ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 2023 FEUILLE DE ROUTE POUR LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Octobre 2023 INSTITUT CENTRAFRICAIN DES STATISTIQUES ET DES ETUDES ECONOMIQUES ET SOCIALES © 2023 La Banque mondiale 1818 H Street NW, Washington DC 20433, USA Téléphone : (+1) 202-473-1000 Internet : https://www.banquemondiale.org/fr/home Certains droits réservés Le présent ouvrage est le produit du personnel de la Banque mondiale. Les résultats, interprétations et conclusions exprimés dans le présent ouvrage ne reflètent pas nécessairement les opinions des administrateurs de la Banque mondiale ni des gouvernements qu’ils représentent. La Banque mondiale ne garantit pas l’exactitude des données incluses dans le présent ouvrage. 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La Banque mondiale ne saurait être tenue pour responsable de tout contenu ou erreur figurant dans la traduction. REMERCIEMENTS Cette évaluation de la pauvreté s’appuie sur des données collectées sans precedantes, par l’Institut centrafricain des statistiques et des études économiques et sociales (ICASEES) avec le soutien du ministère de l’économie, du Plan et de la Coopération internationale et en collaboration avec la Banque mondiale, le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et le Centre commun de données sur les déplacements forcés. L’Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages (EHCVM) de 2021, qui en a résulté, a permis de recueillir des informations essentielles sur les conditions de vie des ménages en République centrafricaine (RCA), y compris pour la population déplacée du pays. Ce rapport présente l’analyse entreprise depuis que l’ICASEES a officiellement lancé les estimations de la pauvreté en RCA en février 2023. Cette évaluation de la pauvreté a été réalisée sous la direction de Gervais Chamberlin Yama (Statisticien, EAWPV) et Jonathan Lain (Économiste, EAWPV). L’équipe principale chargée de l’évaluation était composée de Harriet Kasidi Mugera (Spécialiste principale des données, DECAT), Walker Kosmidou‑Bradley (Géographe, EAWPV), et Davy Mokosso‑Zirimako (Consultant, EAWPV). Le rapport a été préparé avec l’aide d’Ambar Narayan (Économiste en chef, EAWPV) et de Clarence Tsimpo Nkengne (Économiste principal, EAWPV), sous la supervision de Johan Mistiaen (Chef de service aux Pôles mondiaux d’expertise, EAWPV), Guido Rurangwa (Représentant résident, AWMCF), et Elisabeth Huybens (Directrice des opérations par intérim, et Directrice de la stratégie et des opérations, AFWPV). L’analyse repose sur le calcul de l’agrégat de consommation et du seuil de pauvreté effectué à partir des données de l’EHCVM 2021. Ces calculs ont été préparés par Martin Mba (Consultant, EAWPV) sous la direction de Prospere R. Backiny‑Yetna (Économiste principal, EAWPV). L’examen de l’amélioration de la qualité (QER), entrepris par Elizabeth Foster (Economiste, EAWPV) et Rostand Tchouakam Mbouendeu (Temporaire, EAWPV) et revu par Yele Batana (Economiste principal, EAWPV) et Aboudrahyme Savadogo (Economiste, EAWPV) a contribué à améliorer ces calculs. De nombreuses sections du rapport ont bénéficié de contributions analytiques spécifiques. Didérot Guy D’Estaing Sandjong Tomi (Économiste, EAWM2) et Pierre Mandon (Économiste, EAWM2) ont fourni des estimations et des prévisions macroéconomiques pour les chapitres 1 et 2. Sandra Segovia (Consultante, EPVGE) a élaboré la carte de la pauvreté à petite échelle pour le chapitre 2. Katja Vinha (Consultante, SAWW1) a entrepris l’analyse de la vulnérabilité dans le chapitre 3. Regina Pleninger (Économiste, EFIAT) a réalisé l’analyse reliant les données des enquêtes auprès des ménages et les données géospatiales du chapitre 6. Carla Solis Uehara (Consultante, SCCDR) a participer à l’analyse géospatiale du chapitre 6. Le rapport a été évalué par Ruth Hill (Économiste en chef, EPVGE), Obert Pimhidzai (Économiste principal, EAEPV) et Paul Absalon (responsable régional du développement, HCR). Melany Markham (Spécialiste de la communication d’urgence, HCR) a suggéré quelques modifications d’ordre éditorial pour le résumé analytique. Le rapport a bénéficié de la contribution, lors d’un atelier de relecture, des institutions de la République, des ministères sectoriels et autres structures : la Présidence, l’Assemblée nationale, la Primature, la Haute autorité pour la bonne gouvernance, le Conseil supérieur de la communication, le Haut‑commissariat à la décentralisation, le Conseil national de la médiation, le Conseil économique et social, le Haut‑commissariat à la jeunesse pionnière, le ministère chargé de l’Enseignement supérieur, le ministère chargé de la Santé, le ministère chargé des Finances et du Budget, le ministère chargé du Plan et l’Économie et de la Coopération, le ministère de l’Agriculture, la Cellule de suivi des réformes économiques et sociales, l’ICASEES et le Plan de relèvement et de consolidation de la paix en Centrafricaine (RCPCA). La photo de couverture est attribuée à Vincent Tremeau. Ce rapport a été rendu possible grâce au soutien financier du Centre commun de données sur les déplacements forcés. 4 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE TABLE DES MATIÈRES Remerciements..............................................................................................................................................................................3 Préface ............................................................................................................................................................................................ 7 Liste des sigles et des acronymes ...........................................................................................................................................8 Résumé analytique.....................................................................................................................................................................10 RA 1.  La République centrafricaine est confrontée à de graves problèmes de développement.............................11 RA 2.  La pauvreté en République centrafricaine est profonde et généralisée.................................................................12 RA 3.  Un seul choc suffirait à faire basculer presque tous les Centrafricains dans la pauvreté.............................15 RA 4.  Le chevauchement de la pauvreté monétaire et de la pauvreté non monétaire aggrave les privations.......................................................................................................................................................................15 RA 5.  L’agriculture est essentielle aux moyens de subsistance, mais elle ne permet pas de sortir de la pauvreté ......................................................................................................................................................... 16 RA 6.  L’amélioration de l’accès aux services et aux infrastructures est une condition préalable à la réduction de la pauvreté .................................................................................................................................17 RA 7.  Des politiques pour dynamiser la réduction de la pauvreté......................................................................................... 18 1.  La République centrafricaine fait face à de graves problèmes de développement.............................................22 1. 1.   La faible croissance et les crises politiques plombent la République centrafricaine depuis des décennies........................................................................................................ 24 1. 2.   Les caractéristiques structurelles de l’économie centrafricaine freinent la croissance inclusive ....................25 1. 3.   Le changement climatique, la COVID‑19 et la flambée des prix constituent de nouvelles menaces pour la réduction de la pauvreté...............................................................................................31 1. 4.   De nouvelles microdonnées encore jamais utilisées peuvent contribuer au développement de stratégies de réduction de la pauvreté en République centrafricaine............................................................. 32 1. 5.   Structure de l’évaluation de la pauvreté............................................................................................................................... 34 2.  La pauvreté généralisée et profonde qui sévit en République centrafricaine place de nombreuses personnes en situation de pauvreté alimentaire..........................................................................................................35 2. 1.   Exploitation de nouvelles données d’enquête pour l’analyse des conditions de vie en République centrafricaine....................................................................................................................................................... 37 2. 2.   Comment mesurer la pauvreté en République centrafricaine...................................................................................38 2. 3.   La pauvreté généralisée et profonde qui sévit en République centrafricaine place plus de la moitié de la population en situation de pauvreté alimentaire............................................................ 42 2. 4.   La République centrafricaine affiche l’un des taux de pauvreté les plus élevés au monde......................44 2. 5.   Les inégalités globales sont modérées en République centrafricaine, mais elles cachent d’importantes disparités entre les différents types de ménages..............................................................................46 2. 6.   Profil des pauvres en République centrafricaine.............................................................................................................. 47 2. 7.   La réduction de la pauvreté devrait rester modérée ...................................................................................................... 54 2. 8.   Prendre en compte la dynamique de la pauvreté et de la vulnérabilité..............................................................56 Annexe 2.1.  Réalisation d’une carte de la pauvreté en République centrafricaine����������������������������������������������������� 57 Annexe 2.2.  Régression supplémentaire du profil de pauvreté�������������������������������������������������������������������������������������������� 60 Annexe 2.3.  Estimations et prévisions de croissance utilisées pour les projections de pauvreté����������������������� 61 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 5 3.  Un seul choc suffirait à faire basculer presque tous les Centrafricains dans la pauvreté..................................62 3. 1.   Utiliser la variance de la consommation pour évaluer la vulnérabilité.................................................................64 3. 2.   La quasi‑totalité des Centrafricains sont vulnérables à la pauvreté globale et plus de trois quarts à la pauvreté alimentaire..............................................................................................................66 3. 3.   Le profil de vulnérabilité suit celui de la pauvreté..........................................................................................................68 3. 4.   La vulnérabilité aux chocs au niveau des ménages est plus élevée que celle aux chocs affectant l’ensemble de la communauté................................................................................................................................ 70 3. 5.   La République centrafricaine est confrontée à de nombreux chocs, principalement dus à des conflits.........................................................................................................................................................................................71 3. 6.   Les stratégies utilisées par les Centrafricains pour faire face aux chocs pourraient les maintenir dans la pauvreté.................................................................................................................................................... 75 3. 7.   Les systèmes de protection sociale doivent être renforcés en raison de la pauvreté et de la vulnérabilité généralisées.............................................................................................................................................77 3. 8.   Prendre en compte les indicateurs non monétaires pour briser l’engrenage de la pauvreté et de la vulnérabilité......................................................................................................................................................................... 79 Annexe 3.1.  Utiliser la variance de la consommation pour cerner la vulnérabilité — l’approche multiniveaux (ou hiérarchique à deux niveaux)���������������������������������������������������������������������������������������������������������������� 80 4.  Pour de nombreux Centrafricains, la pauvreté monétaire et la pauvreté non monétaire coïncident, ce qui aggrave les privations..............................................................................................................................................83 4. 1.   Les indicateurs non monétaires des conditions de vie peuvent fournir une image plus complète de la pauvreté en République centrafricaine.......................................................................................85 4. 2.   Les privations non monétaires sont très répandues en République centrafricaine, en particulier dans les zones rurales....................................................................................................................................... 87 4. 3.   Environ huit Centrafricains sur dix sont en situation de pauvreté multidimensionnelle............................88 4. 4.   Les chevauchements observés entre les différentes dimensions de la pauvreté sont importants en République centrafricaine................................................................................................................... 91 4. 5.   L’interaction entre la pauvreté monétaire et la pauvreté non monétaire fournit des indications utiles aux décideurs politiques................................................................................................................. 93 4. 6.   Les progrès en matière de pauvreté non monétaire ont été mitigés et la situation diffère selon les régions de la République centrafricaine............................................................................................................95 4. 7.   Du capital humain aux moyens de subsistance................................................................................................................. 97 5.  L‘agriculture est essentielle moyens de subsistance en République centrafricaine, mais elle ne permet pas de sortir de la pauvreté........................................................................................................ 98 5. 1.   La République centrafricaine dispose d‘une population jeune, potentiellement prête à travailler.............100 5. 2.   Le travail est la principale source de revenus des Centrafricains..........................................................................100 5. 3.   Le travail seul ne permet pas de sortir de la pauvreté................................................................................................102 5. 4.   Les emplois les plus susceptibles de sortir les centrafricains de la pauvreté sont rares..........................104 5. 5.   Les moyens de subsistance ne sont pas les mêmes pour les femmes et les hommes.............................. 107 5. 6.   L‘agriculture est le principal employeur de la République centrafricaine, mais elle est confrontée à plusieurs contraintes majeures.......................................................................................108 5. 7.   Jeter les bases de moyens de subsistance plus productifs........................................................................................ 114 6 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 6.  L‘accès aux services et aux infrastructures doit être amélioré pour servir de base à la réduction de la pauvreté............................................................................................................................................ 115 6. 1.   Des données géospatiales éclairent l‘accès aux services et aux infrastructures de base...........................117 6. 2.   De nombreux Centrafricains auraient du mal à se rendre dans les écoles et les centres de soins.............. 117 6. 3.   Les Centrafricains dépendent davantage des établissements publics que des établissements privés...................................................................................................................................................121 6. 4.   Si de nombreux Centrafricains peuvent se rendre aux points d‘eau, l‘approvisionnement en électricité et le réseau routier peuvent faire défaut................................................................................................ 123 6. 5.   Le manque d‘accès physique aux services est fortement lié au capital humain, un élément clé de la réduction de la pauvreté.................................................................................................................................................. 125 6. 6.   L‘accès physique limité aux services est associé à une plus grande pauvreté.................................................127 6. 7.   Aider les décideurs politiques à construire des pistes de solutions pour la réduction de la pauvreté.................................................................................................................................................................................... 129 7.  Stratégies de réduction de la pauvreté en République centrafricaine..................................................................130 7. 1.   La généralisation et l’aggravation de la pauvreté appellent des mesures politiques immédiates.................132 7. 2.   La promotion de la paix, de la sécurité et de la bonne gouvernance reste essentielle.............................. 133 7. 3.   La réduction de la pauvreté passe par une relance de la croissance et un accroissement de la marge de manœuvre budgétaire.................................................................................................................................. 133 7. 4.   Capital humain, productivité agricole et infrastructures — moteurs d’une croissance inclusive et de la réduction de la pauvreté........................................................................................................................ 135 7. 5.   Les Centrafricains les plus pauvres ne peuvent pas attendre et doivent bénéficier d’urgence des filets de protection sociale........................................................................................................................... 139 7. 6.   Rôle des données dans le renforcement de la redevabilité et l’orientation des nouvelles politiques............................................................................................................................................................... 143 Bibliographie..............................................................................................................................................................................145 PRÉFACE La lutte contre la pauvreté et ses conséquences sont l’une des priorités du gouvernement depuis de nombreuses années. On peut le constater dans les différents plans nationaux élaborés, à la suite du Sommet Social de Copenhague (Norvège) tenu en 1995, avec l’appui technique et financier des Partenaires au développement du pays. Même si ces plans, comme les Documents de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP), ont donné quelques résultats encourageants, la pauvreté n’a pas été réduite de façon sensible du fait que la République Centrafricaine (RCA) n’avait pas encore une expérience soutenue de collecte et de suivi des données socioéconomiques pour (i) faire une analyse fine de la nature de la pauvreté, et, (ii) permettre d’appréhender certaines caractéristiques de ce phénomène multidimensionnel. Aujourd’hui, la situation en matière de statistiques s’est nettement améliorée du fait de la création de l’Institut Centrafricain des Statistiques et des Etudes Economiques et Sociales (ICASEES) et des services statistiques sectoriels qui ont permis de disposer de données pertinentes, cohérentes, exhaustives, fiables, diversifiées et actualisées sur les conditions de vie des populations. Le présent rapport sur l’Evaluation de la pauvreté en République Centrafricaine en donne une belle illustration. En effet, présenté sous la forme d’une feuille de route, le rapport vient à point nommé pour fournir aux décideurs, les éléments nécessaires pour, d’une part, mieux comprendre les conditions et le cadre de vie fragilisés de la population par les crises récurrentes, et faire le point sur les vecteurs de la dégradation du niveau de vie des populations et des pistes de solutions appropriées, d’autre part. Les conditions de vie en RCA telles que décrites dans ce rapport sont préoccupantes et risqueraient de compromettre un certain nombre de possibilités et d’actions pour un développement harmonieux du pays. A titre de rappel, la RCA était classée en 2022 au 188ème rang sur 191 pays dans l’IDH ; et, le rapport montre que 68,8 % des Centrafricains vivent en dessous du seuil national de pauvreté et environ 9 sur 10 risquent de tomber dans la pauvreté ou de voir leurs situations s’aggraver bien qu’en étant déjà pauvres. Afin de lutter contre ce fléau qu’est la pauvreté, le Gouvernement a lancé dès le retour à la légalité constitutionnelle le 30 mars 2016, le processus d’élaboration du Plan National de Relèvement et de Consolidation de la Paix en Centrafrique et du Cadre d’Engagement Mutuel (RCPCA‑CEM). Sur la base des enseignements de la mise en œuvre de ce plan et à la lumière des informations disponibles, notamment celles présentées par le rapport sur l’Evaluation de la pauvreté en République Centrafricaine, le Gouvernement pourra fonder sa stratégie à moyen terme, à travers le Plan National de Développement (PND‑RCA) sur la période 2024–2028. Il la fondera sur la promotion de la croissance économique et la réduction de la pauvreté, dans un environnement garantissant la poursuite de l’amélioration du système d’information statistique et son utilisation pour la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques économiques et sociales. J’encourage tous les acteurs étatiques et tous les partenaires au développement à s’approprier ce précieux document, à faire part de leurs préoccupations au Ministère de l’Économie, du Plan et de la Coopération Internationale à travers l’ICASEES, et à en faire un bon usage. LISTE DES SIGLES ET DES ACRONYMES ACLED Projet sur la collecte et l’analyse de données relatives à localisation et aux faits de  conflits armés APD Aide publique au développement CEMAC Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale ECASEB Enquête centrafricaine pour le suivi et évaluation du bien‑être EAWPV Pôle mondial d’expertise de la Banque mondiale pour la région  Afrique de l’Ouest et Afrique centrale EHCVM Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages ENA Enquête nationale agricole FAO Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture FEWS NET Système d’alerte rapide aux risques de famine FMI Fonds monétaire international GERICS Centre allemand de services climatiques GRID3 Infrastructure géoréférencée et données démographiques pour le développement  HCR Haut‑Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ICASEES Institut centrafricain des statistiques et des études économiques et sociales ICH Indice du capital