliquant les communautés et les administrations locales sont axés sur la protection contre les inondations, le reboisement, la gestion des déchets et l ’agriculture urbaine, renforçant ainsi la résilience des communautés face au changement climatique et soutenant un développement urbain durable. Transferts monétaires pour la résilience climatique. Des programmes de transferts monétaires innovants, tels que Bolsa Verde au Brésil, apportent un soutien financier aux familles pauvres engagées dans la préservation des forêts et les pratiques durables, contribuant ainsi à réduire la déforestation et à améliorer les moyens de subsistance. Au Nigeria, des transferts monétaires anticipés fournissent des paiements ponctuels aux ménages vivant dans des zones sujettes aux inondations, renforçant ainsi la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance résilients au climat. En Guinée, un mécanisme de financement soutient des initiatives d’adaptation climatique menées localement, renforçant la résilience au niveau communautaire. Ces expériences soulignent le potentiel des transferts monétaires à concilier objectifs climatiques et sociaux. Le changement climatique peut aggraver la pauvreté, creuser les inégalités et accentuer l ’instabilité sociale, tout en exacerbant les disparités et inégalités sociales existantes. À l’échelle mondiale, il pourrait faire basculer plus de 130 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté d’ici 2030 et plus de 720 millions d’ici 2050. Les données du Gabon confirment cette tendance : les projections indiquent que le changement climatique pourrait accroître la pauvreté de près de 2 points de pourcentage à l’horizon 2050, compromettant ainsi les acquis du développement et dégradant les conditions de vie (voir la Section 4.2). Dans ce contexte, la protection sociale joue un rôle essentiel : elle peut permettre d’atténuer les risques liés au changement climatique et empêcher les populations de sombrer (plus profondément) dans la pauvreté. Par ailleurs, la plus grande fréquence des glissements de terrain et des inondations perturbe la sécurité locale et accroît le risque de violence basée sur le genre. Près de la moitié (48,6 pour cent) des femmes gabonaises déclarent avoir subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire intime, et les phénomènes météorologiques extrêmes accentuent les risques de mariages précoces, de violences domestiques, de harcèlement et de traite des personnes. À cela s’ajoute l’impact du changement climatique sur la santé dans un contexte où les femmes sont presque toujours responsables des soins aux malades. Les populations pauvres et vulnérables, ainsi que les communautés forestières, sont exposées de manière disproportionnée aux chocs climatiques et disposent de peu de ressources pour y faire face. Les ménages pauvres ont indiqué avoir subi plus de chocs climatiques au cours des trois dernières années (Figure 3.16). La destruction des plantations et les pertes de récoltes touchent plus fréquemment ces ménages en raison de leur plus grande dépendance à l’agriculture (Figure 3.17). Quelle que soit leur activité, la vulnérabilité 65 des ménages pauvres au changement climatique est aggravée par l ’absence des filets sociaux. De plus, les populations vivant en forêt et les communautés riveraines aux forêts sont particulièrement exposées en raison de la déforestation et de l’insécurité foncière. Environ 85 à 95 pour cent des terres appartiennent à l’État d’un point de vue juridique114 et la législation sur les forêts communautaires ne définit pas clairement quels groupes peuvent y accéder115. Bien que le modèle de crédit souverain REDD+ du Gabon vise à améliorer les moyens de subsistance des communautés, les paiements ne sont pas directement versés aux populations locales et le manque de transparence reste un problème. Il n’existe ni audit indépendant ni mécanisme de recours permettant de suivre l’utilisation des fonds. La mise en place de systèmes de redevabilité écologique permettrait d’assurer une meilleure transparence du financement climatique et de protéger les communautés locales. Figure 3.15. Pourcentage de ménages confrontés à des chocs en 2013-2016, selon le statut de pauvreté Figure 3.166. Ampleur des pertes liées aux chocs climatiques selon le type et le statut de pauvreté Source : Calculs des services de la Banque mondiale basées sur l’Enquête Gabonaise pour l’Évaluation de la Pauvreté (EGEP) 2017. La Figure 3.15 indique le pourcentage de ménages ayant déclaré avoir été affectés par des chocs climatiques au cours des trois années précédant l’enquête EGEP 2017. La Figure 3.16 présente le pourcentage de ménages ayant déclaré une baisse de revenus ou d’ actifs, ou une diminution de leurs achats, stocks ou productions alimentaires en raison de ces chocs. 114 Legault, Danielle D., and Logan Cochrane. 2021. "Forests to the Foreigners: Large-Scale Land Acquisitions in Gabon" Land 10, no. 4: 420. 115 ClientEarth. 2018. Analyse du cadre juridique relatif aux forêts communautaires au Gabon 66 Recommandations (voir Annexe VII pour les recommandations détaillées) Un système de protection sociale solide est essentiel pour renforcer la résilience des ménages et protéger les populations vulnérables face aux chocs climatiques. En réduisant la pauvreté et en améliorant les mécanismes d’adaptation, la protection sociale contribue à réduire la vulnérabilité climatique. L’intégration explicite des considérations climatiques dans les programmes de protection sociale permettrait d’amplifier ces avantages. • Augmenter les investissements dans l’aide sociale afin d’élargir la couverture des populations pauvres et vulnérables. En alignant ses dépenses de protection sociale sur celles des PRITS, le Gabon pourrait élargir les transferts sociaux à l’ensemble des ménages pauvres, réduisant éventuellement ainsi la pauvreté jusqu’à un tiers116 et renforçant les filets sociaux face aux chocs climatiques. • Investir dans les systèmes de prestation pour améliorer l’efficience et la réactivité de la protection sociale face aux chocs. Le Gabon pourrait s’appuyer sur la base de données des GEF pour créer un registre social national, en intégrant les pratiques d’excellence internationales, telles que l’enregistrement dynamique plutôt que les recensements ponctuels, souvent coûteux et sujets à des erreurs d’inclusion et d’exclusion.117 • Diversifier les instruments d’aide sociale afin d’offrir une meilleure protection contre les risques climatiques. À l’heure actuelle, l’aide sociale repose principalement sur l’exonération des frais de santé pour les personnes bénéficiant du statut de GEF, une mesure importante mais offrant une protection limitée contre les risques climatiques. La protection sociale peut jouer un rôle plus large en renforçant la résilience économique et en atténuant les chocs climatiques (Encadré 3.3). • Mettre en œuvre des actions climatiques dirigées au niveau local. Le renforcement du pouvoir décisionnel des communautés locales peut améliorer la capacité du Gabon à s’adapter aux impacts climatiques et à mieux protéger les groupes vulnérables. Des stratégies adaptées aux besoins locaux sont plus efficaces et bénéficient d’un engagement communautaire accru. Réduire les déficits d’emplois et autonomiser les travailleurs pour une économie verte Le Gabon fait face à de grands défis en matière de création d’emplois. Le taux de participation à la population active de 53 pour cent (incluant les travailleurs et les demandeurs d’emploi) et le taux de chômage élevé de 12 pour cent (personnes en recherche active d’emploi) montrent bien qu’une part importante de la main-d’œuvre reste sous-exploitée (EGEP 2017). La création d’emplois n’a pas suivi le rythme de la croissance démographique, ce qui fait que l’écart entre les emplois disponibles et la population âgée de 15 ans et plus a doublé, passant de 443 000 en 2000 à 950 000 en 202, , une situation qui freine les opportunités de génération de revenus et entrave la réduction de la pauvreté. Le salariat est la principale forme d’emploi au Gabon, mais sa progression a stagné depuis 2010. En 2017, 64 pour cent de la population active occupée était salariée (EGEP 2017), dont plus d’un tiers dans le secteur public. Dans le secteur privé, l’emploi salarié représente 53 pour cent des postes, mais moins de la moitié (48 pour cent) sont des emplois formels. Les travailleurs indépendants constituent 26 pour cent 116Voir les simulations détaillées dans le Mémorandum économique pays du Gabon 2022 de la Banque mondiale 117Leite, Phillippe et al. 2017. Social Registries for Social Assistance and Beyond: A Guidance Note and Assessment Tool. Social Protection & Labor Discussion Paper No. 1704. World Bank, Washington, DC. 67 de la main-d’œuvre, principalement dans l’agriculture (43 pour cent), le commerce (31 pour cent) et les autres services (9 pour cent). Le reste de la population active se compose de travailleurs non rémunérés (7 pour cent) et d’employeurs (3 pour cent). Les femmes, les jeunes et en particulier les jeunes femmes, sont confrontés à des obstacles structurels sur le marché du travail gabonais. Le taux de participation des femmes à la population active est de 43 pour cent, avec un taux de chômage de 16 pour cent, contre respectivement 63 pour cent et 9 pour cent pour les hommes. Chez les jeunes, le taux de participation est de 40 pour cent, avec un taux de chômage de 18 pour cent, soit plus du double de celui des adultes. Les jeunes femmes sont particulièrement désavantagées, avec un taux de participation de seulement 31 pour cent et un taux de chômage atteignant 25 pour cent. Le changement climatique devrait entraîner une réduction de l’offre de main-d’œuvre et perturber la productivité au Gabon. Ses impacts sur le marché du travail sont multiples, les préoccupations majeures étant liées aux risques sanitaires et à la baisse de l’efficacité de la main-d’œuvre. Comme indiqué ci- dessus, les maladies liées au changement climatique peuvent réduire l’offre de main-d’œuvre de 0,5 pour cent à l’horizon 2050 en raison des pertes d’heures de travail causées par les décès et l’absentéisme (Figure 3.18). La hausse des températures et la multiplication des vagues de chaleur soulèvent des risques pour la santé et peuvent réduire la productivité, en particulier pour les travailleurs exerçant des métiers physiquement exigeants ou évoluant dans des environnements non climatisés. Les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée (ONU Femmes, 2022), ce qui accentuerait les inégalités existantes. Les travailleurs du secteur de l’agriculture, de la foresterie et de la pêche sont particulièrement vulnérables au changement climatique et ce fait constitue une préoccupation majeure pour le Gabon au regard de son objectif de renforcer la sécurité alimentaire et créer davantage d’emplois. Ce secteur, le deuxième plus grand employeur du pays avec 19 pour cent des emplois (EGEP 2017), repose en grande partie sur des activités en extérieur dans lesquelles les travailleurs sont exposés à la hausse des températures. Celles-ci devraient entraîner une baisse de la productivité de la main-d’œuvre de 4 à 8 pour cent entre 2041 et 2050 (Figure 3.18). Des mesures d’adaptation, telles que la mécanisation, le travail en intérieur et l’amélioration des systèmes de refroidissement, sont essentielles et pourraient limiter cette baisse à 2 à 5,5 pour cent.118 Des vulnérabilités similaires sont observées dans le secteur de la construction qui implique également des tâches physiques en extérieur, ce secteur étant un moteur clé d’amélioration des infrastructures et de la croissance économique. Si les travailleurs du bâtiment ne représentent que 4 pour cent des emplois (EGEP 2017), ils sont particulièrement exposés au stress thermique. Des mesures d’adaptation ciblées pourraient atténuer ces impacts climatiques, notamment par davantage d’automatisation, l’installation de structures temporaires pour offrir des zones ombragées sur les chantiers et l’ajustement des horaires de travail aux périodes plus fraîches de la journée. Figure 3.17. Chocs sur la productivité de la main-d’œuvre, par secteur, 2041-2050 118 IEc. 2024. 68 A. Choc moyen sur l’offre de main-d’œuvre par maladie,B. Chocs sur la productivité de la main-d’œuvre par secteur, 2041-2050 2041-2050 Source: (A, B): IEc (2024) En outre, les politiques climatiques vont transformer le marché du travail, avec d’importantes implications attendues dans les secteurs de la foresterie, de l’énergie et de l’agriculture. La CDN du Gabon définit des actions en faveur de la création de nouveaux emplois dans la foresterie durable et la transformation du bois. Par ailleurs, en raison du vieillissement des champs pétrolifères, le secteur de l’énergie est amené à se tourner vers les énergies renouvelables, et les grands projets hydroélectriques en cours et les investissements croissants dans le gaz et l’énergie solaire peuvent appeler des programmes de reconversion et des mesures de protection sociale pour les travailleurs affectés. Dans le secteur agricole, l’adoption de pratiques climato-intelligentes, telles que la culture de variétés plus résistantes à la chaleur et la réduction de l’érosion, exigera également un renforcement des compétences adaptées. Recommandations (Voir Annexe VII pour les recommandations détaillées) • Mettre en place des mesures d’adaptation ciblées pour réduire les effets négatifs du changement climatique sur la productivité de la main-d’œuvre, en particulier dans les secteurs de l’agriculture et du bâtiment. Ces mesures pourraient inclure la mécanisation, la transition vers des emplois en intérieur, l’amélioration des systèmes de refroidissement pour les travailleurs en intérieur, ainsi que l’instauration d’horaires de travail flexibles et de compensations pour les journées de travail perdues des travailleurs exposés. • Renforcer la formation et la reconversion professionnelle pour corriger des inadéquations en matière de compétences et pour mieux préparer les travailleurs à la transition verte • Cibler les femmes et les jeunes pour assurer leur participation à l’économie verte. Le Gabon devrait mettre en œuvre des politiques visant à lever les obstacles à l’emploi pour ces groupes, en proposant des programmes de formation ciblés, des programmes d’apprentis, un appui en matière de garde d’enfants et en promouvant des modalités de travail flexibles. 69 4. Quelles politiques macroéconomiques et budgétaires pour atteindre les objectifs climatiques et de développement au Gabon ? Points clés • Le changement climatique représente un risque majeur pour l’ensemble de l’économie, pouvant entraîner des pertes annuelles de PIB de 3,1 à 5,3 pour cent et des pertes d’emplois estimées entre 2 000 et 5 000 par an à l’horizon 2050, menaçant ainsi les moyens de subsistance et le développement. Le stress thermique et la propagation des maladies affecteront la productivité de la main-d’œuvre tandis que les variations de température et de précipitations impacteront les cultures et les stocks halieutiques. Par ailleurs, les inondations urbaines et côtières risquent de causer d’importants dommages aux infrastructures et aux réseaux de transport. • Les chocs climatiques affecteront de manière disproportionnée les populations les plus pauvres, pouvant entraîner une hausse de la pauvreté de près de 4,0 points de pourcentage à l’horizon 2050, soit un nombre de 50 000 personnes Il sera donc essentiel de donner la priorité à la prise en compte des besoins sociaux et l’équité dans les actions climatiques. • L’investissement dans la résilience et l’adaptation peut permettre au Gabon de limiter les conséquences négatives du changement climatique. Les besoins en matière de climat et de développement sont étroitement liés, et les investissements climatiques peuvent contribuer à améliorer la santé et les conditions de vie des populations. • Il est essentiel de renforcer la résilience pour atténuer les effets néfastes du changement climatique, mais pour cela, il faut des finances publiques viables et des mesures d ’adaptation réalistes, alignées sur les priorités nationales et fondées sur des analyses coûts-avantages approfondies. • Compte tenu des contraintes budgétaires, les investissements publics ne suffiront pas à financer l’adaptation au climat. Il sera indispensable de mobiliser des solutions du secteur privé, de mettre en place des réformes pour libérer les opportunités d’investissement, d’élargir les sources de financement vertes aux niveaux national et international, et de renforcer les partenariats public- privé. Ce chapitre analyse les conséquences du changement climatique sur le développement du Gabon en s’appuyant sur les résultats des chapitres précédents. L’intensification des tempêtes, les vagues de chaleur et l’élévation du niveau des océans pourraient causer de graves dommages aux infrastructures, à la productivité de la main-d’œuvre, aux cultures et aux stocks halieutiques, tandis que les cas de maladies hydriques devraient augmenter de 13 pour cent, affectant la capacité des populations à étudier et à travailler. Globalement, les chocs climatiques pourraient entraîner une baisse du PIB de 3,1 à 5,3 pour cent et une hausse de la pauvreté de 0,3 à 1,7 points de pourcentage à l’horizon 2050. Les catastrophes naturelles risquent d’aggraver la situation budgétaire déjà contrainte du Gabon et d’exercer une pression supplémentaire sur le secteur financier, augmentant les coûts liés à l’aide humanitaire et à la reconstruction des infrastructures, ce qui pourrait entrainer un risque d’endettement à des niveaux non soutenables. En investissant dans l’adaptation, en adoptant des réformes favorisant la croissance et en renforçant l’implication du secteur privé, le Gabon peut débloquer des opportunités de croissance verte, renforcer sa résilience et accroître ses revenus pour atténuer les impacts du changement climatique sur l’économie et la société, en particulier les populations les plus vulnérables. 