72579 v1 Perspectives économiques mondiales : incertitudes et vulnérabilités Janvier 2012 Résumé analytique L’économie mondiale traverse une passe dangereuse. Les turbulences financières qui secouent l’Europe se sont en partie propagées à des pays en développement ainsi qu’à d’autres pays à revenu élevé, qui en avaient été jusqu’alors épargnés. Cette contagion a entraîné la hausse des coûts d’emprunt dans de nombreuses régions du monde et tiré vers le bas les marchés boursiers, tandis que les flux de capitaux vers les pays en développement accusaient une chute sévère. L’Europe apparaît être entrée en récession. Dans le même temps, la croissance s’est nettement ralentie dans plusieurs grands pays en développement (le Brésil, l’Inde et, dans une moindre mesure, la Russie, l’Afrique du Sud et la Turquie) par rapport au début de la reprise, principalement du fait des mesures de resserrement mises en place fin 2010 et début 2011 pour combattre la montée des pressions inflationnistes. C’est pourquoi, malgré le redressement de l’activité aux États-Unis et au Japon, la croissance mondiale et le commerce mondial ont fortement marqué le pas. Dans ce contexte, les perspectives sont très incertaines. En janvier 2012, le monde se trouve dans une situation correspondant aux scénarios pessimistes envisagés il y a seulement six mois lors de la publication des Perspectives pour l’économie mondiale de juin. Les prévisions ont donc été largement revues à la baisse dans cette édition. On anticipe maintenant une croissance de l’économie mondiale de 2,5 et 3,1 % en 2012 et 2013 (3,4 et 4 % en utilisant une pondération sur la base de la parité de pouvoir d’achat), contre 3,6 % dans les projections de juin dernier pour les deux années. Les prévisions de croissance des pays à revenu élevé ont été ramenées à 1,4 % en 2012 (- 0,3 % pour les pays de la zone euro, et 2,1 % pour les autres) et 2 % en 2013, contre 2,7 et 2,6 % prévus en juin pour 2012 et 2013 respectivement. La croissance des pays en développement a été revue à la baisse à 5,4 et 6 %, contre des estimations de 6,2 et 6,3 % en juin. Du fait du ralentissement de la croissance, les échanges commerciaux mondiaux, dont l’essor en 2011 est estimé à 6,6 %, ne progresseront que de 4,7 % en 2012, avant de remonter à 6,8 % en 2013. Mais toutes revues à la baisse qu’elles soient, même ces prévisions pourraient être difficiles à atteindre. La récession en Europe et le ralentissement de la croissance dans les pays en développement pourraient se renforcer mutuellement plus que ne l’anticipe le scénario de base, dégradant davantage les performances économiques et compliquant encore les efforts visant à rétablir la confiance des marchés. Il reste que les difficultés de moyen terme que constituent les niveaux élevés d’endettement et les tendances au ralentissement de la croissance dans d’autres pays à revenu élevé n’ont pas été résolues et qu’elles pourraient être à l’origine de chocs défavorables soudains. À cela s’ajoutent le risque de voir les tensions politiques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord perturber les approvisionnements pétroliers, et celui de voir les taux de croissance ralentir brutalement dans un ou plusieurs pays à revenu intermédiaire importants. Si la crise s’étend — pour l’instant, la situation dans les pays à revenu élevé d’Europe est sous contrôle — et que les marchés refusent de prêter à plusieurs autres économies européennes, le bilan risque d’être encore plus critique, avec un PIB mondial inférieur de plus de 4 % aux prévisions du scénario de base. Bien qu’une telle crise, si elle se produisait, aurait l’Europe pour épicentre, les pays en développement en subiraient profondément les effets et verraient leur PIB reculer de 4,2 % d’ici 2013. Page 1 sur 4 Perspectives économiques mondiales : incertitudes et vulnérabilités Janvier 2012 Dans l’éventualité d’une crise grave, la récession pourrait bien s’installer pour plus longtemps qu’en 2008/09 car les pays à revenu élevé n’ont plus les mêmes moyens budgétaires et monétaires qu’à l’époque pour renflouer le système bancaire et stimuler la demande. Même si les pays en développement disposent d’une certaine marge de manœuvre monétaire, ils pourraient être contraints de réduire leurs dépenses de façon procyclique — surtout s’ils ne trouvent plus à financer leurs déficits budgétaires. La contagion s’étend aux pays en développement. La situation dans les pays en développement depuis août 2011 n’est qualitativement plus la même. Les spreads de taux d’intérêt des pays en développement ont augmenté (de 117 points de base en moyenne entre fin juillet 2011 et début janvier 2012) — tout comme ceux de la plupart des pays de la zone euro, dont la France et l’Allemagne, mais aussi hors de la zone euro, à l’instar du