humain IDMC Observatoire des situations de déplacement interne IPC Indice des prix à la consommation IPM Indice de pauvreté multidimensionnelle IRIS Recommandations internationales sur les statistiques relatives aux déplacés ITIE Initiative pour la transparence dans les industries extractives MEPCI Ministère de l’économie, du Plan et de la Coopération internationale MFMOD Modèle macroéconomique mondial MICS Enquête en grappes à indicateurs multiples MPM Mesure de la pauvreté multidimensionnelle ND‑GAIN Indice mondial d’adaptation Notre‑Dame NPK Engrais azotés, phosphorés ou potassiques OCHA Bureau de la coordination des affaires humanitaires OEC Observatoire de la complexité économique OIM Organisation internationale pour les migrations ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 9 OIT Organisation internationale du Travail ONG Organisation non gouvernementale OPHI Oxford Poverty and Human Development Initiative PACAD Projet d’Appui aux communautés affectées par le déplacement PAM Programme alimentaire mondial PDI Personnes déplacées à l’intérieur de son propre pays PIB Produit intérieur brut PNUD Programme des Nations Unies pour le développement PPA Parité de pouvoir d’achat PTF Productivité totale des facteurs RCA République centrafricaine RCPCA Plan de relèvement et de consolidation de la paix en République centrafricaine RNB Revenu national brut SCA Score de consommation alimentaire SCPK Système de certification du processus de Kimberley USAID Agence des États‑Unis pour le développement international USCRI Comité des États-Unis pour les réfugiés et les immigrants USD Dollar des États‑Unis USDA Ministère de l’Agriculture des États‑Unis WASH Eau, assainissement et hygiène FCFA Franc CFA de la Coopération économique et monétaire en Afrique centrale XGBOOST Extreme Gradient Boosting ZLECA Zone de libre‑échange continentale africaine RÉSUMÉ ANALYTIQUE Ce rapport, la toute première évaluation de la pauvreté en République centrafricaine (RCA), s’appuie sur des microdonnées pour proposer des stratégies réalistes visant à sortir les Centrafricains de la pauvreté. La République centrafricaine doit impérativement se doter de politiques de réduction de la pauvreté pour faire face aux nombreux obstacles au développement — notamment la persistance d’une faible croissance, les conflits et les déplacements de population, ainsi que les menaces croissantes posées par le changement climatique. Conçu pour éclairer ces politiques, ce rapport s’inspire principalement de l’Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages (EHCVM) de 2021, la première enquête sur les ménages en mesure d’évaluer le niveau de pauvreté en RCA depuis plus d’une décennie. Il présente les principales statistiques sur la pauvreté et les inégalités en RCA, en utilisant la stratégie d’échantillonnage unique de l’EHCVM afin de tenir compte des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI). L’analyse va au‑delà des seules considérations de la pauvreté monétaire, elle évalue l’étendue des privations non monétaires en RCA, examine les contraintes sur le développement du capital humain, et envisage le rôle que les moyens de subsistance — en particulier dans l’agriculture — peuvent jouer pour sortir les populations de la pauvreté. Grâce à des données géospatiales, les résultats sont également associés à des indicateurs d’accès physique aux écoles et aux Structures Centres des soins, ainsi qu’à des éléments clés de l’infrastructure de base. Ce résumé analytique met en lumière les principales conclusions de l’évaluation de la pauvreté et décrit les politiques qui permettront à la République centrafricaine de s’engager sur la voie de la réduction de la pauvreté. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 11 RA 1.  LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE EST CONFRONTÉE À DE GRAVES PROBLÈMES DE DÉVELOPPEMENT La faible croissance du pays et les turbulences politiques auxquelles il a été confronté expliquent que le PIB par habitant de la République centrafricaine soit l’un des plus bas du monde. Depuis son accession à l’indépendance en 1960, la RCA a connu sept tentatives de coups d’État, dont cinq ont abouti à un changement de gouvernement, avec seulement deux transitions démocratiques (Kouame, 2022). Cette situation ne s’est pas révélée propice à la croissance. Le produit intérieur brut (PIB) par habitant est aujourd’hui inférieur aux deux tiers de ce qu’il était dans les années 1960. C’est au moment de l’éclatement du conflit politico‑militaire à la fin de l’année 2012 que la baisse du PIB par habitant a été la plus forte. En 2021, la RCA avait le PIB par habitant le plus bas de tous les pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), soit 371 dollars, au taux de 2015. Cela représente environ un cinquième de la moyenne pour la région de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale et environ un quart de la moyenne pour l’Afrique subsaharienne. Au moins huit caractéristiques structurelles de l’économie centrafricaine entravent la croissance inclusive nécessaire à la réduction de la pauvreté. En particulier : 1. La géographie de la RCA peut être un frein à la croissance : le pays est enclavé, ce qui rend le commerce 000 m2 pour une population plus difficile, et se caractérise par une faible densité de population (623  de 6,1 millions d’habitants). Certains habitants ruraux éloignés ont donc parfois du mal à accéder aux services et aux marchés, tandis que les exploitations agricoles ou d’autres entreprises peuvent avoir des accès limités aux marchés. 2. Les conflits, alimentés en partie par la concurrence pour l’accès aux ressources naturelles, perdurent et sont la cause directe de décès et de violences basées sur le genre ; cette situation perturbe les moyens de subsistance et les investissements dans le capital physique et humain, et enferme les populations dans la pauvreté génération après génération. 3. Les conflits sont à l’origine de déplacement de population : environ 700 000 ressortissants centrafricains 000 personnes sont déplacées à l’intérieur de la RCA sont réfugiés dans d’autres pays et environ 500  elle‑même. La situation actuelle de conflit au Soudan risque de déstabiliser davantage la région (UNHCR, 2023) ; ces déplacements peuvent avoir de profondes répercussions sur la pauvreté monétaire et non monétaire, quand bien même des efforts multilatéraux sont déployés pour protéger les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays1. 4. Le pays est doté d’importantes ressources naturelles, mais la mauvaise gestion de celles‑ci peut alimenter les conflits ; une grande partie est exportée à l’état brut, ce qui empêche la création de la valeur ajoutée et donc d’emploi. 5. L’économie est fortement dépendante de l’agriculture, tant pour le PIB que pour les moyens de subsistance, mais la productivité agricole est faible. 6. La RCA est soumise à des restrictions budgétaires, les dépenses publiques dépendant fortement d’un élément fluctuant, à savoir l’aide d’autres pays. 1  Pour des données globales sur les liens entre la pauvreté et les conflits, voir Corral, Irwin, Krishnan, Mahler et Vishwanath (2020). Voir Pape et Sharma (2019) pour des données sur la pauvreté et les déplacements. 12 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 7. Le cadre institutionnel et réglementaire empêche la concurrence et, par conséquent, les investissements privés nécessaires à la croissance, à la création d’emplois et à la réduction de la pauvreté. 8. Les investissements consacrés aux deux moteurs fondamentaux de la croissance inclusive et de la réduction de la pauvreté que sont le capital humain et les infrastructures restent insuffisants. La RCA doit également faire face aux effets du changement climatique, de la COVID‑19 et à une inflation brutale. L’agriculture pluviale qui représente la plus importante activité de subsistance de la RCA est déjà perturbée par les effets du changement climatique, comme en témoignent les inondations de 2012, 2017 et 2019. Les projections laissent à penser que les événements météorologiques extrêmes pourraient devenir encore plus fréquents et plus intenses. En outre, la RCA n’a pas été épargnée par les effets de la COVID‑19, d’autant plus que le gouvernement a dû prendre des mesures de confinement drastiques, notamment en fermant les frontières internationales et en réduisant les exportations. Enfin, la guerre entre l’Ukraine et la Russie a entraîné une flambée des prix des principaux aliments de base, qui a été aggravée par des pénuries de carburant en 2022 et au début de 2023. RA 2.  LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE EST PROFONDE ET GÉNÉRALISÉE L’Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages (EHCVM) réalisée en 2021, alors que le pays est confronté à de graves problèmes de développement, permet de mesurer la pauvreté conformément aux meilleures pratiques internationales, y compris en ce qui concerne les populations déplacées. En 2021, l’Institut centrafricain des statistiques et des études économiques et sociales (ICASEES), à travers, l’EHCVM a collecté des données détaillées sur la consommation des ménages. La stratégie d’échantillonnage sans précédent de l’EHCVM tenait explicitement compte des personnes déplacées dans les camps. On mesure les conditions de vie des ménages en faisant la somme de ce qu’ils consomment : cet « agrégat de consommation » est déflaté dans l’espace et dans le temps de manière à pouvoir être comparé à un seuil de pauvreté unique. Le seuil de pauvreté national est établi selon une méthode fondée sur le « coût des besoins fondamentaux », en se basant sur ce 300 calories par personne et par jour, auquel s’ajoutent d’autres biens et services non que coûte l’achat de 2  alimentaires essentiels, tels que l’habillement et le logement. Cette méthode donne un seuil de pauvreté national de 263 485 francs CFA par personne et par an, soit environ 775 dollars en parité de pouvoir d’achat (PPA) de 2017 par personne et par an (ou 2,12 dollars en PPA de 2017 par personne et par jour). Le seuil de pauvreté alimentaire correspondant est de 197 990 francs CFA par personne et par an, soit 582 dollars PPA de 2017 par personne et par an : cela montre combien il faudrait aux ménages pour atteindre le seuil de 2 300 calories par personne et par jour s’ils consacraient l’intégralité de leur revenu à la nourriture. La pauvreté est profonde et généralisée en RCA et plus de la moitié de la population ne mange pas à leur faim. En 2021, environ 68,8 % de la population, soit 4,2 millions de personnes sur une population de 6,1 millions vivaient sous le seuil de pauvreté national (figure 1). Environ 54,9 % de la population, c’est‑à‑dire 3,3 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté alimentaire, ce qui signifie qu’elles ne pouvaient pas se nourrir convenablement, même si elles consacraient la totalité du budget de leur ménage à l’alimentation. La pauvreté alimentaire est une forme particulièrement grave de privation, qui peut être imputée à une productivité agricole insuffisante et à des infrastructures de mauvaise qualité empêchant les denrées alimentaires d’atteindre les bons endroits, ces deux aspects sont examinés en détail dans ce rapport. D’après de simples projections combinant les prévisions de croissance du PIB sectoriel et les données de l’EHCVM, il est peu probable que cette situation évolue beaucoup au cours des cinq prochaines années si les politiques appliquées restent les mêmes. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 13 FIGURE 1.  TAUX DE PAUVRETÉ ET NOMBRE ABSOLU DE PAUVRES EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE SELON LE SEUIL DE PAUVRETÉ NATIONAL ET LE SEUIL DE PAUVRETÉ ALIMENTAIRE NATIONAL A : Taux de pauvreté B : Nombre absolu de pauvres 80 5,0 70 4,5 Nombre absolu de pauvres 4,0 (millions de personnes) 60 3,5 Taux de pauvreté (pourcentage) 50 3,0 40 2,5 68,8 30 2,0 4,2 54,9 1,5 3,3 20 1,0 10 0,5 0 0,0 Global Alimentaire Global Alimentaire Note : La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace de manière à pouvoir être comparée aux seuils de pauvreté nationaux. Le seuil de pauvreté global est de 263 485 francs CFA par personne et par an. Le seuil de pauvreté alimentaire est de 197 990 francs CFA par personne et par an. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. Le taux de pauvreté en RCA est l’un des plus élevés au monde. Pour obtenir des chiffres de pauvreté comparables au niveau international, l’agrégat de consommation est déflaté dans le temps, mais pas dans l’espace, puis ajusté en fonction de l’indice des prix à la consommation (IPC) et des PPA pour tenir compte de l’inflation et des différences de coût de la vie entre les différents pays. Selon cette approche, environ 65,7 % des Centrafricains vivent sous le seuil de pauvreté international de 2,15 dollars en PPA de 2017 (figure 2). Cela signifie que le pays affiche le taux de pauvreté le plus élevé de la CEMAC et que seuls quatre pays, tous situés en Afrique subsaharienne, enregistrent des taux de pauvreté plus élevés. 14 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE FIGURE 2.  TAUX DE PAUVRETÉ AU SEUIL INTERNATIONAL DE PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE ET DANS LES PAYS DE COMPARAISON Taux de pauvreté (pourcentage) 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 Madagascar 80,7 Malawi 70,1 Pays avec les dix taux de pauvreté les plus élevés Congo, Rép. Dem. 69,7 Soudan du sud 67,3 RCA 65,7 Burundi 65,1 Mozambique 64,6 Zambie 61,4 Rwanda 52,0 Niger 50,6 Cameroun 25,7 CEMAC Tchad 30,9 Gabon 2,5 Congo, Rép. 35,4 Note : CEMAC = Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. La consommation est déflatée dans le temps et comparée au seuil de pauvreté international de 2,15 dollars en PPA de 2017 par personne et par jour. Les estimations de la pauvreté présentées sont tirées de la dernière année d’enquête disponible pour chaque pays figurant sur la plateforme Pauvreté et inégalités (PIP) de la Banque mondiale. Les données les plus anciennes sont celles de la République du Congo, qui datent de 201 1. L’Ouzbékistan afficherait l’un des taux de pauvreté les plus élevés s’il était inclus, mais ses dernières estimations datent de 2003 et il n’est donc pas pris en compte. Source : EHCVM 2021, plateforme Pauvreté et inégalités de la Banque mondiale, et estimations de la Banque mondiale. Il existe de grandes disparités spatiales en matière de pauvreté ; la situation est meilleure à Bangui que dans le reste du pays. Le coefficient de Gini de la RCA est de 39,9, ce qui la place à peu près au milieu des pays de la CEMAC, mais il masque les grandes disparités qui existent entre les différentes parties du pays. La pauvreté est marquée par un net clivage urbain‑rural, en grande partie lié au fait que Bangui figure dans les zones urbaines : le taux de pauvreté est de 40,1 % dans la capitale du pays, beaucoup plus bas que la moyenne de toutes les autres régions réunies, où elle est à 73,3 %. Des schémas similaires se dégagent en ce qui concerne la pauvreté alimentaire. En dehors de Bangui, il existe des groupes de communes où la pauvreté est fortement concentrée. Ces résultats soulèvent des questions concernant les politiques appliquées en matière d’inégalité géographique et de décentralisation. Le déplacement est lié à la pauvreté. Le taux de pauvreté des Centrafricains déplacés vivant dans les camps (76,3 %) est plus élevé que celui des ménages non déplacés (68,6 %) et des ménages hors des camps qui accueillent des personnes déplacées (68,0 %). Ces chiffres reflètent le fait que les personnes vivant dans les camps sont confrontées à davantage de chocs et réagissent par des stratégies d’adaptation négatives, ont un capital humain plus faible et des moyens de subsistance plus limités que le reste de la population. Les Centrafricains sont plus susceptibles d’être pauvres lorsqu’ils vivent dans des ménages de grande taille dont les chefs sont moins éduqués et travaillent principalement dans l’agriculture. Cela illustre le lien déterminant entre fécondité et pauvreté, également observé dans d’autres pays, et souligne l’importance de renforcer le capital humain et les moyens de subsistance. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 15 RA 3.  UN SEUL CHOC SUFFIRAIT À FAIRE BASCULER PRESQUE TOUS LES CENTRAFRICAINS DANS LA PAUVRETÉ La vulnérabilité à la pauvreté est généralisée en RCA. La modélisation de la variance de la consommation des ménages montre que 88,6 % des Centrafricains sont vulnérables à la pauvreté, ce qui signifie qu’ils courent un risque de 50 % de se retrouver en dessous du seuil national de pauvreté au cours des deux prochaines années. Quelque 77,2 % des Centrafricains sont également vulnérables à la pauvreté alimentaire. Pratiquement toutes les personnes déplacées vivant dans des camps sont vulnérables à la fois à la pauvreté générale et à la pauvreté alimentaire. Compte tenu de l’étendue de ces vulnérabilités, il est difficile de mettre en place des initiatives ciblées de réduction de la pauvreté. En l’absence de système de protection sociale, les Centrafricains réagissent aux chocs en adoptant des stratégies d’adaptation négatives susceptibles de compromettre leurs conditions de vie à long terme. Environ neuf personnes sur dix étaient membres d’un ménage ayant subi un type de choc négatif au cours des trois années précédant l’EHCVM 2021. Les chocs sécuritaires ont été les plus fréquents, affectant environ 6 Centrafricains sur 10. Près de 3 Centrafricains sur 10 ont subi des chocs liés au climat, notamment des inondations et des sécheresses. La couverture des systèmes de protection sociale est dérisoire par rapport à l’ampleur de la pauvreté et de la vulnérabilité : seul 1,0 % des Centrafricains vivait dans un ménage recevant des transferts monétaires des pouvoirs publics et 14,3 % vivaient dans un ménage bénéficiant d’aides alimentaires. Les Centrafricains ont par conséquent adopté des stratégies d’adaptation, allant parfois jusqu’à réduire leur consommation alimentaire, qui ont pu se traduire par un affaiblissement des investissements dans le capital physique et humain. RA 4.  LE CHEVAUCHEMENT DE LA PAUVRETÉ MONÉTAIRE ET DE LA PAUVRETÉ NON MONÉTAIRE AGGRAVE LES PRIVATIONS Certaines privations non monétaires sont même plus répandues que la pauvreté monétaire. Les indicateurs de pauvreté non monétaires rendent compte d‘éléments clés de la qualité de vie que l’argent ne peut pas nécessairement acheter, notamment l’accès à l’éducation et aux infrastructures de base telles que l’eau, assainissement et électricité. Ces indicateurs ont une incidence sur le capital humain, qui a des conséquences à long terme et intergénérationnelles sur la réduction de la pauvreté. Le taux net de scolarisation dans le secondaire n’était que de 16,3 % en 2018. En 2021, 69,6 % des Centrafricains vivaient sans installations sanitaires même rudimentaires et 87,7 % n’avaient pas accès à l’électricité. Les progrès sur les marqueurs non monétaires des conditions de vie ont été mitigés et des divergences substantielles ont été observées entre Bangui et le reste du pays. La plupart des indicateurs de pauvreté non monétaire sont moins bons pour les personnes déplacées vivant dans des camps que pour les ménages non déplacés et les ménages déplacés vivant hors des camps. Le taux de scolarisation et le niveau d’éducation, ainsi que l’accès à l’électricité, sont plus faibles pour les personnes déplacées vivant dans des camps. L’inverse se vérifie pour l’accès à l’eau et à l’assainissement, qui est généralement meilleur dans les camps. Si le fait de vivre dans des camps est généralement associé à une plus grande pauvreté, certains services peuvent y être fournis plus facilement et plus directement. Les privations monétaires et non monétaires se chevauchent dans une large mesure, de sorte que les interventions compensatoires pourraient être « regroupées ». Cela signifie qu’il faut s’attaquer simultanément aux différentes contraintes liées à l’éducation et à la santé, aux infrastructures de base et à la pauvreté 16 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE monétaire pour les mêmes ménages. En outre, le développement du capital humain et des infrastructures de base pourrait réduire la pauvreté monétaire. L’accès à l’électricité est très faible en RCA, mais le taux de pauvreté monétaire est inférieur de 34,6 points de pourcentage pour ceux qui ont accès à l’électricité par rapport à ceux qui n’y ont pas accès, ce qui fait écho aux données mondiales suggérant que l’électrification favorise les moyens de subsistance et l’accumulation de ressources. La concomitance de la pauvreté monétaire et des privations en matière d’éducation et d’infrastructures de base soulignent également l’ampleur et la gravité de la pauvreté multidimensionnelle en RCA. Le développement du capital humain, parallèlement à d’autres initiatives visant à réduire la pauvreté monétaire, pourrait avoir des effets transformateurs sur les ménages, et les aider à échapper aux pièges de la pauvreté à long terme. Cet aspect est d’autant plus important que le faible taux de scolarisation et d’apprentissage, le retard de croissance et d’autres problèmes de santé affectent directement les enfants centrafricains sur qui repose l’avenir du pays. RA 5.  L’AGRICULTURE EST ESSENTIELLE AUX MOYENS DE SUBSISTANCE, MAIS ELLE NE PERMET PAS DE SORTIR DE LA PAUVRETÉ Il est essentiel de trouver des moyens de subsistance productifs pour exploiter le potentiel de la jeune population centrafricaine ; la question n’est pas tant de savoir si les gens travaillent, mais plutôt ce qu’ils font. Plus des trois quarts de la population centrafricaine sont âgés de moins de 30 ans, ce qui signifie que des millions de Centrafricains sont — ou seront prochainement — en âge de travailler. Investir dans le capital humain ne suffira pas : la RCA devra offrir à ces jeunes des moyens de gagner leur vie pour qu’elle puisse tirer parti de son dividende démographique. Par ailleurs, les jeunes qui n’ont pas de moyens de subsistance productifs peuvent être attirés par les groupes armés, ce qui ne fait qu’alimenter les conflits et la violence (Cramer, 2010). Le travail ne suffit pas à sortir de la pauvreté. En 2021, environ trois quarts des Centrafricains en âge de travailler étaient actifs dans pratiquement tous les déciles de la distribution de la consommation réelle. La réduction de la pauvreté dépend de la recherche de moyens de subsistance productifs. L’agriculture est l’activité la plus courante, mais les activités non‑agricoles seront plus susceptibles de sortir les Centrafricains de la pauvreté. En 2021, 69,2 % de la population active travaillait dans l’agriculture. Cependant, les travailleurs non agricoles se trouvaient de manière disproportionnée dans les déciles supérieurs de la distribution de la consommation. De même, seuls 6,6 % des Centrafricains en âge de travailler avaient exercé une activité salariée au cours des sept jours précédents l’enquête, même si les emplois salariés étaient plus fréquents chez les non‑pauvres. Les Centrafricaines sont aussi très peu nombreuses à occuper des emplois salariés non agricoles, ce qui met en évidence les disparités d’accès aux moyens de subsistance qui existent entre les hommes et les femmes en République centrafricaine. Les contraintes qui pèsent sur la productivité agricole, notamment le manque d’accès aux intrants essentiels et aux marchés, limitent les moyens de subsistance des Centrafricains. La transformation structurelle à grande échelle, grâce à laquelle les travailleurs quitteront les emplois agricoles pour se tourner vers les services ou les secteur industriel, n’interviendra pas avant des années voire des décennies en RCA. Il importe, d’ici là, que les politiques encouragent la productivité agricole et favorisent l’augmentation des revenus des agriculteurs. Cela a des conséquences directes sur la réduction de la pauvreté alimentaire. Qui plus est, l’augmentation de la productivité agricole est une condition préalable à la transformation structurelle à l’avenir. L’agriculture pluviale est prédominante dans toute la RCA, le manioc, le maïs, le riz, le sorgho et le millet constituant les principales cultures vivrières — ces activités risquent d’être vulnérables aux effets du ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 17 changement climatique. La productivité totale des facteurs (PTF) dans l’agriculture semble être freinée par un recours insuffisant aux engrais, à l’irrigation et aux outils, bien que la terre elle‑même ne semble pas constituer une contrainte majeure. De nombreuses exploitations agricoles emploient de la main‑d’œuvre extérieure au ménage, ce qui montre les avantages qu’une augmentation de la productivité agricole pourraient avoir sur d’autres travailleurs. La plupart des agriculteurs vendent également au moins une partie de leur production, mais ils indiquent que les routes et l’accès aux marchés les freinent. Cela souligne l’importance d’investir dans les infrastructures pour améliorer l’accès des agriculteurs aux marchés afin d’accroître la productivité agricole et de renforcer les moyens de subsistance. RA 6.  