70 4.1 Climat et croissance : Comment le Gabon peut-il favoriser une économie plus robuste et inclusive tout en atténuant les impacts négatifs du changement climatique sur son économie et sa population ? Réformes pour libérer le potentiel du Gabon et tracer une trajectoire de croissance robuste Au cours des prochaines décennies, le Gabon devrait poursuivre sa transformation structurelle, avec une contribution croissante des secteurs non pétroliers à l’économie. À travers ses plans de développement, le pays s’est engagé dans une diversification progressive de son économie au-delà du secteur pétrolier, bien que l’économie demeure largement axée sur les matières premières, ce qui limite la croissance à un rythme modéré. Depuis le début des années 2010, les politiques économiques ont favorisé le développement des secteurs minier, agricole et forestier. Des mesures telles que l’interdiction d’exportation des grumes et la création de la zone économique spéciale de Nkok ont permis d’accroître la valeur ajoutée locale des exportations de bois, faisant du secteur forestier le premier employeur privé du pays. La part du pétrole dans le PIB a baissé de 16 à 10 pour cent entre 2011 et 2023, une tendance qui devrait s’accentuer après 2025 en raison de l’épuisement des champs pétroliers existants. Conscient de l’urgence de réformes ambitieuses pour dynamiser d’autres secteurs, le Gouvernement gabonais a préparé une nouvelle stratégie de développement nationale, le Plan National de Développement pour la Transition (PNDT) 2024- 2026, qui vise à renforcer les institutions, les infrastructures et le capital humain afin de stimuler la création d’emplois. Comme cela a été le cas ces dernières années, la croissance devrait continuer à être portée par les secteurs non pétroliers liés aux matières premières. Les réformes s’inscrivant dans le PNDT pourraient favoriser l’expansion de l’agriculture, de l’exploitation du bois et du manganèse, ainsi que le développement des industries locales associées. Le secteur des services bénéficierait des efforts de numérisation et du potentiel de l’écotourisme, tandis que la hausse de la consommation des entreprises et des ménages stimulerait la demande en transport et en services financiers, ainsi que le commerce. Les Autorités gabonaises mettent en œuvre des réformes pour améliorer la gouvernance, stimuler la croissance et accroître les recettes publiques. D’importantes réformes ont été lancées depuis le début de la transition politique, y compris avec l’adoption d’une nouvelle Constitution en novembre 2024. Le Gabon pourrait tirer parti de l’élan post-transition pour renforcer les contrôles institutionnels et adopter des mesures visant à améliorer l’efficacité des dépenses, accroître la transparence et renforcer la supervision des recettes et actifs publics. Ces réformes pourraient favoriser une croissance plus solide et libérer des ressources pour répondre aux besoins de financement, y compris ceux liés au climat. Par exemple, le Gabon a réintégré l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) en 2021 et a validé sa réadhésion en mars 2025, une étape clé pour promouvoir de bonnes pratiques de gouvernance dans la gestion de ses ressources naturelles. Parmi les autres réformes récentes et en cours ou prévues figurent la publication des contrats pétroliers et miniers en 2024, la révision des codes forestier et minier, la numérisation de la traçabilité du bois, l’expansion de l’exploitation durable de nouvelles essences forestières, la numérisation des paiements et déclarations fiscales, l’opérationnalisation complète du Compte Unique du Trésor, ainsi que le rétablissement d’une cellule de gestion de la dette publique dont la mission consiste à auditer la dette de l’État. En outre, le Gabon prévoit de créer des agences dédiées au contrôle budgétaire et à la gestion des participations de l’État, ainsi que d’améliorer les cadres juridiques régissant l’investissement public et les marchés publics. Le soutien aux entreprises nationales est également renforcé à travers l’introduction de garanties de crédit, la mise en place d’une nouvelle banque publique dédiée au financement des PME et des marchés publics exclusivement réservés aux PME. Enfin, 71 de grands investissements sont en cours de lancement dans les infrastructures routières, énergétiques, hydrauliques et autres secteurs stratégiques. Cependant, le rythme de la transformation économique dépendra avant tout de la mise en œuvre de réformes ambitieuses ; les déficits en infrastructures et les défis réglementaires continueront de freiner la croissance dans un scénario de statu quo. Deux scénarios de croissance sont envisagés dans ce CCDR (Tableau 4.1)119. Le scénario de statu quo est caractérisé par une croissance modérée, résultant du maintien des politiques actuelles. Les réformes et investissements en cours continueraient de stimuler la diversification et la croissance. Cependant, en cas d’adoption timide et tardive de réformes économiques à haut niveau d’impact, les défis liés à la gouvernance des finances publiques et à l’environnement des affaires réduiraient le potentiel de croissance. Dans ce scénario, basé sur les tendances observées depuis le début des années 2010, l’économie gabonaise croîtrait en moyenne de 2,4 pour cent par an entre 2025 et 2050, soit 0,7 pour cent par habitant, portée principalement par les secteurs non pétroliers tels que l’exploitation minière, le bois et l’agriculture. Dans le scénario de réformes, la mise en œuvre de réformes favorisant la croissance accélérerait la transformation économique en créant un environnement propice et des conditions adéquates pour les investissements et l’expansion des entreprises. Dans ce scénario aspirationnel, des réformes majeures permettraient de surmonter les défis liés à la gouvernance et à l’environnement des affaires, plaçant le pays sur une trajectoire de croissance plus élevée, avec une progression annuelle moyenne projetée de 4,7 pour cent entre 2025 et 2050. Cette dynamique se traduirait par une amélioration du niveau de vie, avec une croissance annuelle du PIB par habitant de 3,1 pour cent. Les réformes structurelles ouvriraient la voie à une société plus prospère, reposant sur une exploitation durable des ressources minières, forestières et agricoles, un développement industriel renforcé et un essor de l’écotourisme. Le pays attirerait davantage d’investissements privés et la demande augmenterait suite à une augmentation des exportations et de la consommation. Les réformes sont fondées sur le PNDT et reposent sur le principe de la transformation du capital naturel en améliorations concrètes du capital humain, physique et institutionnel. Pour réaliser ses objectifs de développement, il serait important pour le Gabon d’améliorer la gouvernance et assurer une allocation plus efficace des ressources vers des investissements productifs pour ce qui est des infrastructures, de la formation et de l’amélioration de l’environnement des affaires. Conformément au PNDT, le scénario de réformes engagerait le pays sur une trajectoire de croissance accélérée, fondée sur un environnement des affaires plus favorables, des infrastructures physiques améliorées, une main-d’œuvre plus qualifiée et en bonne santé, ainsi que sur des réglementations favorisant l’entrepreneuriat et l’investissement privé. Les réformes clés portent sur (i) l’amélioration des infrastructures routières, ferroviaires, maritimes, aériennes et portuaires ; (ii) l’élargissement de l’accès à l’électricité, à l’internet haut débit, à l’eau et à l’assainissement et la fiabilité des services y afférent ; (iii) la diversification des échanges commerciaux en tirant parti des opportunités offertes par la Zone de libre-échange continentale africaine, (iv) le renforcement de la gouvernance, des réglementations économiques et la mise en conformité aux exigences fiscales à travers des services numériques, et (v) l’offre de meilleurs formation, services de santé et protection sociale grâce à un soutien social mieux ciblé et des investissements dans le logement social. Des politiques sectorielles ciblées pour attirer les investissements et créer davantage d’emplois 119 Ce CCDR envisage deux scénarios de croissance : le scénario de statu quo et le scénario de réforme. Les impacts des chocs climatiques dans un futur humide/chaud, ainsi que dans un futur sec/très chaud, sont analysés pour les deux scénarios. Dans chaque cas, les effets sont projetés en la présence et en l'absence de mesures d’adaptation spécifiques. Pour de plus amples informations sur les projections de croissance et l’exercice de modélisation, veuillez consulter l’annexe du CCDR. 72 chercheront à encourager (i) la transformation locale du pétrole et des minerais ; (ii) la production de bois tout en luttant contre l’exploitation illégale et en numérisation la traçabilité ; (iii) l’agriculture en facilitant l’accès aux semences et aux intrants, en créant des zones de haute productivité avec des coopératives pour soutenir les agriculteurs, et en promouvant la transformation du thon; et (iv) l’écotourisme, à travers des infrastructures et des services touristiques améliorés. Un défi majeur se posera, celui de garantir une utilisation socialement optimale de son abondante richesse naturelle, permettant ainsi au Gabon de bâtir un modèle de croissance plus inclusif, générateur d’emplois et résilient. Les industries extractives du pays sont peu intensives en main-d’œuvre, ce qui contribue à un chômage élevé et à une persistance de la pauvreté. Cependant, le pétrole restera un pilier central de l’économie à moyen terme, tandis que la production minière devrait gagner en importance avec le début de l’exploitation du minerai de fer de Belinga en 2024, l’un des plus grands gisements au monde. Le Gabon s’appuie également sur des services écosystémiques forestiers clés pour soutenir les moyens de subsistance des communautés locales et l’économie ligneuse, car les forêts fournissent du bois d’œuvre, des poteaux, du bois de feu, des plantes sauvages et de la viande de brousse, en plus de soutenir des activités d’écotourisme. Les vastes écosystèmes forestiers du pays, généralement bien préservés, auraient retenu plus de huit milliards de tonnes de carbone en 2020 et sont essentiels pour contrôler l’érosion des sols et retenir des sédiments, améliorant ainsi la qualité de l’eau collectée par les populations locales et utilisée pour l’hydroélectricité et d’autres secteurs120. Pour poser des bases solides pour la croissance, il sera essentiel de sécuriser les ressources grâce à une gestion rigoureuse et efficace des recettes publiques, y compris celles provenant des matières premières. Si les ressources pétrolières, minières et forestières ne sont pas soumises à une bonne gouvernance et ne sont pas exploitées de manière durable, la croissance risque de reposer sur un modèle extractif dans lequel le capital naturel s’épuise sans générer d’avantages réels pour les Gabonais. La diversification ne devrait pas être un objectif en soi, parce qu’elle n’est une condition ni suffisante ni nécessaire pour le développement. L’expérience de pays riches en ressources naturelles ayant réussi à maintenir une croissance soutenue, tels que l’Australie, le Botswana et le Canada, montre que l’enjeu principal est d’orienter les revenus tirés des ressources vers des investissements productifs et efficaces dans le capital humain et physique.121 Pour libérer tout son potentiel, le Gabon devra mettre en œuvre des réformes visant à maximiser l’utilisation de ses ressources naturelles au profit du plus grand nombre, en renforçant ses institutions et en investissant dans le capital humain et physique. L’aboutissement des réformes économiques pourrait transformer le Gabon, lui permettant de passer d’une situation de référence modeste à une économie post-pétrole robuste et viable. Alors que des réformes sont déjà en cours, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour assurer une croissance plus forte et durable, dans un contexte de diminution des réserves pétrolières et d’évolution de la demande énergétique mondiale. L’amélioration des conditions de vie, la réduction de la pauvreté et le renforcement de la résilience climatique nécessiteront une meilleure gestion des finances publiques et une croissance plus dynamique du secteur privé. À cet égard, des réformes clés en matière de fiscalité, de gouvernance et d’économie, notamment celles prévues dans le PNDT, seront essentielles. Tout d’abord, il serait essentiel pour le pays de s’attaquer à d’importants défis en matière de transparence. Les états financiers des entreprises publiques ne sont pas publiés dans bien des cas, et le recours aux modalités de gré à gré pour les marchés publics reste élevé. La qualité des institutions pourrait être renforcée par des règles favorisant la transparence et la reddition des comptes, un encadrement plus strict de la planification, du contrôle et 120 Banque mondiale. 2025 (non publié). Comptes de l’écosystème forestier du Gabon 2000-2020. Version provisoire : février 2025. 121Gill, Indermit S., Ivailo Izvorski, Willem van Eeghen, and Donato De Rosa. 2014. Diversified Development: Making the Most of Natural Resources in Eurasia. Washington, DC: World Bank. 73 de l’exécution budgétaires, ainsi qu’une gestion plus efficace des ressources humaines. De plus, une gestion plus efficace des dépenses et la mise en œuvre de réformes fiscales, telles que l’instauration d’une fiscalité progressive sur le revenu et les biens fonciers, ainsi qu’un meilleur suivi et ciblage des dépenses fiscales, pourraient libérer un espace budgétaire significatif. Avec davantage de recettes et une action publique plus efficace, l’État pourrait investir davantage et de manière plus stratégique dans des infrastructures résilientes et le capital humain, renforçant ainsi la compétitivité et la création d’emplois, un élément clé d’un scénario de réformes réussi. Les entreprises gabonaises font face à divers obstacles liés au climat des affaires, notamment des droits de douane élevés limitant l’accès aux intrants étrangers, des barrières non tarifaires, des carences du réseau de transport et d’énergie, une inadéquation entre l’offre et la demande de compétences, une concurrence avec les entreprises publiques, une forte informalité et une réglementation contraignante. En réduisant ces distorsions, en limitant l’empreinte économique de l’État sur la concurrence et en facilitant l’accès au crédit, aux compétences, à l’énergie et aux infrastructures, le pays pourrait créer de meilleures conditions pour que les entreprises soient plus compétitives sur le marché national et international, générer davantage d’emplois et d’exportations, et bâtir une économie plus dynamique et résiliente. Tableau 4.4. Trajectoire de développement du Gabon de 2025 à 2050 : scénarios de référence et de réforme Domaine de Scénario de Scénario de réformes Principaux aspects politique référence Les réformes structurelles économiques, budgétaires et de gouvernance ainsi que les investissements améliorent le capital humain et physique, stimulant la croissance et le niveau de vie. Des réformes clés sont mises en œuvre en Croissance modérée Croissance plus élevée ligne avec le PNDT (infrastructures, institutions, résilience conforme aux portée par les secteurs non climatique, inclusion et diversification axée sur l’agro- tendances pétroliers et des réformes industrie, la transformation du bois et des mines, et Croissance historiques (moyenne économiques plus fortes l’écotourisme). Des réformes sont prévues dans les deux de 2,4 % du PIB par (4,7 % du PIB entre 2025 scénarios, mais leur ampleur et leur rythme diffèrent, le an entre 2025 et et 2050) scénario de réformes étant plus rapide et profond, tandis 2050) que le scénario de référence est marqué par la persistance de retards et des défis de mise en œuvre. Les réformes du marché du travail réduisent les rigidités de l’emploi dans le scénario de réforme. Secteur primaire : Secteur primaire : 10 % du Dans les deux scénarios, une diminution progressive de la 11 % du PIB à PIB à l’horizon 2050 production d’hydrocarbures est prévue en raison du l’horizon 2050 vieillissement des champs existants, bien que cette baisse Secteur secondaire : 39 % soit atténuée par des investissements dans la production de Secteur secondaire : du PIB à l’horizon 2050 gaz, en particulier dans le scénario de réformes. D’autres Transformation 33 % du PIB à Secteur tertiaire : 51 % du ressources, telles que les mines, le bois et les produits économique l’horizon 2050 PIB à l’horizon 2050 agricoles, deviennent progressivement des moteurs de Secteur tertiaire : 56 croissance plus importants dans les deux cas, avec une % du PIB à l’horizon croissance renforcée des industries locales (agroalimentaire, 2050 bois, minerais) et des services (numérique, tourisme) dans le scénario de réformes. Augmentation Scénario de référence : augmentation des déficits en raison Augmentation plus forte progressive des des difficultés à maîtriser les dépenses de fonctionnement des recettes hors pétrole à recettes hors pétrole et d’investissement, ainsi qu’à mobiliser les recettes, 19 % du PIB à l’horizon à 17 % du PIB à entraînant une hausse de la dette et compromettant sa 2050 l’horizon 2050 soutenabilité. Scénario de réformes : des réformes Position Dépenses publiques Dépenses publiques rigoureuses (collecte des impôts, planification budgétaire, budgétaire contenues à 15 % du PIB à dépassant 16 % du contrôle et exécution) améliorent l’efficacité des dépenses l’horizon 2050 publiques et la mobilisation des recettes, permettant un PIB en 2050 équilibre budgétaire plus sain et une dette contenue. Dette publique : 56 % du Davantage d’investissements sont nécessaires au départ Dette publique : 124 PIB en 2050 mais ils diminuent progressivement par la suite. % du PIB en 2050 74 Dans les deux scénarios, les investissements liés au pétrole diminuent avec l’épuisement des réserves. Cependant, un Investissement espace budgétaire plus large dans le scénario de réformes moyen : 6 % (public) Investissement moyen : 6 % permet une augmentation des investissements publics. Des et 8 % (privé) du PIB (public) et 11 % (privé) du dépenses publiques plus efficaces et ciblées réduisent la entre 2025 et 2050 PIB entre 2025 et 2050 consommation publique, libérant ainsi des ressources pour Investissement et les investissements publics nécessaires, qui devraient consommation Consommation Consommation moyenne : également être plus efficientes grâce aux réformes de moyenne : 13 % 4 % (publique) et 58 % gestion des investissements publics. Un meilleur climat des (publique) et 57 % (privée) du PIB entre 2025 affaires stimule l’investissement privé, soutenu par une (privée) du PIB entre et 2050 hausse des revenus résultant de la création d’un plus grand 2025 et 2050 nombre d’emplois et de bénéfices plus importants, ce qui entraine une augmentation des investissements et de la croissance. Dans le scénario de réformes, une augmentation des Efforts modérés en Renforcement des efforts investissements publics devrait rendre l’économie plus Adaptation au raison d’un espace d’adaptation et de résiliente face au changement climatique. Une plus grande climat budgétaire limité résilience climatique mobilisation du secteur privé contribue également à renforcer la résilience, conformément au PNDT. Pertes du PIB Les pertes du PIB sont estimées selon les scénarios liées au Pertes moyennes climatiques humide/chaud et sec/très chaud. Dans le changement Pertes moyennes annuelles annuelles de 3,5 % à scénario de réformes, une croissance plus forte et soutenue climatique de 3,1 % à 4,8 % du PIB à 5,3 % du PIB à devrait permettre de renforcer la résilience économique, (scénario l’horizon 2050 l’horizon 2050 réduisant ainsi l’impact du changement climatique dans une « Politiques certaine mesure. actuelles ») Pertes du PIB Les pertes du PIB sont estimées pour les scénarios liées au climatiques humide/chaud et sec/très chaud. Dans les deux changement Pertes moyennes de Pertes moyennes de 1,9 % cas (situation de référence et réformes), l’amélioration de la climatique (avec 2,1 % à 3,8 % du PIB à 3,5 % du PIB à l’horizon gestion des risques de catastrophes, les investissements mesures à l’horizon 2050 2050 dans des infrastructures résilientes et d’autres efforts d’adaptation du d’adaptation (voir Tableau 4.2) permettraient de réduire les CCDR) pertes du PIB. Source : Calculs des services de la Banque mondiale et IEc. Les pertes de PIB sont projetées pour les scénarios humide/chaud (SSP2-4.5) et sec/très chaud (SSP3-7.0). Ces pertes sont estimées avec et sans mesures d’adaptation, dans les deux scénarios de croissance. Les « Shared Socioeconomic Pathways » (SSP) sont des scénarios climatiques décrivant différentes trajectoires de développement et d’émissions mondiales. Dans le scénario SSP2-4.5, la température moyenne mondiale devrait augmenter de 2,0 °C entre 2041 et 2060, puis de 2,7 °C entre 2081 et 2100. Dans le scénario SSP3-7.0, la hausse prévue est de 2,1 °C entre 2041 et 2060, puis de 3,6 °C entre 2081 et 2100. 122. Investir dans la résilience pour s’adapter au changement climatique et en atténuer les impacts Les catastrophes naturelles sont déjà une réalité au Gabon, illustrant la vulnérabilité du pays aux événements climatiques, dont la fréquence et l’intensité devraient augmenter. Entre 2013 et 2023, les inondations, les tempêtes et les glissements de terrain ont affecté 8 600 familles, entraînant des pertes se chiffrant à 4,4 milliards de FCFA, soit environ 0,04 pour cent du PIB.123 En outre, à la fin de 2022, des glissements de terrain et de fortes pluies ont détruit un kilomètre de l’unique voie ferrée du pays, bloquant les exportations de bois et de manganèse pendant plusieurs semaines et perturbant l’approvisionnement en biens essentiels et en eau potable. Les vagues de chaleur de début 2024 ont accru la demande en énergie, provoquant des coupures de courant. À l’avenir, les aléas climatiques risquent de causer des perturbations aux routes et aux infrastructures urbaines, entravant la circulation des biens et des personnes et imposant au pays des coûts de réinstallation, de réparations et de secours d’urgence. De fortes précipitations pourraient accélérer l’érosion des sols et la propagation des maladies, affectant ainsi la fertilité des terres, la sécurité alimentaire et la santé humaine. Les effets du changement climatique se 122 United Nations. IPCC Report. Summary for policymakers. 123 Gouvernement du Gabon. 