Royaume-Uni. Pour les pays en développement, la contagion a été générale. Outre l’augmentation des spreads obligataires et des taux de CDS, les marchés boursiers de ces pays ont perdu 8,5 % de leur valeur depuis la fin juillet. Cette situation, conjuguée à la baisse de 4,2 % des marchés boursiers des pays à revenu élevé, s’est soldée par 6,5 billions de dollars de pertes de richesse, soit 9,5 % du PIB mondial. D’autre part, et peut-être surtout, il y a eu un coup de frein sur les flux de capitaux vers les pays en développement, les investisseurs ayant retiré des sommes importantes des marchés de ces pays au second semestre. Au total, les flux de capitaux bruts vers les pays en développement ont plongé à 170 milliards de dollars au second semestre 2011, soit 55 % seulement des 309 milliards de dollars reçus pendant la même période en 2010. Les émissions d’actions ont chuté de 80 % à 25 milliards de dollars, la Chine et le Brésil étant particulièrement touchés. Les émissions obligataires ont été divisées par près de deux pour s’établir à 55 milliards de dollars, en raison d’une baisse importante en Asie de l’Est et dans les économies émergentes d’Europe. Le recul a été nettement moins marqué dans le secteur des prêts bancaires syndiqués qui, il est vrai, était resté très atone depuis la crise de 2008/09. Les effets sur l’économie réelle des turbulences apparues depuis le mois d’août ne sont pas très faciles à apprécier, notamment parce que le ralentissement de la croissance de la production industrielle dans plusieurs grands pays à revenu intermédiaire est antérieur à la résurgence des tensions financières en août. L’activité économique s’est en fait accélérée en Europe et Asie centrale, aux États-Unis et au Japon depuis le mois d’août. En revanche, le commerce mondial pourrait avoir été plus clairement touché par les turbulences et les difficultés en Europe au second semestre. Le volume des échanges mondiaux a baissé de 8 % en taux annualisé entre début août et fin octobre 2011, pour une grande part du fait d’un déclin des importations européennes de 17 % en taux annualisé. Les exportations des pays en développement ont reculé de 1,3 % en taux annualisé au troisième trimestre 2011 et ont continué de diminuer jusqu’en novembre, avec des baisses particulièrement sensibles en Asie du Sud (après une forte poussée des exportations au premier semestre de l’année). Les exportations de l’Asie de l’Est ont également accusé des diminutions à deux chiffres en taux annualisé, dues en partie aux inondations en Thaïlande qui ont perturbé les chaînes d’approvisionnement. Les pays en développement sont plus vulnérables qu’en 2008. Quelles que soient les performances qui seront effectivement enregistrées par l’économie mondiale en 2012 et 2013, il y a un certain nombre de facteurs qui entreront assurément en jeu. En premier lieu, la croissance sera faible dans les pays à revenu élevé qui auront fort à faire à remettre d’aplomb leurs secteurs financiers et leurs équilibres budgétaires mal en point. Les pays en développement devront de plus en plus rechercher la croissance du côté du monde en développement, une évolution qui s’est déjà amorcée mais qui apportera certainement son propre lot de difficultés. Page 2 sur 4 Perspectives économiques mondiales : incertitudes et vulnérabilités Janvier 2012 L’un des éléments les plus positifs de la récession de 2008/09 a été la vitesse à laquelle les pays en développement sont sortis de la crise (en dehors de l’Europe centrale et orientale). En 2010, 53 % des pays en développement avaient retrouvé des niveaux d’activité proches de leur potentiel de production estimé, voire supérieurs. Cette fois-ci, les pays en développement apparaîtront plus vulnérables en cas de détérioration soudaine de la conjoncture mondiale. Même si, d’une manière générale, les pays en développement sont en meilleure santé budgétaire que les pays à revenu élevé, les équilibres publics se sont aggravés de 2 % du PIB ou plus dans près de 44 % des pays en développement, et quelque 27 pays en développement affichent un déficit public supérieur ou égal à 5 % du PIB en 2012. Par conséquent, les pays en développement disposent d’une latitude budgétaire beaucoup plus réduite pour faire face à une nouvelle crise. Si la situation devait se dégrader dans les pays à revenu élevé et une seconde crise mondiale survenir, les pays en développement se trouveraient face à une nette diminution des capitaux disponibles, des opportunités commerciales restreintes et des soutiens financiers réduits à l’activité privée comme publique. Dans ces conditions, des perspectives et des taux de croissance qui semblaient relativement atteignables durant la première décennie du millénaire pourraient devenir beaucoup plus difficiles à concrétiser au cours