L’AMÉLIORATION DE L’ACCÈS AUX SERVICES ET AUX INFRASTRUCTURES EST UNE CONDITION PRÉALABLE À LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ La distance à parcourir pour se rendre à l’école, et plus particulièrement dans les établissements d’enseignement secondaire, est excessive pour de nombreux Centrafricains, surtout ceux qui vivent dans des zones rurales et isolées. Cette situation se traduit par un taux de scolarisation plus faible et une plus grande pauvreté. Les données relatives à la pauvreté non monétaire et aux moyens de subsistance démontrent l’importance du développement du capital humain. Cependant, l’accès physique semble être une contrainte, à la fois pour les établissements de santé et, plus fortement, pour les écoles. Les données géospatiales de la cartographie numérique du recensement de la RCA révèlent qu’environ 30 % des enfants en âge d’aller à l’école primaire et 54,8 % des enfants en âge d’être scolarisés dans le secondaire vivent à plus d’une heure de marche de l’école primaire et secondaire la plus proche. La combinaison de ces données avec celles de l’EHCVM 2021 montre que les difficultés d’accès physique sont directement associées à un faible taux de scolarisation : la probabilité que les enfants âgés de 6 à 11 ans vivant dans des ménages situés à une ou deux heures de marche d’une école primaire fréquentent l’école primaire est d’environ 18,8 points de pourcentage inférieure à celles des enfants vivant à moins d’une heure de marche, même après avoir contrôlé les principales caractéristiques des ménages et des lieux. L’amélioration de l’accès physique aux écoles ne suffirait pas à remédier entièrement à la non‑scolarisation : d’autres facteurs pèsent et limitent la fréquentation scolaire, notamment le manque de confiance dans la qualité de l’enseignement, l’accessibilité financière et le coût d’opportunité lié à la moindre contribution, à court terme, de certains membres du ménage aux moyens de subsistance. L’investissement dans les écoles et les infrastructures nécessaires pour y accéder constitue toutefois un moyen évident pour les décideurs politiques d’améliorer les résultats en matière de capital humain. L’approvisionnement en électricité et la qualité des routes représentent de graves manquements dans l’infrastructure de la RCA. L’électricité est sans doute la privation non monétaire la plus importante, seuls 12,3 % des Centrafricains y ont accès. Cela se reflète directement dans les statistiques nationales sur la production d’électricité et la consommation finale par habitant, qui sont environ 10 fois plus élevées au Cameroun voisin — et encore plus au Gabon et en République du Congo — qu’en RCA. De même, le réseau routier n’atteint pas tous les Centrafricains et doit être modernisé. Environ un Centrafricain sur dix doit marcher plus d’une heure pour atteindre une route primaire, secondaire ou tertiaire. Une fois sur place, plusieurs heures peuvent être nécessaires pour atteindre un centre urbain, quel qu’il soit : seuls 2,5 % du réseau routier centrafricain sont asphaltés. Investir dans les infrastructures pourrait favoriser de nombreux canaux de réduction de la pauvreté, notamment en permettant aux denrées alimentaires et aux autres marchandises de circuler dans le pays, en renforçant la portée des services publics afin que le pays puisse mettre en place des filets de protection sociale, en aidant les personnes à accéder aux établissements de santé et d’éducation et en atténuant les contraintes liées à l’accès au marché. 18 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE RA 7.  DES POLITIQUES POUR DYNAMISER LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ Il est urgent de mettre en place un vaste éventail de politiques pour lutter contre la pauvreté. Premièrement, la promotion de la paix, de la sécurité et de la bonne gouvernance reste essentielle pour créer un environnement propice aux politiques en faveur des pauvres (figure 3). Deuxièmement, étant donné que la RCA ne peut se permettre de mettre en œuvre des politiques de réduction de la pauvreté sans une croissance et une marge de manœuvre budgétaire accrues, il est impératif d’envisager des réformes visant à encourager l’investissement privé, à soutenir le commerce et à améliorer la gestion des ressources naturelles. Troisièmement, la RCA devra investir dans trois moteurs qui alimentent simultanément la croissance inclusive et la réduction de la pauvreté : le capital humain, la productivité agricole et les infrastructures. Cependant, les 3,3 millions de Centrafricains en situation de pauvreté alimentaire ne peuvent pas attendre que ces politiques, dont les effets ne se feront sentir qu’après de nombreuses années, portent leurs fruits. C’est pourquoi, quatrièmement, les filets de protection sociale doivent être étendus, ciblés vers les plus démunis et associés à d’autres programmes d’aide visant à renforcer le capital humain et les moyens de subsistance afin d’en optimiser l’incidence tout en restant budgétairement réalisables. FIGURE 3.  POLITIQUES VISANT À STIMULER LA CROISSANCE ET LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Environnement favorable : bonne gouvernance, paix et sécurité Politiques visant à stimuler la croissance et à accroître la marge de manoeuvre budgétaire Encourager Améliorer la gestion des l'investissement privé Soutenir le commerce ressources naturelles Moteurs à la fois de croissance inclusive et de réduction de la pauvreté Développement Stimuler la productivité Investir dans les infrastructures du capital humain agricole (routes et électricité) Avantages à long terme des filets de protection sociale Action urgente pour lutter contre les formes extrêmes de privation Étendre et cibler les files de protection sociale Source : Banque mondiale La paix, la sécurité et la bonne gouvernance demeurent essentielles pour la réduction de la pauvreté. Malgré les liens de causalité complexes entre les conflits, les déplacements, les moyens de subsistance et la pauvreté, les conflits semblent avoir entravé la croissance inclusive et la réduction de la pauvreté en RCA. Pour aider la RCA à surmonter le piège de la fragilité, il faut s’attaquer aux causes profondes des conflits, notamment en améliorant la gouvernance et la gestion des ressources naturelles. La réduction de la pauvreté et des inégalités pourrait également contribuer à limiter les risques de conflit en augmentant le coût d’opportunité de la participation à des groupes armés et en renforçant la cohésion sociale. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 19 Trois types de réformes macroéconomiques pourraient accélérer la croissance nécessaire à la réduction de la pauvreté : 1) encourager l’investissement privé, 2) soutenir le commerce et 3) améliorer la gestion des ressources naturelles. Des données transnationales indiquent que la croissance est une condition nécessaire à la réduction de la pauvreté. Elle peut créer les moyens de subsistance qui permettent aux populations de passer au‑dessus du seuil de pauvreté. La croissance est également nécessaire pour accroître la marge de manœuvre budgétaire du gouvernement afin de financer les politiques de réduction de la pauvreté. Trois types de réformes macroéconomiques pourraient y contribuer2. Premièrement, la RCA pourrait attirer davantage d’investissements privés en favorisant la concurrence sur le marché, en facilitant la création d’entreprises et en simplifiant l’enregistrement de la propriété. Deuxièmement, la RCA peut essayer de stimuler le commerce en investissant dans l’infrastructure nécessaire pour réduire les coûts logistiques, en rationalisant les procédures douanières et en se coordonnant avec d’autres pays par le biais de structures multilatérales telles que la CEMAC ou la Zone de libre‑échange continentale africaine (ZLECA), ou dans le cadre d’accords bilatéraux. Troisièmement, la RCA devrait renforcer la gestion de ses richesses en ressources naturelles, en transformant une plus grande partie de ses produits primaires dans le pays et en poursuivant les efforts visant à améliorer le cadre institutionnel et réglementaire des industries extractives. Parallèlement à ces réformes axées sur la croissance, la situation budgétaire du pays pourrait également bénéficier d’une amélioration de la mobilisation des ressources intérieures grâce à la création d’outils visant à améliorer le recouvrement des impôts, à revoir les exonérations fiscales, à renforcer les capacités de l’administration douanière et fiscale, et à élargir l’assiette fiscale. Trois moteurs essentiels peuvent simultanément conduire à une croissance inclusive et à une réduction de la pauvreté ; premièrement, la RCA doit renforcer son capital humain. La jeunesse de la population centrafricaine représente une opportunité formidable pour le pays. Il peut être très rentable d’investir dans la jeunesse, en particulier auprès des jeunes enfants car les effets transformateurs obtenus se font sentir sur la vie du reste de la population et sur les générations futures. L’éducation est clairement associée à la réduction de la pauvreté en RCA, comme le suggèrent les recoupements entre les indicateurs d’éducation et les indicateurs de pauvreté monétaire. Les données géospatiales indiquent que l’amélioration de l’accès physique aux écoles, grâce à la construction d’écoles ou à l’amélioration de l’infrastructure nécessaire pour atteindre les écoles existantes, est susceptible d’élever le taux de scolarisation. Il sera également important d’améliorer l’apprentissage en investissant dans des intrants tels que les enseignants, les salles de classe et les manuels, et en veillant à ce que l’éducation soit orientée vers les moyens de subsistance que les Centrafricains sont susceptibles de rencontrer. L’éducation et l’apprentissage ne suffisent pas à renforcer le capital humain ; il sera également essentiel de promouvoir la santé et l’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène (WASH). La combinaison d’interventions pourrait permettre de s’attaquer simultanément à plusieurs facteurs entravant le développement du capital humain. Ainsi, un soutien direct aux secteurs de l’éducation et de la santé — par des investissements ciblés dans les écoles et les établissements de santé ou par la distribution de compléments alimentaires, de médicaments ou de formations à d’autres membres du ménage — pourrait être associé à des transferts monétaires ou en nature versés dans le cadre de systèmes de protection sociale Deuxièmement, l’augmentation de la productivité agricole est le moyen le plus direct d’améliorer les moyens de subsistance. Étant donné qu’un grand nombre de Centrafricains travaillent dans le secteur agricole et que la transformation structurelle pourrait prendre des années, voire des décennies, l’augmentation de la productivité agricole est une priorité absolue. L’agriculture pourrait même contribuer à réduire les risques 2  Une analyse complète des réformes nécessaires pour relancer la croissance est présentée dans le mémorandum économique de la Banque mondiale pour la RCA (voir Banque mondiale, 2022). 20 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE de conflit en réinsérant les combattants démobilisés. L’augmentation de la productivité agricole dépend en partie de l’accès des exploitations agricoles aux intrants (semences, outils et engrais) dont elles ont besoin, notamment pour améliorer leur résilience aux chocs climatiques. Un meilleur accès à la microfinance ou à d’autres formes de crédit pourrait aider les agriculteurs à acheter les intrants dont ils ont besoin, et la facilitation du commerce permettrait quant à elle d’importer ces intrants en République centrafricaine. Les agriculteurs ont également besoin d’un meilleur accès au marché pour ce qu’ils produisent, ce qui dépendra de l’amélioration des infrastructures et des politiques macroéconomiques qui soutiennent le commerce des produits agricoles. L’augmentation de la productivité agricole pourrait également libérer des personnes pour qu’elles travaillent dans les services et l’industrie, stimulant ainsi la transformation structurelle et la croissance inclusive nécessaire pour soutenir la réduction de la pauvreté. Troisièmement, la RCA doit améliorer son infrastructure de base. Le développement du réseau électrique soutiendrait plusieurs mécanismes de réduction de la pauvreté : il s’agit notamment d’accroître la productivité des activités de subsistance, d’améliorer les prestations dans les établissements d’enseignement et de santé et de renforcer le taux de pénétration des téléphones mobiles, ce qui améliorerait le flux d’informations entre les marchés et permettrait à l’État d’élargir la portée de ses services administratifs, facilitant ainsi l’expansion d’autres politiques de réduction de la pauvreté. De même, l’investissement dans les routes pourrait faciliter la circulation des marchandises (y compris des denrées alimentaires de première nécessité) en RCA, le versement de l’aide sociale, l’accès physique aux établissements de santé et d’éducation, et l’accès des agriculteurs aux marchés afin d’accroître leur productivité. L’investissement dans les infrastructures pourrait contribuer à réduire les inégalités spatiales, en particulier entre Bangui et le reste du pays. Cela permettrait non seulement de réduire la pauvreté en dehors de la capitale, mais aussi de promouvoir la cohésion sociale et d’endiguer les conflits. Les autres politiques peuvent mettre du temps à sortir les gens de la pauvreté, aussi convient‑il d’étendre les filets de sécurité sociale, de les orienter vers les Centrafricains les plus pauvres et de veiller à en maximiser les avantages à court et à long terme. Les 3,3 millions de Centrafricains en situation de pauvreté alimentaire ne peuvent pas attendre que les politiques à moyen terme produisent leurs effets. Les systèmes de protection sociale peuvent avoir un effet plus immédiat : l’idée est de garantir un niveau minimal de nourriture pour les ménages. La couverture des systèmes de protection sociale est actuellement inférieure à l’étendue de la pauvreté et de la vulnérabilité en RCA, il est essentiel de l’élargir. Toutefois, les efforts déployés pour atteindre tous les Centrafricains pauvres seront rapidement bloqués par des contraintes budgétaires. Des priorités doivent donc absolument être établies : les systèmes de protection sociale doivent appliquer des méthodes de ciblage pratiques pour tenter d’atteindre les Centrafricains confrontés à des formes extrêmes de privation, à savoir la pauvreté alimentaire. Et si les ressources fiscales ne suffisent pas, il faut établir des priorités au sein des personnes en situation de pauvreté alimentaire. Il peut s’agir de cibler les ménages avec de jeunes enfants qui pourraient bénéficier d’investissements dans leur capital humain ou ceux qui sont touchés par les conflits et les déplacements. Les types de prestations que les ménages reçoivent doivent être choisis de manière à optimiser les gains à court et à long terme en combinant les transferts monétaires avec d’autres interventions visant à renforcer le capital humain. Par exemple, les transferts monétaires ou la distribution de denrées alimentaires pourraient être combinés avec des médicaments, des nutriments, des informations sur les pratiques recommandées en matières de santés ou des investissements ciblés dans les écoles et les cliniques. Cela permettra de favoriser le développement de la petite enfance ou des ressources et la formation pour renforcer les moyens de subsistance. Les programmes existant en RCA montrent déjà les avantages des interventions combinées, qu’il s’agisse de travaux publics associés à de la fourniture de biens, comme dans ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 21 le programme Londö, ou de transferts monétaires avec des investissements dans les infrastructures locales dans le cadre du Projet d’appui aux communautés affectées par le déplacement (PACAD). La gestion de ces réformes des systèmes de protection sociale nécessitera une coordination entre le gouvernement et les acteurs humanitaires afin de compiler des informations sur les participants potentiels, afin de mettre en place un registre social unifié. Les microdonnées peuvent guider l’élaboration des politiques dans la période critique que traverse actuellement la RCA. Si les données macroéconomiques sont essentielles pour suivre la santé sous‑jacente de l’économie centrafricaine, rien ne garantit que tous les ménages profiteront des avantages de la croissance. Les effets des conflits, du changement climatique et de la hausse des prix seront ressentis différemment par les populations déplacées, celles qui vivent dans certaines régions du pays et celles dotés de certains moyens de subsistance. Les données recueillies auprès des ménages tels que l’EHCVM 2021 peuvent indiquer non seulement quels ménages sont les plus démunis et où ils se trouvent, mais elles peuvent également donner une idée des contraintes spécifiques auxquelles ils sont confrontés lorsqu’ils tentent de sortir de la pauvreté. L’évaluation de la pauvreté cherche à répondre exactement à ce type de questions. Les microdonnées peuvent également contribuer à l’évaluation de nouvelles interventions politiques, comme le montre l’évaluation rigoureuse de l’impact du programme Londö. Ce sont autant de données qui vont guider la politique alors que le gouvernement arrive à la fin du Plan de Relèvement et de Consolidation de la Paix en République centrafricaine (RCPCA), qui a façonné les initiatives de développement de la RCA depuis 2016. Le moment est venu de concevoir de nouvelles stratégies de développement. Les données doivent continuer à orienter les vecteurs de réduction de la pauvreté en RCA. Cela signifie qu’il faut penser spécifiquement la conception, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des politiques de réduction de la pauvreté. Les travaux menés dans le cadre de l’EHCVM 2021 devraient marquer le début, et non la fin, d’une collecte de microdonnées de qualité en République centrafricaine. Il sera essentiel d’entreprendre de nouvelles campagnes de collecte de données en restant attentif aux aspects liés aux conflits et aux déplacements de population. Suivre les progrès accomplis sur le front de la réduction de la pauvreté et de l’amélioration des conditions de vie peut offrir aux décideurs politiques des indications plus concrètes et plus précises, tout en les obligeant à rendre des comptes, en renforçant la transparence et en favorisant la bonne gestion des affaires publiques. Les données peuvent servir à établir une feuille de route pour la réduction de la pauvreté en RCA. 1.  LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE FAIT FACE À DE GRAVES PROBLÈMES DE DÉVELOPPEMENT PRINCIPALES OBSERVATIONS ▶ L’instabilité politique persistante a entraîné le déclin de l’économie de la République centrafricaine pendant des décennies, de sorte que le produit intérieur brut par habitant est aujourd’hui inférieur à ce qu’il était dans les années 60. ▶ Plus récemment, l’économie centrafricaine a été gravement touchée par l’éclatement du conflit politico‑militaire en 2012, et sa relance a été entravée par la poursuite des violences, la pandémie de COVID‑19 et les répercussions à l’échelle mondiale du conflit entre la Russie et l’Ukraine. ▶ Plusieurs caractéristiques structurelles de l’économie centrafricaine limitent les perspectives de croissance inclusive, notamment la géographie du pays, la persistance des conflits et des déplacements, la dépendance vis‑à‑vis des produits de base et de l’aide, et des investissements dans le capital humain et les infrastructures qui restent insuffisants. ▶ Le changement climatique et la flambée des prix font peser de nouvelles menaces sur l’économie centrafricaine. ▶ Les nouvelles microdonnées analysées dans le cadre de cette évaluation de la pauvreté pourraient débloquer les politiques nécessaires pour sortir les Centrafricains de la pauvreté. Le premier chapitre de ce rapport présente les principaux obstacles au développement auxquels le pays est confronté et qui renforcent la pauvreté. Il fournit un contexte essentiel pour l’analyse détaillée de la pauvreté en RCA qui sera présentée dans les chapitres suivants. Le présent chapitre commence par une vue d’ensemble de la fragile macroéconomie de la RCA, soulignant le lien entre l’environnement politique turbulent du pays et une croissance faible et non inclusive. Il décrit les caractéristiques structurelles de l’économie centrafricaine susceptibles de freiner la croissance inclusive et la réduction de la pauvreté. Enfin, il examine les chocs de plus en plus nombreux qui pourraient affecter la RCA, y compris les chocs climatiques et la flambée des prix, en partie provoquée par le conflit entre l’Ukraine et la Russie. Pour finir, le chapitre explique ce que ces nouvelles microdonnées peuvent apporter à l’évaluation de la pauvreté pour l’étude et la recherche de solutions aux difficultés auxquelles sont confrontés les Centrafricains et guider les décideurs dans l’élaboration de politiques et de programmes compensatoires. 24 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 1. 1.   LA FAIBLE CROISSANCE ET LES CRISES POLITIQUES PLOMBENT LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE DEPUIS DES DÉCENNIES L’économie centrafricaine, marquée par un climat de violence et d’instabilité politique chronique, est en déclin depuis plusieurs dizaines d’années. Depuis son accession à l’indépendance en 1960, la République centrafricaine a été le théâtre de sept tentatives de coups d’État, dont cinq ont donné lieu à un changement de gouvernement, avec seulement deux transitions démocratiques (Kouame, 2022). Ces conditions n’ont pas été propices à la croissance. Ainsi, le produit intérieur brut (PIB) par habitant en 2021 ne représentait qu’environ les deux tiers de son niveau de 1990 (figure 4). Le conflit politico‑militaire qui a éclaté à la fin de l’année 2012, lorsque les rebelles de la coalition Séléka ont cherché à s’emparer du pouvoir, a marqué la baisse la plus importante et la plus durable du PIB par habitant, accusant une chute de 36,8 % en 20133. FIGURE 4.  