2024. Rapport – Analyse des risques budgétaires. Annexe à la loi de finances 2024 75 feraient sentir sur la productivité de la main-d’œuvre, la production d’énergie, ainsi que les secteurs forestier, agricole et halieutique, avec des impacts macroéconomiques, fiscaux, commerciaux, financiers et sociaux significatifs. Une baisse de la production réduirait les revenus des agriculteurs, des pêcheurs et d’autres travailleurs, aggravant la pauvreté et la vulnérabilité, entrainant une baisse des recettes fiscales tout en augmentant les dépenses nécessaires pour faire face aux catastrophes, réparer les infrastructures et soutenir les populations affectées. Le changement climatique représente un risque sérieux pour l’ensemble de l’économie ; il pourrait entraîner des pertes annuelles de PIB allant d’au moins 3,1 à 5,3 pour cent d’ici 2050, compromettant les moyens de subsistance et les ambitions de développement. Les infrastructures, les emplois, les revenus, les recettes fiscales et les ressources naturelles sont tous exposés à des menaces climatiques croissants. Selon les estimations issues d’une approche globale de l’économie, en l’absence d’efforts d’adaptation estimés dans les sections suivantes du présent rapport, le changement climatique pourrait entraîner, à l’horizon 2050, des pertes annuelles de PIB de 3,5 à 5,3 pour cent, selon le scénario de référence, selon qu’on considère respectivement un climat humide/chaud ou un climat sec/très chaud. Les pertes économiques totales pourraient être encore plus élevées, compte tenu du fait que le modèle se limite à huit canaux d’impact spécifiques et n’inclut pas certains aspects clés, tels que les effets du changement climatique sur les forêts et l’hydroélectricité, ou les répercussions potentielles de la décarbonation mondiale sur l’économie gabonaise fondée sur le pétrole. En outre, les impacts sur le PIB ne reflètent pas l’ensemble des effets sur le bien-être, notamment en ce qui concerne la santé, les moyens de subsistance ou les inégalités régionales, entre groupes d’âge et entre les sexes. À long terme, les chocs climatiques peuvent avoir des conséquences importantes sur la trajectoire de transformation structurelle du pays. Les dommages subis par les infrastructures urbaines et de transport, ainsi que les chocs affectant la productivité du travail et le capital humain — notamment en raison d’une plus forte propagation des maladies — pourraient freiner le développement des industries locales de fabrication et des services. Comme l’illustre la Figure 4.2, le changement climatique pourrait, au cours des prochaines décennies, entraîner une baisse de la contribution économique des secteurs manufacturier et tertiaire. La productivité, la génération de revenus et les objectifs globaux d’amélioration du niveau de vie et de création d’emplois pourraient en être affectés. En réponse à ces défis, il faut non seulement investir de manière ciblée dans l’adaptation, mais aussi mettre en œuvre un programme solide de réformes économiques. Des réformes audacieuses pourraient permettre de réaliser une croissance plus forte et de réduire la pauvreté, et pourraient par ailleurs contribuer à atténuer les effets négatifs du changement climatique. Les gains en résilience resteraient néanmoins limités, dans la mesure où les secteurs à fort potentiel, tels que le bois et l’agriculture, sont particulièrement vulnérables aux chocs climatiques. Dans le scénario aspirationnel, les projections de pertes annuelles seraient ainsi seulement légèrement inférieures, comprises entre 3,1 et 4,8 pour cent à l’horizon 2050 (Figure 4.1)124. Même dans le scénario de réformes, 124 Un modèle d’équilibre général calculable (CGE) MANAGE de la Banque mondiale a été utilisé pour estimer l’impact du changement climatique sur l’ensemble de l’économie gabonaise, en intégrant des simulations des effets biophysiques du changement climatique sur l’offre de main-d’œuvre et la productivité, les cultures, les stocks halieutiques ainsi que les infrastructures de transport et urbaines du pays. L’analyse des trajectoires de développement à long terme s’est appuyée sur deux scénarios de croissance : un scénario de référence, ou « statu quo », et un scénario de réformes, plus ambitieux. Pour chacun de ces scénarios, les impacts économiques du changement climatique ont été simulés en considérant les contrefactuels suivants : deux scénarios climatiques (humide/chaud et sec/très chaud, chacun associé à deux ensembles d’actions climatiques (dommages climatiques sans adaptation et dommages climatiques avec mesures d ’adaptation mises en œuvre). Au total, quatre scénarios d’impact climatique ont ainsi été simulés. Le modèle CGE repose sur un certain nombre d’hypothèses néoclassiques, telles que la concurrence parfaite sur les marchés de biens et l’ajustement des prix. Cependant, les scénarios 76 le changement climatique devrait continuer d’avoir un impact majeur sur la croissance, en raison des défis en matière de capacité d’adaptation du pays aux chocs. Les réformes devraient stimuler une croissance plus forte dans des secteurs particulièrement exposés au changement climatique, tels que l’agriculture, la pêche et l’exploitation forestière. Ainsi, malgré les gains en développement résultant des réformes, le Gabon resterait confronté à d’importants impacts climatiques. Les chocs climatiques les plus sévères affecteraient la productivité de la main-d’œuvre, en particulier les travailleurs exerçant en extérieur à l’exemple des secteurs de l’agriculture, de la filière bois et de la construction. La production de ces secteurs connaîtrait une expansion plus marquée dans un scénario de réformes, mais une telle expansion amplifierait par ailleurs l’exposition des travailleurs et des cultures aux chocs climatiques. Les impacts sur les stocks halieutiques, le capital physique et la santé seraient également significatifs. Les solutions pour contrer la diminution des stocks halieutiques due au réchauffement des océans restent limitées. Il est important de noter que les conséquences économiques à long terme du changement climatique au Gabon pourraient être bien plus importantes, le modèle étant limité à certains canaux d’impact spécifiques et ne fournissant qu’une indication des effets potentiels dans certains domaines. Figure 4.18. Projections des pertes de PIB (en pourcentage du PIB) dues au changement climatique à l’horizon 2050, selon les scénarios de référence et de réformes, avec et sans mesures d’adaptation. Pertes dans le scénario de référence Pertes dans le scénario de réformes Source : Calculs des services de la Banque mondiale et d’IEc. Pertes de PIB projetées pour les scénarios climatiques humide/chaud (SSP2-4.5) et sec/très chaud (SSP3-7.0), avec et sans mesures d’adaptation, dans les scénarios de croissance de référence et de réforme. Figure 4.2. Projections des impacts sectoriels des chocs climatiques, exemple de scénario de réforme dans un futur sec/très chaud ont été ajustés pour intégrer certaines rigidités, notamment une mobilité réduite de la main-d’œuvre entre les secteurs et une moindre efficacité des investissements publics dans le scénario de statu quo. De plus, afin de prendre en compte les besoins en investissements pour l’adaptation climatique, le modèle a adopté un cadre de clôture basé sur l’épargne et l’investissement : les investissements dépendent ainsi de l’épargne totale (entreprises, ménages, secteur public et étranger). Le taux d ’intérêt de la dette publique et le rendement des investissements privés permettent d’équilibrer l’offre et la demande de fonds prêtables. L’épargne des ménages dépend du revenu disponible et du rendement de l’épargne, tandis que l’épargne extérieure est supposée représenter une part constante du PIB. Par conséquent, les investissements d’adaptation au climat sont financés soit par une augmentation de l’épargne, soit par un effet d’éviction sur les investissements existants, une épargne plus élevée étant générée par une augmentation des revenus dans le scénario de réformes. Pour de plus amples informations, veuillez consulter l’Annexe II. 77 Source : Calculs des services de la Banque mondiale fondés sur le modèle d’équilibre général calculable MANAGE -WB. En réalité, l’objectif principal dans le scénario de réformes n’est pas tant la résilience climatique en soi, mais plutôt une croissance génératrice d’emplois et la réduction de la pauvreté, qui constituent les principaux défis du Gabon aussi, convient-il de noter que les réformes pourraient également limiter les pertes d’emplois liées aux chocs climatiques. Les pertes de PIB resteraient importantes même dans le scénario de réformes, mais ce scénario permettrait une expansion économique significative, conduisant pratiquement à un doublement du PIB total. Les avantages en termes de revenus, d’emplois et de réduction de la pauvreté seraient évidents. Néanmoins, la stratégie de diversification du Gabon devrait davantage intégrer l’impact du changement climatique sur les futurs moteurs de croissance et sur le marché du travail. Par exemple, la réduction du chômage est une priorité clé du Gouvernement, or les chocs climatiques devraient provoquer des pertes d’emploi d’environ 2 230 postes par an dans un scénario climatique humide/chaud, comparé au scénario de référence. Les réformes actuellement envisagées par le Gouvernement pourraient atténuer cet impact en favorisant une économie plus résiliente. Les réformes du marché du travail permettraient de réduire les rigidités de l’emploi entre les secteurs dans le scénario de réforme, atténuant ainsi l’impact des chocs climatiques sur l’emploi. Cependant, le pays perdrait tout de même environ 1 700 emplois par an en raison des chocs climatiques. Plus inquiétant encore, ces pertes d’emplois s’aggraveraient avec le temps, causant d’importantes conséquences pour l’économie et la stabilité sociale. Les pertes d’emplois pourraient atteindre 4 600 à 5 100 postes à l’horizon 2050 dans un scénario humide/chaud, et 2 000 à 3 100 emplois dans un scénario sec/très chaud. Ces chiffres représentent environ 0,3 pour cent de la population active projetée en 2050 et seraient concentrés dans les secteurs de l’industrie manufacturière et les services, pourtant essentiels à la création d’une économie à plus forte valeur ajoutée (Figure 4.3). À titre de comparaison, à la mi-2023, environ 7 000 demandeurs d’emploi étaient inscrits auprès des agences d’emploi,125 ce qui montre l’impact potentiellement considérable que pourraient avoir, sur l’économie et la stabilité sociale, 2 000 à 5 000 pertes d’emplois supplémentaires par an liées au changement climatique. Les pertes totales d’emplois pourraient être encore plus élevées, le modèle étant limité à la projection de certains canaux d’impact spécifiques. Par exemple, il ne tient pas compte des effets sur les forêts, qui représentent une source essentielle d’emplois au Gabon. Dans le secteur agricole, les résultats de la modélisation montrent que de nouveaux emplois pourraient être créés pour compenser la baisse de productivité des cultures due aux bouleversements climatiques, le secteur devant employer davantage de main-d’œuvre pour répondre à la demande. Toutefois, en réalité, la baisse de productivité agricole causée par les chocs climatiques 125 Gouvernement du Gabon. 2023. Bulletin trimestriel de suivi de l’emploi. N° 10, juin 2023. 78 pourrait plutôt entraîner une réduction de la production alimentaire, une hausse des prix et une dégradation de la sécurité alimentaire, sans nécessairement générer plus d’emplois — qui, par ailleurs, seraient moins productifs. Figure 4.3. Projection des impacts des chocs climatiques sur le marché de l’emploi au Gabon Source : Calculs des services de la Banque mondiale basés sur le modèle d’équilibre général calculable (CGE). Les politiques climatiques mises en œuvre au niveau régional et mondial représentent une autre source de risques mais aussi d’opportunités pour le Gabon. Bien que l’incertitude soit inhérente aux projections sur le long terme, les tendances actuelles mettent en évidence des aspects à prendre en compte dans les stratégies de développement du pays. La réduction du torchage du gaz pourrait être nécessaire pour maintenir la compétitivité de l’industrie pétrolière gabonaise. Par ailleurs, les réglementations européennes pourraient imposer des obligations de déclaration des émissions, sachant que les entreprises coréennes par exemple privilégient de plus en plus l’achat de pétrole en provenance de la Norvège, pays à faibles émissions. À long terme, l’économie gabonaise fondée sur le pétrole est également exposée à des risques tels qu’une éventuelle décarbonation de la demande énergétique mondiale, qui pourrait laisser le pays avec des actifs échoués et compromettre sa capacité budgétaire, en raison de la diminution des recettes pétrolières. Dans les secteurs de l’agriculture, des mines et du bois, des exigences plus strictes en matière de certification et des politiques de production durable pourraient permettre de mieux répondre aux normes des marchés d’importation. Ces normes deviennent de plus en plus strictes, comme l’illustre la récente réglementation européenne sur les produits à zéro déforestation et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Grâce à la promotion de la certification et aux politiques de durabilité, les produits forestiers gabonais pourraient ainsi mieux se positionner sur des marchés internationaux plus exigeants. En outre, les évolutions régionales pourraient avoir un impact sur le pays, qu’il s’agisse de crises migratoires liées au climat, de perturbations agricoles et commerciales, ou encore de l’émergence de nouvelles opportunités de marché, telles que celles offertes par la Zone de libre-échange continentale africaine. Par exemple, les évolutions climatiques pourraient entraîner une hausse des coûts des denrées alimentaires importées, mais aussi créer des opportunités pour la production de café et de cacao, en raison de la dégradation des conditions de culture dans d’autres zones géographiques ce, malgré les incertitudes entourant les évolutions climatiques au niveau régional. 79 Les besoins en matière de climat et de développement sont étroitement liés : les investissements climatiques peuvent générer d’autres avantages pour la société, en permettant notamment l’amélioration de la santé et des conditions de vie. Pour faire face aux chocs climatiques, il est impératif d’avoir un plan global d’adaptation et de résilience. Il faudra faire des choix difficiles en matière de priorisation entre différents besoins d’investissement et de consommation. Les besoins d’adaptation impliquent des coûts budgétaires plus élevés, mais pour qu’elle soit efficace, toute stratégie d’investissement devrait intégrer également la résilience. Par exemple, un projet d’expansion routière qui ne prend pas en compte les risques naturels pourrait engendrer des coûts budgétaires importants en réparations. De même, un programme de protection sociale dépourvu de stratégie d’urgence ne serait pas adapté pour réduire la vulnérabilité aux chocs climatiques. Dans de nombreux domaines, il existe des synergies entre adaptation et développement. Un meilleur réseau de transports publics réduit non seulement les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi la congestion routière, les coûts liés à la consommation de carburant et aux subventions aux carburants, les accidents de la route et les maladies causées par la pollution de l’air. Une plus grande résilience des routes et des ponts permet de limiter les dommages et les coûts d’entretien. Par ailleurs, une gestion améliorée des déchets permet de réduire la pollution, tandis que la commercialisation du gaz associé à l’extraction pétrolière diminuerait le torchage et les coûts énergétiques, offrant ainsi une énergie plus abordable aux ménages et aux industries. De même, l ’investissement dans des cultures plus résilientes permet d’améliorer à la fois la productivité, la sécurité alimentaire et les revenus des agriculteurs. En investissant dans la résilience et l’adaptation, le Gabon peut limiter les conséquences négatives du changement climatique sur sa société et son économie, réduisant les pertes de PIB de 5,3 pour cent à 3,8 pour cent dans le cas d’un climat sec/très chaud. Si le pays met en place certaines mesures et politiques d’adaptation aux chocs climatiques, les impacts économiques estimés du changement climatique diminueraient de 1,5 point de pourcentage dans le scénario de référence et de 1,2 point dans le scénario de réformes. Les avantages des mesures d’adaptation devraient croître avec le temps, devenant plus marqués à partir des années 2040 (Figure 4.4). Les investissements clés en matière d’adaptation concernent la construction de routes et ponts résilients, la protection contre les inondations des infrastructures urbaines et côtières essentielles, le contrôle des températures dans les espaces de travail intérieurs, ainsi que l’expansion de l’irrigation et l’introduction de variétés de cultures résistantes à la chaleur. Le coût total de construction et de maintenance de ces infrastructures entre 2025 et 2050 est estimé à 450 millions d’USD (environ 270 milliards de FCFA, soit 2,2 pour cent du PIB). Sur 25 ans, leur coût annuel représenterait 0,09 pour cent du PIB, mais ces investissements généreraient un gain net annuel de PIB de 1,5 pour cent (Tableau 4.2). La mobilisation de ressources pour couvrir ces coûts constitue un défi, mais l’inaction exposerait davantage l’économie et la population à de plus grandes menaces et à des pertes économiques plus lourdes. L’investissement dans une plus grande résilience des cultures, des routes et des infrastructures améliorerait par ailleurs les conditions de vie des populations dans la mesure où il offrirait une meilleure protection contre les inondations, les tempêtes et autres catastrophes naturelles. Par ailleurs, il serait important d’envisager des solutions de rechange pour les domaines qui continueraient de subir d’importants chocs économiques. Les impacts des changements climatiques sur la productivité du travail demeureraient élevés, malgré les efforts d’adaptation tels que l’élargissement de l’accès à la climatisation dans les espaces intérieurs. Quant au secteur des pêch es, il subirait des impacts importants selon les projections, ce qui nécessiterait des analyses plus poussées afin de définir d’autres moyens d’atténuer ou de gérer ces effets. 80 Figure 4.19. Pertes de PIB dues aux chocs climatiques, comparées au scénario de statu quo Source : Calculs des services de la Banque mondiale basés sur le modèle d’équilibre général calculable (ECG) MANAGE-WB Tableau 4.5. Avantages et coûts des investissements en adaptation climatique modélisés dans le CCDR du Gabon, 2025-2050 Gain moyen Coût Impact du Coût total net de annuel changement Mesure d’adaptation / investissement estimé (millions PIB à estimé (% climatique d’USD) l’horizon du PIB) 2050 (% du PIB) Stress thermique Extension des équipements de refroidissement dans et productivité de 114 0,02 % +0,2 % les espaces intérieurs la main-d’œuvre Agriculture (érosion et Investissement dans des cultures plus résistantes à 24 0,005 % +0,1 % cultures la chaleur, amélioration de l’irrigation pluviales) Renforcement de la résilience des infrastructures Routes et ponts routières, réhabilitation des routes revêtues et non 95 0,02 % n/a revêtues Renforcement de la résilience des infrastructures Inondations urbaines existantes, amélioration du zonage urbain, 110 0,02 % +0,3 % urbaines protection contre les inondations à Libreville Renforcement de la résilience des infrastructures Inondations existantes et amélioration du zonage dans les zones 108 0,02 % +0,9 % côtières côtières, protection contre les inondations Coût total des investissements - 450 0,09 % +1,5 % modélisés Source : Calculs des services de la Banque mondiale et d’IEc. Notes : Les coûts annuels estimés sont exprimés en pourcentage du PIB en 2024. Le gain net de PIB projeté représente la réduction des pertes économiques grâce aux mesures d ’adaptation et aux investissements en résilience. Cette liste n’est pas exhaustive et ne couvre que les investissements modélisés dans le CCDR pour les domaines mentionnés ci-dessus. Une stratégie de résilience plus complète impliquerait des coûts plus élevés. Par exemple, les mesures estimées pour atténuer les impacts des inondations urbaines se limitent à faire respecter les restrictions de construction dans les zones inondables (aucun coût prévu) et à protéger contre les inondations une partie des infrastructures critiques et vulnérables de Libreville. Cependant, des mesures d’adaptation plus vastes pourraient être nécessaires pour assurer une protection efficace contre les inondations dans les villes gabonaises. Une extrapolation des coûts d’adaptation à l’échelle nationale, en intégrant un ensemble plus large de mesures (par exemple, extension des réseaux de drainage, investissements dans la protection contre l’érosion des plages, construction de digues), entraînerait des coûts 81 nettement plus élevés. Les mesures doivent être adaptées aux besoins locaux spécifiques, comme les défis posés par les inondations côtières à Port-Gentil ou les inondations fluviales dans d’autres villes. Il existe également une synergie entre les objectifs climatiques et le renforcement de la gouvernance, de la stabilité budgétaire, de la croissance du secteur privé et de la réduction de la pauvreté. Tout d’abord, assurer un espace budgétaire suffisant et une action publique plus efficace est une condition préalable à l’adaptation. De plus, il est essentiel de bâtir une économie robuste et inclusive pour réussir l’action climatique, étant donné que l’amélioration du niveau de vie permettra aux populations, aux entreprises et à l’État de mieux s’attaquer et résister aux défis climatiques. L’optimisation de la collecte des recettes et des dépenses publiques, ainsi que le renforcement des secteurs privé et financier, sont essentiels pour financer les investissements en adaptation et générer davantage de revenus pour les Gabonais, leur donnant ainsi une meilleure capacité à s’adapter aux chocs. Comme présenté en détail dans le Chapitre 3, plusieurs actions peuvent contribuer à atténuer le changement climatique. Le pays est confronté à des arbitrages : certaines dépenses qui serviraient autrement à répondre à d’autres besoins en matière d’investissement et de consommation pourraient devoir être réorientées vers l’adaptation aux changements climatiques. Il est donc nécessaire d’établir des priorités et de viser à maximiser les investissements climatiques qui procurent les plus grands avantages sociaux et économiques. Cependant, même lorsque les objectifs climatiques et de croissance convergent, comme dans le cas de l ’élimination du torchage du gaz ou de la rationalisation des subventions aux carburants et des incitations fiscales, une volonté politique forte est nécessaire. Les réformes peuvent être contestées par certains groupes d’intérêts, tels que les entreprises bénéficiant d’incitations fiscales ou celles devant investir pour éliminer le torchage du gaz. La prise en compte des considérations climatiques dans la viabilité budgétaire, la gouvernance, le développement du secteur privé et financier, ainsi que la réduction de la pauvreté, permettrait d’atténuer l’impact des chocs climatiques sur la population gabonaise, l’économie, les finances publiques et les infrastructures. 