de la seconde, et les fragilités restées sous-jacentes pendant la période d’expansion pourraient remonter à la surface et nécessiter des mesures de politique publique. Dans cette conjoncture hautement incertaine, les pays en développement ont tout intérêt à évaluer leurs vulnérabilités et préparer des plans d’intervention en prévision d’un ralentissement économique. • En cas d’immobilisme des marchés financiers mondiaux, les États et les entreprises pourraient être dans l’incapacité de financer leurs déficits croissants. Les pays doivent prévoir des plans d’intervention donnant une place prioritaire aux filets de protection sociale et aux dépenses d’infrastructure afin d’assurer leur croissance à long terme. Les pays en développement dont les besoins de financement externe dépassent les 5 % du PIB risquent d’être dans une situation particulièrement délicate. Pour éviter une réduction brutale des dépenses publiques et privées, ils doivent préfinancer ce qui peut l’être. • Une nouvelle crise financière pourrait accélérer le processus de désendettement en cours dans le secteur financier. Plusieurs pays d’Europe orientale et d’Asie centrale dépendants de grands groupes bancaires européens sont plus spécialement exposés au risque d’une diminution soudaine des financements de gros et de l’activité des banques intérieures. Le désendettement des banques dans les pays à revenu élevé pourrait entraîner la vente forcée de filiales étrangères et avoir des répercussions sur la valorisation des banques à capitaux étrangers ou nationaux dans les pays ayant une importante présence étrangère. Et le fléchissement de la croissance conjugué à la détérioration des prix des actifs pourrait rapidement augmenter le nombre de prêts improductifs dans l’ensemble du monde en développement. Pour éviter des crises bancaires internes, les pays doivent soumettre leurs banques à des tests de résistance. • Une crise grave dans les pays à revenu élevé pourrait mettre à rude épreuve la balance des paiements et les comptes publics des pays fortement dépendants des exportations de produits de base et des envois de fonds de l’étranger. Une crise sévère pourrait entraîner une diminution de 6 %, voire davantage, des envois de fonds vers les pays en développement, dont les effets seraient particulièrement préoccupants dans les 24 pays où les envois de fonds représentent 10 % voire plus du PIB. Les pays exportateurs de pétrole ou de métaux seraient aussi touchés en cas de crise majeure. Les principaux d’entre eux pourraient voir leurs équilibres budgétaires se détériorer de 4 % du PIB ou plus. Une baisse des prix des produits alimentaires réduirait les revenus des producteurs (en partie Page 3 sur 4 Perspectives économiques mondiales : incertitudes et vulnérabilités Janvier 2012 compensé par la baisse du prix du pétrole et des engrais), mais elle bénéficierait aux consommateurs. Tableau 1.1 Synthèse des prévisions m ondiales (variation en pourcentage par rapport à l'année précédente, sauf pour les taux d'intérêt et le prix du pétrole) 2009 2010 2011e 2012p 2013p Conditions mondiales Volumes commerciaux mondiaux (biens et services non facteurs) -10.6 12.4 6.6 4.7 6.8 Prix des produits de base (en dollars) Produits de base autre que le pétrole -22.0 22.4 20.7 -9.3 -3.3 Prix du pétrole (dollars/baril) 61.8 79.0 104.0 98.2 97.1 Flux de capitaux internationaux à destination des pay s en développement (% du PIB) Pays en développement Entrées de capitaux privés et officiels nets 4.2 5.8 4.5 Entrées nettes de capitaux privés (actions + dettes) 3.7 5.4 4.3 3.3 3.7 Asie de l'Est et Pacifique 3.7 6.0 4.7 3.4 3.7 Europe et Asie centrale 2.7 5.0 3.6 2.0 2.9 Amérique latine et Caraïbes 3.9 6.0 4.8 4.1 4.3 M oyen-Orient et A frique du Nord 2.8 2.4 2.0 1.2 1.6 Asie du Sud 4.6 5.0 3.9 3.3 3.7 Afrique subsaharienne 4.0 3.7 3.9 3.5 4.4 Croissance du PIB réel 5 Monde -2.3 4.1 2.7 2.5 3.1 Éléments du mémorandum : M onde (pondérations en PPA ) -0.9 5.0 3.7 3.4 4.0 Revenu élevé -3.7 3.0 1.6 1.4 2.0 Zone euro -4.2 1.7 1.6 -0.3 1.1 Japon -5.5 4.5 -0.9 1.9 1.6 États-U nis -3.5 3.0 1.7 2.2 2.4 Pays en Développem ent 2.0 7.3 6.0 5.4 6.0 Asie de l'Est et Pacifique 7.5 9.7 8.2 7.8 7.8 Europe et Asie centrale -6.5 5.2 5.3 3.2 4.0 Amérique latine et Caraïbes -2.0 6.0 4.2 3.6 4.2 M oyen-Orient et A frique du Nord 4.0 3.6 1.7 2.3 3.2 Asie du Sud 6.1 9.1 6.6 5.8 7.1 Afrique subsaharienne 2.0 4.8 4.9 5.3 5.6 Source : Banque mondiale. Notes : PPA = parité de pouvoir d’achat ; e = estimations ; f = prévisions 1. Moyenne simple des prix du brut de Dubaï, du Brent et du West Texas Intermediate. 2. Taux de croissance agrégés calculés en utilisant des pondérations du PIB en USD constants de 2005. 3. Calculés en utilisant des pondérations en parité de pouvoirs d’achat (PPA) de 2005. Page 4 sur 4