PIB PAR HABITANT EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, DE 1960 À 2022 800 700 PIB par habirant (2015 USD) 600 500 400 300 200 100 Début du conflit politico-militaire 0 1960 1962 1964 1966 1968 1970 1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016 2018 2020 Source : Indicateurs du développement dans le monde et estimations de la Banque. La persistance des conflits, les effets prolongés de la pandémie de COVID‑19 et les répercussions du conflit entre la Russie et l’Ukraine à l’échelle mondiale ont entravé la reprise de la croissance ces dix dernières années. Le PIB par habitant de la RCA a augmenté en moyenne de 2,8 % par an entre 2014 et 2019, à la faveur d’une diminution, au moins partielle, des actes de violence. De fait, le pays a organisé des élections relativement pacifiques en 2016. Malheureusement, les nouveaux conflits qui ont éclaté à l’occasion des élections présidentielles et législatives de 2020 ont à nouveau freiné la croissance. La pandémie de COVID‑19 a aggravé la situation, en raison, tout d’abord, de la fermeture des frontières terrestres avec le Cameroun en vue d’endiguer la propagation du virus et, ensuite, de la réduction de la demande d’exportations centrafricaines (voir ci‑dessous). L’éclatement du conflit entre la Russie et l’Ukraine a également accentué le ralentissement de la demande mondiale et réduit l’offre de céréales et d’autres produits alimentaires essentiels, ce qui a entraîné une hausse des prix pour les Centrafricains et une baisse de leur pouvoir d’achat. 3  La RCA a également été affectée par la dévaluation du franc FCA en 1994, qui a entraîné une perte spectaculaire du pouvoir d’achat. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 25 La détérioration soutenue et continue du PIB par habitant de la République centrafricaine, classe le pays parmi les plus pauvres du monde. En 2021, le PIB par habitant de la RCA, qui s’élevait à 371 dollars aux prix de 2015, était le plus faible de tous les pays de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (figure 5). Il représentait environ un cinquième du PIB moyen de la région de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale, et environ un quart du PIB moyen de l’Afrique subsaharienne4. Cette évaluation de la pauvreté a notamment pour objet de cerner les implications de la croissance centrafricaine sur le niveau de vie de ses habitants. FIGURE 5.  PIB PAR HABITANT EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE ET DANS LES PAYS DE COMPARAISON, 2021 PIB par habitant (2015 USD) 1 000 2 000 3 000 4 000 5 000 6 000 7 000 RCA 371 Cameroun 1 433 Tchad 596 CEMAC Guinée équatoriale 5 833 Gabon 6 577 Congo, Rép. 1 516 régionales Moyennes Afrique de l’Ouest et Afrique centrale 1 798 Afrique subsaharienne 1 597 Note : CEMAC = Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale. Source : Indicateurs du développement dans le monde et estimations de la Banque mondiale. 1. 2.   LES CARACTÉRISTIQUES STRUCTURELLES DE L’ÉCONOMIE CENTRAFRICAINE FREINENT LA CROISSANCE INCLUSIVE Au moins huit caractéristiques structurelles de l’économie centrafricaine limitent les perspectives d’une croissance inclusive nécessaire pour sortir sa population de la pauvreté. Première caractéristique : la situation géographique de la RCA pourrait être défavorable. En effet, la RCA est un pays enclavé d’Afrique centrale, dont les frontières sont délimitées par le Tchad, le Soudan, le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo, la République du Congo et le Cameroun. Cette situation implique non seulement que le pays n’a pas accès aux ports maritimes qui pourraient soutenir le commerce, mais aussi que l’instabilité politique, les conflits ou la faible croissance qui sévissent dans les pays voisins réduisent les possibilités d’exportation et intensifient la menace d’un conflit en RCA. Des données transnationales confirment 4  Le niveau relatif du PIB par habitant en RCA par rapport aux autres pays de la région ne change pas de manière significative si l’on utilise plutôt les dollars internationaux constants de 2017 — ajustés en fonction des parités de pouvoir d’achat (PPA). 26 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE l’idée que l’enclavement peut freiner la croissance (MacKellar, Wörgötter, & Wörz, 2002). Par ailleurs, le territoire 000 km2, soit une superficie supérieure à celle de la France, et abrite environ de la RCA couvre quelque 623  6,1 millions d’habitants. Le pays se caractérise donc par une faible densité de population, en particulier en dehors de sa capitale, Bangui. Il existe donc de nombreuses zones rurales et isolées dans le pays où il peut être difficile pour la population d’accéder aux services et aux marchés et que le gouvernement peut avoir du mal à atteindre avec des politiques de réduction de la pauvreté. Les agriculteurs et les autres entreprises doivent se contenter de marchés limités pour écouler leur production dans des zones faiblement peuplées. Deuxième caractéristique : les conflits — qui sont entretenus par la concurrence pour l’accès aux ressources naturelles et la mauvaise gestion de celles‑ci — sont un problème récurrent en RCA. Comme le montrent les données du projet sur la collecte et l’analyse de données relatives à localisation et aux faits de conflits armés (ACLED), les conflits et les décès qui en résultent sont très répandus en RCA et restent à des niveaux élevés depuis le début du conflit politico‑militaire en 2012 (figure 6). Ceci est corroboré par les données de surveillance de la protection du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), qui montrent une augmentation récente du nombre d’attaques physiques ou de menaces de mort, de cas de violence basée sur le genre et de violations des droits de propriété en RCA (UNHCR, 2022). Les conflits peuvent également perturber les moyens de subsistance et l’investissement dans le capital physique et humain, empêchant ainsi la réduction de la pauvreté : c’est au moins en partie la raison pour laquelle la pauvreté globale se concentre de plus en plus dans les contextes fragiles et touchés par les conflits (Corral, Irwin, Krishnan, Mahler, & Vishwanath, 2020). En RCA en particulier, les conflits menacent l’exportation de produits primaires dont dépend l’économie5. L’incidence des conflits sur la pauvreté s’inscrit également sur le long terme, car les effets sur le capital humain peuvent être intergénérationnels, tandis que la violence empêche également la mise en œuvre de politiques et de programmes de réduction de la pauvreté (Akresh, Bhalotra, Leone, & Osili, 2012). L’un des principaux vecteurs du conflit en RCA est la lutte entre les élites politiques pour conserver le pouvoir et s’approprier les grandes richesses en ressources naturelles du pays (World Bank, 2022). Ce schéma se retrouve dans d’autres pays dotés de ressources naturelles (Barma, Kaiser, Minh Le, & Viñuela, 2011). En outre, l’inégalité spatiale, en particulier les grandes différences entre Bangui et le reste du pays, pourrait éroder la cohésion sociale, ce qui aggraverait le conflit ; Ces aspects soulèvent des questions de politique générale concernant la décentralisation des fonctions gouvernementales. 5  Ces dernières années, l’activité économique a été fortement tributaire de la mise en service de la principale route commerciale du pays, Douala‑Bangui (World Bank, 2022). ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 27 FIGURE 6.  CONFLITS EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE A : Événements de conflit et décès en République B : Nombre total de morts dans chaque préfecture de la centrafricaine, 2009–2021 République centrafricaine, 2009–2022 250 1 200 Nombre total de décès par mois 1 000 200 d'événements par mois 800 Nombre total 150 600 100 400 Morts par préfecture 50 200 29 – 314 315 – 569 570 – 957 958 – 1498 0 0 1499 – 2160 Jan-09 Jan-11 Jan-13 Jan-15 Jan-17 Jan-19 Jan-21 Tous les événements Morts Note : Dans le graphique A, « Tous les événements » comprennent les batailles, les explosions/la violence à distance, les protestations, les émeutes, les développements stratégiques et la violence contre les civils. Le graphique comptabilise le nombre d’événements de ce type qui ont eu lieu au cours d’un mois donné. Les « décès » représentent le nombre total de décès enregistrés au cours de ce mois. Source : Projet sur la collecte et l’analyse de données relatives à localisation et aux faits de conflits armés (ACLED) et estimations de la Banque mondiale. Troisième caractéristique : le conflit a entraîné d’importants déplacements de Centrafricains, dont certains ont quitté le pays et d’autres sont restés à l’intérieur des frontières de la RCA, mais ont été déplacés. Selon 000 centrafricains seraient réfugiés à l’étranger — en particulier dans les pays voisins, le HCR, quelques 700  le Cameroun, la République démocratique du Congo et le Tchad —  000  et environ 500  seraient déplacés à l’intérieur de la République centrafricaine (UNHCR, 2023). L’Organisation internationale pour les migrations estime également qu’il y a près de 1,9 million de rapatriés qui étaient des déplacés internes en RCA, et plus de 000 rapatriés qui sont revenus de l’étranger (IOM, 2022). Il existe actuellement 87 camps officiels pour les 400  personnes déplacées en RCA, mais environ 7 personnes déplacées sur 10 vivent en dehors des camps dans des communautés d’accueil au sein de communautés typiques6. Le nombre de personnes déplacées en RCA a atteint son maximum après le déclenchement du conflit politico‑militaire en 2012, mais il reste élevé (figure 7). Des données provenant d’autres pays démontrent les répercussions profondes que le déplacement peut avoir sur la pauvreté et sur de nombreuses autres dimensions des conditions de vie des ménages (Pape & Sharma, 2019). Il est probable que cette situation persiste, en dépit des nombreux efforts multilatéraux déployés pour protéger les personnes déplacées, notamment en vertu de la Déclaration de Yaoundé (USCRI, 2022). Cette évaluation de la pauvreté s’appuiera sur des données d’enquête uniques et sans précédent de la RCA récoltées en 2021 pour mesurer les défis uniques auxquels les personnes déplacées sont confrontées. De nombreux voisins de la RCA sont également touchés par les conflits et les déplacements, comme en témoigne la crise en cours au Soudan. Il convient par conséquent d’être diligent dans l’élaboration des politiques visant à réduire la pauvreté et à promouvoir une croissance inclusive au moyen du commerce international et de la coordination transfrontalière. 6  Le tableau de bord du HCR pour la RCA de décembre 2022 indique que 71,7 % des personnes déplacées vivent en dehors des camps dans des communautés d’accueil. Dans les données de l’enquête sur les ménages utilisées pour cette évaluation de la pauvreté, la part équivalente est très proche, à 69,6 %. 28 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE FIGURE 7.  DÉPLACEMENTS INTERNES EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE A : Nombre total de personnes déplacées en République B : Personnes déplacées dans chaque préfecture de la centrafricaine, 2009–2022 République centrafricaine, 2022 (en milliers) 1 000 Nombre de personnes déplacées (milliers) 900 800 700 600 500 400 PDIs (milliers) 3 – 12 13 – 19 300 20 – 38 39 – 49 200 50 – 67 100 0 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 Source : Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC) et estimations de la Banque mondiale pour le graphique A. Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et estimations de la Banque mondiale pour le graphique B. Quatrième caractéristique : la RCA dispose d’importantes ressources naturelles, mais leur mauvaise gestion peut alimenter les conflits et nombre d’entre elles sont exportées à l’état brut, ce qui empêche la création de la valeur ajoutée et donc d’emploi, dans le pays. Selon les statistiques commerciales officielles, près de 40 % des exportations de la RCA proviennent du bois : en 2021, 31,1 % des exportations concernaient le bois brut et 7,3 % le bois scié (OEC, 2023)7. Les métaux précieux et autres minéraux représentent une part encore plus importante des exportations, avec 39,0 % pour l’or et 13,4 % pour les diamants. La concurrence pour ces ressources naturelles peut être à l’origine de conflits (World Bank, 2022). Par ailleurs, les problèmes de sécurité empêchent la RCA de profiter au mieux de ses industries minières et extractives : le pays a été suspendu du Système de certification du processus de Kimberley8 (SCPK) et de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), ce qui a entraîné la fermeture d’exploitations minières, étouffé les investissements dans la prospection et limité les exportations. (World Bank, 2019). En outre, les produits primaires sont rarement transformés localement, ce qui limite la valeur ajoutée avant l’exportation et, par conséquent, les possibilités de créer des emplois productifs. Pour certains de ces produits, en particulier l’or, les prix peuvent également varier de manière spectaculaire, ce qui rend les exportations de la RCA vulnérables aux fluctuations de la demande mondiale, d’autant plus que l’intégration commerciale régionale reste superficielle (World Bank, 2019). 7  Cette dépendance à l’égard du bois d’œuvre pour les exportations souligne également l’importance d’une gestion attentive du capital naturel de la RCA. 8  Le SCPK est le processus mis en place pour empêcher les « diamants de la guerre » d’entrer sur le marché des diamants bruts. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 29 Cinquième caractéristique : l’économie est fortement dépendante de l’agriculture, mais la productivité agricole est faible. Le secteur agricole représente environ un tiers du PIB en RCA, malgré une certaine évolution vers les services et l’industrie ces dix dernières années (figure 8). Ce chiffre est nettement plus élevé que les moyennes des autres pays de la CEMAC, de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale et de l’Afrique subsaharienne dans son ensemble. Comme le montre le chapitre 5 de cette évaluation de la pauvreté, une proportion encore plus élevée de travailleurs, plus de deux tiers, travaillent principalement dans l’agriculture. Une transformation structurelle à grande échelle, qui amènerait les travailleurs à occuper des emplois plus productifs dans l’industrie et les services, est donc encore loin d’être réalisée. Ces tendances s’expliquent en partie par la faiblesse persistante de la productivité agricole (World Bank, 2022). FIGURE 8.  COMPOSITION DU PIB EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE A : Part du PIB de la République centrafricaine (en B : Part du PIB dans l’agriculture en République centrafricaine pourcentage) dans les comptes nationaux 2021 et dans les pays de comparaison, 201 1–2021 40 Agriculture et de la pêche dans le PIB (en pourcentage) 35 Part de l'agriculture, de la sylviculture 33,8 30 Services 43,5 25 20 15 10 Industrie 5 22,7 0 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 RCA Afrique de l’Ouest et Afrique centrale Afrique subsaharienne Autres pays de la CEMAC (moyenne fixe) Note : CEMAC = Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale. Dans le graphique B, la moyenne plate sans pondération de la population est prise sur les autres pays de la CEMAC. Source : Comptes nationaux de la RCA et estimations de la Banque mondiale pour le graphique A. Indicateurs de développement dans le monde et estimations de la Banque mondiale pour le graphique B. : la RCA est soumise à des contraintes budgétaires, les dépenses publiques Sixième caractéristique  dépendant fortement de l’aide d’autres pays, qui peut fluctuer. Dans le budget 2023, publié dans la Loi de finances, environ 43,2 % du budget du gouvernement centrafricain provient de sources extérieures, notamment par le biais d’un soutien budgétaire direct et de dons et prêts pour des projets (Ministère des Finances et du Budget, 2023). La RCA est donc tributaire des politiques d’aide des pays donateurs, dans le cadre de structures bilatérales et multilatérales. La part de l’aide publique au développement (APD) dans le revenu national brut (RNB) a augmenté en RCA entre 2017 et 2020, mais elle a ensuite chuté en 2021 de près d’un tiers, car certains donateurs internationaux ont réagi aux changements dans les politiques de sécurité intérieure de la RCA (figure 9). Parallèlement, les investissements publics ont chuté de 11,3 % du PIB en 2020 à 7,4 % du PIB en 2021 30 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE (World Bank, 2022). Malgré quelques progrès au cours de la dernière décennie, la collecte des impôts reste faible en raison du système laxiste d’exonérations, des capacités limitées de l’administration douanière et fiscale, et de la nécessité d’élargir l’assiette fiscale. Les contraintes liées à la mobilisation des ressources intérieures expliquent pourquoi le budget de l’État dépend encore de sources extérieures (World Bank, à paraître)9. FIGURE 9.  PART DE L’AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT DANS LE RNB EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE ET DANS LES PAYS DE COMPARAISON 40 en tant que part du RNB (pourcentage) Aide publique au développement 35 30 25 20 15 10 5 0 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 RCA Afrique de l’Ouest et Afrique centrale Afrique subsaharienne Autres pays de la CEMAC (moyenne fixe) Note : CEMAC = Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. La moyenne plate sans pondération de la population est prise sur les pays de la CEMAC. Source : Comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques, Indicateurs de développement dans le monde, et estimations de la Banque mondiale. Septième caractéristique : le cadre institutionnel et réglementaire pourrait gêner la croissance, la création d’emplois et la réduction de la pauvreté. Une analyse complète du cadre réglementaire en RCA dépasse le cadre de cette évaluation de la pauvreté et a été présentée dans d’autres documents (voir, par exemple, World Bank (2022)). Cependant, il est important de savoir comment les effets de distorsion du cadre institutionnel de la RCA peuvent piéger la population dans la pauvreté. Le cadre réglementaire actuel est propice à l’accaparement par les élites, réduisant la concurrence basée sur le marché : par exemple, les permis, les licences et les contrats ne peuvent être accordés qu’aux entreprises qui ont le plus de liens avec les élites. Cela décourage l’investissement et conduit à une mauvaise répartition des ressources, limitant la croissance de la productivité dont la RCA a besoin pour créer les emplois qui permettront à la population de sortir de la pauvreté. Ce mode de fonctionnement perturbe également la cohésion sociale, renforçant encore la violence et l’instabilité politique. Huitième caractéristique : les investissements dans deux vecteurs fondamentaux de la croissance inclusive et de la réduction de la pauvreté — le capital humain et les infrastructures — sont insuffisants. Le capital humain comprend les connaissances, les compétences et la santé que les individus accumulent tout au long de leur vie et qui leur permettent de « réaliser leur potentiel en tant que membres productifs de la société » (World Bank, 2018). D’après l’indice du capital humain (ICH) de la Banque mondiale qui évalue le potentiel 9  Malgré ces contraintes budgétaires, la dette publique devrait rester soutenable (World Bank, 2023). ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 31 productif des individus en combinant des informations sur la mortalité infantile, les années de scolarisation prévues, l’apprentissage, l’espérance de vie et les retards de croissance, la RCA affichait les pires résultats au monde en matière de capital humain en 2020, ce qui met en évidence les difficultés auxquelles le pays est confronté (World Bank, 2020). Cette situation reflète les niveaux relativement faibles des dépenses publiques liées au capital humain en RCA, en particulier dans le domaine de l’éducation10. De même, le développement du réseau électrique, des routes goudronnées et de la pénétration de la téléphonie mobile restent insuffisantes pour favoriser une croissance inclusive et la réduction de la pauvreté. Ces questions sont examinées en détail dans les chapitres de cette évaluation de la pauvreté. 1. 3.   LE CHANGEMENT CLIMATIQUE, LA COVID‑19 ET LA FLAMBÉE DES PRIX CONSTITUENT DE NOUVELLES MENACES POUR LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ Les chocs climatiques menacent de plus en plus les moyens de subsistance et les conditions de vie en RCA. Le pays se caractérise par un climat équatorial tropical et humide dans le sud et un climat sahélo‑soudanien dans le nord : cela signifie que les Centrafricains connaissent des saisons sèches et des saisons de pluie (World Bank, 2023). Le moment et l’intensité de la saison des pluies sont déterminants, car les moyens de subsistance en RCA dépendent des activités agricoles pluviales (voir chapitre 5). Cependant, le changement climatique semble déjà perturber les précipitations en RCA, les événements pluvieux extrêmes étant devenus plus fréquents au cours des 30 dernières années : cela s’est traduit par de graves inondations autour de Bangui en 2012, de Kouango en 2017 et de Paoua en 2019 (GERICS, 2015). Les événements météorologiques extrêmes devraient devenir plus fréquents et plus intenses, même dans le cadre d’hypothèses relativement modérées sur l’évolution du changement climatique (World Bank, 2021). Les stratégies d’adaptation qui pourraient renforcer la résilience de la RCA à l’égard du changement climatique semblent également limitées. L’indice mondial d’adaptation Notre‑Dame (ND‑GAIN), qui évalue la vulnérabilité des pays au changement climatique et leur capacité à s’y adapter, classe la RCA au 181e rang sur 182 pays, le score du pays ayant diminué au cours des trois dernières décennies11. Par conséquent, en l’absence de politiques correctives, les répercussions des chocs climatiques sur la pauvreté en RCA pourraient s’aggraver à l’avenir. La RCA n’a pas été épargnée par les effets de la pandémie de COVID‑19. En avril 2023, 15 367 cas de COVID‑19 et 113 décès avaient été confirmés en RCA. Par habitant, ces chiffres sont comparables à ceux des pays voisins (OurWorldInData, 2023). Au plus fort de la pandémie, la RCA a mis en œuvre des mesures d’endiguement strictes, notamment le port obligatoire de masques, la distanciation physique, la surveillance communautaire et la fermeture des frontières internationales (World Bank, 2020). Aussi indispensables qu’elles aient été dans la réduction des conséquences sanitaires du virus, ces mesures ont engendré un coût économique. La demande internationale a également chuté de manière significative pendant la pandémie de COVID‑19, ce qui a eu de graves répercussions sur les exportations de la RCA (décrites ci‑dessus). L’arrivée de la pandémie ayant coïncidé avec les violences suscitées par l’élection présidentielle de 2020, la croissance du PIB réel a chuté de 3,0 % en 2019 à 1,0 % en 2020 (World Bank, 2022). 10  Les dépenses publiques pour l’éducation en RCA étaient de 1,7 % du PIB en moyenne sur la période 2018–2020, alors que la moyenne pour l’Afrique subsaharienne était de 4,6 % (World Bank, à paraître). 11  Le ND‑GAIN comprend 45 indicateurs sur l’alimentation, l’eau, la santé, les services écosystémiques, l’habitat humain, l’infrastructure, l’état de préparation économique, l’état de préparation à la gouvernance et l’état de préparation sociale. Pour plus de détails, voir Chen et al. (2015). 32 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE L’inflation galopante due au conflit entre l’Ukraine et la Russie et les graves pénuries de carburant ont également frappé l’économie centrafricaine au cours de l’année écoulée. L’inflation globale de l’indice des prix à la consommation (IPC) a atteint 4,3 % en glissement annuel en 2021 et devrait dépasser 6 % en 2022 et 2023. Bien que ces estimations soient inférieures à celles d’autres pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, elles masquent des augmentations de prix plus importantes pour les denrées alimentaires, qui peuvent être plus pertinentes pour les ménages pauvres Centrafricain (Ha, Kose, & Ohnsorge, 2021). Ainsi, en 2021, l’escalade de la violence a provoqué une inflation à deux chiffres des prix des principaux produits importés et produits locaux, notamment les oignons, l’huile de palme, le manioc et le bœuf. En 2022, tandis que le conflit entre l’Ukraine et la Russie commençait à entraver le fonctionnement des marchés alimentaires mondiaux, le prix du maïs a augmenté de plus de 40 % d’une année sur l’autre (World Bank, 2021 ; Andrée, 2021). Les pénuries de carburant ont aggravé l’inflation et étouffé plus encore l’activité économique en 2022 et au début de 2023 (IMF, 2023). Le chapitre 3 de ce rapport évaluera plus précisément l’impact de ces chocs sur la consommation des ménages et, par conséquent, sur la pauvreté. 