4.2 Climat, pauvreté et inégalités : Quel sera l’impact du changement climatique sur les populations les plus pauvres et comment ses effets seront-ils répartis au sein de la société ? Comment protéger les plus vulnérables de l’impact des chocs climatiques ? Au cours des dernières décennies, une croissance portée par le secteur extractif a permis au Gabon d’atteindre le statut de pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure (PRITS), mais des défis persistent en matière de lutte contre la pauvreté. Le pays a connu une réduction significative de la pauvreté au début du 21ᵉ siècle, la part de la population vivant avec moins de 6,85 USD par jour baissant de 55 pour cent en 2005 à 31 pour cent en 2017. La pauvreté a diminué dans l’ensemble du territoire au fil des ans. Néanmoins, en raison des taux d’urbanisation élevés, la population et les activités économiques étant concentrées dans les principales villes côtières, les réductions les plus importantes ont été observées dans les zones urbaines autour des principales villes. Cependant, la pauvreté et les inégalités restent élevées : plus d’un tiers des Gabonais vivent avec moins de 6,85 USD par jour, un niveau supérieur à la moyenne des pays de revenu comparable.126 En milieu rural, le taux de pauvreté touche la moitié de la population.127 L’indice de développement humain demeure en dessous de celui des pays ayant un niveau de revenu similaire. De même, l’espérance de vie à la naissance est de 66 ans, soit 9 ans de moins que la moyenne des autres PRITS. L’accès aux services de base, en particulier à l’assainissement, est nettement inférieur Banque mondiale. 2022. Mémorandum économique pays du Gabon 126 Banque mondiale, Perspective macro de la pauvreté, Réunions annuelles 2024 et Enquête Gabonaise pour l’Évaluation de la Pauvreté 127 2017 (EGEP). 82 à celui des autres PRITS. Plusieurs indicateurs en matière d’éducation et de santé sont également en dessous des moyennes des PRITS, ce qui se traduit par un indice de capital humain (ICH) de 0,46, contre une moyenne de 0,56 pour les PRITS. Autrement dit, un enfant gabonais né aujourd ’hui aurait à l’âge adulte une productivité qui ne serait que de 46 pour cent de son potentiel qu’elle aurait pu être. Le chômage élevé est un facteur majeur de pauvreté, étant donné que le manque d’emplois, d’activités génératrices de revenus et d’inclusion économique empêche la population de tirer avantage des booms des matières premières128. Les industries pétrolière et minière sont intensives en capital, nécessitant peu de main-d’œuvre et incapables d’absorber l’ensemble de la population active. Le chômage est également lié à l’insuffisance de l’investissement dans le capital humain et à l’inadéquation entre les compétences disponibles et les besoins du marché du travail. Environ un jeune Gabonais sur trois est au chômage alors que deux tiers des offres d’emploi ne sont pas pourvues129. Des secteurs à fort potentiel, tels que l’agriculture et le bois, rencontrent des difficultés à attirer de la main-d’œuvre en milieu rural, en raison du fort taux d’urbanisation du Gabon et du manque de services publics en milieu rural. Vu le taux de natalité élevé, environ 20 000 personnes devraient entrer sur le marché du travail chaque année130 au cours des prochaines décennies, ce qui souligne l’urgence de soutenir les entrepreneurs et les entreprises afin qu’ils puissent absorber ces nouveaux arrivants. Comme mentionné, les chocs climatiques devraient entraîner des pertes d’emplois et de revenus, concentrées dans des secteurs clés comme la fabrication et les services, ce qui viendrait aggraver les problèmes liés à la pauvreté. Il est nécessaire d’atteindre une croissance plus forte indépendamment des chocs climatiques, sachant quelles réformes favorisant la croissance pourraient réduire significativement la pauvreté et les inégalités, conduisant à une amélioration considérable du niveau de vie des populations. Les micro-simulations basées sur le modèle d’équilibre général calculable (ECG) indiquent que les réformes structurelles pourraient avoir un impact majeur sur la réduction de la pauvreté. Dans le scénario de statu quo, avec une croissance moyenne de 2,4 pour cent entre 2025 et 2050, la part des Gabonais vivant avec moins de 6,85 USD (en PPA 2017) passerait d’environ 30 pour cent en 2023 à 10 pour cent en 2050. Une part encore importante de la population resterait ainsi en situation de pauvreté, en raison des défis persistants liés à la création d’une économie suffisamment inclusive et génératrice d’emplois. En revanche, dans le scénario de réforme, des réformes améliorant le climat des affaires, renforçant le capital humain et physique ainsi que la gestion des finances publiques, favoriseraient la croissance du secteur privé et la création d’emplois. La croissance moyenne atteindrait 4,7 pour cent, entraînant une baisse beaucoup plus substantielle du taux de pauvreté à moins de 2 pour cent à l’horizon 2050. Une augmentation des investissements privés permettrait d’élargir les opportunités d’emploi, de mieux redistribuer les revenus et de stimuler la demande, contribuant ainsi à une hausse du niveau de vie dans l’ensemble des secteurs de l’économie. Dans le scénario de réformes, la réduction de la pauvreté serait la plus marquée dans les zones urbaines telles que Libreville, Port-Gentil et Franceville, en raison de la concentration de l’activité économique dans ces villes. Les industries locales et les services se développeraient principalement dans les grands centres urbains, grâce à l’effet positif des économies d’agglomération et à de meilleures infrastructures, ce qui entraînerait une augmentation des opportunités d’emploi et une hausse des revenus pour les habitants des villes. Cependant, les réformes produiraient tout de même une réduction significative de la pauvreté à l’échelle nationale, aussi bien en milieu rural qu’urbain (Figure 4.4). En outre, comme l’analyse l’indique, l’extrême pauvreté et les inégalités de revenus connaîtraient également une diminution notable. Dans ce scénario de réforme, la réduction de la pauvreté serait plus importante si l’on se réfère au seuil de 3,65 128 La section 3.3 du présent rapport inclut une analyse des principaux défis en matière d’emploi. 129 Banque mondiale. 2022. Mémorandum économique pays du Gabon 130 Perspectives de la population mondiale des Nations unies, 2023, et Gouvernement du Gabon. La population en âge de travailler au Gabon (16 à 65 ans), qui comptait 1 031 521 personnes en 2013, devrait croître en moyenne de 2 pour cent entre 2025 et 2050 83 USD/jour plutôt qu’à celui de 6,85 USD/jour, ce qui suggère que les réformes ne permettent pas simplement de lutter contre la pauvreté dans son ensemble, mais qu’elles permettent également de manière efficace d’améliorer la situation des segments les plus pauvres. Ce scénario entraînerait également une baisse de l’indice de Gini à 1,15 point (soit une baisse de 0,50), traduisant une réduction des inégalités de revenus grâce à une économie plus inclusive, fondée sur l’emploi et la participation131. En revanche, dans le scénario de statu quo, cet indice resterait constant, dans le meilleur des cas. Figure 4.20. Réduction de la pauvreté globale par région, selon le scénario de croissance 35 Taux de pauvreté ($6.85/jour, PPA 30 25 de 2017) 20 15 10 5 0 2023 2030 2040 2050 SSQ Réforme Source : Calculs des services de la Banque mondiale basés sur le modèle d’équilibre général calculable (CGE) MANAGE-WB et des micro-simulations utilisant l’enquête auprès des ménages EGEP 2017. SSQ : scénario de statu quo. « Urbain » correspond à la moyenne de toutes les zones urbaines. « Rural » correspond à la moyenne des zones rurales du pays. Les chocs climatiques affecteront de manière disproportionnée les populations pauvres, entraînant une hausse de la pauvreté de 0,3 à 1,7 points de pourcentage à l’horizon 2050 et mettant ainsi en péril les progrès réalisés par le pays en matière de lutte contre la pauvreté. Comme l’analyse distributive menée dans le présent rapport le montre, en raison des chocs sur les actifs et les moyens de subsistance des populations, la pauvreté serait plus élevée du fait des changements climatiques, notamment dans le scénario de statu quo dans lequel un nombre supplémentaire de 52 000 personnes pourraient basculer dans la pauvreté (Figure 4.6)132. Les chocs climatiques affecteraient particulièrement les plus pauvres et les plus vulnérables, menaçant d’annuler certains acquis de développement. Les populations à faible revenu sont en effet majoritairement employées dans des secteurs vulnérables aux chocs climatiques, tels que la pêche, l’agriculture et les emplois en extérieur, et disposent de moins de ressources pour faire face auxdits chocs. De plus, les communautés vulnérables vivent souvent dans des zones exposées aux aléas naturels et ne bénéficient pas de suffisamment de services publics, ce qui les rend moins aptes à affronter des événements climatiques extrêmes et risque d’aggraver les inégalités et la pauvreté dans le pays. Les inondations et les sécheresses pourraient entraîner une hausse des prix des produits alimentaires dans la mesure où elles affectent les régions productrices, ce qui provoquerait à la fois des pertes de revenus pour les agriculteurs et une baisse du pouvoir d’achat des consommateurs, compromettant ainsi la sécurité alimentaire. Actuellement, le Gabon importe une grande partie de ses denrées alimentaires aussi. la réalisation de l’ambition du Gouvernement consistant à stimuler la production locale et créer davantage d’emplois dans l’agriculture et la pêche pourrait être contrariée par les chocs climatiques. Ces chocs 131 L’indice de Gini, une mesure des inégalités de revenu, évalue les pays sur une échelle de 0 à 100 pour cent (ou de 0 à 1), où zéro correspond à une situation hypothétique de répartition parfaitement égale des revenus au sein de la population, et 100 à une situation où l’ensemble du revenu est concentré entre les mains d’une seule personne. Le dernier indice de Gini disponible pour le Gabon était de 38,0 en 2017. 132 Les microsimulations ont été réalisées à partir des données sur la pauvreté issues de l ’Enquête Gabonaise pour l’Évaluation de la Pauvreté 2017 (EGEP). Il est important de noter que les impacts de la pauvreté modélisés par le modèle ne prennent pas en compte l’hétérogénéité des pertes au niveau individuel ou des ménages. Pour de plus amples informations sur la méthodologie, veuillez consulter l’annexe du CCDR 84 risquent également de peser sur les finances publiques et d’aggraver les disparités sociales et les inégalités sous différentes formes. Par exemple, les conditions météorologiques extrêmes et les impacts du changement climatique sont généralement associés à une augmentation des violences faites aux femmes.133 Figure 4.6. Projections des impacts du changement climatique sur la pauvreté à l’horizon 2050, selon différents scénarios. Réforme humide-chaud avec adaptation Réforme dans un futur humide-chaud Réforme sec-très chaud avec adaptation Réforme dans un futur sec-très chaud Réforme (pas de choc climatique) SSQ humide-chaud avec adaptation SSQ dans un futur humide-chaud SSQ sec-très chaud avec adaptation SSQ dans un futur sec-très chaud SSQ (pas de choc climatique) 0 2 4 6 8 10 12 Source : Calculs des services de la Banque mondiale basés sur le modèle d’équilibre général calculable (CGE) MANAGE-WB et des micro-simulations utilisant l’enquête auprès des ménages EGEP 2017. SSQ : Scénario de statu quo Le changement climatique affecterait la pauvreté de manière différenciée selon les régions, nécessitant ainsi des mesures d’atténuation adaptées pour en limiter les impacts sur les populations. Les pertes d’actifs liées aux chocs climatiques ont été estimées dans différentes régions, et ces chocs devraient également impacter l’emploi et la génération de revenus à l’échelle nationale. Comme l’indiquent les résultats du modèle, les populations rurales seraient les plus fortement affectées étant donné qu'elles dépendent davantage de l’agriculture et de secteurs fondés sur le travail en extérieur, tels que la foresterie et les pêches. Leurs moyens de subsistance sont donc particulièrement exposés aux chocs climatiques. (Figure 4.6). La part des personnes pauvres en milieu rural était de 50 pour cent en 2023, plus élevée de 20 points de pourcentage que celle des personnes pauvres vivant en zones urbaines. Les gains et les activités économiques ayant tendance à être plus concentrés dans les zones urbaines, l’écart entre la pauvreté rurale et urbaine augmenterait, devenant près de trois fois supérieur (23,6 pour cent contre 8,2 pour cent) d’ici 2050 dans le scénario du statu quo. Les chocs climatiques entraîneraient des pertes d’actifs et d’autres dommages économiques qui affecteraient plus durement les populations rurales à la fois dans les scénarios de référence (SSQ) et de réforme, la pauvreté rurale devenant significativement plus élevée que dans les scénarios « sans choc climatique ». Les changements climatiques pourraient ainsi avoir pour effet pervers d’accentuer les inégalités régionales dans un pays qui fait face de longue date à des défis pour élargir l’accès aux possibilités économiques et élargir la couverture des services publics de base en milieu rural. 133 Munala, Leso, Allen E. M., Frederick A. J., Ngũnjiri A. 2023. Climate Change, Extreme Weather, and Intimate Partner Violence in East African Agrarian-Based Economies. International Journal of Environmental Research and Public Health. November. Vol. 20, Issue 23; Van Daalen Kim Robin, Kallesøe S., Davey F., Dada S., Jung L., Singh L., Issa R., Emilian C.A., Kuhn I., Keygnaert I., Nilsson M. 2022. Extreme events and gender-based violence: a mixed-methods systematic review. Lancet Planet Health. June. Vol. 6, Issue 6. 85 Figure 4.21. Impacts géographiques spatiaux du changement climatique sur la pauvreté. Taux de pauvreté par milieu de résidence ($6.85/jour en PPA de 2017) 50.0 40.0 30.0 20.0 10.0 0.0 Urbain Rural Urbain Rural 2023 2050 SSQ (pas de choc climatique) SSQ dans un futur sec-très chaud SSQ sec-très chaud avec adaptation SSQ dans un futur humide-chaud SSQ humide-chaud avec adaptation Réforme (pas de choc climatique) Réforme dans un futur sec-très chaud Réforme sec-très chaud avec adaptation Réforme dans un futur humide-chaud Réforme humide-chaud avec adaptation Source : Calculs des services de la Banque mondiale basés sur le modèle CGE MANAGE-WB et des micro-simulations utilisant les données de l’Enquête Gabonaise pour l’Évaluation de la Pauvreté (EGEP) 2017. Les chocs climatiques pourraient également avoir des effets plus marqués selon le genre, le niveau d’éducation et les groupes d’âge, ce qui nécessiterait une stratégie d’adaptation tenant compte des besoins et de la situation de certains groupes particuliers. Par exemple, dans certains scénarios climatiques, les pertes d’emplois dans divers secteurs pourraient être plus élevées chez les femmes ou chez les hommes, selon leur présence dans chaque secteur et la manière dont ceux-ci seront affectés par les changements climatiques (Figure 4.8). Les moyens de subsistance des groupes vulnérables, tels que les travailleurs du secteur informel, pourraient être plus durement touchés, dans la mesure où l’informalité est associée à un faible accès aux mécanismes d’assurance, à la protection sociale et à d’autres moyens d’atténuation. De même, les chocs climatiques pourraient affecter de manière disproportionnée les personnes ayant un niveau d’éducation plus faible, qui dépendent souvent d’activités en extérieur, de services informels et d’autres secteurs fortement exposés. Par exemple, dans un futur sec/très chaud, à l'horizon 2050, les changements climatiques feraient augmenter la pauvreté de 1,8 pour cent chez les personnes ayant une instruction primaire, alors que cette hausse se limiterait à 0,6 pour cent chez celles ayant fait des études postsecondaires, qui travaillent plus souvent en intérieur et pourraient avoir un meilleur accès à des secteurs économiques moins exposés. Les jeunes devraient aussi être les plus durement touchés par les chocs climatiques (Figure 4.8). Les changements climatiques pourraient donc avoir un effet néfaste en exacerbant les inégalités de revenu, de genre, régionales et d’autres formes d’inégalités, leurs effets pouvant être plus graves pour certains groupes vulnérables que pour l’ensemble de la population. 