1. 4.   DE NOUVELLES MICRODONNÉES ENCORE JAMAIS UTILISÉES PEUVENT CONTRIBUER AU DÉVELOPPEMENT DE STRATÉGIES DE RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Compte tenu des obstacles au développement de la RCA, les données macroéconomiques et les données sur les chocs sont à prendre en compte, mais elles ne peuvent pas à elles seules expliquer la situation ; il importe également de récolter des microdonnées auprès des ménages pour élaborer des politiques susceptibles de sortir les Centrafricains de la pauvreté. Le suivi de la santé sous‑jacente de l’économie centrafricaine permet de mieux comprendre les stratégies visant à stimuler la croissance. Cependant, comme le montrent les données mondiales, même si la situation économique s’améliore, rien ne garantit que les ménages les plus pauvres et les plus vulnérables pourront en bénéficier12. Cette observation est particulièrement pertinente pour la RCA dans la mesure où certains ménages — qu’ils soient déplacés, situés dans certaines parties du pays ou disposent de moyens de subsistance particuliers — ressentiront plus que d’autres les effets des conflits, du changement climatique et de la hausse des prix. Les données relatives aux ménages indiquent non seulement quels sont les ménages les plus démunis et où ils se trouvent, mais aussi les contraintes spécifiques qu’ils subissent lorsqu’ils tentent de sortir de la pauvreté. Il est nécessaire de comprendre ces mécanismes pour concevoir, cibler et mettre en œuvre des programmes et des politiques de réduction de la pauvreté de manière plus efficace. En outre, les besoins sont trop pressants en République centrafricaine pour que l’on puisse se contenter d’une réduction de la pauvreté fondée sur la croissance. Comme il est expliqué dans le chapitre 2, la pauvreté est profonde et généralisée en RCA. Il est certainement essentiel, à moyen et à long terme, de stimuler une croissance inclusive pour sortir les gens de la pauvreté. Cependant, de telles stratégies prennent du temps. Il existe actuellement des besoins humanitaires urgents en RCA, en particulier en matière de prévention de l’insécurité alimentaire, qui exigent des orientations immédiates basées sur des données. Cette évaluation de la pauvreté vise à utiliser des microdonnées pour fournir aux acteurs humanitaires des informations clés qui leur permettront d’atteindre les personnes les plus démunies de la RCA. 12  Les données mondiales montrent de plus en plus que la croissance et la réduction de la pauvreté peuvent être dissociées, car la pauvreté se concentre de plus en plus dans les zones pauvres des grands pays à revenu intermédiaire (Ravallion, 2012). Cela peut s’expliquer par le fait que les marchés du travail ne partagent pas les bénéfices de la croissance aussi efficacement que par le passé, tandis que la pandémie de COVID‑19 peut avoir affaibli les institutions démocratiques qui soutiennent la redistribution (Pande & Enevoldsen, 2021). ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 33 L’évaluation de la pauvreté intervient à un moment critique pour le gouvernement centrafricain, alors que s’achève bientôt le Plan de relèvement et de consolidation de la paix en République centrafricaine (RCPCA). En octobre 2016, le pays a adopté le RCPCA dont l’objectif était de coordonner les stratégies de développement pour la période 2017–2021 (Ministère de l’Economie, du Plan, et de la Cooperation Internationale, 2016). En septembre 2021, ce plan a été prolongé jusqu’en 2023 (Ministère de l’Economie, du Plan, et de la Cooperation Internationale, 2021). Le plan comprend trois axes principaux, à savoir : 1) soutenir la paix, la sécurité et la réconciliation ; 2) renouveler le contrat social entre l’État et la population ; et 3) promouvoir la reprise économique et stimuler les secteurs productifs. La majorité des données utilisées dans cette évaluation de la pauvreté couvrent l’année 2021, juste au moment où le RCPCA était en cours d’extension, et nous espérons que les résultats pourront guider le gouvernement centrafricain dans la conception de stratégies de développement pour l’après RCPCA. En 2021, les données sur les ménages nécessaires pour mesurer et comprendre la pauvreté ont été collectées en RCA pour la première fois depuis plus d’une décennie. L’Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages (EHCVM) de 2021 était la première enquête sur les ménages en mesure d’évaluer le niveau de pauvreté ayant été menée en RCA depuis l’Enquête centrafricaine pour le suivi et l’évaluation du bien‑être (ECASEB) de 2008. L’EHCVM 2021 est le fruit d’une collaboration concertée entre l’Institut centrafricain des statistiques et des études économiques et sociales (ICASEES) et la Banque mondiale. Des efforts considérables ont été déployés pour garantir la qualité des données de l’EHVCM 2021, notamment par l’utilisation d’entretiens personnels assistés par ordinateur sur tablettes pour faciliter le suivi du travail sur le terrain au niveau du siège et de l’ICASEES. L’EHCVM 2021 a collecté des données sur la consommation des ménages en conformité avec les pratiques internationales recommandées, ce qui a permis d’établir une estimation précise de la pauvreté en RCA. Cependant, l’EHCVM 2021 est allée plus loin, en recueillant des informations essentielles sur d’autres marqueurs des conditions de vie, notamment la santé, l’éducation, l’accès aux infrastructures de base, les moyens de subsistance (en particulier l’agriculture) et l’expérience des ménages en matière de chocs. Compte tenu de la remarquable qualité des données et de l’ampleur des informations collectées, l’EHCVM 2021 constitue la base de cette évaluation de la pauvreté. La stratégie d’échantillonnage de l’EHCVM 2021 permet de mener des analyses de la plus grande importance sur des sous‑populations clés de la RCA, en particulier sur les personnes déplacées à l’intérieur du pays. L’échantillon de l’EHCVM 2021 a été conçu pour être représentatif des sept régions de la RCA et des zones urbaines et rurales ; c’est ce qui permet une ventilation géographique essentielle des estimations de cette évaluation de la pauvreté et fournit des informations politiques sensibles à l’espace. Plus important encore, l’EHCVM 2021 a prévu un échantillon explicite de personnes déplacées sélectionnées à partir des données 437  concernant les camps officiels fournies par le HCR. Cela donne un échantillon global de 6  ménages, dont 496 ont été échantillonnés dans les camps. En plus de distinguer les ménages vivant dans les camps, le questionnaire de l’EHCVM contient également des informations au niveau individuel sur les personnes déplacées, même si elles vivent dans des ménages issus d’autres communautés, en dehors des camps. Pour l’analyse au niveau individuel de cette évaluation de la pauvreté, il est donc possible d’identifier les personnes déplacées à l’intérieur ou à l’extérieur des camps. Le rapport fera donc également la distinction entre les ménages hors des camps qui comptent ou non des personnes déplacées parmi leurs membres, afin d’évaluer comment l’accueil de ces personnes peut affecter les résultats au niveau des ménages (voir le chapitre 2 pour plus de détails). Peu d’enquêtes ont été en mesure de fournir ce niveau d’informations sur les déplacements ; il est indispensable de comprendre les privations et les contraintes que subissent les personnes déplacées pour apporter une réponse aux interrogations politiques qui se posent en RCA. 34 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE La conception et la mise en œuvre de l’enquête ayant été grandement améliorées, il n’est pas possible d’établir une comparaison directe avec les enquêtes précédentes pour dégager les tendances de la pauvreté en RCA. Les estimations de pauvreté de l’EHCVM 2021 ne peuvent pas être comparées de manière significative avec celles de l’ECASEB 2008. Par conséquent, plutôt que de déduire des tendances erronées, l’évaluation de la pauvreté se concentrera sur la compréhension du profil de pauvreté actuel de la RCA et des obstacles à la réduction de la pauvreté. Néanmoins, l’analyse du chapitre 4 dégagera certaines tendances pour les indicateurs de pauvreté non monétaires, en s’appuyant sur l’enquête en grappes à indicateurs multiples (MICS) pour évaluer l’évolution de ces indicateurs dans le temps. L’évaluation de la pauvreté va au‑delà des microdonnées traditionnelles pour améliorer ses messages politiques. L’analyse fait notamment appel à diverses sources de données géospatiales pour élaborer des estimations plus granulaires de la pauvreté et pour mieux comprendre les liens qui existent entre l’accès aux services et aux marchés, le capital humain et la pauvreté. Il s’agit d’informations détaillées sur l’emplacement et les caractéristiques des écoles, des établissements de santé, des points d’eau et de divers autres éléments clés de l’infrastructure de base, recueillies dans le cadre du recensement cartographique en cours en République centrafricaine. Ces informations élargissent et enrichissent l’analyse qui peut être réalisée avec l’EHCVM 2021. 1. 5.   STRUCTURE DE L’ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ L’évaluation de la pauvreté est structurée comme suit. Le chapitre 2 présente les principales statistiques sur la pauvreté et les inégalités en RCA et décrit le profil de la pauvreté dans le pays. Le chapitre 3 examine la vulnérabilité, en montrant comment les chocs, les tensions et l’incertitude peuvent enfermer les ménages centrafricains dans la pauvreté. Le chapitre 4 passe en revue les dimensions non monétaires de la pauvreté, notamment les contraintes pesant sur le capital humain. Le chapitre 5 traite des moyens de subsistance des Centrafricains et évalue la mesure dans laquelle de nouveaux emplois et de nouvelles stratégies génératrices de revenus pourraient les sortir de la pauvreté. Le chapitre 6 déploie des données géospatiales uniques pour étudier en quoi l’amélioration de l’accès physique aux services et aux infrastructures pourrait stimuler la réduction de la pauvreté. Le chapitre 7 résume les principaux messages politiques de l’évaluation de la pauvreté, en présentant les priorités essentielles et urgentes pour sortir les Centrafricains de la pauvreté. 2.  LA PAUVRETÉ GÉNÉRALISÉE ET PROFONDE QUI SÉVIT EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE PLACE DE NOMBREUSES PERSONNES EN SITUATION DE PAUVRETÉ ALIMENTAIRE PRINCIPALES OBSERVATIONS ▶ En 2021, environ 68,8 % des Centrafricains vivaient sous le seuil national de pauvreté, soit environ 4,2 millions de personnes sur une population de 6,1 millions d’habitants. ▶ Plus de la moitié de la population vivait également sous le seuil de pauvreté alimentaire, ce qui signifie qu’elle ne disposait pas des ressources nécessaires pour se nourrir convenablement, même en consacrant l’intégralité du budget du ménage à l’alimentation. ▶ La pauvreté globale et la pauvreté alimentaire sont nettement plus faibles dans les zones urbaines, en particulier à Bangui. ▶ Les personnes déplacées vivant dans des camps, représentant environ 4,1 % de la population, sont plus susceptibles d’être en situation de pauvreté. ▶ Comme dans d’autres pays, les Centrafricains ont plus de risques d’être pauvres lorsqu’ils vivent dans des ménages correspondant à des familles plus nombreuses et que les chefs sont moins éduqués et travaillent principalement dans l’agriculture. ▶ La pauvreté devrait rester élevée en République centrafricaine au cours des cinq prochaines années, car, sans un profond changement, la croissance sera insuffisante pour permettre aux ménages de dépasser le seuil de pauvreté. Ce chapitre de l’évaluation de la pauvreté présente les principales statistiques sur la pauvreté et l’inégalité en RCA et dresse le profil des ménages les plus susceptibles de vivre sous le seuil de pauvreté. Le chapitre commence par expliquer comment les conditions de vie et la pauvreté sont mesurés en RCA, en utilisant les données de l’EHCVM 2021, et présente les modèles de consommation sous‑jacents du pays. Il montre ensuite les principales estimations des statistiques clés liées à la pauvreté et aux inégalités en RCA. La pauvreté est tellement répandue et profonde dans le pays qu’il est également nécessaire de considérer explicitement ceux qui sont « en situation de pauvreté alimentaire », qui n’ont pas les ressources nécessaires pour se nourrir correctement. Le chapitre conclut par la définition de « profils de pauvreté », en examinant les caractéristiques les plus associées à la pauvreté. Il accorde une attention particulière aux personnes déplacées à l’intérieur du pays, compte tenu de l’ampleur du conflit et des déplacements en RCA décrits au chapitre 1. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 37 2. 1.   EXPLOITATION DE NOUVELLES DONNÉES D’ENQUÊTE POUR L’ANALYSE DES CONDITIONS DE VIE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Les données de grande qualité collectées dans le cadre de l’EHCVM 2021 permettent de produire des estimations de la pauvreté et des conditions de vie en RCA pour la première fois depuis plus d’une décennie. La collecte des données, menée par l’ICASEES en collaboration avec la Banque mondiale, a été réalisée en deux vagues distinctes : d’avril à juin 2021 et d’octobre à décembre 2021. L’enquête relève donc des informations sur les ménages centrafricains à différents moments du cycle agricole, ce qui est important, car la saisonnalité pourrait affecter les revenus, la consommation et la pauvreté. L’enquête a également été mise en œuvre dans le cadre d’entretiens personnels assistés par ordinateur, de sorte que le travail sur le terrain a pu être suivi de près afin de garantir une qualité élevée des données. Le questionnaire comprenait des questions détaillées sur la consommation des ménages, permettant de mesurer les conditions de vie et la pauvreté en conformité avec les pratiques recommandées à l’échelle internationale, mais aussi des questions sur la santé, l’éducation, les infrastructures de base, les moyens de subsistance et de nombreux autres corrélats de la pauvreté. Grâce à ces données, l’ICASEES a publié des statistiques officielles sur la pauvreté en RCA en février 2023 ; il s’agissait des premières statistiques officielles sur la pauvreté du pays depuis celles basées sur l’ECASEB 2008, publiées il y a plus d’une décennie. 2021 permet une ventilation géographique et garantit une La stratégie d’échantillonnage de l’EHCVM  représentativité des personnes déplacées dans les résultats. L’échantillon de l’EHCVM  2021 a couvert 6 437 ménages et a été pensé de manière à être représentatif des sept régions de la RCA et des zones urbaines 437 ménages et rurales (tableau 1). Pour tenir compte de l’importante population déplacée de la RCA, 496 des 6  ont été échantillonnés explicitement dans les camps de déplacés, à partir des données fournies par le HCR sur le nombre de ménages dans chaque camp. Les 5 941 ménages non déplacés restants ont été échantillonnés à partir de 500 zones de dénombrement tirées du dernier recensement effectué en 2003. Cela signifie que les résultats peuvent être ventilés en fonction du lieu de résidence des ménages, selon qu’ils vivent ou non dans des camps. TABLEAU 1.  ÉCHANTILLON DE L’EHCVM 2021 PAR RÉGION, URBAIN‑RURAL, ET SI LES MÉNAGES ONT ÉTÉ ÉCHANTILLONNÉS DANS DES CAMPS OU NON Urbain Rural TOTAL Tous les ménages en Dans les Tous les ménages en Dans les dehors des camps camps dehors des camps camps 1. Plateaux 287 0 660 0 947 2. Équateur 348 10 594 0 952 3. Yadé 144 171 935 0 1 250 4. Kagas 228 61 540 87 916 5. Fertit 108 68 275 0 451 6. Haut Oubangui 168 89 583 0 840 7. Bangui 1 071 10 0 0 1 081 TOTAL 2 354 409 3 587 87 6 437 Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. 38 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE L’EHCVM 2021 a également recueilli des données sur les personnes déplacées au sein des ménages vivant en dehors des camps, ce qui permet de les isoler dans l’analyse qui suit. Les questions spécifiques sur les personnes déplacées ont été conçues conformément aux recommandations internationales sur les statistiques relatives aux déplacés (IRIS). Pour l’analyse des résultats au niveau individuel — tels que les moyens de subsistance (chapitre 5) — les questions sur le déplacement forcé peuvent être utilisées directement pour identifier et isoler les résultats pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Plus précisément, l’évaluation de la pauvreté classe comme déplacée toute personne qui a fui sa résidence habituelle en raison de la violence ou d’une catastrophe naturelle ou environnementale. Cependant, il est également utile de préciser une définition du déplacement au niveau du ménage pour l’analyse des résultats à ce même niveau, en tenant compte de la pauvreté, de la sécurité alimentaire et de l’accès aux infrastructures essentielles, sur la base des informations individuelles relevées dans le questionnaire. Pour ce faire, l’évaluation de la pauvreté fait une distinction entre les ménages en dehors des camps selon qu’ils contiennent ou non des personnes déplacées. Cela signifie que les ménages peuvent être répartis en trois groupes : 1) les « ménages non‑déplacés », c’est‑à‑dire les ménages vivant hors des camps dans lesquels aucune personne déplacée ne réside ; 2) les « ménages déplacés hors des camps », c’est‑à‑dire les ménages vivant hors des camps dans lesquels au moins une personne déplacée réside ; et 3) les « ménages déplacés dans les camps », c’est‑à‑dire les ménages qui résident dans les camps13. 2. 2.   COMMENT MESURER LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE La pauvreté en RCA est mesurée en fonction de la consommation des ménages plutôt que de leurs revenus. Cette manière de procéder est typique des pays à faible revenu, car la mesure du revenu peut être difficile lorsque le marché du travail est dominé par des emplois informels ou des activités de subsistance, et le revenu peut être plus volatile si les chocs sont fréquents (Mancini & Vecchi, 2022). Le questionnaire de l’EHCVM contient des informations détaillées sur les denrées alimentaires consommées par les ménages centrafricains à domicile et qui proviennent 1) d’achats, 2) de leur propre production, 3) de cadeaux et 4) d’autres sources, comme des célébrations. Le questionnaire enregistre également la valeur des 5) repas consommés en dehors du domicile. Ensuite, à partir d’autres modules, l’enquête recueille des informations sur la valeur des dépenses consacrées 6) à l’éducation, 7) à la santé, 8) aux biens durables, 9) au logement et 10) à d’autres articles non alimentaires tels que le transport, l’habillement et le carburant14. Ces dix éléments donnent une image détaillée de ce que les ménages consomment. Un petit nombre de ménages (26) ont été exclus de l’analyse finale parce qu’ils ne disposaient pas d’informations suffisantes sur la nourriture consommée ; l’échantillon final pour l’analyse des conditions de vie et de la pauvreté correspond donc à 6 411 ménages15. 13  Dans l’échantillon final non pondéré de ménages utilisé pour l’analyse de la pauvreté, 78,4 % des ménages sont des ménages non‑déplacés, 13,9 % des ménages sont des ménages déplacés vivant hors des camps et 7,7 % des ménages déplacés vivant dans des camps. 14  La « valeur d’usage » des biens durables est calculée à partir du prix d’achat, de la dépréciation estimée et du prix de vente courant estimé ; l’idée est d’évaluer la valeur du bien durable pour le ménage au cours de l’année en question. La valeur du logement est estimée comme le montant payé en loyer pour ceux qui sont locataires, mais une mesure du « loyer imputé » basée sur les caractéristiques du ménage est construite pour ceux qui ne sont pas locataires. Voir Deaton et Zaidi (2002) pour plus de détails. 15  Aucune donnée n’a été enregistrée dans la section principale de consommation alimentaire du questionnaire pour 73 ménages. Il est plausible que les petits ménages consomment toute leur nourriture hors de chez eux, mais 26 de ces ménages n’avaient pas de consommation alimentaire hors de chez eux ou avaient plus de deux membres dans le ménage et ont donc été exclus de la construction de l’agrégat de consommation et de l’analyse de la pauvreté. Les autres pondérations ont été ajustées au niveau des regions. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 39 La mesure de la consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace pour faciliter les comparaisons entre les différents ménages de la RCA et de manière à pouvoir être comparée au seuil de pauvreté national unique. Étant donné les chocs sur les prix décrits au chapitre 1 et l’étendue des variations saisonnières, les prix que les ménages centrafricains connaissent peuvent avoir été différents selon le moment où ils ont été interrogés. Pour en tenir compte, la consommation a été déflatée dans le temps à partir des données mensuelles de l’IPC de la RCA. Elle a également été déflatée dans l’espace pour tenir compte des variations de prix dans les différentes régions de la RCA, en construisant un indice des prix pour chacun des six « domaines » du pays. Le domaine divise chacune des trois zones agro‑écologiques — 1) Guinéenne forestière, 2) Soudano‑oubanguienne, et 3) Soudano‑guinéenne — en zones rurales et urbaines, créant ainsi six zones distinctes16. Les indices de prix ont été calculés en créant un seuil de pauvreté pour chaque domaine et en le divisant par la pauvreté nationale ; la méthode de création de ce(s) seuil(s) de pauvreté est décrite ci‑dessous. En appliquant ces déflateurs temporels et spatiaux, il est possible de créer une mesure de la consommation « déflatée » ou « réelle », qui peut être comparée entre les différents ménages de l’enquête. Certains ménages étant plus importants que d’autres, l’analyse distingue également la consommation des ménages en fonction de leur taille afin de produire des valeurs par habitant. La consommation réelle par habitant est plus élevée et plus concentrée sur les produits non alimentaires dans les zones urbaines, à Bangui, et pour les ménages qui ne sont pas dans les camps. Dans l’ensemble, la consommation moyenne déflatée par personne des Centrafricains est légèrement inférieure à 250 000 francs CFA par an17. Le Centrafricain moyen consacre 64,6 % de son panier de consommation aux produits alimentaires, consommés à la maison ou à l’extérieur (figure 10). Cependant, il existe de nettes différences entre les zones rurales et urbaines, entre les différentes régions et entre les ménages en fonction de leur statut de déplacement. La consommation moyenne déflatée est plus élevée et la part de la consommation consacrée aux produits alimentaires est plus faible dans les zones urbaines, à Bangui et pour tous les ménages hors des camps (c’est‑à‑dire pour les ménages non‑déplacés et les ménages déplacés vivant hors des camps). Ces différences sont statistiquement significatives au niveau de 5 %, testées en utilisant des régressions bivariées simples regroupées au niveau des regions. Les différences dans la part du panier de consommation consacrée à la consommation alimentaire subsistent également si l’on considère uniquement les aliments consommés à domicile. Dans la mesure où les zones urbaines, Bangui et tous les ménages vivant en dehors des camps sont plus riches que les autres et qu’ils consomment une part plus importante de nourriture, ces résultats sont cohérents avec la loi d’Engel (Anker, 2011). 16  La construction d’indices de prix utilisant la même méthode au niveau de la région ou de la région‑urbaine‑rurale ne modifie pas substantiellement les principaux résultats. Les indices des prix au niveau du domaine sont préférables, car ils permettent de saisir l’importante distinction entre les zones urbaines et rurales sans devoir produire un trop grand nombre d’indices des prix. 17  Cela correspond à 729 dollars en PPA de 2017 par personne et par an. 40 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE FIGURE 10.  MODES DE CONSOMMATION EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE PAR ZONE URBAINE OU RURALE, PAR RÉGION ET PAR STATUT DE DÉPLACEMENT DES MÉNAGES A : Par zone urbaine‑rurale B : Par région 100 350 000 100 450 000 Part du panier de consommation (pourcentage) Consommation totale par personne et par an 90 90 400 000 Part du panier de consommation (pourcentage) 300 000 Consommation totale par personne et par an 80 80 350 000 250 000 70 70 300 000 (XAF déflatée) 60 (XAF déflatée) 60 250 000 200 000 50 50 200 000 40 150 000 40 150 000 30 30 100 000 100 000 20 20 10 50 000 50 000 10 0 0 ux 4. dé Ha 5 as ub it r Ba i ui 7. ngu teu O ert ng g tea Ya Ka ut . F ua a 0 0 Pla 3. Eq 1. 2. l in l ra ta ba To Ru Ur 6. C : Par statut de déplacement des ménages par personne et par an (XAF déflatée) 100 300 000 Part du panier de consommation 90 250 000 80 Consommation totale 70 (pourcentage) 200 000 60 50 150 000 40 100 000 30 20 50 000 10 0 0 Ménages Ménages PDI Ménages PDI non déplacés hors des camps dans les camps Aliment - achetée Santé Aliment - production propre Produits durables Aliment - cadeaux Logements Aliment - autres Autres produits non-alimentaires Repas à l'extérieur du domicile Consommation totale Éducation Note : La catégorie « Aliment — autres » comprend les boissons alcoolisées enregistrées dans la section non alimentaire du questionnaire et la nourriture consommée lors de festivals et de célébrations. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 41 Le seuil de pauvreté est calculé selon la méthode du « coût des besoins fondamentaux », basée sur des estimations du montant dont les Centrafricains ont besoin pour maintenir un niveau de vie minimum. Cette méthode repose sur le calcul du coût d’acquisition de la nourriture nécessaire pour répondre à certaines normes nutritionnelles de base, puis sur l’ajout du coût d’autres biens et services non alimentaires essentiels, tels que l’habillement et le logement (Haughton & Khandker, 2009 ; Datt & Lanjouw, 2023). En RCA, la norme nutritionnelle de base est fixée à 2 300 calories par personne et par jour 18. Cette méthode produit un seuil de pauvreté national de 263 485 francs CFA par personne et par an, soit environ 775 dollars en parité de pouvoir d’achat (PPA) de 2017 par personne et par an. De plus amples détails sur l’application de l’approche du coût des besoins fondamentaux en RCA sont présentés dans l’encadré 1. Encadré 1.  APPLICATION DE L’APPROCHE DU COÛT DES BESOINS FONDAMENTAUX POUR ÉTABLIR UN SEUIL DE PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Le seuil de pauvreté national en RCA a été établi en deux étapes principales : il a d’abord été créé un « seuil de pauvreté alimentaire ». Pour ce faire, le niveau de consommation nécessaire pour qu’une population de référence pertinente puisse se procurer 2 300 calories par personne et par jour a été calculé. La population de référence comprend les ménages situés entre les percentiles 20 et 90 de la distribution de la consommation par habitant déflatée dans le temps. Pour cette population de référence, un panier de référence de 54 produits alimentaires couvrant au moins 85 % de leur consommation totale (en francs CFA) a été défini. Ce panier de référence a été converti en quantités en utilisant les prix nationaux, puis en calories en utilisant les valeurs caloriques associées à chaque produit alimentaire. Initialement, le panier de référence ne contenait que 1 176 calories par personne et par jour, il a donc fallu le faire passer à 2 300 calories par personne et par jour. Cela donne un seuil de pauvreté alimentaire de 197 990 francs CFA par personne et par an, soit 582 dollars en PPA de 2017 par personne et par an. Ensuite, une composante non alimentaire du seuil de pauvreté a été définie. Il a fallu pour cela estimer la moyenne des dépenses non alimentaires des ménages, dont la consommation totale (en termes déflatés dans le temps, par personne) se situait à moins de 5 % du seuil de pauvreté alimentaire. On obtient ainsi une composante non alimentaire de 65 495 francs CFA par personne et par an, soit 193 dollars en PPA de 2017 par personne et par an. En additionnant les composantes alimentaires et non alimentaires, on obtient le seuil de pauvreté national. Le seuil de pauvreté national est de 263 485 francs CFA par personne et par an, soit 775 dollars en PPA de 2017 par personne et par an. Les statistiques sur la pauvreté sont estimées en utilisant un seuil de pauvreté unique pour la RCA. Il est possible de comparer la consommation avec un seuil de pauvreté unique, car la consommation est ajustée dans le temps et déflatée dans l’espace à l’aide des seuils de pauvreté spécifiques décrits ci‑dessus. Cela rend les comparaisons de la pauvreté pour différents ménages dans différentes parties du pays plus directes. 18  La valeur de 2 300 calories est appliquée dans de nombreux autres pays de la région de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale. Si les besoins caloriques de 3 000 calories par jour pour les hommes actifs — tirés du Département de l’agriculture des États‑Unis — sont ajustés à la composition démographique de la RCA en utilisant les facteurs d’ajustement calorico‑démographique appliqués au Nigéria — le plus grand pays de la région — les besoins caloriques moyens seraient de 2 240 calories par jour. (USDA, 2011 ; NBS, 2020). Ce chiffre est proche du seuil de 2 300 calories appliqué dans l’analyse. 42 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 2. 3.   LA PAUVRETÉ GÉNÉRALISÉE ET PROFONDE QUI SÉVIT EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE PLACE PLUS DE LA MOITIÉ DE LA POPULATION EN SITUATION DE PAUVRETÉ ALIMENTAIRE Plus des deux tiers des Centrafricains vivent dans la pauvreté et plus de la moitié sont en situation de pauvreté alimentaire. En 2021, 68,8 % des Centrafricains vivaient sous le seuil de pauvreté national de 263  485 francs CFA par personne et par an (figure 11)19. Cela signifie qu’environ 4,2 millions de personnes étaient pauvres en RCA. Cependant, la majorité des Centrafricains font face à des formes encore plus sévères de privations, et leur niveau de consommation est si insuffisant qu’il ne leur permet pas de satisfaire leurs besoins caloriques fondamentaux, quand bien même l’intégralité de la consommation est consacrée à l’alimentation. En effet, environ 54,9 % des Centrafricains ont des niveaux de consommation inférieurs au seuil de pauvreté alimentaire 990 francs CFA par personne et par an20. Cela signifie que 3,3 millions de Centrafricains étaient en de 197  situation de pauvreté alimentaire. Cela soulève la question de savoir si la productivité agricole de la RCA est suffisante pour nourrir sa population et si la qualité des infrastructures empêche la nourriture d’être acheminée où il le faut, ce qui est évoqué dans les chapitres 5 et 6. FIGURE 11.  TAUX DE PAUVRETÉ ET NOMBRE ABSOLU DE PAUVRES EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE SELON LE SEUIL DE PAUVRETÉ GLOBAL ET LE SEUIL DE PAUVRETÉ ALIMENTAIRE, PAR ZONES URBAINES ET RURALES. A : Taux de pauvreté B : Nombre absolu de pauvres 90 Taux de pauvreté (pourcentage) 5,0 80 4,5 Nombre absolu de pauvres 70 (millions de personnes) 4,0 60 3,5 50 3,0 40 2,5 74,2 68,8 4,2 2,0 61,1 60,1 30 54,9 3,3 47,5 1,5 2,7 20 2,2 1,0 1,5 10 1,2 0,5 0 0,0 Total Urbain Rural Total Urbain Rural Global Alimentaire Global Alimentaire Note : La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace de manière à pouvoir être comparée aux seuils de pauvreté nationaux. Le seuil de pauvreté global est de 263 485 francs CFA par personne et par an. Le seuil de pauvreté alimentaire est de 197 990 francs CFA par personne et par an. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. La pauvreté globale et la pauvreté alimentaire sont sensiblement plus élevées dans les zones rurales que dans les zones urbaines, mais cette différence est liée en grande partie à la situation de Bangui. Le taux de pauvreté global est de 74,2 % dans les zones rurales contre 61,1 % dans les zones urbaines. Cela signifie que 19  Cela signifie que le seuil de pauvreté national correspond à environ 775 dollars en PPA de 2017 par personne et par an. 20  Cela signifie que le seuil de pauvreté alimentaire correspond à environ 582 dollars en PPA de 2017 par personne et par an. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 43 la RCA compte environ 1,5 million de pauvres urbains et 2,7 millions de pauvres ruraux, et donc que 63,6 % des pauvres de la RCA habitent en zone rurale. Cette forte différence entre les taux de pauvreté urbains et ruraux illustre un élément de l’inégalité spatiale en RCA. Cependant, comme le montre la répartition régionale ci‑dessous, une grande partie de ce fossé urbain‑rural est due à la situation de Bangui. En fait, si l’on retire Bangui, le taux de pauvreté pour toutes les autres zones urbaines est de 71,2 % — toujours plus bas que dans les zones rurales, mais avec un écart urbain‑rural beaucoup plus faible. La pauvreté globale et la pauvreté alimentaire sont fortement corrélées avec d’autres marqueurs de l’insécurité alimentaire, ce qui met en évidence le niveau de privation qu’elles reflètent. Pour vérifier que les estimations de la pauvreté illustrent bien le manque d’accès à la nourriture, il est utile de les comparer à d’autres indicateurs de la sécurité alimentaire. L’une de ces mesures est le score de consommation alimentaire (SCA) du Programme alimentaire mondial (PAM), qui mesure la fréquence à laquelle différents groupes d’aliments ont été consommés au cours des sept jours précédents (WFP, 2008)21. Le questionnaire de l’EHCVM 2021 contient les questions nécessaires à l’estimation du score de consommation alimentaire, de façon que l’état de la sécurité alimentaire des ménages puisse être comparé à leur état de pauvreté. Il s’avère que les pauvres et les personnes en situation de pauvreté alimentaire sont nettement plus susceptibles de connaître une sécurité alimentaire « mauvaise ou médiocre » selon le SCA. Parmi les personnes vivant sous le seuil de pauvreté alimentaire, la sécurité alimentaire était mauvaise ou médiocre pour 58,8 % d’entre elles ; pour les personnes vivant entre le seuil de pauvreté alimentaire et le seuil de pauvreté global, le chiffre descend à 35,9 % ; et parmi les non‑pauvres, ils étaient seulement 25,8 % à connaître une insécurité alimentaire mauvaise ou médiocre. Il existe donc une corrélation positive entre la pauvreté et l’insécurité alimentaire. Cependant, il est évident que de nombreux ménages non pauvres souffrent également d’insécurité alimentaire, ce qui montre à quel point l’accès à la nourriture peut poser problème pour tous les Centrafricains. Il serait utile pour les décideurs politiques de savoir quelle est l’ampleur et la prévalence de la pauvreté. Le taux de pauvreté ne suffit pas à déterminer le niveau de pauvreté des ménages. Considéré isolément, ce taux peut inciter les décideurs politiques à concentrer leurs efforts sur les personnes qui se situent juste en dessous du seuil de pauvreté, plutôt que d’aider celles qui sont confrontées à des formes plus sévères de privation. Il est donc intéressant de calculer l’indice d’écart de pauvreté, qui mesure la différence moyenne entre la consommation des ménages pauvres et le seuil de pauvreté. Il est également utile de calculer l’indice de l’écart de pauvreté au carré, qui tient compte de l’inégalité entre les pauvres : cet indice est amélioré par les transferts des personnes situées juste sous le seuil de pauvreté vers celles qui se trouvent bien en dessous22. La pauvreté est profonde en RCA, il faudrait donc des ressources substantielles pour l’éliminer. L’indice d’écart de pauvreté pour la RCA est de 0,31 (figure 12). En multipliant ce chiffre par le seuil de pauvreté et la population de la RCA, on obtient le coût théorique de l’éradication de la pauvreté. Si l’aide pouvait être 21  Plus précisément, le SCA correspond à la somme pondérée du nombre de jours (sur les sept derniers) de consommation d’aliments appartenant aux huit groupes alimentaires suivants : féculents (pondération = 2) ; légumes secs (pondération = 3) ; légumes (pondération = 1) ; fruits (pondération = 1) ; viande et poisson (pondération = 4) ; lait et autres produits laitiers (pondération = 4) ; sucre (pondération = 0,5) ; et graisses et huiles (pondération = 0,5). Le SCA va donc de 0 à 112. Les personnes dont la sécurité alimentaire est « médiocre ou limite » affichent un score de 42 ou moins. H 22  Le taux de pauvreté est donné par : FGT0 = , où H est le nombre de pauvres et N est la population totale. L’indice d’écart de pauvreté N z  yi z H est donné par FGT1 1 N ¦( i 1 z ) , où est le seuil de pauvreté et yi est le niveau de consommation de l’individu i . L’indice d’écart de 1 H z  yi 2 pauvreté au carré est donné par FGT2 N ¦ i 1 ( z ) . 44 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE parfaitement ciblée et transférée aux pauvres, ce montant s’élèverait à 500 milliards de francs CFA par an, soit 1,5 milliard de dollars en PPA de 201723. En outre, la pauvreté est non seulement plus répandue dans les zones rurales, mais elle est aussi plus profonde, l’indice d’écart de pauvreté et l’indice d’écart de pauvreté au carré étant respectivement de 0,26 et 0,14 pour les zones urbaines et de 0,35 et 0,20 pour les zones rurales. Le fait que la pauvreté soit si profonde en RCA n’est pas surprenant étant donné la part importante de la population qui vit non seulement sous le seuil de pauvreté global, mais aussi sous le seuil de pauvreté alimentaire, ce qui indique qu’elle est confrontée à des formes particulièrement extrêmes de privation. FIGURE 12.  INDICE D’ÉCART DE PAUVRETÉ ET INDICE D’ÉCART DE PAUVRETÉ AU CARRÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE PAR ZONE URBAINE‑RURALE A : Indice d’écart de pauvreté B : Indice d’écart de pauvreté au carré 0,40 0,25 Indice d'écart de pauvreté au carré 0,35 Indice d'écart de pauvreté 0,20 0,30 0,25 0,15 0,20 0,35 0,31 0,20 0,15 0,10 0,17 0,26 0,14 0,10 0,05 0,05 0,00 0,00 Total Urbain Rural Total Urbain Rural Note : La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace de manière à pouvoir être comparée aux seuils de pauvreté nationaux globaux de 263 485 francs CFA par personne et par an. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. 2. 4.   LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE AFFICHE L’UN DES TAUX DE PAUVRETÉ LES PLUS ÉLEVÉS AU MONDE Les données de l’EHCVM 2021 peuvent également servir pour calculer la pauvreté à l’aide de seuils de pauvreté internationaux afin de permettre des comparaisons entre pays. Pour les estimations de la pauvreté internationale, seuls les ajustements temporels utilisant les données de l’IPC sont appliqués à l’agrégat de consommation nominale provenant de l’enquête ; la déflation spatiale n’est pas appliquée. La mesure de la consommation déflatée dans le temps peut ensuite être ajustée en PPA en dollars de 2017, en utilisant les estimations de l’IPC pour tenir compte de l’inflation et en utilisant les facteurs de conversion de la PPA pour tenir compte des différents coûts de la vie dans les différents pays. Il est intéressant de noter que lorsque le seuil de pauvreté est ainsi ajusté en dollars en PPA de 2017, il équivaut à 2,12 dollars en PPA de 2017 par personne et par jour, soit à peine trois centimes de moins que le seuil d’extrême pauvreté internationale de 2,15 dollars en PPA de 2017 par personne et par jour. Cela signifie qu’une grande partie de la différence entre les estimations de la pauvreté nationale et internationale provient du fait que les premières utilisent un agrégat de consommation déflatée dans le temps et dans l’espace, tandis que les secondes utilisent un agrégat de 23  En réalité, le coût serait beaucoup plus élevé, car il serait impossible de cibler parfaitement les personnes sous le seuil de pauvreté et il y aurait au moins certains coûts administratifs et autres pour effectuer ce types de transferts sociaux. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 45 consommation qui n’a été déflaté que dans le temps. L’application de ce type supplémentaire d’ajustement spatial est l’une des principales raisons pour lesquelles cette évaluation de la pauvreté se concentre sur la méthodologie qui sous‑tend les estimations de la pauvreté nationale. Ce n’est que lorsqu’il s’agit de comparer avec d’autres pays que la méthodologie qui sous‑tend la pauvreté internationale est utilisée. L’application de la méthodologie internationale de calcul de la pauvreté place la RCA parmi les 10 pays les plus pauvres du monde. Environ 65,7 % des Centrafricains vivent sous le seuil de pauvreté international de 2,15 dollars en PPA de 2017 par personne et par jour (figure 13)24. Cela signifie que la RCA a le taux de pauvreté le plus élevé de la CEMAC et que seuls quatre pays, tous situés en Afrique subsaharienne, présentent des taux de pauvreté plus élevés. Cet état de fait est tout à fait cohérent avec la relation globale entre la pauvreté et le PIB par habitant : le premier est élevé tandis que le second est faible en RCA. Il est donc essentiel de se concentrer sur des pays comme la RCA pour réduire la pauvreté à l’échelle régionale et mondiale. FIGURE 13.  COMPARAISONS INTERNATIONALES DU TAUX DE PAUVRETÉ AU SEUIL INTERNATIONAL DE PAUVRETÉ ET DES ESTIMATIONS DU PIB PAR HABITANT A : Taux de pauvreté en République centrafricaine et dans les pays de comparaison Taux de pauvreté (pourcentage) 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 Madagascar 80,7 Malawi 70,1 Pays avec les dix taux de pauvreté les plus élevés Congo, Rép. Dem. 69,7 Soudan du sud 67,3 RCA 65,7 Burundi 65,1 Mozambique 64,6 Zambie 61,4 Rwanda 52,0 Niger 50,6 Cameroun 25,7 CEMAC Tchad 30,9 Gabon 2,5 Congo, Rép. 35,4 24  Les estimations d’IPC qui sont utilisées pour calculer le taux de pauvreté au seuil international ont été amélioré après la publication du rapport d’ICASEES sur la pauvreté en février 2023 (ICASEES, 2023). Ceci explique les petites différences entre le rapport d’ICASEES et ce rapport. Tous les calculs qui emploient le seuil de pauvreté national restent constants. 46 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE B : Comparaison mondiale du taux de pauvreté et du PIB par habitant 90 80 Taux de pauvreté (pourcentage) 70 60 50 RCA Afrique 40 subsaharienne 30 Autres pays 20 10 0 100 1 000 10 000 100 000 1 000 000 PIB par habitant (2015 USD) Note : CEMAC = Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. La consommation est déflatée dans le temps et comparée au seuil de pauvreté international de 2,15 dollars en PPA de 2017 par personne et par jour. Les estimations de la pauvreté présentées proviennent de la dernière année d’enquête disponible pour chaque pays dans la plateforme Pauvreté et inégalités de la Banque mondiale. Dans le graphique A, les données les plus anciennes sont celles de la République du Congo, qui datent de 201 1. L’Ouzbékistan aurait l’un des taux de pauvreté les plus élevés s’il était inclus, mais ses dernières estimations de la pauvreté datent de 2003 et il est donc exclu. Les estimations du PIB par habitant datent de 2021 et sont présentées avec une échelle logarithmique. Source : EHCVM 2021, plateforme Pauvreté et inégalités de la Banque mondiale, indicateurs du développement dans le monde, et estimations de la Banque mondiale. 2. 5.   LES INÉGALITÉS GLOBALES SONT MODÉRÉES EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, MAIS ELLES CACHENT D’IMPORTANTES DISPARITÉS ENTRE LES DIFFÉRENTS TYPES DE MÉNAGES Le coefficient de Gini pour la RCA — qui mesure les inégalités globales — se situe dans la moyenne des pays de la CEMAC, mais il masque d’importantes disparités entre les différents types de ménages. Lorsqu’il est calculé en utilisant l’agrégat de consommation déflaté dans le temps et dans l’espace, le coefficient de Gini de la RCA est de 39,9 (figure 14). Cela place la RCA dans la moyenne des pays de la CEMAC, le Cameroun et la République du Congo ayant des coefficients de Gini plus élevés et le Tchad et le Gabon des coefficients de Gini plus faibles. Au sein de la CEMAC, des schémas similaires apparaissent lorsque l’on compare les ratios de part de quantile, c’est‑à‑dire en appliquant une autre méthode pour mesurer l’inégalité25. L’ampleur de la pauvreté implique des différences relativement faibles entre les ménages à travers la distribution de la consommation en RCA. Néanmoins, la partie suivante de cette évaluation de la pauvreté examine le profil de la pauvreté, qui souligne comment différents types de ménages — avec différentes caractéristiques démographiques, différentes caractéristiques du chef de ménage, vivant dans différentes parties du pays, avec différents statuts de déplacement — sont plus ou moins sensibles à la pauvreté en RCA. 25  Le rapport entre la part de la consommation des 20 % supérieurs de la distribution et celle des 20 % inférieurs est de 7,6 pour la RCA, contre 11,5 pour le Cameroun, 7,3 pour le Gabon, 12,8 pour la République du Congo et 6,4 pour le Tchad. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 47 FIGURE 14.  COEFFICIENT DE GINI POUR LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE ET LES PAYS DE COMPARAISON Coefficient de Gini 0 10 20 30 40 50 60 CAR 39,9 Madagascar 42,6 Malawi 38,5 Pays avec les dix taux de pauvreté les plus élevés Congo, Rép. Dem. 42,1 Soudan du sud 44,1 Burundi 38,6 Mozambique 54,0 Zambie 57,1 Rwanda 43,7 Niger 37,3 Cameroun 46,6 CEMAC Tchad 37,5 Gabon 38,0 Congo, Rép. 48,9 Note : CEMAC = Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. Coefficient de Gini pour la RCA calculé avec une consommation déflatée dans le temps et dans l’espace. L’Ouzbékistan aurait l’un des taux de pauvreté les plus élevés s’il était inclus, mais ses dernières estimations de la pauvreté datent de 2003 et il est donc exclu. Source : EHCVM 2021, Plateforme Pauvreté et inégalités de la Banque mondiale, et estimations de la Banque mondiale. 2. 6.   