86 Figure 4.8. Impacts annuels sur l’emploi selon le genre et le secteur à l'horizon 2050 : exemple de chocs climatiques dans un futur sec/très chaud comparé au scénario de statu quo Source : Calculs des services de la Banque mondiale basés sur le modèle CGE MANAGE-WB et des micro-simulations utilisant les données de l’Enquête Gabonaise pour l’Évaluation de la Pauvreté (EGEP) 2017. Figure 4.8. Projection des impacts sur la pauvreté selon le niveau d’instruction et le groupe d’âge d’ici 2050 : exemple de chocs climatiques dans un futur sec/très chaud comparé au scénario de statu quo 2.0% Augmentation de la pauvreté (6,85 USD/jour,PPP de 2017) 1.5% 1.0% 0.5% 0.0% <24 25-34 35-44 45-54 55-64 65+ Source : Calculs des services de la Banque mondiale basés sur le modèle CGE MANAGE-WB et des micro-simulations utilisant les données de l’Enquête Gabonaise pour l’Évaluation de la Pauvreté (EGEP) 2017. Les efforts d’adaptation pourraient atténuer l’impact du changement climatique sur la pauvreté, limitant son augmentation de 0,4 à 1,1 points de pourcentage à l’horizon 2050. Pour réduire la pression sur la population et freiner la hausse de la pauvreté, il faudrait investir significativement dans la résilience des infrastructures de transport et des infrastructures urbaines, dans les cultures et pratiques agricoles favorisant la mécanisation et la réduction de l’érosion des sols, ainsi que dans l’amélioration des conditions de travail, notamment avec des systèmes de refroidissement pour les travailleurs en intérieur. Ces mesures permettraient de réduire l’impact social du changement climatique, en limitant l’augmentation de la pauvreté aussi bien dans le scénario de réformes que dans le scénario de statu quo. La réduction de la pauvreté la plus marquée serait obtenue en combinant des réformes favorisant la croissance et des mesures ciblées d’adaptation climatique pour effectivement atténuer les effets du changement climatique sur la pauvreté.134 Pour atteindre cet objectif, il serait essentiel de concentrer les efforts sur des mesures prioritaires et percutantes, en renforçant les possibilités de croissance et de participation du secteur privé 134 Estimations fondées sur le scénario d’action climatique, à partir des microsimulations présentées dans l’Annexe II. 87 à l’action climatique, tout en minimisant les effets sur les populations les plus vulnérables, y compris certains groupes particuliers. Adopter une approche centrée sur les populations dans l’agenda climatique En réponse à ces défis, il est essentiel d’adopter une approche centrée sur les populations, mettant l’accent sur l’équité sociale dans la résilience et l’adaptation. Cela implique de mettre en place des politiques de protection et de soutien aux populations pauvres et vulnérables, telles que l ’instauration de filets sociaux résilients, le renforcement de la gestion des risques de catastrophes et la préparation face aux aléas climatiques, ainsi que d’améliorer l’accès à des soins de santé abordables. Au Gabon, la protection sociale reste fragmentée et sous-financée, reposant principalement sur des subventions aux soins de santé destinées aux citoyens enregistrés comme économiquement vulnérables (Gabonais Économiquement Faibles ou GEF). Le pays consacre environ 0,5 pour cent de son PIB à la protection sociale, soit quatre fois moins que les pays à revenu comparable. Comme évoqué dans le chapitre 3, un programme de protection sociale plus solide et mieux ciblé pourrait permettre de réduire la pauvreté : une augmentation des dépenses sociales à 1,5 pour cent du PIB permettrait de réduire le taux de pauvreté d’environ 7 pour cent.135 L’intégration de réponses aux chocs climatiques renforcerait la capacité des filets sociaux à protéger les plus vulnérables face aux aléas climatiques, contribuant ainsi à l’obtention d’une société plus inclusive et résiliente, mieux préparée à affronter les impacts du changement climatique. Un système de protection sociale plus large et plus solide demeure une priorité pour améliorer le bien-être et protéger les personnes les plus vulnérables. En complément d’un tel programme, des actions et initiatives sociales ciblées pourraient être conçues pour répondre aux besoins de différents groupes, tels que les femmes, les jeunes, les travailleurs agricoles et les communautés forestières. Par ailleurs, le principe d’équité dans la transition climatique impose aux gouvernements de prendre en compte la justice sociale dans leurs actions climatiques, afin que les populations pauvres n ’aient pas à supporter le poids des politiques climatiques mises en œuvre. Par exemple, la suppression des subventions aux carburants devrait s’accompagner de mesures compensatoires, telles que des filets sociaux ciblés pour les groupes vulnérables. Ces mesures pourraient être financées à l’aide des économies réalisées sur les dépenses publiques liées aux subventions, conciliant ainsi progressivité et objectifs environnementaux. De même, la justice sociale doit être intégrée dans d’autres politiques fiscales, investissements et actions climatiques. Des mesures supplémentaires pourraient soutenir les populations vivant dans des zones particulièrement exposées à des chocs climatiques plus sévères. Les questions de genre et de handicap devraient également être intégrées dans la gestion des risques de catastrophes et l’action climatique, tout comme les intérêts des communautés forestières. L’adoption récente par le Gabon d’un budget sensible au genre illustre un engagement en faveur de l’inclusion sociale qui pourrait renforcer la gestion des risques de catastrophes. Les réponses d’urgence doivent être adaptées aux besoins spécifiques des groupes vulnérables, et la désagrégation des données par sexe et situation de handicap est essentielle pour identifier les lacunes en matière d’inclusion dans la prestation des services d’urgence. Par exemple, les fournitures d’urgence devraient inclure des articles spécifiques pour les groupes vulnérables afin de répondre à leurs besoins en situation de crise. De plus, un plan d’actions contre la violence basée sur le genre appliqué à la gestion des risques de catastrophes pourrait contribuer à réduire les risques de violence auxquels les femmes et les filles sont confrontées en période de catastrophe. Par ailleurs, il est crucial de respecter les droits et les savoirs des communautés vivant en zone forestière. À cette fin, il pourrait s’agir de mettre en place des mécanismes de redevabilité, tels que 135 Banque mondiale. 2022. Mémorandum économique pays du Gabon 88 le suivi du financement climatique et des systèmes de recours permettant de vérifier l’utilisation des fonds et d’assurer des retombées positives pour les habitants des forêts. Des mécanismes favorisant la transparence dans l’utilisation des fonds sont essentiels pour garantir l’efficacité de l’action climatique. Au Gabon, ces dispositifs pourraient être renforcés en s’appuyant sur des programmes existants, tels que les programmes de forêts communautaires qui accordent aux populations locales des droits d’usage sur les forêts tout en promouvant une gestion durable des ressources forestières.136. Au-delà des politiques sociales ciblées, des réformes plus larges visant à stimuler l’investissement privé, la croissance des entreprises et la création d’emplois seront essentielles pour assurer la stabilité sociale et réduire la pauvreté ainsi que la vulnérabilité aux chocs climatiques. Pour garantir des emplois à une population jeune en pleine expansion, un nouveau modèle économique sera nécessaire, un modèle qui soit plus inclusif, axé sur une plus grande compétitivité et une plus grande participation du secteur privé dans les secteurs à forte intensité d’emplois. Comme abordé dans les sections suivantes, des réformes structurelles permettront de mobiliser davantage d’investissements publics et privés afin de répondre aux besoins de développement et d’adaptation. Ces réformes incluent notamment l’amélioration de la gestion des finances publiques, de la transparence des revenus issus des ressources naturelles, des services publics, des infrastructures et du cadre réglementaire des affaires. Ces réformes seront déterminantes dans la création de nouvelles opportunités d’emploi, favorisant une économie plus résiliente et dynamique, tout en réduisant la pauvreté et l’exposition aux chocs climatiques. 4.3 Implications budgétaires : Quel sera l’impact du changement climatique sur les finances publiques et quel sera le coût de l’adaptation en vue de bâtir une économie plus résiliente ? Les finances publiques du Gabon sont soumises à de fortes pressions, en raison de besoins de dépenses élevés, de la volatilité des cours des matières premières et de la perspective d’une baisse des recettes pétrolières, une situation qui exige des réformes budgétaires pour répondre aux besoins de développement et aux enjeux climatiques. La production pétrolière devrait passer de 85,2 millions de barils en 2024 à 75,9 millions en 2027,137 restant sur une tendance à la baisse par la suite. Cette baisse, combinée à la volatilité des cours des matières premières, pourrait freiner les investissements publics, y compris ceux destinés à l’action climatique (Figure 4.7). La croissance hors secteur pétrolier devrait être portée principalement par les ressources naturelles, notamment le bois, le fer et le manganèse, ce qui perpétuerait une forte exposition budgétaire aux fluctuations des marchés. L’approche budgétaire procyclique, caractérisée par une hausse des dépenses publiques en période de cours élevés du pétrole, empêche de constituer des marges de manœuvre budgétaires suffisantes lorsque le cycle se retourne. Le Gabon est également confronté à des besoins rigides en matière de dépense en plus des niveaux élevés de son endettement et de ses coûts de financement. En 2023, la masse salariale et le service de la dette ont représenté respectivement 27 pour cent et 12 pour cent des recettes publiques. Les risques pesant sur la soutenabilité de la dette et la liquidité se sont accrus avec la politique budgétaire expansionniste 136 Le Code forestier de 2001 du Gabon encadre la gestion des forêts communautaires, avec une première délivrance de permis en 2013, puis une relance en 2022. Le pays compte de nombreuses forêts communautaires, qui représentent 3 pour cent de la superficie forestière totale. Le Code impose aux détenteurs de concessions de contribuer à des projets au bénéfice des communautés locales et, depuis 2014, la réglementation oblige les exploitants forestiers à verser des redevances pour soutenir ces communautés. Une phase pilote menée en 2016 a abouti à des accords de partage des bénéfices entre les communautés et les concessionnaires. Cependant, en raison de difficultés de mise en œuvre, certaines communautés ont engagé des procédures judiciaires pour non-perception des bénéfices, soulignant ainsi la nécessité de renforcer la gouvernance des forêts communautaires et les mécanismes de partage des bénéfices. World Bank. 2024. Gabon Economic Update 2024: Designing fiscal policies for sustainable forestry. Banque mondiale. 2024. Note de conjoncture économique du Gabon 2024 : Concevoir des politiques fiscales pour une foresterie durable. 137 Gouvernement du Gabon. 2024. Cadre macroéconomique et budgétaire 2025-2027. Débat sur la loi de finances 2025. Juin 2024 89 menée par l‘Etat, la dette publique étant projetée à la hausse, passant de 72,1 pour cent du PIB en 2023 à près de 80 pour cent en 2026. Malgré des efforts pour résorber les arriérés de paiement, leur accumulation continue d’augmenter, atteignant 1,6 pour cent du PIB à la fin 2024. Figure 4.22. Projections budgétaires (en pourcentage du PIB) Source : Calculs des services de la Banque mondiale. Projections établies sur la base du scénario de référence. Les chocs climatiques pourraient aggraver la pression sur le budget et détériorer davantage la situation budgétaire et l’endettement du Gabon. La mise en œuvre du PNDT nécessitera d’importants investissements dans les routes, l’énergie, l’eau, les écoles, les hôpitaux, les ports, les aéroports et les infrastructures numériques. Les pressions liées au climat risquent de dépasser les capacités budgétaires du pays et de faire en sorte qu’il devienne plus difficile de maîtriser la situation budgétaire et d’endettement. Les inondations et tempêtes récentes qui ont frappé plusieurs villes témoignent de l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes naturelles. Un seul événement majeur pourrait entraîner des dépenses imprévues importantes, tant pour la réparation des infrastructures que pour l’assistance aux populations sinistrées (hébergement, alimentation, relocalisation) et pourrait entrainer simultanément une baisse des revenus et des recettes fiscales. Entre 2013 et octobre 2023, près de 10 000 ménages ont été affectés par des inondations, des tempêtes, des incendies ou des glissements de terrain, occasionnant un coût de 4,4 milliards de FCFA pour l’État, soit 0,16 pour cent des recettes publiques. Face à une augmentation des besoins de dépenses et à une baisse de la production économique en raison des pertes causées par les chocs climatiques, le Gouvernement pourrait être amené à recourir davantage à l’emprunt, ce qui viendrait s’ajouter à un niveau d’endettement déjà élevé. Des mesures d’adaptation ciblées, bien qu’elles engendrent un coût budgétaire, peuvent toutefois contribuer à atténuer les pressions budgétaires et sur la dette causées par les changements climatiques. Par exemple, dans un scénario fondé sur des chocs climatiques moyens dans des futurs sec/très chaud et humide/chaud, la mise en œuvre d’investissements en matière d’adaptation permet d’atténuer l’intensité de ces chocs, de réduire l’effort budgétaire requis pour y faire face et, par conséquent, de diminuer l’impact global sur la dette (Figure 4.11). 90 Figure 4.11. Projections de l'impact des chocs climatiques sur la dette publique (dette supplémentaire en pour cent du PIB) Impact sur la dette publique 2.50% 2.00% Pourcentage du PIB 1.50% 1.00% 0.50% 0.00% 2025 2027 2029 2031 2033 2035 2037 2039 2041 2043 2045 2047 2049 BAU SSQ climate chocs shocks climatiques SSQ avec BAU withadaptation adaptation Source : Calculs des équipes de la Banque mondiale fondés sur le modèle d’équilibre général calculable MANAGE-WB. Il est essentiel de renforcer la résilience pour atténuer les effets négatifs du changement climatique sur l’économie et la population gabonaises, mais un tel renforcement exige avant tout des finances publiques viables. Il importe de trouver le bon équilibre entre les coûts liés à la réduction des risques climatiques et les besoins en dépenses sociales ainsi que ceux liés aux objectifs plus larges de développement, de viabilité budgétaire et de gestion de la dette. La réponse aux besoins de développement et de résilience exigera de renforcer la viabilité budgétaire et la gestion des finances publiques. Pour protéger les finances publiques et garantir que le Gabon dispose des ressources nécessaires pour assurer des services publics de qualité, investir dans sa population et faire face aux risques climatiques, il sera crucial de mettre en œuvre des réformes plus ambitieuses visant à mobiliser davantage de ressources intérieures et à assurer une dépense publique ciblée, transparente, bien gérée et efficace. Pour garantir leur faisabilité et leur alignement avec les priorités du pays, les mesures d ’adaptation au climat doivent faire l’objet d’une analyse coûts-avantages approfondie qui permettrait d’évaluer leur pertinence par rapport aux autres options de dépenses publiques. Il est nécessaire d’adopter une approche pragmatique pour déterminer comment et où prioriser l’adaptation climatique, notamment compte tenu des contraintes budgétaires et du caractère approximatif des analyses coûts-avantages. Dans le cas du Gabon, où le changement climatique devrait fortement impacter l’économie, avec des pertes de PIB pouvant atteindre 5,3 pour cent d’ici le milieu du 21ᵉ siècle en considérant le cas d’un climat sec/très chaud, l’adaptation au climat serait une priorité. Comme mentionné précédemment, ces mesures pourraient réduire les pertes économiques à 3,8 pour cent du PIB. Dans le même temps, à condition d’adopter les bonnes politiques, le changement climatique peut aussi représenter une opportunité, compte tenu des synergies entre certains objectifs budgétaires et climatiques. Les politiques fiscales peuvent ainsi renforcer la résilience face au changement climatique, tout en générant davantage de recettes pour l ’État et en améliorant l’efficacité des dépenses publiques. 91 Politiques fiscales vertes : Générer davantage de recettes pour le climat et le développement Les Autorités gabonaises ont fait de la mobilisation des recettes intérieures un pilier central de leur stratégie de financement. Les bureaux de douane situés à la frontière nord ont été numérisés à la fin de l’année 2023, et une nouvelle plateforme numérique pour la déclaration et le paiement des impôts a été lancée en avril 2024. Entre septembre 2023 et février 2024, la collecte des recettes fiscales et douanières a régulièrement dépassé les prévisions budgétaires, avec un taux d’exécution moyen de 132 pour cent.138 Cependant, le Gabon a besoin d’accroître significativement ses recettes dans l’ère post-pétrole. En 2023, les recettes fiscales hors pétrole représentaient 10,1 pour cent du PIB, contre une moyenne de 13 pour cent en Afrique subsaharienne et de 27 pour cent dans les économies à revenu élevé. D’importants gains pourraient être réalisés en rationalisant les incitations et exonérations fiscales, qui se sont chiffrées à 352 milliards de FCFA en 2023, soit 2,8 pour cent du PIB et 19 pour cent des recettes fiscales. Il sera également essentiel de renforcer l’administration fiscale, d’être plus ferme en ce qui concerne le respect des obligations fiscales et d’accroitre la transparence des recettes pétrolières et minières. Parmi les autres mesures envisageables figurent la lutte contre l’évasion fiscale, l’élargissement de l’impôt foncier et le renforcement de la fiscalité sur le revenu, afin de réduire l’accent mis sur les taxes à la consommation au vu de leur caractère régressif. Il est aussi crucial de revenir sur la politique budgétaire procyclique, qui sollicite de manière excessive les finances en période de baisse des cours des matières premières, afin de stabiliser les finances publiques. Épargner la manne financière qui provient des ressources naturelles - le pétrole représentant 46 pour cent des recettes totales en 2023 - permettrait de disposer de marges budgétaires plus larges en période de crise, mais aussi de financer l’action climatique. Le secteur forestier, pilier majeur de l’économie nationale, représente une opportunité majeure de synergie entre les objectifs de croissance, de mobilisation des recettes fiscales et d’action climatique. À travers la promotion d’une industrie du bois durable, le Gabon a su concilier des politiques de conservation environnementale ambitieuses avec la pleine expansion du secteur forestier. Entre 2010 et 2020, la valeur des services d’approvisionnement en bois obtenus des forêts gabonaises est passée de 116 à 166 millions de dollars, alors que les taux de déforestation sont restés faibles139. L’industrie du bois a représenté 3,2 pour cent du PIB et 6 pour cent des exportations en 2023, devenant ainsi le premier employeur privé du pays et contribuant à hauteur de 1,5 pour cent des recettes fiscales, soit près de quatre fois plus qu ’en 2016. Malgré cette progression, les recettes forestières restent en deçà de leur potentiel. Le secteur bénéficie d’incitations fiscales substantielles, dont le coût budgétaire est élevé. La sous-déclaration des revenus et l’exploitation forestière illégale constituent également une source importante de pertes de recettes. Des efforts sont en cours pour limiter ces avantages fiscaux, mais en 2023, les entreprises du secteur du bois ont encore bénéficié de 18,1 milliards de FCFA d’exonérations, soit 96 pour cent des allègements fiscaux accordés à l’impôt sur les sociétés et 5 pour cent du total des dépenses fiscales.140 Les réformes fiscales pourraient davantage intégrer des instruments fiscaux adaptés au climat pour le secteur forestier et les autres industries liées aux forêts, permettant ainsi de générer plus de recettes fiscales tout en favorisant des pratiques durables. Par exemple, la taxe de superficie qui, au Gabon, vise à encourager une exploitation forestière durable, repose sur un modèle qui pourrait être élargi à d ’autres 138 Ministère de l’Économie et des Participations. 2024. Bilan des 200 jours. Gouvernement du Gabon. Mars 139 Banque mondiale. 2025 (non publié). Comptes de l’écosystème forestier du Gabon 2000-2020. Version provisoire : février 2025. 140 Banque mondiale. 2024. Note de conjoncture économique du Gabon 2024 : Concevoir des politiques fiscales pour une foresterie durable.; Karsenty, A., Forni, E., Djanang, W. 2020. Réduction de la fiscalité forestière pour les concessions certifiées avec compensation aux États. Paris: CIRAD; Karsenty, A. 2024. Ecological taxation: How can a fiscal bonus-malus (feebates) mechanism be implemented? Paris: CIRAD. 