PROFIL DES PAUVRES EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Il peut être utile aux décideurs politiques de savoir distinguer les ménages les plus susceptibles d’être pauvres, c’est là qu’intervient le « profil de pauvreté ». En règle générale, le profil de pauvreté peut constituer la base d’un système de ciblage permettant d’identifier les ménages les plus pauvres éligibles aux aides publiques ou d’autres organismes d’aide. Cependant, la pauvreté est tellement généralisée en RCA que les méthodes de ciblage complexes et détaillées risquent d’être ni nécessaires ni appropriés. Néanmoins, il est important de savoir quels ménages sont confrontés à des formes particulièrement sévères de privation afin de donner une orientation générale aux politiques et programmes compensatoires. L’analyse qui suit établit donc des profils distincts pour la pauvreté globale et la pauvreté alimentaire. Elle commence par l’examen de la simple corrélation entre la pauvreté et une série de caractéristiques géographiques, domestiques et individuelles. Ensuite, des régressions simples de la pauvreté sur ces caractéristiques révèlent les corrélations partielles. Il existe de grandes différences dans le taux de pauvreté entre les différentes régions de la RCA, la pauvreté étant significativement plus faible à Bangui que dans le reste du pays. La consommation étant déflatée dans le temps et dans l’espace, il est possible de comparer le taux de pauvreté dans les différentes régions à l’aide d’un seuil de pauvreté national unique. En appliquant cette méthode, il apparaît que le taux de pauvreté à Bangui, à 40,1 %, est beaucoup plus bas que la moyenne de toutes les autres régions combinées, à 73,3 % (figure 15). En effet, le taux de pauvreté à Bangui est inférieur à la moitié du taux de pauvreté dans la région la plus pauvre de la RCA, le Haut Oubangui, où le taux de pauvreté s’établit à de 84,7 %. Ces schémas régionaux sont à l’origine 48 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE de la fracture entre les zones urbaines et les zones rurales évoquée plus haut, Bangui étant le principal centre urbain du pays. Des schémas similaires se dégagent pour la pauvreté alimentaire : la part des personnes vivant sous le seuil de pauvreté alimentaire est de 22,9 % à Bangui, soit moins d’un tiers de la part de la région la plus pauvre en nourriture, également le Haut Oubangui, où la pauvreté alimentaire est de 76,0 %. Ces résultats soulignent un clivage déterminant de l’inégalité en RCA, qui est obscurci par l’examen du seul coefficient de Gini. Ils fournissent également des informations essentielles aux décideurs politiques qui souhaitent utiliser des critères géographiques pour concevoir et cibler des politiques de réduction de la pauvreté et fournissent des orientations sur les questions de politique concernant la décentralisation de fonctions gouvernementales. FIGURE 15.  TAUX DE PAUVRETÉ AU SEUIL DE PAUVRETÉ NATIONAL ET AU SEUIL DE PAUVRETÉ ALIMENTAIRE DANS LES SEPT RÉGIONS DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE A : Pauvreté globale Fertit 67,7 Yadé 72,3 Kagas 78,6 Haut Oubangui 84,7 Equateur Plateaux 68,8 69,2 Taux de pauvreté (pourcentage) Bangui 40,1 40,1 – 67,8 67,9 – 68,8 68,9 – 72,3 72,4 – 78,6 78,7 – 84,7 B : Pauvreté alimentaire Fertit 47,7 Yadé 59,2 Kagas Haut 67,0 Oubangui 76,0 Equateur Plateaux 52,8 55,4 Taux de pauvreté alimentaire Bangui 22,9 (pourcentage) 22,9 – 47,7 47,8 – 52,9 53,0 – 59,2 59,3 – 67,0 67,1 – 76,0 Note : La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace pour être comparée aux seuils de pauvreté nationaux. Le seuil de pauvreté global est de 263 485 francs CFA par personne et par an. Le seuil de pauvreté alimentaire est de 197 990 francs CFA par personne et par an. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 49 Des techniques spécialisées d’estimation pour les petites zones révèlent qu’il existe des poches de pauvreté même dans les régions où les taux de pauvreté sont les plus faibles. En utilisant des données géospatiales détaillées en combinaison avec les données de l’EHCVM et des techniques d’apprentissage automatique — en particulier la méthode XGBoost (Extreme Gradient Boosting) — il est possible de produire des estimations de la pauvreté qui peuvent : 1) être ventilées à un niveau administratif inférieur à celui de la région, le niveau de représentativité le plus bas pour l’EHCVM et 2) couvrir des zones du pays qui n’ont pas été couvertes par l’enquête. Cette approche permet de construire des estimations de la pauvreté pour les préfectures (niveau administratif 1), les sous‑préfectures (niveau administratif 2) et les communes (niveau administratif 3) de la RCA. Les détails de la méthode utilisée pour produire cette carte de la pauvreté sont fournis dans l’annexe 2.1. De nombreuses communes où la pauvreté est la plus concentrée sont situées dans la région du Haut Oubangui, qui affiche également le taux de pauvreté le plus élevé (figure 16). Il existe toutefois des groupes de communes où la pauvreté est très élevée dans des régions où le taux de pauvreté est moyen par rapport au reste de la RCA, y compris dans le sud de la région des Plateaux et dans le centre de Yadé. La pauvreté est très répandue en RCA, mais il serait possible d’identifier et d’atteindre ces poches de pauvreté — à des niveaux inférieurs à la région et même à la préfecture — afin de cibler les personnes les plus exposées aux formes les plus sévères de privation. FIGURE 16.  TAUX DE PAUVRETÉ AU NIVEAU COMMUNAL AU SEUIL DE PAUVRETÉ NATIONAL Taux de pauvreté par commune (pourcentage) 32,0 – 67,0 67,1 – 70,5 70,6 – 75,5 75,6 – 80,8 80,9 – 94,4 Note : La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace de manière à pouvoir être comparée aux seuils de pauvreté nationaux. Le seuil de pauvreté global est de 263 485 francs CFA par personne et par an. Source : Landsat 8‑C2‑SR 2022, EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. 50 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE L’utilisation de l’échantillon unique de ménages déplacés de l’EHCVM 2021 montre que les ménages vivant dans des camps sont beaucoup plus exposés au risque de pauvreté. Le taux de pauvreté des déplacés centrafricains vivant dans les camps est de 76,3 %, plus élevé que celui des deux types de ménages vivant hors des camps, à savoir les ménages non déplacés (68,6 %) et les ménages déplacés hors des camps (68,0 %) (figure 17). Ces résultats concordent avec ceux observés au titre du capital humain (chapitre 4) et des moyens de subsistance (chapitre 5) des personnes vivant dans les camps, ainsi qu’avec les pertes de biens et de revenus qu’elles ont pu subir lors de le leur déplacement. Il n’existe toutefois pratiquement aucune différence dans le taux de pauvreté monétaire entre les ménages non‑déplacés et les ménages déplacés vivant hors des camps. FIGURE 17.  PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE SELON LE STATUT DE DÉPLACEMENT DES MÉNAGES 100 Part de la population (pourcentage) 90 23,7 80 31,4 32,0 Total: 76,3 70 10,3 Total: 68,6 Total: 68,0 60 14,4 12,0 50 40 30 65,9 54,2 56,0 20 10 0 Ménages non-PDI Ménages PDI hors des camps Ménages PDI dans les camps Pauvreté alimentaire Pauvre mais pas en situation de pauvreté alimentaire Pas pauvre Note : La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace de manière à pouvoir être comparée aux seuils de pauvreté nationaux. Le seuil de pauvreté global est de 263 485 francs CFA par personne et par an. Le seuil de pauvreté alimentaire est de 197 990 francs CFA par personne et par an. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. Comme dans de nombreux autres pays, les Centrafricains ont plus de risques d’être pauvres lorsqu’ils vivent dans des ménages de grande taille et que les chefs de ménage sont moins éduqués et travaillent principalement dans l’agriculture. Les ménages comptant plus de membres peuvent être associés à une fécondité plus élevée ou à la polygamie, deux facteurs souvent en corrélation avec la pauvreté (voir, par exemple, des statistiques similaires pour le Tchad (World Bank, 2021)). En effet, comme le montrent les statistiques au niveau individuel ci‑dessous, la polygamie semble être associée à une plus grande pauvreté en RCA également. De plus, si la direction que prennent les différences en fonction de l’éducation et du secteur dans lequel travaille le chef du ménage est prévisible, certains écarts sont frappants. En particulier, la probabilité que les Centrafricains vivant dans des ménages dont le chef a fait des études secondaires se trouvent en situation de pauvreté est de 17,6 points de pourcentage inférieure à celles des personnes vivant dans des ménages dont le chef a fait des études primaires (figure 18). De même, la probabilité que les Centrafricains vivant dans des ménages dont le chef travaille principalement dans l’agriculture soient pauvre est de 26,3 points de supérieure à celle des individus vivant dans des ménages dont le chef travaille principalement dans les services. Ces chiffres préfigurent les relations étroites entre la pauvreté et le capital humain (abordé dans le chapitre 4) et les moyens de subsistance (abordés dans le chapitre 5). ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 51 FIGURE 18.  PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE SELON LA TAILLE DU MÉNAGE ET LES CARACTÉRISTIQUES DU CHEF DE MÉNAGE 100 90 80,3 76,6 75,2 Part de la population 74,0 70,3 80 68,2 69,0 66,3 (pourcentage) 70 61,0 60 50,0 52,7 50,2 50 40 29,9 30 20 8,6 10 0 1 2–4 5–9 10+ Femme Homme Aucun Primaire Secondaire Post-secondaire Pas de travail Agriculture Industrie Services Taille du ménage Sexe du Education du chef Activité du chef chef de de ménage de ménage ménage Pauvreté alimentaire Pauvre mais pas en situation de pauvreté alimentaire Pas pauvre Note : La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace de manière à pouvoir être comparée aux seuils de pauvreté nationaux. Le seuil de pauvreté global est de 263 485 francs CFA par personne et par an. Le seuil de pauvreté alimentaire est de 197 990 francs CFA par personne et par an. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. La ventilation des résultats en fonction des caractéristiques individuelles suggère peu de différences entre les niveaux de pauvreté des femmes et des filles et ceux des hommes et des garçons, mais il existe des différences importantes entre les sexes lorsque l’échantillon est divisé par groupe d’âge et par statut matrimonial. La ventilation du taux de pauvreté en fonction des caractéristiques individuelles doit être envisagée avec prudence, car les données de l’EHCVM 2021 ne permettent d’estimer la pauvreté qu’au niveau du ménage et non pour chaque individu du ménage ; il est impossible de connaître la répartition de la consommation au sein du ménage. Il n’est donc pas surprenant que le taux de pauvreté soit à peu près le même pour les femmes (69,7 %) et les hommes (67,9 %). Cependant, en poussant plus loin cette ventilation, deux tendances importantes se dégagent. Tout d’abord, les femmes semblent être nettement plus exposées au risque de pauvreté lorsqu’elles sont en âge d’avoir et d’élever des enfants. Elles ont alors des responsabilités qui peuvent limiter leurs possibilités d’exercer des activités génératrices de revenus (figure 19). Ensuite, parmi les personnes divorcées, séparées ou veuves, les femmes sont plus susceptibles que les hommes de vivre dans la pauvreté. Il est probable que ces femmes continuent à assumer la responsabilité des enfants et des autres personnes à charge, tout en ayant perdu les ressources ou le revenu de leur conjoint qui leur permettaient de subvenir à leurs besoins. 52 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE FIGURE 19.  PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE VENTILÉE PAR CARACTÉRISTIQUES INDIVIDUELLES : SEXE, ÂGE ET ÉTAT MATRIMONIAL A : Par sexe et par âge B : Par sexe et statut matrimonial 90 90 Taux de pauvreté (pourcentage) 80 80 Taux de pauvreté 70 (pourcentage) 70 60 60 50 40 50 30 40 20 30 10 0 20 ré ) ar lle/ am ) am ) pa (e e og (e yg (e e) e) ) e) (e uv sé rcé on rié ol ié ié( sm e ve pa rm (p ar 10 ou ivo (m Ma uf/ M nfo D Ve ni 0 io Un 0–4 5–9 10–14 15–19 20–24 25–29 30–34 35–39 40–44 45–49 50–54 55–59 60–64 65–69 70–74 75+ Femme Homme Âge (années) Femme Homme Note : Les graphiques rendent compte de la pauvreté en utilisant le seuil de pauvreté national de 263 485 francs CFA par personne et par an. La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace de manière à pouvoir être comparée au seuil de pauvreté national. Les statistiques sur l’état matrimonial portent sur les personnes âgées de 15 ans ou plus. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. De nombreuses caractéristiques des ménages examinées ci‑dessus sont corrélées entre elles, il est donc important de vérifier si le lien avec la pauvreté est encore étroit lorsque toutes les caractéristiques sont prises en compte ensemble. Pour ce faire, il est possible d’effectuer une régression sur le statut de pauvreté sur tous ces corrélats potentiels de la pauvreté en même temps, ainsi que sur d’autres variables de contrôle telles que les caractéristiques de localisation et les privations non monétaires examinées au chapitre 4 (tableau 2). Cette régression comporte une variable binaire qui prend la valeur 1 si le ménage se situe sous le seuil de pauvreté national et la valeur 0 dans le cas contraire, dans la partie gauche. Il s’agit donc d’un modèle de probabilité linéaire, de sorte que les coefficients peuvent être lus directement comme des effets marginaux26,27. 26  Les erreurs standard sont regroupées au niveau des regions afin de minimiser l’impact de l’hétéroscédasticité. Les résultats sont qualitativement similaires si un modèle probit est estimé et que les effets marginaux à la moyenne sont calculés. 27  Une régression avec le logarithme de la consommation par habitant déflatée comme variable dépendante est présentée dans le tableau 4 de l’annexe 2.2. Les résultats sont qualitativement similaires au profil de pauvreté principal rapporté dans le tableau 2. La seule différence essentielle est que, avec le logarithme de la consommation par habitant déflatée comme variable dépendante, il existe une corrélation partielle évidente avec le sexe du chef de ménage. Cela indique que le genre du chef de ménage a une incidence sur les niveaux de consommation des ménages qui se situent dans différentes parties de la distribution, loin du seuil de pauvreté. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 53 TABLEAU 2.  RÉGRESSION DU STATUT DE PAUVRETÉ SUR LES CARACTÉRISTIQUES DU MÉNAGE Variables principales Ajouter des contrôles Ajout de privations uniquement de localisation non monétaires Ménage déplacé dans un camp 0,0784* 0,0362 0,0267 (0,0447) (0,0537) (0,0555) Ménage de déplacés internes hors –0,0204 –0,0384* –0,0319 du camp (0,0230) (0,0226) (0,0217) Taille du ménage 0,0387*** 0,0380*** 0,0369*** (0,0031) (0,0030) (0,0030) Chef de ménage homme –0,0078 –0,0240 –0,0169 (0,0182) (0,0177) (0,0170) Chef de ménage ayant un niveau –0,0299* –0,0241 –0,0157 d’éducation primaire (0,0165) (0,0160) (0,0223) Chef de ménage ayant un niveau –0,1599*** –0,1270*** –0,0838** d’éducation secondaire (0,0324) (0,0309) (0,0325) Chef de ménage ayant suivi des études –0,3215*** –0,2443*** –0,1489** supérieures (0,0629) (0,0545) (0,0625) Chef de ménage travaillant 0,0906*** 0,0295 0,0078 principalement dans l’agriculture (0,0314) (0,0310) (0,0287) Chef de ménage travaillant –0,0458 –0,0518 –0,0453 principalement dans l’industrie (0,0418) (0,0404) (0,0389) Chef de ménage travaillant –0,1272*** –0,1250*** –0,0909*** principalement dans les services (0,0298) (0,0293) (0,0272) Constant 0,4572*** 0,518 9*** 0,1766*** (0,0355) (0,0479) (0,0590) N 6 411 6 411 6 411 R 2 0,1344 0,1592 0,2063 Note : La variable dépendante est une variable binaire qui prend la valeur 1 si le ménage est sous le seuil de pauvreté national et la valeur 0 dans le cas contraire. Il s’agit d’un modèle de probabilité linéaire, de sorte que les coefficients peuvent être lus directement comme des effets marginaux. Les erreurs standard regroupées au niveau du district de recensement sont entre parenthèses. * p<0,10, ** p<0,05, *** p<0,01. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. Les conclusions selon lesquelles les ménages de plus grande taille, dont le chef a au moins un niveau d’éducation secondaire et travaille dans les services, sont moins susceptibles d’être pauvres, semblent particulièrement solides, ce qui permet d’envisager certaines pistes pour lutter contre la pauvreté. Certaines variables  —  notamment la taille du ménage, le fait que le chef de ménage ait suivi un enseignement secondaire ou post‑secondaire et qu’il travaille dans les services — restent statistiquement significatives dans les régressions du profil de pauvreté, même lorsqu’elles sont incluses en même temps que d’autres variables. Ces résultats soulignent comment les Centrafricains pourraient être en mesure de sortir de la pauvreté. Tout d’abord, le fait que les Centrafricains vivant dans des ménages de grande taille soient plus susceptibles d’être pauvres fait écho à la relation entre fécondité et pauvreté observée dans d’autres pays — avec moins d’enfants, les ménages peuvent investir davantage dans le capital humain de chaque 54 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE enfant (Ainsworth, Beegle, & Nyamete, 1996 ; Beegle & Christiaensen, 2019) Ensuite, le coefficient important et robuste du niveau d’éducation secondaire et post‑secondaire des chefs de ménage démontre l’association entre le capital humain et la pauvreté. Il semble que les gens doivent s’inscrire à l’école et y rester pour profiter pleinement des effets de l’éducation. Enfin, étant donné que la probabilité que les ménages dont le chef travaille dans les services se retrouvent en situation de pauvreté est d’environ 9,1 points de pourcentage inférieure à celle des individus dont le chef travaille dans l’agriculture (ou ne travaille pas), la transformation structurelle — avec des travailleurs venant du secteur agricole — pourrait jouer un rôle important dans la réduction de la pauvreté. Pourtant, à l’heure actuelle, les avantages de la transformation structurelle semblent encore loin pour la plupart des Centrafricains : alors que le secteur des services représente 43,5 % du PIB, contre 33,8 % pour l’agriculture (voir chapitre 1), seuls 21,6 % des ménages centrafricains ont un chef travaillant dans les services et 62,9 % ont un chef travaillant dans l’agriculture. Cela indique que la valeur ajoutée est beaucoup plus élevée dans les services. Par conséquent, pour lutter contre la pauvreté, il faudra, au moins en partie, aider les travailleurs à s’orienter vers des secteurs plus productifs ou stimuler la productivité du secteur, à savoir l’agriculture, dans lequel les ménages pauvres sont actuellement concentrés. La relation entre les moyens de subsistance et la pauvreté est examinée plus en détail au chapitre 5. Disposer d’informations sur un petit sous‑ensemble de caractéristiques géographiques et de ménages peut aider à identifier les ménages centrafricains les plus susceptibles d’être pauvres ou de souffrir de pauvreté alimentaire. Même s’il existe une corrélation brute entre de nombreuses variables examinées dans les sections précédentes et la pauvreté, seule une poignée de variables reste statistiquement significative lorsqu’elle est incluse dans les régressions du profil de pauvreté. Ces indicateurs pourraient être particulièrement utiles aux décideurs politiques désireux d’identifier les ménages à cibler en priorité pour les interventions de lutte contre la pauvreté. Cependant, dans la pratique, il peut être préférable d’utiliser des variables plus simples à collecter et à analyser à des fins de ciblage. C’est particulièrement vrai lorsque la pauvreté générale et la pauvreté alimentaire sont si répandues. 2. 7.   LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ DEVRAIT RESTER MODÉRÉE Des projections simples permettent de prévoir l’évolution de la pauvreté en RCA au cours des cinq prochaines années et d’estimer son évolution au cours des cinq dernières années. Plus précisément, les projections de croissance du PIB réel, par secteur et par habitant — pour les prévisions prospectives — et les estimations antérieures de croissance du PIB réel, par secteur et par habitant — pour les estimations rétrospectives — peuvent être mises en correspondance avec les données de l’EHCVM 2021 en fonction de l’activité principale du chef de ménage, qu’il s’agisse de l’agriculture, de l’industrie ou des services28. Ensuite, l’ensemble de la distribution de la consommation peut être projetée pour les années précédentes ou suivantes et comparée au seuil de pauvreté, en supposant que la croissance du PIB réel par secteur affecte la croissance de la consommation selon un certain taux de répercussion29. Pour les projections, une prévision de base et un scénario plus pessimiste sont fournis, ce dernier illustrant ce qui pourrait se 28  Les estimations de la croissance ont déjà été déflatées selon le déflateur du PIB, de sorte qu’aucun ajustement supplémentaire des prix n’est appliqué. Les ménages dont le chef ne travaille pas utilisent la moyenne pondérée de la croissance du PIB réel des secteurs agricole, industriel et des services. 29  Les taux de répercussion sont fixés à 1 et 0,75. Ce dernier reflète une estimation de la Banque mondiale de la répercussion pour les pays d’Afrique subsaharienne (World Bank, 2018). ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 55 produire si les conflits et autres difficultés s’intensifiaient30. De plus amples détails sur l’approche et son application à un autre pays d’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale (le Nigéria) sont fournis dans le rapport correspondant (World Bank, (2020). Il est peu probable que le taux de pauvreté en RCA ait changé de manière notable au cours des cinq dernières années et il n’est pas prévu qu’il baisse de manière significative au cours des cinq prochaines années — il pourrait même augmenter. En appliquant l’approche décrite ci‑dessus et en commençant par les estimations rétrospectives, il apparaît que la pauvreté a très légèrement diminué depuis 2017, mais seulement d’environ 1 point de pourcentage au mieux (figure 20). L’environnement politique de ces dernières années n’a pas été suffisant pour sortir les Centrafricains de la pauvreté. En ce qui concerne les prévisions, le taux de pauvreté de la RCA au seuil de pauvreté national devrait rester supérieur à 68 % jusqu’en 2025. Selon les estimations, la croissance du PIB réel a complètement stagné en 2022, dépassée par la croissance démographique et entraînant une augmentation de la pauvreté. En fait, on estime qu’en 2022, la croissance sera négative dans le secteur agricole (2,4 %), qui emploie le plus grand nombre de ménages, et dans le secteur industriel (–5,6 %), seuls le secteur des services devrait voir une croissance positive (4,9 %). Dans le scénario de base, l’amélioration des perspectives de croissance pour 2023, 2024 et 2025 permettrait ensuite de faire reculer la pauvreté. Dans des scénarios de croissance plus pessimistes — où la violence et d’autres facteurs limitent la croissance — la pauvreté pourrait encore augmenter. Éviter ces freins à la croissance est donc une priorité essentielle. Cependant, il sera également important de mettre en place un ensemble de politiques visant à promouvoir une croissance plus inclusive et à accélérer la réduction de la pauvreté. Ces politiques sont examinées plus en détail au chapitre 7. FIGURE 20.  ESTIMATIONS RÉTROSPECTIVES ET PRÉVISIONS DE LA PAUVRETÉ POUR LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 73 Taux de pauvreté (pourcentage) 72 71 70 69 68 67 66 65 2017 2018 2019 2020 2021 2022 2023 2024 2025 Estimation rétrospective, répurcussion = 0,75 Prévisions de base, répercussion = 1,00 Estimation rétrospective, répercussion = 1,00 Prévisions pessimistes, répercussion = 0,75 Prévisions de base, répercussion = 0,75 Prévisions pessimistes, répercussion = 1,00 Note : Les lignes pointillées représentent les prévisions et les lignes pleines les estimations rétrospectives. La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace de manière à pouvoir être comparée aux seuils de pauvreté nationaux. Le seuil de pauvreté global est de 263 485 francs CFA par personne et par an. Source : MFMOD (pour les estimations et prévisions macroéconomiques), EHCVM 2021, et estimations de la Banque mondiale. 30  Les estimations et prévisions de croissance utilisées pour les projections de pauvreté sont présentées dans le tableau 5 de l’annexe 2.3. 56 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 2. 8.   