92 instruments fiscaux. Elle est appliquée aux concessionnaires forestiers à des taux variables en fonction des niveaux de certification. Les entreprises opérant dans des concessions certifiées (FSC ou PAFC) bénéficient d’une plus faible imposition, tandis que celles disposant uniquement d’une certification de légalité subissent une augmentation modérée. En revanche, les concessions non certifiées sont soumises à une imposition plus forte. Des approches similaires pourraient être envisagées pour d ’autres taxes et redevances, notamment sur le bois, l’exploitation minière et l’agriculture. Les politiques fiscales pourraient également s’inscrire dans une stratégie plus large, intégrant les efforts de numérisation pour assurer une traçabilité du bois et lutter contre l’exploitation forestière illégale.141 Elles pourraient aussi viser à stimuler la création de revenus et d’emplois dans des secteurs forestiers durables au-delà du bois, notamment dans les produits forestiers non ligneux tels que la viande de brousse, les noix et aliments sauvages tels que nkumu et l’odika, le miel, les plantes médicinales ou encore l’écotourisme. Selon une étude récente de la Banque mondiale, les ressources sauvages non ligneuses et le tourisme forestier auraient généré, respectivement, 19 et 21 millions de dollars de revenus pour le Gabon en 2020, restant en deçà de leur potentiel142. Des politiques plus fortes sont donc nécessaires pour promouvoir la croissance durable des secteurs forestiers non ligneux, contribuant ainsi à l’amélioration des moyens de subsistance et de la collecte d’impôts. La réduction du torchage du gaz représente également un fort potentiel : elle peut contribuer à la fois à la mobilisation des recettes budgétaires et aux objectifs économiques et climatiques. Comme évoqué dans le chapitre 3, la réforme et l’application stricte de la législation portant sur la réduction du torchage du gaz permettraient de réduire les émissions, d’améliorer l’approvisionnement en énergie, de créer des emplois dans l’industrie gazière et d’accroitre les revenus liés au gaz. La lutte contre les émissions de gaz associées à la production pétrolière et gazière, notamment le méthane issu des fuites et du dégazage ainsi que le CO₂ provenant du torchage, constitue un enjeu majeur pour le Gabon, dont les niveaux d ’émissions par volume de production sont supérieurs à ceux de nombreux pays comparables. Bien que le Gabon soit le 33ᵉ producteur de pétrole au monde, il se classe 19ᵉ en termes de volume absolu de gaz torché et 2ᵉ en termes d’intensité de torchage (mètres cubes de gaz torché par baril de pétrole produit). Le torchage du gaz est l’une des principales sources d’émissions, représentant environ 23 pour cent des émissions totales du pays. Les pertes liées au torchage sont également significatives, équivalant à 3,5 pour cent de la production pétrolière, soit 107 milliards de FCFA (1 pour cent du PIB), en se basant sur un prix moyen de 70 USD par baril.143 Il est essentiel d’appliquer de façon effective le Code des hydrocarbures (Loi n° 002/2019), qui prévoit des sanctions en cas de torchage du gaz. Des décrets d’application sont nécessaires pour préciser les définitions, exceptions, permis, amendes et paiements. Pour optimiser l’utilisation de ses ressources naturelles à des fins domestiques et, potentiellement, comme produit d’exportation, le Gabon pourrait moderniser son cadre législatif et réglementaire en matière d’émissions de production, en assurant une application rigoureuse des lois et en favorisant des chaînes de valeur intégrées pour une utilisation plus efficace du gaz associé. Les avantages pour le développement et le climat sont évidents : cette approche permettrait de remplacer les combustibles liquides coûteux par un gaz plus abordable, ce qui est d’autant plus crucial que l’accès à une énergie fiable et bon marché constitue une préoccupation majeure pour les entreprises et les ménages. Parmi les autres politiques fiscales vertes susceptibles d’améliorer la mobilisation des recettes figure la rationalisation des dépenses fiscales dans les secteurs du pétrole, des mines et de l’agriculture qui serait associée à l’octroi d’avantages fiscaux ciblés pour les projets d’énergie verte. Le Gabon a largement 141 Banque mondiale. 2024. Note de conjoncture économique du Gabon 2024 : Concevoir des politiques fiscales pour une foresterie durable 142 Banque mondiale. 2025 (non publié). Comptes de l’écosystème forestier du Gabon 2000-2020. Version provisoire : février 2025. 143 UNDP 2022. Etude sur la fiscalité verte au Gabon. Rapport final 93 recours aux incitations fiscales. Si celles-ci poursuivent des objectifs sociaux et économiques, leur coût est élevé : en 2024, les dépenses fiscales ont représenté 16 pour cent des recettes publiques, soit 3,2 pour cent du PIB. Des efforts ont été mis en œuvre pour rationaliser ces dépenses au fil du temps, mais il existe encore des possibilités d’amélioration de manière à mieux encadrer et contrôler ces dispositifs, limiter les pertes de recettes et mieux cibler les incitations en faveur des secteurs verts. Par exemple, les exonérations de TVA sur les intrants agricoles et d’autres avantages fiscaux pourraient être réservés aux activités agricoles durables, réduisant ainsi les pertes fiscales tout en encourageant des pratiques limitant la pression sur les forêts. Les incitations fiscales accordées aux secteurs pétrolier et minier constituent un autre exemple : elles ont coûté 124 milliards de FCFA au budget en 2024, soit environ 206 millions d’USD144, représentant 30 pour cent des dépenses fiscales totales et près de 5 pour cent des recettes publiques. Il existe différentes options pour rationaliser ces dispositifs. Par exemple, la période d’application des avantages fiscaux pour l’exploration minière est de trois ans au Nigeria et cinq ans en Côte d’Ivoire, alors qu’elle peut atteindre huit ans au Gabon. La rationalisation de leurs coûts permettrait de limiter le manque à gagner en recettes et de réallouer une partie de ces fonds vers des incitations fiscales ciblées pour les investissements en énergies vertes, tel que le solaire, afin de réduire les coûts de production énergétique et de répondre à une demande croissante.145 Enfin, d’autres politiques fiscales pourraient être appliquées pour atteindre les objectifs climatiques et de mobilisation des recettes, notamment une augmentation des droits d’accise appliqués aux véhicules à fortes émissions, tels que les voitures de luxe. Une taxe sur les voitures de luxe avait été instaurée en 2019, mais elle a été supprimée en 2024 et remplacée par une taxe sur les véhicules neufs. Les Autorités pourraient réaménager la fiscalité sur les véhicules en tenant compte de la cylindrée des moteurs, des niveaux d’émissions ou des prix, afin de rendre moins chère l’importation de véhicules moins polluants. À titre d’exemple, l’île Maurice a adopté des politiques fiscales incitatives pour promouvoir les véhicules propres et à ce titre, applique des taxes plus élevées aux voitures polluantes et des taux réduits aux véhicules hybrides et électriques d’occasion146. Les considérations de justice sociale sont essentielles : il conviendrait de cibler en priorité les véhicules haut de gamme et autres biens de luxe, plutôt que les voitures utilisées par les personnes aux revenus plus modestes. Politiques de dépenses : améliorer leur ciblage et leur efficacité pour atteindre les objectifs budgétaires et climatiques du pays En matière de dépenses, il existe des marges d’amélioration pour renforcer la gouvernance et les politiques de dépenses, et favoriser à la fois l’action climatique et les finances publiques à travers une plus grande efficacité des dépenses et une meilleure gestion des finances publiques. Les besoins en matière de développement, de protection sociale et d’adaptation au changement climatique peuvent générer des pressions qui entrent en concurrence les unes avec les autres et obligent ainsi à faire des arbitrages en matière de dépenses. Bien que ces choix doivent s’inscrire dans une stratégie globale alignée sur les priorités nationales, il existe des opportunités de synergie. Des réformes visant à améliorer la qualité et l’efficacité des dépenses publiques pourraient élargir l’espace budgétaire, facilitant ainsi les investissements nécessaires au développement et à l’adaptation au changement climatique. Une action publique plus efficace permettrait à l’État de réduire ses dépenses tout en obtenant de meilleurs résultats. 144 UNDP 2022. Etude sur la fiscalité verte au Gabon. Rapport final. Les incitations fiscales pour les secteurs pétrolier et minier comprennent une exonération de TVA intérieure pour le raffinage du pétrole (84,8 milliards de FCFA), un taux réduit de TVA de 5 pour cent sur les importations destinées aux secteurs pétrolier et minier (32,9 milliards de FCFA), un taux de TVA zéro sur les importations pour le secteur pétrolier (5,6 milliards de FCFA) et une exonération de TVA intérieure pour le secteur minier (0,4 milliard de FCFA) 145 UNPD 2022. 146 UNPD 2022. 94 Par exemple, un meilleur suivi et une plus grande transparence des revenus issus des ressources naturelles, des flux du Trésor et la mise en place de politiques budgétaires contracycliques pourraient permettre au Gabon de constituer davantage de réserves. Une meilleure planification et exécution budgétaire, un renforcement de la supervision des entreprises publiques, ainsi qu ’une meilleure coordination et interconnexion entre les agences publiques contribueraient à stabiliser les finances publiques et à renforcer la crédibilité budgétaire. Les réformes en cours, telles que la création d’agences chargées de la gestion des participations de l’État et du contrôle budgétaire et financier, ainsi que la réactivation des réunions du comité interministériel de Trésorerie pour améliorer le contrôle de la trésorerie, pourraient être renforcées. Les considérations climatiques pourraient être davantage intégrées aux processus de gestion budgétaire et d’investissement, ce qui apporterait des avantages évidents en matière de résilience climatique. Les réformes des processus de passation des marchés publics et de gestion des investissements sont essentielles pour renforcer l’action climatique, mais aussi pour améliorer les infrastructures et le capital humain, facilitant ainsi l’investissement et la croissance des entreprises. Des réformes législatives sont en cours de préparation, notamment en matière de réglementation des marchés publics et des investissements publics. Un décret d’application de la loi sur la gestion des investissements publics est en préparation, et l’intégration des aspects de résilience climatique dans ce décret pourrait constituer une réforme essentielle. De même, des politiques budgétaires adaptées aux enjeux climatiques pourraient être élaborées afin de mieux prendre en compte la résilience au changement climatique dans la planification budgétaire. Les subventions aux carburants figurent parmi les politiques de dépenses qui pourraient faire l ’objet de réforme dans la mesure où elles bénéficient principalement aux ménages aisés, pèsent lourdement sur le budget de l’État et découragent l’adoption de comportements plus écologiques chez les entreprises et les ménages. Mises en place pour réduire le coût de la vie, ces subventions ont représenté environ 0,7 pour cent du PIB en 2023, soit 70 pour cent des allocations budgétaires consacrées à la santé publique. Bien qu’ayant un objectif social, elles sont régressives, profitant davantage aux ménages les plus riches, qui sont les plus gros consommateurs de carburant. De plus, elles créent des distorsions environnementales dans la mesure où elles subventionnent indirectement les énergies polluantes, ce qui a des impacts sur l’avenir, même si le Gabon, avec sa petite population, demeure un puits net de carbone. Les tentatives passées de réduction des subventions aux carburants ont donné des résultats mitigés. Une libéralisation partielle des prix a été introduite en 2015, suivie d’un mécanisme d’ajustement des prix en 2016, mais face aux conséquences sociales et à l’insuffisance de la protection sociale, les subventions ont été réintroduites en 2021. Elles ont ensuite été supprimées pour la consommation industrielle à la mi-2022, avant d’être réintroduites en 2024. Le Gabon pourrait envisager des réformes visant à réduire ces subventions, afin de limiter une dépense qui est régressive et d’atténuer les distorsions économiques. Comme l’expérience internationale le montre, la bonne approche consisterait à cibler les carburants les plus consommés par les ménages aisés, à réduire progressivement les subventions avec des mécanismes d’atténuation temporaires, ainsi qu’à assurer une communication transparente permettant de démontrer au public l’utilisation faite des économies budgétaires générées par la réduction des subventions et l’introduction de mesures d’atténuation.147 Enfin, il est indispensable de proposer des alternatives viables, notamment en développant les transports publics, en aménageant des trottoirs et des pistes cyclables 147 Banque mondiale. 2023. Note de conjoncture économique du Gabon 2023: Reforme des subventions aux combustibles fossiles. 95 adaptées, et en réorientant les ressources économisées vers des dépenses sociales ciblées en appui aux populations les plus vulnérables.148 4.4 Besoins de financement : Comment faciliter la participation du secteur privé et mobiliser les financements climatiques nécessaires pour répondre aux enjeux du climat et du développement ? Créer des opportunités de croissance et de participation à l’action climatique pour le secteur privé Compte tenu des contraintes budgétaires que connaît le Gabon, les investissements publics ne suffiront pas pour financer l’adaptation au changement climatique : les solutions devront également provenir du secteur privé. Celui-ci joue un rôle essentiel dans le financement, l’innovation et l’offre de biens et services respectueux du climat, mais aussi en tant qu’acteur à la fois responsable et affecté par les impacts climatiques. Pour réussir la transition vers une économie à faibles émissions de carbone et permettre l’adaptation, il faudra des investissements conjoints des secteurs public et privé. Sans le secteur privé, il sera extrêmement difficile de financer les investissements essentiels en matière d’adaptation climatique au Gabon. Il sera indispensable de mobiliser l’expertise du secteur privé et de mettre en place des mécanismes de financement public-privé dans des secteurs clés tels que les énergies renouvelables, les transports, la transformation numérique, ainsi que la gestion de l’eau et des déchets. De même, faciliter le financement privé et l’adoption de technologies et services verts, tout en aidant les entreprises à réduire les risques de dégradation de leurs actifs, permettra d’atténuer la pression sur les ressources publiques et de renforcer la résilience. Cependant, le secteur privé gabonais joue encore un rôle relativement limité dans une économie caractérisée par un niveau élevé d’informalité (52 pour cent du PIB) et une forte présence de l’État, qui génère 48,5 pour cent des emplois formels.149 La dépendance au pétrole a freiné le développement d’autres secteurs, limitant ainsi la diversification, la création d’emplois et le développement du secteur privé, tandis que la crise climatique engendre à la fois des risques et des opportunités pour les entreprises. Miser sur des réserves pétrolières en déclin ne constitue pas un modèle de croissance durable. Sans une création d’emplois soutenue, la crise climatique pourrait entraîner d’importantes pertes d’emplois et des conséquences sociales négatives. Des aléas tels que les inondations peuvent perturber la continuité des activités et affecter la rentabilité des entreprises, d’où la nécessité de mettre en place des mesures d’adaptation solides. Cependant, la crise climatique peut aussi offrir de nouvelles opportunités : les entreprises qui s’alignent sur la demande mondiale croissante de produits plus respectueux de l’environnement peuvent gagner en compétitivité. Parmi les opportunités économiques, les marchés du bois certifié et les produits agricoles labellisés verts offrent une valeur ajoutée plus élevée. Le Gabon est un pionnier dans le secteur du bois à travers sa taxe de superficie qui incite à la production de bois certifié. Ce cadre fiscal favorise l’innovation, améliore la productivité des entreprises et leur permet de devenir « compétitivement vertes »150. Cependant, comme les consultations avec le secteur privé l’ont mis en évidence, il y a un besoin accru d’accompagnement dans l’action climatique, d’une meilleure compréhension des exigences des marchés en mutation et d ’une meilleure gestion des risques climatiques. Un dialogue public-privé renforcé permettrait d’aligner les recommandations en matière de politique climatique sur les besoins du secteur privé, notamment en 148 Banque mondiale. 2023. Note de conjoncture économique du Gabon 2023: Reforme des subventions aux combustibles fossiles 149 Banque mondiale. 2022. Mémorandum économique pays du Gabon. 150 Banque mondiale. 2024. Note de conjoncture économique du Gabon 2024 : Concevoir des politiques fiscales pour une foresterie durable 96 améliorant les processus de consultation sur les projets de législation environnementale ayant un impact direct sur les activités des entreprises.151 Les entreprises privées font face à de nombreux défis, notamment un environnement des affaires complexe, des défaillances de marché, des distorsions économiques, des capacités organisationnelles à renforcer, ainsi qu’un accès au financement limité et coûteux, qu ’il soit vert ou traditionnel.152 Ces obstacles entravent à la fois leur compétitivité et la réalisation des objectifs climatiques. Les entreprises au Gabon évoluent dans un cadre concurrentiel difficile, ainsi que dans un régime commercial et d’investissement peu favorable à l’innovation, y compris en matière environnementale. Les distorsions économiques comprennent les subventions aux carburants, l’absence de tarification des externalités négatives, une forte présence des entreprises publiques et des monopoles dans l’énergie et d’autres secteurs. La faiblesse relative des compétences managériales limite l’efficacité énergétique et l’adoption de technologies plus performantes. Les entreprises ne bénéficient que de peu d’appui pour accéder à l’information, aux marchés et aux normes de conformité. L’innovation verte est freinée par une méconnaissance des technologies à faibles émissions de carbone et des options de financement vert, un régime de propriété intellectuelle inadapté, un écosystème de recherche sous-développé et par l’insuffisance de l’investissement dans l’éducation et la formation. Par ailleurs, les entreprises — et en particulier les PME — ont peu accès au crédit. Enfin, l’effet de l’économie politique sur les politiques climatiques peut représenter un obstacle majeur, les entreprises établies et les détenteurs d’actifs polluants pouvant avoir intérêt à freiner l’adoption d’alternatives plus écologiques. Pour permettre aux entreprises privées de se développer et de participer à l’action climatique, le Gabon devrait accélérer les réformes visant à stimuler le développement du secteur privé, lever les barrières au commerce et renforcer l’engagement public-privé. Afin de favoriser la croissance des entreprises et la création d’emplois, le pays investit déjà dans l’énergie, les transports et la numérisation des services publics. Des efforts sont également en cours pour faciliter l’accès des PME au crédit, améliorer les compétences de la main-d’œuvre et développer les secteurs de l’agriculture, de l’exploitation minière artisanale et de la production durable de bois. Le secteur informel représente environ la moitié de l’économie et devrait être soutenu, par exemple, au moyen de la microfinance pour une agriculture résiliente face au climat ou de la formation professionnelle destinée aux artisans du secteur informel en matière de pratiques durables. Des mesures supplémentaires pourraient encourager les investissements privés dans les secteurs verts et l’adaptation au climat, notamment à travers des incitations à la recherche, à l’innovation, à l’efficacité énergétique et au financement vert. Cela pourrait passer par une amélioration du cadre réglementaire (taxonomie, normes), et par l’introduction d’incitations financières et d’outils de réduction des risques (accès à l’information sur le crédit, garanties, lignes de crédit et financements concessionnels). L’implication du secteur privé serait cruciale pour garantir que les politiques mises en place répondent réellement à ses besoins. Une première étape essentielle consiste à améliorer les infrastructures de transport et d’énergie afin de faciliter les échanges commerciaux et les activités économiques, notamment à travers les partenariats public-privé (PPP) et les investissements directs étrangers (IDE). Pour atteindre ses objectifs de développement et climatiques, le Gabon devra garantir un meilleur accès aux systèmes de transport et un approvisionnement en électricité plus fiable, tout en améliorant les conditions commerciales, les conditions d’affaires et la facilitation des investissements. La stabilité politique et économique est essentielle pour 151Consultations du secteur privé menées par les équipes de la Banque mondiale à Libreville (mars 2024) 152Leonardo Iacovone et al. 2023. Finance, Competitiveness and Innovation. TIC. World Bank. Décembre 2023. “Businesses and Climate Change” 97 inciter le secteur privé à s’engager dans des investissements climatiques à long terme. Par exemple, des réformes pourraient être mises en place pour renforcer les PPP, réduire le coût des investissements publics et promouvoir un entretien adéquat des infrastructures, un facteur clé du développement du capital physique. Le développement du cadre des PPP au Gabon permettrait de mobiliser les investissements privés au service des priorités climatiques et de développement. L’élargissement des investissements privés dans les infrastructures, en particulier dans l’eau et l’énergie, est un élément clé de l’agenda de décarbonation, mais le secteur privé, qu’il soit local ou étranger, peut également jouer un rôle essentiel dans l’adaptation au changement climatique. Des réformes pourraient permettre une plus grande implication du secteur privé dans les efforts d’adaptation. Dans le secteur de l’eau, les Autorités envisagent de recourir à des PPP pour mobiliser des financements privés et tirer parti des compétences techniques du secteur privé. L’accélération des projets pourrait passer par une feuille de route visant à attirer les financements privés, une plus grande attention accordée au renforcement des capacités en matière de PPP et un meilleur développement d’un vivier de projets. Par ailleurs, compte tenu du rôle central du secteur, il serait prioritaire de mener des réformes au sein de la Société d ’énergie et d’eau du Gabon (SEEG) et du Ministère de l’Eau et de l’Énergie afin de créer un environnement propice à l’entrée et au développement des opérateurs privés sur les segments commerciaux de l ’eau et de l’électricité. L’investissement étranger peut également jouer un rôle dans l’adaptation climatique, notamment dans les secteurs de l’agriculture, de l’alimentation, de la foresterie, de l’énergie et des infrastructures. Explorer les opportunités d’investissements directs étrangers (IDE) liées au climat permettrait de mobiliser davantage de financements, en particulier face à des besoins élevés et à un secteur financier national sous-développé. Les flux mondiaux d’IDE verts ont triplé entre 2015 et 2022, passant de 88 milliards USD à 252 milliards USD, mais leur performance reste insuffisante dans les pays en développement.153 Les IDE au Gabon représentaient 5,2 pour cent du PIB en 2022, mais plus de 80 pour cent de ces investissements étaient orientés vers le pétrole, ce qui souligne l’existence d’un fort potentiel pour attirer davantage d’IDE climatiques. En deuxième lieu, le Gabon pourrait revoir sa politique d’incitations afin d’assurer une meilleure cohérence avec les pratiques vertes. Cela pourrait passer par plusieurs actions : (i) cartographier les politiques fiscales et d’incitations existantes afin d’identifier les incohérences entre les objectifs de politique publique ; (ii) évaluer les coûts et les avantages des incitations ; et (iii) améliorer la gouvernance et l’efficacité en simplifiant ou en repensant les dispositifs, voire en envisageant des politiques alternatives non basées sur des incitations. Par exemple, les dépenses en subventions aux carburants pourraient être réorientées vers un appui ciblé aux ménages vulnérables, tandis que les incitations fiscales sur les intrants agricoles pourraient être rationalisées de manière à encourager des pratiques agricoles plus durables, réduisant ainsi la pression sur les forêts et sur le budget.154 Une troisième option politique consisterait à investir dans les biens et services environnementaux locaux, afin de favoriser une meilleure gestion des déchets et de stimuler l’économie circulaire. Le développement d’un écosystème local de biens et services environnementaux est essentiel pour atteindre les objectifs climatiques du Gabon, tout en soutenant l’économie. Il existe des opportunités pour renforcer l’assistance au secteur privé dans des domaines tels que la gestion des déchets solides, le recyclage et l’économie circulaire. Cependant, les réglementations adaptées au développement d’opérations industrielles de recyclage font défaut. Certaines industries produisent des déchets dangereux en grandes quantités 153 World Economic Forum. 2024 154 Banque mondiale. 2024. Note de conjoncture économique du Gabon 2024 : Concevoir des politiques fiscales pour une foresterie durable 98 (batteries de véhicules, huiles usagées, pneus usagés) et pourraient par conséquent être intéressées par des services environnementaux locaux. Promouvoir l’appui du secteur financier national à l’action climatique et à la croissance verte Les banques, les compagnies d’assurance et les marchés régionaux pourraient contribuer au financement de l’action climatique au Gabon, mais des réformes sont nécessaires pour renforcer et mobiliser le secteur financier. S’il est globalement sain et résilient, le secteur financier gabonais reste fortement concentré sur les matières premières. Il est composé de sept institutions financières représentant plus de 90 pour cent des actifs et a su rester résiliente malgré la pandémie de COVID-19. Le crédit au secteur privé a ainsi progressé d’environ 26 pour cent entre 2021 et septembre 2023, tandis que le taux de prêts non performants a diminué, passant de 14 pour cent en 2020 à 12 pour cent en 2023. 155 Cependant, la pénétration du crédit et sa diversification restent limitées en raison des défis rencontrés en matière d’exécution des contrats et de la performance mitigée du système d’information sur le crédit. Le secteur bancaire se concentre principalement sur grandes entreprises et les titres d’État et, reste peu exposé au secteur agricole, pourtant vulnérable aux chocs climatiques. Une grande partie de l ’encours de crédit est composée de prêts à court terme, la majorité des dépôts étant constituée de dépôts à vue. En 2023, le ratio crédits au secteur privé/dépôts au Gabon s’établissait à 67 pour cent, contre 88 pour cent en moyenne pour les pays du même groupe de revenu, ce qui indique un potentiel d’expansion du crédit. Le crédit intérieur aux entreprises privées, représentant 14 pour cent du PIB en 2022, est largement inférieur aux moyennes de l’Afrique subsaharienne (26,4 pour cent du PIB) et des PRITS (139,4 pour cent du PIB) cette même année.156 Les options politiques pour mobiliser la finance climatique locale incluent la mise en service du Fonds Climat et l’écologisation de la Société de Garantie du Gabon (SGG), le fonds de garantie du pays. Une fois opérationnel, le Fonds Climat pourrait centraliser les ressources issues de diverses sources et proposer des produits financiers adaptés, tels que des prêts concessionnels, des investissements en fonds propres et des subventions d’assistance technique, afin de soutenir l’action climatique des acteurs privés, y compris les PME. Ce fonds pourrait être hébergé au sein d’une banque commerciale accréditée par le Fonds Vert pour le Climat (GCF) ou du Fonds Gabonais d’Investissements Stratégiques (FGIS). Il serait essentiel à sa réussite qu’il ait une bonne capacité institutionnelle, une gouvernance solide et des lignes directrices transparentes. Le Fonds pourrait également fonctionner en synergie avec un fonds de garantie vert et des mécanismes de partage des risques destinés aux banques, offrant ainsi un ensemble complet d’instruments financiers en appui à l’action climatique. En effet, la SGG pourrait être transformée en Fonds de Garantie Vert afin d’appuyer les investissements favorables au climat. Cela impliquerait de définir des critères d’éligibilité, d’établir des normes environnementales et sociales solides, ainsi que de renforcer les capacités de suivi des impacts. Des appuis aux banques sous forme de mécanismes de partage des risques et d’émission de prêts liés à la durabilité (PLD) pourraient également renforcer l’engagement de ces institutions dans l’action climatique. Les Autorités et les partenaires au développement pourraient accompagner les banques commerciales locales en matière d’évaluation des projets verts, de gestion des risques, de mécanismes de partage des risques non financés, ainsi que de facilités de financement du commerce liées à l ’action climatique et à l’émission de PLD. Cela permettrait de mobiliser des capitaux privés à travers des mécanismes d’amélioration du crédit, réduisant ainsi les risques et les coûts et générant des effets 155 Commission Bancaire de l’Afrique centrale - Secrétariat Général, analyse financière dynamique des données CERBER, décembre 2023. 156 WDI. 99 multiplicateurs. Par exemple, les partenaires au développement pourraient couvrir entre 50 et 75 pour cent des pertes sur des portefeuilles de prêts éligibles, selon les risques et les conditions du marché, incitant ainsi les banques à financer des projets qu’elles jugeraient autrement trop risqués, tout en renforçant leur expérience et leurs capacités en finance verte. Les banques commerciales pourraient également bénéficier d’une assistance technique pour élaborer un cadre de financement durable, structurer des PLD, définir des objectifs de performance ambitieux mais réalistes, mettre en place des systèmes robustes de suivi, de reporting et de vérification, et commercialiser les PLD auprès des investisseurs. Cette approche permettrait de renforcer les capacités des banques locales en matière de finance durable, comme l’ont démontré des initiatives similaires dans d’autres marchés émergents.157 L’investissement dans le renforcement des capacités des banques locales et du secteur privé est essentiel pour mobiliser le financement privé en faveur des investissements climatiques au Gabon.158 Le paysage de la finance climatique au Gabon présente plusieurs insuffisances en matière de capacités, notamment une faible expertise du secteur financier et du secteur privé en matière d’identification, de conception, d’évaluation et de mise en œuvre de projets liés au climat. Les programmes de renforcement des capacités devraient prioriser les secteurs stratégiques à fort potentiel de développement et ayant un impact significatif en matière d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Parmi ces secteurs figurent la banque, la transformation du bois, l’écotourisme, l’énergie, l’exploitation minière, l’agriculture et les infrastructures. Une meilleure compréhension des risques et opportunités climatiques, ainsi qu ’un renforcement des capacités d’évaluation des projets, pourraient réduire le risque perçu par les banques et ainsi accroître leur volonté de financer des projets climatiques. Par exemple, dans le secteur forestier, le renforcement des capacités pourrait être axé sur la transformation des déchets en solutions d ’énergie verte, permettant ainsi de réduire les coûts énergétiques. Réduire les asymétries d’information par la création d’un bureau de crédit pourrait favoriser les objectifs climatiques et de croissance, dans la mesure où cela inciterait les banques locales à accroître leur financement dans les secteurs verts. Le crédit au secteur privé bénéficie surtout aux grandes entreprises, tandis que les PME et les entrepreneurs locaux peinent à obtenir des financements en raison d’asymétries d’information et de préoccupations liées à la qualité du crédit. Le Gabon pourrait soutenir l ’écologisation de son fonds de garantie et encourager les banques commerciales locales à adopter des pratiques vertes afin d’attirer davantage de financements climatiques internationaux. Le secteur bancaire commence à explorer des solutions pour augmenter les prêts aux PME159, notamment à travers les instruments mis en place par la SGG pour réduire les risques de prêt et soutenir les projets verts.160 La Banque mondiale a appuyé des réformes en faveur de la mise en place d’un bureau de crédit dans la région. Le Gabon pourrait accélérer son déploiement et encourager les banques et autres entreprises à partager davantage d’informations sur le crédit afin d’améliorer la qualité du reporting. Le renforcement de la capacité de la SGG à attirer des financements verts internationaux et à élargir son offre de services de crédit aux PME, en particulier dans la transformation du bois, l’agriculture, l’écotourisme et d’autres secteurs verts, constitue également une priorité. Cependant, les garanties et l’information sur le crédit ne suffiront probablement pas à elles seules à inciter les banques à s’orienter vers des projets verts à plus long terme, potentiellement moins rentables (notamment pour les PME). La transformation du SGG et les efforts des 157 IFC. 2021. 158 https://documents1.worldbank.org/curated/en/099553509062329031/pdf/SECBOS02837b0e0ed0ad7608b9f1d682ab0.pdf 159 Trois banques collaborent déjà avec le fonds de garantie, et trois autres se sont engagées à signer un accord avant la fin de l’année 2023. 160 La SGG a été initialement capitalisée par le FGIS et est hébergée au sein de la structure du Fonds Okoumé le fonds d ’incubation et d’investissement du Gouvernement, qui abrite également la SGG. 100 bureaux de crédit devraient donc être accompagnés de réformes plus fondamentales dans le secteur bancaire afin de renforcer la concurrence. En outre, l’implication des assureurs dans les stratégies de résilience climatique, notamment par l’élaboration d’une stratégie de financement des risques de catastrophe, est essentielle. Face aux changements climatiques, une telle stratégie permettrait au Gabon de mieux protéger ses forêts, ses écosystèmes marins, ses exploitations agricoles et ses ménages. Le secteur de l’assurance reste peu profond, avec une dizaine de compagnies émettant des primes annuelles en assurance vie et dommages représentant environ 1 pour cent du PIB, contre une moyenne de 3 pour cent en Afrique subsaharienne et 6 pour cent à l’échelle mondiale. L’absence quasi totale d’assurances paramétriques ou contre les risques de catastrophe crée des déficits de financement dans les mécanismes de réponse, même face à des catastrophes de faible ampleur. Par ailleurs, la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), la banque centrale régionale, n’intègre pas systématiquement l’analyse des risques liés au climat dans le secteur bancaire. L’appui continu de la Banque mondiale au renforcement des institutions financières régionales de la CEMAC a permis de doter la BEAC et la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC) de meilleurs outils et capacités pour réaliser des tests de résistance macro et microprudentiels face aux chocs. Ce projet appuie également l’élaboration d’une feuille de route régionale visant à intégrer les considérations climatiques dans la réglementation prudentielle du secteur bancaire.161 L’élaboration d’une stratégie de financement des risques de catastrophe contribuerait à renforcer la résilience financière face aux catastrophes en identifiant des sources et des instruments de financement adaptés à différents types de chocs et en favorisant le développement de l’assurance paramétrique. Le Gabon pourrait envisager l’opportunité que représenterait l’émission d’obligations vertes sur les marchés des capitaux régionaux. Le pays contribue de manière significative au développement de ces marchés, mais ceux-ci restent peu profonds et dominés par des actifs bruns. En 2023, le Gabon figurait parmi les principaux émetteurs de titres publics sur le marché des valeurs du Trésor géré par la BEAC, avec un volume total d’émission de 1 527,5 milliards de FCFA, soit 23,8 pour cent des émissions de la CEMAC162. Le pays a également émis des obligations publiques inscrites à la Bourse des Valeurs Mobilières de l’Afrique Centrale (BVMAC), pour un montant de 188,8 milliards de FCFA en 2021, 175,0 milliards en 2022 et 154,6 milliards en 2023. Sur le marché des actions, la Société commerciale gabonaise de réassurance (SCG-Ré) a été introduite en bourse en janvier 2023. Cependant, le Gabon n’a encore jamais utilisé le marché des capitaux pour lever des financements liés au climat, que ce soit pour l’État ou pour des entités du secteur privé. Le potentiel du marché domestique pourrait être exploité en mettant en œuvre u n cadre d’émission d’obligations vertes conforme aux normes de l’International Capital Market Association (ICMA). Les Autorités et les régulateurs des marchés financiers pourraient favoriser un environnement favorable aux obligations vertes en adoptant des politiques et réglementations adaptées, en mettant en place des incitations aux investissements durables et en renforçant la transparence ainsi que la publication des informations sur la durabilité. Explorer les options de mobilisation des financements climatiques internationaux Bien que les forêts du Gabon représentent une option évidente pour mobiliser des financements climatiques internationaux, les mécanismes de financement du carbone forestier n ’ont pas été conçus 161 Bien qu’aucune banque au Gabon ne dispose encore d’un mandat vert spécifique ou formel, la BEAC envisage une stratégie visant à promouvoir les pratiques d’investissement durable et responsable ainsi que la transparence en matière de climat. Dans cette optique, elle a rejoint en décembre 2023 le Réseau des banques centrales et superviseurs pour l’écologisation du système financier (NGFS), qui étudie l’impact macro-financier du changement climatique. 162 Banque des Etats de l’Afrique centrale, Statistiques mensuelles du marché des valeurs du trésor, No. 30, janvier 2024 101 pour des pays à forte couverture forestière et à faible déforestation tels que le Gabon. À l’échelle mondiale, les financements climatiques destinés aux pays tropicaux forestiers, à travers des programmes tels que la Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+), ont été structurés pour répondre aux besoins des pays devant réduire leur déforestation, ce qui ne correspond pas à la réalité du Gabon. Les forêts gabonaises couvrent environ 90 pour cent du territoire et absorbent chaque année 140 millions de tonnes de gaz carbonique, soit 7 fois plus qu’elles n’en émettent. De plus, le taux de déforestation reste très faible, à 0,05 pour cent sur la période 2010-2020.163 Si le Gabon a été le premier pays africain à bénéficier d’un financement carbone basé sur les résultats164, il n’a reçu qu’une somme modeste d’environ 83,2 millions d’USD par an165 en 2019-2020 pour cet effort. Il est donc essentiel d’avoir des attentes réalistes vis-à-vis des marchés du carbone, tout en préparant l’optimisation d’autres opportunités liées aux usages durables des forêts. L’incertitude demeure quant à la capacité et à la rapidité de la réponse de la communauté internationale à fournir une compensation adéquate pour les forêts intactes qui offrent des biens publics mondiaux, tels que la biodiversité et le stockage du carbone. Les forêts gabonaises constituent un réservoir de biens et de services bien au-delà du bois, avec un fort potentiel de développement. Leur gestion durable continuera d’apporter de la résilience aux populations gabonaises en garantissant des emplois, la sécurité alimentaire et des services écosystémiques, tout en ayant le potentiel de générer des paiements pour le carbone lorsque ces mécanismes deviendront viables. Selon les estimations d’une étude de la Banque mondiale en cours de préparation, la valeur totale des actifs forestiers du Gabon s’élèverait à 948,9 billions de FCFA (1 571 milliards USD) en 2020, si l’on prend en compte le stockage du carbone, les ressources en bois et autres produits forestiers, la rétention des sédiments ainsi que le tourisme.166 L’investissement dans de nouvelles forêts, à travers la reforestation, l’afforestation et une gestion forestière améliorée, peut renforcer les atouts du Gabon en matière de création d’emplois et de résilience climatique, tout en générant des crédits carbone à travers l’amélioration de la qualité des forêts et la démonstration de l’additionnalité. Ces investissements pourraient s’appuyer sur les acquis du pays en matière de gestion forestière, tout en répondant aux principaux défis liés aux incitations, aux capacités du secteur privé et aux modalités de concession. Cependant, il sera essentiel d’assurer l’alignement sur les normes internationales et les pratiques d’excellence en gestion durable des forêts pour attirer les investissements privés. À court terme, il peut être difficile de mettre pleinement en place une capacité institutionnelle solide pour assurer le suivi, la déclaration et la vérification que ces instruments exigent pour être crédibles. Compte tenu des défis liés à l’environnement des affaires et à la capacité du secteur public, une feuille de route claire pourrait être adoptée afin d'établir ce type spécifique d’infrastructure de gouvernance. Le contexte unique du Gabon, en tant que pays à forte couverture forestière et à faible déforestation, exige une approche réfléchie des incitations afin d’assurer une cohérence avec son engagement historique en faveur de la conservation et ses objectifs stratégiques à long terme. La réussite de ces initiatives reposera sur une rémunération appropriée de la conservation, l’évitement des incitations perverses, l’implication active du secteur privé —en particulier dans la gestion forestière et l’écotourisme— ainsi qu’un partage équitable et transparent des avantages avec les communautés locales. 163 Banque mondiale. 2024. Note de conjoncture économique du Gabon 2024 : Concevoir des politiques fiscales pour une foresterie durable 164 Dans le cadre d’un accord REDD+ de 10 ans et 150 millions d’USD avec l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI), menée par l’ONU. 165 La majeure partie de ce financement (82,9 millions d’USD) provient de sources publiques, notamment des institutions financières de développement bilatérales et multilatérales ainsi que des gouvernements, tandis qu’une petite part (0,26 million USD) provient d’investisseurs institutionnels. Climate Policy Initiative (2022). The Landscape of Climate Finance in Africa. https://www.climatepolicyinitiative.org/dataviz/landscape-of-climate-finance-in-africa-interactive-data-tools/#map 166 World Bank. 2024 (draft report). Forest Ecosystem Accounts for Gabon 2000-2020: Ecosystem Extent Accounts, Forest Ecosystem Condition Accounts, Forest Ecosystem Services and Asset Accounts. Décembre. 102 Les futures solutions financières liées au climat pourraient inclure la mobilisation de financements concessionnels et semi-concessionnels provenant de bailleurs de fonds et de fonds climatiques mondiaux, ainsi que l’émission d’obligations thématiques et d’autres instruments de financement de marché pour les projets de développement. Le Gabon pourrait explorer des structures financières innovantes en s’appuyant sur des ressources concessionnelles et semi-concessionnelles venant des partenaires au développement (Encadré 4.4), telles que des dispositifs de liquidité destinés à encourager l’investissement privé dans les projets verts. Par exemple, un prix plancher pourrait être établi dans le cadre d’un contrat d’achat d’électricité pour un projet d’énergie renouvelable. Bien que de taille modeste, des fonds tels que le Fonds vert pour le climat (FVC) et le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) peuvent aider à attirer l’investissement public et privé en mettant en place des mécanismes de partage des risques et en renforçant les capacités techniques. Ces fonds ont d’ailleurs déjà financé des initiatives au Gabon. L’Union Gabonaise de Banque est accréditée auprès du FVC, et la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) est en cours d’accréditation. D’autres entités pourraient également être accréditées, notamment le Fonds Gabonais d’Investissements Stratégiques (FGIS) et l’Agence Nationale des Parcs Nationaux (ANPN) et l’Agence Nationale des Grands Travaux (ANGT). Premier pays africain à avoir émis une « obligation bleue », le Gabon dispose d’un potentiel important pour mobiliser des obligations vertes et autres obligations thématiques aux niveaux régional et mondial en vue de financer l’action climatique. Les obligations thématiques sont des titres à revenu fixe émis sur les marchés de capitaux pour financer des projets liés à un thème spécifique, tels que le climat, l’éducation ou la préservation des océans. Les obligations liées à la durabilité associent leur performance financière à l’atteinte d’indicateurs de performance clés prédéfinis, tandis que les obligations vertes, sociales et durables servent à financer des projets spécifiques. En août 2023, le Gabon s’est positionné comme pionnier dans la mise en place d’un échange dette-nature en appui aux écosystèmes marins, levant 500 millions d’USD pour racheter 430 millions d’USD de dette extérieure à un taux d’intérêt inférieur.167 Lors de la conception de telles opérations, il est important de bien définir les modalités, la transparence et la structuration afin de garantir l’alignement des objectifs environnementaux, sociaux, économiques et budgétaires, et d’assurer que l’opération génère le maximum d’avantages pour le pays.168 En fonction des conditions du marché, le Gabon pourrait explorer de nouvelles opportunités d’émission d’obligations liées à la durabilité (OLB) sur les marchés internationaux ou domestiques. Une OLB est un instrument basé sur la performance, dans lequel l’émetteur s’engage à atteindre des cibles ambitieuses en matière de durabilité (CLB). En liant le coupon de l’obligation à des cibles précises, le Gabon pourrait accéder à des financements à moindre coût tout en alignant sa stratégie de gestion de la dette sur ses ambitions en matière de durabilité. Ces obligations nécessitent toutefois des cadres de gouvernance spécifiques afin d’assurer un reporting rigoureux sur l’utilisation des fonds et leurs impacts. Bien que les marchés de capitaux locaux restent relativement de petite taille, ils peuvent constituer un mécanisme alternatif de financement climatique lorsque les banques hésitent à accorder des prêts. Le régulateur des 167 Structuré par TNC avec le soutien de l’U.S. International Development Finance Corporation, cet échange de dette a suscité des critiques pour non-conformité aux meilleures pratiques, car il n’était pas adossé à un cadre d’obligations bleues conforme aux principes établis par l’International Capital Markets Association. https://www.reuters.com/sustainability/sustainable-finance-reporting/gabon-buys-back-500- mln-nominal-debt-for-nature-bond-tender-2023-08-08/; https://www.wsj.com/articles/gabon-joins-blue-bond-wave-with-500-million-debt- refinancing-a1a651d4 168 Les échanges de dette pour le développement (axés sur la nature et le climat) sont un mécanisme permettant à un pays de réduire ses obligations financières, en réorientant les économies réalisées vers des objectifs spécifiques. Toutefois, ils impliquent des coûts de transaction élevés et des risques, nécessitant une gestion rigoureuse de la dette ainsi qu’une solide capacité de suivi et d’évaluation des projets. Ils peuvent s’avérer plus efficaces que les prêts dans les pays où l’espace budgétaire est limité et où une partie du portefeuille de l’encours de la dette se prête à un échange (conditions onéreuses, négociation à prix réduit dans le cas des euro-obligations, etc.). Les swaps peuvent également être préférables s’ils génèrent des économies plus importantes en valeur actualisée. Il est donc essentiel de les examiner avec attention, en réalisant une analyse coûts-avantages complète, y compris pour les aspects immatériels. 103 marchés financiers de la CEMAC, la Commission de Surveillance du Marché Financier de l’Afrique Centrale (COSUMAF), avec le soutien de la Société Financière Internationale (SFI), a élaboré des lignes directrices pour l’émission d’obligations vertes dans la région. Un engagement politique de haut niveau est essentiel pour renforcer la crédibilité des OLB et la confiance des investisseurs. Cela passe par le renforcement des capacités des institutions, le développement d’un cadre de finance durable, la définition de CLB, la mise en place d’un système de suivi, un engagement auprès des investisseurs et le respect des normes les plus strictes en matière de transparence et de publication de l’information. Afin de réduire les coûts de financement et d’attirer un plus large éventail d’investisseurs, les institutions financières internationales peuvent offrir des mécanismes d’amélioration du crédit pour les OLB, notamment via des garanties partielles de crédit, des tranches de première perte et des assurances contre les risques politiques. Les obligations basées sur les résultats, émises par la Banque mondiale, représentent une autre option politique : elles permettent aux investisseurs privés de financer des projets spécifiques, avec des rendements indexés sur les résultats obtenus. Enfin, des véhicules d’investissement alternatifs, tels que le capital-investissement et les fonds de capital- risque, pourraient être développés afin de canaliser davantage de financements vers les entreprises porteuses de projets verts et climatiques. Le développement du marché des capitaux au Gabon reste relativement limité, et les entreprises ont peu d’expérience en matière de levée de fonds par le biais d’offres publiques. Les données récentes relatives à la CEMAC mettent en évidence la faible profondeur et l’illiquidité persistantes des marchés financiers régionaux, avec seulement sept entreprises cotées, principalement au Cameroun. Pour améliorer la mobilisation des capitaux en faveur du climat, il faut élargir la base des investisseurs et encourager le développement de fonds de capital-investissement. Avec l’appui de la Banque mondiale, la COSUMAF a mis en place une réglementation visant à dynamiser l ’activité du capital-investissement et du capital-risque dans la région. Au Gabon, le Fonds Okoumé pourrait aider les entreprises à attirer des financements provenant des fonds verts internationaux. Enfin, l’alignement du régime fiscal sur les normes internationales et la création d’un environnement favorable aux investisseurs pour aider à attirer davantage de capitaux privés vers les projets verts. Encadré 4.2. Expériences internationales en matière de solutions de financement climatique innovantes Ces dernières années, plusieurs pays à travers le monde ont adopté des réformes et mis en place des actions visant à promouvoir les instruments de financement climatique. Le Sénégal en est un exemple : en juin 2023, le pays a adopté un cadre de financement durable pour l’émission d’obligations, combinant des approches fondées sur les moyens et les résultats, ainsi que des catégories de dépenses adaptées aux instruments thématiques de type « utilisation des fonds » et des indicateurs clés de performance. Ce cadre a été évalué par Moody’s ESG Solutions et est conforme aux pratiques d’excellence internationales définies par l’International Capital Markets Association et la Loan Market Association. Il prévoit sept catégories de dépenses liées aux résultats sociaux et trois catégories de dépenses environnementales, incluant l ’adaptation au climat ainsi que la préservation des forêts et de la biodiversité. 104 5. Conclusions et recommandations Le Gabon se trouve à un tournant décisif dans sa trajectoire de développement, et les décisions prises aujourd’hui auront des impacts majeurs sur l’avenir du pays. D’importantes réformes institutionnelles et économiques sont en cours afin d’ouvrir la voie à un nouveau modèle de développement à long terme. La transition politique en cours constitue une occasion unique de réformer les institutions et de poser les bases d’une nouvelle gouvernance ainsi que de nouveaux modèles économiques. Le renforcement des mécanismes de contrôle institutionnel et de transparence sur les revenus issus des ressources naturelles et sur les finances publiques serait déterminant pour assurer une utilisation optimale de ces ressources de manière à générer des améliorations du capital humain et physique, et ainsi de soutenir un modèle de croissance plus élevé, plus durable et plus inclusif. Des progrès ont été réalisés au fil du temps, notamment en matière de réduction de la pauvreté et de diversification vers des secteurs tels que l’industrie du bois. Cependant, des efforts plus soutenus sont impératifs, d’autant plus que les réserves pétrolières du pays devraient diminuer au fil des ans, appelant à une transition vers des moteurs de croissance plus diversifiés. À cet égard, il reste essentiel de s’assurer que les activités durables dans la foresterie, l’agriculture, la pêche et l’exploitation minière contribueront davantage à la croissance et à la création d’emplois. Ces efforts permettraient d’éviter une surexploitation des ressources naturelles afin de garantir qu’elles continuent de bénéficier aux générations futures de Gabonais. Les améliorations des cadres institutionnels et des politiques visant à renforcer la préparation du pays face aux changements climatiques permettraient également de bâtir une économie et une société plus résilientes. Le Gabon subit déjà les impacts des phénomènes naturels tels que vagues de chaleur, des tempêtes, des inondations et des glissements de terrain. En 2024, les vagues de chaleur ont eu un impact sur la population et ont mis sous tension la capacité énergétique du pays. L’année précédente, la croissance avait été affectée par des perturbations ferroviaires dues aux intempéries, bloquant les exportations de bois et de manganèse et entravant l’approvisionnement en eau et en produits de première nécessité dans certaines régions. Au cours des prochaines décennies, les chocs climatiques devraient causer davantage de dommages aux villes, aux routes, aux populations, aux cultures agricoles et aux écosystèmes du Gabon, entraînant des pertes économiques importantes et accentuant la pauvreté et la vulnérabilité. Il existe cependant de nombreuses solutions permettant d’atténuer les effets du changement climatique et de renforcer les infrastructures, les écosystèmes et le capital humain du Gabon, comme détaillé au Chapitre 3. Les actions prioritaires pour renforcer la préparation face au changement climatique, pour minimiser les risques et menaces liés au changement climatique, ainsi que pour contribuer aux objectifs climatiques, sont présentées en Annexe I. Les recommandations de réformes, qui visent à améliorer les mécanismes de gouvernance et à renforcer la résilience et la qualité des cultures agricoles, des routes, des systèmes énergétiques et hydriques, des infrastructures numériques et urbaines, de la gestion des déchets ainsi que des systèmes de santé, d’éducation et de protection sociale, apporteraient des avantages à la fois pour le développement économique et pour l’action climatique. Bien qu’il existe d’importantes considérations quant aux capacités budgétaires et aux différentes priorités de développement, les réformes et les investissements dans l’adaptation climatique peuvent générer des synergies et des avantages pour l’ensemble de la société, en posant des bases solides pour une croissance plus forte, grâce à l’amélioration du capital humain et physique. Les riches écosystèmes forestiers du Gabon, bien préservés, peuvent constituer un levier essentiel pour développer une économie forestière durable à plus forte valeur ajoutée, conciliant les enjeux environnementaux et économiques. Le Gabon a adopté des politiques proactives et innovantes, notamment à travers l’imposition de certifications de durabilité pour les concessions forestières, la création 105 de zones de préservation et des investissements dans des systèmes numériques de traçabilité du bois. Les taux de déforestation ont été maintenus à de faibles niveaux au fil des années, et une industrie forestière locale a émergé, affirmant ainsi le statut du Gabon en tant que champion de l’action climatique. Cependant, des défis subsistent, notamment en matière de lutte contre l’exploitation forestière illégale et de la nécessité de monter en gamme dans les chaînes de valeur afin de créer davantage d ’emplois et d’élargir la production durable à d’autres essences que l’Okoumé, ainsi qu’aux produits forestiers non ligneux. À l’avenir, pour préserver ses écosystèmes uniques et pour améliorer la création d’emplois ainsi que les conditions de vie, il serait essentiel d’accélérer et d’approfondir les réformes visant à promouvoir une foresterie durable. Par ailleurs, une approche participative reste nécessaire pour garantir l’inclusion des communautés forestières, de la société civile et du secteur privé dans l’élaboration des politiques forestières. Il existe également de nombreuses opportunités et synergies entre les actions visant à réduire les émissions de carbone et celles visant à réaliser les objectifs de développement, notamment dans des secteurs clés tels que l’énergie. Le Gabon investit dans la production d’énergie hydroélectrique et solaire, en s’appuyant sur son immense potentiel pour élargir son mix d’énergies renouvelables. Ses ressources en eau abondantes peuvent être mises à profit pour produire davantage une énergie plus propre et abordable, tandis que les investissements visant à améliorer la qualité du service et l ’interconnexion des réseaux électriques permettraient de mieux répondre à la demande croissante en énergie. La mise en place de réglementations interdisant le torchage du gaz associé à l’extraction pétrolière pourrait également servir à la fois des objectifs environnementaux et économiques, à travers la diversification des sources d’énergie et la réduction de la dépendance à une production énergétique coûteuse et polluante à base de combustibles fossiles. De même, les investissements dans les transports publics et dans la résilience des infrastructures routières contribueraient à réduire les coûts de transport, à améliorer la connectivité et à limiter la pollution de l’air ainsi que les émissions du secteur des transports. Il serait essentiel d’assurer la viabilité des finances publiques et de mobiliser davantage le secteur privé pour pouvoir mener une action climatique efficace et soutenir une trajectoire de croissance plus élevée. Compte tenu des importants besoins de dépenses du pays et de sa marge budgétaire limitée, il serait nécessaire de prioriser et d’améliorer l’efficacité des dépenses publiques, tout en renforçant la mobilisation des recettes hors pétrole afin de répondre aux besoins de développement et d’adaptation climatique. Les politiques budgétaires vertes peuvent contribuer à la fois aux objectifs budgétaires et environnementaux, telles que les réformes visant à réduire le torchage du gaz et les subventions aux carburants. Par ailleurs, des réformes seront aussi nécessaires pour lever les obstacles à l’investissement privé dans le développement et l’adaptation climatique, notamment à travers des instruments tels que les partenariats public-privé. L’amélioration de la gouvernance et du climat des affaires, en facilitant le commerce, l’accès au crédit, à l’électricité et aux infrastructures de transport, ainsi que le développement d’une main-d’œuvre qualifiée, contribuerait également à attirer les investissements locaux et étrangers. Ces politiques permettraient ainsi de stimuler une croissance plus forte et, par conséquent, de renforcer la résilience économique et climatique du Gabon. L’amélioration des conditions de vie, l’augmentation des revenus et des recettes publiques offriraient aux pouvoirs publics, aux entreprises et aux ménages davantage de ressources pour faire face aux chocs climatiques. Par ailleurs, des opportunités pourraient être explorées afin de mobiliser davantage de financements climatiques à l’avenir, contribuant ainsi aux objectifs environnementaux tout en optimisant les sources de financement. Le Gabon a été un pionnier en matière de politiques environnementales, devenant le premier pays africain à avoir bénéficié d’un financement carbone basé sur les résultats et à émettre une obligation 106 bleue en 2023. Cependant, les paiements reçus restent modestes. À ce jour, le soutien international ne permet pas de compenser de manière adéquate les pays tels que le Gabon pour la préservation de leurs forêts et pour les services climatiques essentiels qu’ils fournissent au reste du monde. Néanmoins, plusieurs options de financement pourraient être envisagées pour mobiliser davantage de soutien international en faveur de l’action climatique, comme traité au Chapitre 4. Tout d’abord, pour être prêt lorsque les financements climatiques internationaux deviendraient plus substantiels et efficaces, il serait important de renforcer la gouvernance, les mécanismes de contrôle interne et les normes, notamment en ce qui concerne les plans de partage des bénéfices. En outre, le Gabon pourrait explorer des mécanismes de financement innovants impliquant les investisseurs privés, les partenaires au développement et les fonds climatiques mondiaux, tels que l’écologisation du fonds souverain, les financements concessionnels et semi-concessionnels, les garanties de portefeuille vert et les prêts liés à la durabilité et à la performance. Enfin, pour être juste, l’agenda climatique doit placer les populations au cœur des priorités du pays. Les stratégies de réforme et les investissements visant à s’adapter aux effets du changement climatique et à en atténuer les impacts doivent être conçus en cohérence avec le contexte de développement du Gabon. Les considérations sociales sont essentielles afin d’éviter que les politiques n’aient des effets négatifs sur la pauvreté et l’inclusion sociale. Les dimensions de genre ainsi que les besoins de certains groupes spécifiques, tels que les populations rurales et les communautés forestières, constituent également des éléments importants d’une politique climatique équitable. Les systèmes de protection sociale pourraient être élargis et renforcés pour contribuer à la réduction de la pauvreté. En y intégrant des aspects liés à la résilience, le Gabon pourrait mieux faire face aux chocs climatiques et autres urgences, tout en apportant un soutien aux ménages vulnérables dans les moments critiques. Des politiques pourraient être conçues pour protéger et accompagner davantage les plus vulnérables, pour renforcer la cohésion sociale et pour créer davantage des opportunités pour l’ensemble de la société, notamment en encourageant une plus grande participation économique et la création d’emplois dans les secteurs vert et bleu. Autrement dit, l’action climatique devrait être une grille de lecture permettant au pays de faire progresser simultanément ses objectifs sociaux et économiques. 107