PRENDRE EN COMPTE LA DYNAMIQUE DE LA PAUVRETÉ ET DE LA VULNÉRABILITÉ L’observation instantanée de la pauvreté fournit des orientations politiques utiles, mais les décideurs ont également besoin de connaître la dynamique de la pauvreté, de la vulnérabilité et des chocs. En présentant l’étendue de la pauvreté monétaire et son profil, ce chapitre révèle l’ampleur des difficultés rencontrées par la RCA dans son entreprise de réduction de la pauvreté. Il fournit également des informations sur les ménages les plus démunis ainsi que sur les canaux plus généralistes — qu’il s’agisse d’interventions axées sur la fécondité, le capital humain ou les moyens de subsistance — qui pourraient permettre aux Centrafricains de sortir de la pauvreté. Cependant, la pauvreté n’est pas un problème statique. Il suffirait d’un choc pour que de nombreux ménages non pauvres tombent dans la pauvreté et que ceux qui y sont déjà s’y enfoncent davantage d’autant plus que la pauvreté est très généralisée. Il serait par conséquent particulièrement utile pour les décideurs politiques de disposer d’informations sur la vulnérabilité à la pauvreté ou à des privations plus extrêmes. Ce sont précisément les questions que l’évaluation de la pauvreté aborde dans le chapitre 3. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 57 Annexe 2.1.  RÉALISATION D’UNE CARTE DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE La production d’une carte de la pauvreté pour la RCA repose sur l’utilisation de méthodes d’apprentissage automatique pour relier les données géospatiales granulaires aux estimations sur les conditions de vie et la pauvreté de l’EHCVM 2021. La cartographie de la pauvreté vise à estimer un modèle de la relation entre les données géospatiales — qui couvrent l’ensemble du pays et sont représentatives à plus petite échelle — et les estimations des conditions de vie et de la pauvreté tirées de l’EHCVM 2021. Ce modèle permet d’imputer des estimations des conditions de vie et de la pauvreté à des niveaux administratifs — notamment les préfectures (niveau administratif 1), les sous‑préfectures (niveau administratif 2) et les communes (niveau administratif 3) — inférieurs au niveau de représentativité (la région) pouvant être obtenues avec l’EHCVM 2021 seule. Il est également possible de fournir des estimations pour les sous‑préfectures et les communes qui ne sont pas directement couvertes par l’EHCVM. L’algorithme XGBoost, qui représente un type particulier de techniques d’apprentissage automatique, a été utilisé pour estimer cette relation, après avoir fait ses preuves dans d’autres exercices similaires d’estimation de petites zones (Corral, Henderson, & Segovia, 2023). Les données géospatiales utilisées pour créer la carte de la pauvreté couvrent un large éventail de caractéristiques géographiques différentes au niveau des zones d’habitation. Les données géospatiales qui sous‑tendent la carte de la pauvreté proviennent de Landsat 8‑C2‑SR 2022, qui fournit des informations sur les caractéristiques liées à l’urbanisation, à la végétation, à la présence d’eau et à d’autres variables qui pourraient potentiellement être liées aux conditions de vie et à la pauvreté. La liste des caractéristiques et leur importance relative pour le modèle à chaque niveau administratif sont présentées dans le tableau 3. Pour s’assurer que ces données couvrent les zones où les gens vivent réellement, elles ont été extraites au niveau des zones d’habitation et leur géolocalisation a été utilisée pour établir un lien avec les données de l’EHCVM. L’emplacement de ces zones a été déterminé à l’aide d’images à haute résolution montrant l’empreinte au sol des constructions, leur superficie et leur densité (GRID3, 2021). Le pays compte 70 238 zones d’habitation réparties dans les 17 préfectures, 72 sous‑préfectures et 171 communes. Cela signifie que les résultats peuvent être agrégés jusqu’au niveau administratif souhaité, sans aucune lacune. Le seul endroit où cette méthode ne peut être appliquée est Bangui, car les zones d’habitation y sont trop peu nombreuses pour permettre de dissocier les communes (connues à Bangui sous le nom d’arrondissements). L’utilisation des estimations directes résultant de l’EHCVM est donc plus pertinente dans le cas de Bangui. TABLEAU 3.  LISTE DES ÉLÉMENTS GÉOSPATIAUX UTILISÉS POUR ÉTABLIR UNE CARTE DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Importance des caractéristiques pour chaque modèle Fonctionnalité Définition Région Admin 1 Admin 2 Admin 3 MNDWI Indice de différence 24,71 2,08 1,57 2,24 d’eau normalisé modifié BRBA Rapport de bande pour 15,03 3,51 1,99 4,85 la zone bâtie NBAI Indice de surface bâtie 19,87 14,36 4,19 5,34 normalisée NDSI Différence normalisée de 0,00 2,82 3,28 5,22 l’indice de neige 58 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Importance des caractéristiques pour chaque modèle Fonctionnalité Définition Région Admin 1 Admin 2 Admin 3 VARI Indice visible de résistance à 22,01 12,12 7,50 7,10 l’atmosphère SAVI Indice de végétation 16,12 10,93 12,54 11,37 ajusté au sol OSAVI Indice de végétation 1,08 6,00 8,13 12,39 optimisé ajusté au sol NDMI Indice d’humidité 0,00 11,15 9,43 7,31 différentielle normalisé EVI Indice de végétation 0,00 14,39 9,88 5,73 amélioré NDVI Indice de végétation par 0,00 0,00 5,68 8,60 différence normalisée NDBI Indice d’urbanisation par 0,00 13,70 10,83 7,09 difference normalisé SR Ratio simple 0,00 0,00 4,52 4,85 ARVI Indice de végétation 1,17 7,20 8,34 8,53 résistant à l’atmosphère UI Indice urbain 0,00 1,75 12,11 9,37 Note : Les résultats relatifs à l’importance des caractéristiques sont exprimés en pourcentage. Source : Landsat 8‑C2‑SR 2022 Landsat 8‑C2‑SR 2022. Les résultats montrent qu’il existe des variations considérables au sein des régions et des préfectures. La principale valeur ajoutée de la construction de cartes granulaires de la pauvreté est qu’elles peuvent révéler des variations dans la concentration de la pauvreté au sein de zones géographiques plus vastes pour lesquelles l’enquête initiale sur les ménages est déjà représentative. Il n’est pas possible de tester formellement les différences entre ces niveaux administratifs inférieurs (c’est‑à‑dire entre les sous‑préfectures et les communes) au sein des zones de niveau supérieur (telles que les régions et les préfectures), car il n’existe pas de méthode claire pour calculer les erreurs types qui le permettraient. Cependant, il semble qu’il y ait de grandes différences dans les estimations ponctuelles des taux de pauvreté entre les sous‑préfectures (figure 21) et les communes (figure 16) au sein des préfectures et des régions. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 59 FIGURE 21.  TAUX DE PAUVRETÉ AU NIVEAU DES SOUS‑PRÉFECTURES AU SEUIL DE PAUVRETÉ NATIONAL Taux de pauvreté par sous-préfecture (pourcentage) 44,1 – 56,1 56,2 – 70,3 70,4 – 76,9 77,0 – 84,6 84,7 – 93,7 Note : La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace de manière à pouvoir être comparée aux seuils de pauvreté nationaux. Le seuil de pauvreté global est de 263 485 francs CFA par personne et par an. Source : Landsat 8‑C2‑SR 2022, EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. Deux vérifications soutiennent la validité des estimations de la pauvreté dans les petites zones produites pour la RCA à l’aide de XGBoost. Premièrement, même si les estimations directes de la pauvreté au niveau de la préfecture, de la sous‑préfecture et de la commune ne sont pas techniquement représentatives, il est encore courant de comparer les estimations de la pauvreté issues de XGBoost avec ces estimations directes (voir, par exemple, Chi, Fang, Chatterjee et Blumenstock (2022)). En opérant une régression sur les estimations directes de la pauvreté des communes où elles sont disponibles sur les estimations correspondantes de XGBoost, on obtient un R‑carré de 0,810. Les valeurs du R‑carré sont encore plus élevées pour les modèles au niveau de la sous‑préfecture (0,858), de la préfecture (0,982) et de la région (0,997). Cela signifie que la proportion des estimations directes de la pauvreté qui peut être expliquée par les estimations XGBoost est relativement élevée et, au moins pour le niveau de la sous‑préfecture et au‑delà, est en ligne avec d’autres modèles similaires estimés pour l’Afrique subsaharienne (Lee & Braithwaite, 2022). Ensuite, en ce qui concerne les erreurs de prédiction, les résidus du modèle sont relativement bien alignés sur les quantiles théoriques d’une distribution normale, malgré la présence de quelques valeurs aberrantes. Cela confirme les hypothèses de forme fonctionnelle qui sous‑tendent le modèle. 60 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Annexe 2.2.  RÉGRESSION SUPPLÉMENTAIRE DU PROFIL DE PAUVRETÉ TABLEAU 4.  RÉGRESSION DU LOGARITHME DE LA CONSOMMATION SUR LES CARACTÉRISTIQUES DU MÉNAGE Variables principales Ajouter des contrôles de Ajout de privations non uniquement localisation monétaires Ménage déplacé dans un camp –0,2465*** –0,1696* –0,1520* (0,0777) (0,0885) (0,0871) Ménage de déplacés internes –0,0264 0,0085 –0,0036 hors du camp (0,0435) (0,0444) (0,0420) Taille du ménage –0,0794*** –0,0778*** –0,0746*** (0,0049) (0,0045) (0,0045) Chef de ménage homme 0,0920*** 0,1197*** 0,1086*** (0,0276) (0,0259) (0,0244) Chef de ménage ayant un niveau 0,0520* 0,0380 –0,0004 d’éducation primaire (0,0273) (0,0255) (0,0318) Chef de ménage ayant un niveau 0,2475*** 0,1840*** 0,0826* d’éducation secondaire (0,0470) (0,0437) (0,0466) Chef de ménage ayant suivi des études 0,6115*** 0,4669*** 0,2787*** supérieures (0,0775) (0,0638) (0,0724) Chef de ménage travaillant –0,1893*** –0,0767 –0,0384 principalement dans l’agriculture (0,0502) (0,0490) (0,0456) Chef de ménage travaillant 0,1019 0,1048* 0,0980* principalement dans l’industrie (0,0635) (0,0591) (0,0547) Chef de ménage travaillant 0,2289*** 0,2219*** 0,1649*** principalement dans les services (0,0500) (0,0474) (0,0440) Constant 12,6008*** 12,5201*** 13,1242*** (0,0577) (0,0688) (0,0714) N 6 411 6 411 6 411 R2 0,2227 0,2653 0,3301 Note : La variable dépendante est le logarithme de la consommation par habitant déflatée. Les erreurs standard regroupées au niveau du district de recensement sont entre parenthèses. * p<0,10, ** p<0,05, *** p<0,01. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 61 Annexe 2.3.  ESTIMATIONS ET PRÉVISIONS DE CROISSANCE UTILISÉES POUR LES PROJECTIONS DE PAUVRETÉ TABLEAU 5.  ESTIMATIONS ET PRÉVISIONS DE CROISSANCE UTILISÉES POUR LES PROJECTIONS DE PAUVRETÉ Base de référence Pessimiste Croissance Dans Dans de la Agriculture Industrie Services Agriculture Industrie Services Année l’ensemble l’ensemble population 2018 3,8 0,6 4,7 5,9 3,8 0,6 4,7 5,9 2,0 2019 3,0 4,5 3,5 1,6 3,0 4,5 3,5 1,6 2,2 2020 1,0 5,0 0,6 –1,9 1,0 5,0 0,6 –1,9 2,6 2021 1,0 2,9 –0,4 0,1 1,0 2,9 –0,4 0,1 2,1 2022e 0,0 –2,4 –5,6 4,9 0,0 –2,4 –5,6 4,9 2,2 2023 e 3,0 3,2 0,1 4,1 0,0 1,3 –1,7 –0,2 2,2 2024 e 3,8 3,3 0,3 5,8 0,5 1,1 –1,8 1,1 2,3 2025 e 3,8 3,4 0,7 5,5 3,0 2,8 0,0 4,4 2,3 Note : e = estimation. e = prévision. Source : Modèle macro‑budgétaire de la Banque mondiale et estimations de la Banque mondiale. 3.  UN SEUL CHOC SUFFIRAIT À FAIRE BASCULER PRESQUE TOUS LES CENTRAFRICAINS DANS LA PAUVRETÉ PRINCIPALES OBSERVATIONS ▶ Neuf Centrafricains sur dix environ risquent de basculer dans la pauvreté, ou de voir leur situation s’aggraver. Même s’ils étaient déjà pauvres, ils courent un risque de 50 % de se retrouver en dessous du seuil national de pauvreté dans les deux années à venir. ▶ En outre, plus des trois quarts des Centrafricains risquent de tomber en dessous du seuil de pauvreté alimentaire, ce qui montre qu’ils sont soumis à des formes plus extrêmes de privation. ▶ La quasi‑totalité des déplacés centrafricains vivant dans des camps risque de tomber sous le seuil de pauvreté alimentaire. ▶ La République centrafricaine subit de nombreux chocs. Ceux‑ci sont surtout liés à la l’insecute et concernent plus particulièrement les personnes vivant dans les camps ; près de six Centrafricains sur dix ont été confrontés à de ce type de choc au cours des trois dernières années. ▶ De nombreux Centrafricains adoptent des stratégies d‘adaptation négatives en réponse aux chocs, notamment en réduisant leur consommation alimentaire, ce qui pourrait les enfoncer davantage dans la pauvreté. ▶ Les systèmes de protection sociale sont insuffisants et ne sont pas assez ciblés pour répondre aux besoins des nombreux habitants pauvres et vulnérables du pays. Ce chapitre traite du risque que les ménages centrafricains basculent dans la pauvreté, ou s’y enfoncent davantage, en cas de chocs négatifs. Comme nous l‘avons vu au chapitre 1, la République centrafricaine fait face à de nombreuses crises liées aux conflits, au changement climatique et à la hausse des prix, qui pourraient se répercuter sur les revenus et les moyens de subsistance des ménages. Ces chocs pourraient faire passer les ménages qui se trouvent juste au‑dessus du seuil de pauvreté en‑dessous de celui‑ci. Cependant, et c’est peut‑être plus important pour la RCA étant donné la prévalence de la pauvreté décrite au chapitre 2, les chocs peuvent également pousser les ménages déjà pauvres vers des formes plus extrêmes de privation, y compris en les poussant en dessous du seuil de pauvreté alimentaire. Ce chapitre approfondit ces questions en considérant tout d’abord la taille et le profil de la population vulnérable du pays — vulnérabilité à la pauvreté globale et à la pauvreté alimentaire — en analysant la variance de la consommation. Il se penche ensuite sur les types de chocs négatifs subis par les ménages centrafricains, et montre que les chocs liés aux conflits sont particulièrement répandus. Puis, il traite des stratégies d’adaptation que les ménages déploient pour faire face à ces chocs, et décrit les conséquences que celles‑ci peuvent avoir à plus long terme sur la possibilité pour les Centrafricains d’échapper à la pauvreté. Enfin, il examine les systèmes de protection sociale et autres programmes d’aide dont les ménages peuvent bénéficier, et montrent que leur couverture est insuffisante et devrait être élargie. 64 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 3. 1.   UTILISER LA VARIANCE DE LA CONSOMMATION POUR ÉVALUER LA VULNÉRABILITÉ Identifier les ménages vulnérables à la pauvreté ou à des formes plus extrêmes de privation est particulièrement important dans des contextes comme celui de la République centrafricaine où les chocs, les tensions et l‘incertitude sont courants. Certains des chocs globaux auxquels la RCA est confrontée, notamment ceux liés aux conflits, aux déplacements, au changement climatique et à la hausse des prix sont expliqués dans le chapitre 1. Ce chapitre utilise les données de l’EHCVM pour étudier la vulnérabilité aux chocs auxquels les ménages eux‑mêmes déclarent être confrontés. Alors que le statut de pauvreté des ménages caractérise leur niveau de consommation actuel par rapport au seuil de pauvreté, la vulnérabilité à la pauvreté mesure la probabilité que les ménages basculent sous le seuil de la pauvreté à l‘avenir. Un ménage peut être vulnérable à la pauvreté mais si son année a été positive avant la réalisation de l’enquête (s’il a bénéficié d’une récolte abondante en raison d’une pluviométrie favorable, par exemple), il se peut que son niveau de consommation le place au‑dessus du seuil de pauvreté au moment de l’entretien. Inversement, ce même ménage peut se trouver en dessous du seuil de pauvreté si une sécheresse ou un autre choc négatif s‘est produit au cours de la période précédant l’enquête. Par conséquent, si le statut de pauvreté donne un bon aperçu du niveau de vie de la population, il peut être insuffisant pour déterminer la probabilité de se trouver en situation de pauvreté à l’avenir. Ce chapitre utilise la variance de la consommation des ménages afin d’identifier les ménages vulnérables ; les ménages ayant une probabilité de 50 % de se retrouver en situation de pauvreté au cours des deux prochaines années sont classés comme vulnérables. Plus précisément, ce chapitre applique la méthode présentée par Günter et Harttgen (2009) qui modélise les facteurs au niveau des ménages et de la communauté déterminant la variance de la consommation ; cette méthode est décrite plus en détail dans le document de ces auteurs et à l’annexe 3.131. Les ménages vivant sous le seuil de pauvreté sont considérés par définition comme vulnérables puisqu’ils sont déjà pauvres. En revanche, la probabilité que les ménages vivant au‑dessus du seuil de pauvreté basculent dans la pauvreté dépend de l’ampleur des variations de leur consommation. Si la variance est élevée, la probabilité qu’ils tombent dans la pauvreté à l’avenir est suffisante pour qu’ils soient considérés comme vulnérables. Selon cette méthode, les ménages sont considérés comme vulnérables si, étant donné la variance de leur consommation, ils présentent au moins 50 % de risque de tomber dans la pauvreté au cours des deux prochaines années (Pritchett, Suryahadi, & Sumarto, 2000). Cette méthode est décrite plus en détail dans l’encadré 2. L’encadré 3 explique de quelle manière celle‑ci diffère d‘autres méthodes d’évaluation de la vulnérabilité, et notamment de la méthode appliquée dans le rapport qui a accompagné la publication des estimations officielles de la pauvreté en RCA (ICASEES, 2023). 31  Le projet Günter et Harttgen (2009) s’appuie sur les travaux antérieurs de Chaudhuri (2002) et Christiaensen et Subbaro (2005). Gao, Vinha et Skoufias (2021) fournissent un outil pour l’application de cette méthode. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 65 Encadré 2.  UTILISER LA VARIABILITÉ DE LA CONSOMMATION POUR ANALYSER LA VULNÉRABILITÉ La vulnérabilité des ménages dépend du niveau attendu et de la variance de leur consommation par rapport au seuil de pauvreté. Il est plus facile de comprendre cette notion en prenant un exemple simple d’une population de dix ménages (figure 22). La consommation moyenne par habitant de chaque ménage est représentée par les carrés bleus, tandis que la variance est représentée par les lignes horizontales. Le taux de pauvreté peut varier de 20 % (ménages A et I) à 70 % (ménages A, C, D, F, G, I et J) selon le moment auquel est réalisée cette enquête. Les ménages A et I restent en dessous du seuil de pauvreté, mais les ménages C, D, F, G et J ne tombent en dessous du seuil de pauvreté que sous certaines conditions, notamment si ces ménages ont subi des chocs. Les ménages B, E et H ne devraient pas tomber sous le seuil de pauvreté, quels que soient les chocs subis. Ainsi, connaître le niveau actuel ou attendu de consommation ne suffit pas pour déterminer la vulnérabilité d’un ménage. Bien que les niveaux attendus de consommation des ménages E et F soient similaires, la variance de leur consommation est différente, de sorte que le ménage F est vulnérable à la pauvreté, contrairement au ménage E. Dans cet exemple, le taux de vulnérabilité — qui couvre les personnes dont le niveau de consommation attendu est inférieur au seuil de pauvreté et celles qui risquent de tomber dans la pauvreté — est de 70 %. FIGURE 22.  ILLUSTRATION DE L’UTILISATION DE LA VARIANCE DE LA CONSOMMATION POUR DEFINIR LA VULNERABILITE Chroniquement pauvres Non-pauvres Seuil de pauvreté Potentiellement vulnérable à la pauvreté A B C Ménages D E F Légende Variance de la consommation G du ménage H I Consommation moyenne J du ménage Moyenne et variance de la consommation Source : Vinha (2023). Les données sur la consommation des ménages et les caractéristiques des ménages et de la communauté sont utilisées pour estimer la variance de la consommation des ménages, ce qui permet d’identifier les ménages vulnérables. Concrètement, il est possible d’estimer un modèle complet à « coefficients aléatoires » (comme expliqué à l’annexe 3.1), ce qui permet de calculer la variance au niveau du ménage — ou idiosyncrasique —, la variance au niveau de la communauté — ou covariance — et la variance totale de la consommation des ménages. Cette estimation de la variance peut alors servir à calculer la probabilité qu’un ménage se trouve en dessous du seuil de pauvreté au cours d’une année donnée. Les ménages sont considérés comme vulnérables si la probabilité qu’ils se retrouvent en situation de pauvreté au cours des deux prochaines années atteint au moins 50 %. 66 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Encadré 3.  AUTRES MÉTHODES D’EXAMEN DE LA VULNÉRABILITÉ Une autre méthode plus simple pour mesurer la vulnérabilité consisterait à fixer un seuil statique plus élevé — ou « seuil de vulnérabilité » — au‑dessus du seuil de pauvreté. Cette méthode repose sur l’hypothèse que les personnes vivant juste au‑dessus du seuil de pauvreté risquent davantage de passer en dessous de ce seuil, quelle que soit la variance de leur consommation. Dans certains pays, cette hypothèse est due à l’utilisation de données de panel, qui montrent que les ménages situés entre le seuil de pauvreté et le seuil de vulnérabilité ont une certaine probabilité de tomber dans la pauvreté. Par exemple, en Indonésie, les données de panel de l’enquête indonésienne sur la vie familiale montrent que le risque que les ménages situés à une distance compris entre 1 et 1,5 fois le seuil de pauvreté retombent dans la pauvreté chaque année est de 10 %, de sorte que le seuil de vulnérabilité a été défini à 1,5 fois le seuil de pauvreté. (World Bank, 2019). La publication par l’ICASEES des chiffres officiels de la pauvreté en RCA en 2023 comprenait également des statistiques sur la vulnérabilité établies selon un seuil de vulnérabilité. En particulier, le rapport qui accompagnait la publication des chiffres de la pauvreté en RCA présentait la proportion de Centrafricains se trouvant à une distance comprise entre 1 et 1,5 fois le seuil de pauvreté, qui sont donc considérés comme vulnérables. Bien que ces méthodes plus simples soient souvent utiles, cette évaluation de la pauvreté utilise une méthode basée sur le niveau de consommation attendu des ménages et sa variance. En effet, le niveau de consommation observé à un moment donné dans une enquête comme l’EHCVM est une mesure statique (de la pauvreté), qui peut être trompeuse lorsque la consommation des ménages varie fortement en raison de l’exposition à différents chocs. Ainsi dans certaines enquêtes des ménages seront classés comme vivant en dessous du seuil de pauvreté parce qu’ils ont eu une très mauvaise année, à l’inverse, d’autres ménages seront classés parmi les ménages vivant au‑dessus du seuil de pauvreté parce que l’année écoulée leur aura été favorable, alors que si les conditions avaient été légèrement différentes, ils passeraient en dessous de ce seuil. L’approche adoptée dans cette évaluation de la pauvreté tient compte explicitement de cet aspect, en examinant et en décomposant la variance de la consommation. 3. 2.   LA QUASI‑TOTALITÉ DES CENTRAFRICAINS SONT VULNÉRABLES À LA PAUVRETÉ GLOBALE ET PLUS DE TROIS QUARTS À LA PAUVRETÉ ALIMENTAIRE La variance de la consommation, utilisée pour évaluer la vulnérabilité montre que près de neuf Centrafricains sur dix sont déjà pauvres ou risquent de le devenir. Alors que 68,8 % des Centrafricains vivent en dessous du seuil de pauvreté national, quelque 88,6 % peuvent être considérés comme vulnérables à la pauvreté, ce qui signifie que la probabilité qu’ils tombent dans la pauvreté au cours des deux prochaines années est d’au moins 50 % (figure 23). Comme pour la pauvreté, la vulnérabilité est plus répandue dans les zones rurales. Quelque 96,1 % des ruraux risquent de tomber en dessous du seuil de pauvreté national, contre 77,8 % des habitants des zones urbaines. Ces résultats renforcent l’argument du chapitre 2 selon lequel les méthodes complexes et détaillées de ciblage de l’aide gouvernementale ou humanitaire peuvent être moins pertinentes pour la RCA que pour d’autres pays. La majorité de la population est pauvre et la quasi‑totalité de la population est vulnérable à la pauvreté. Cette situation amène à considérer la vulnérabilité à des formes plus extrêmes de privation, y compris la pauvreté alimentaire, c’est‑à‑dire le fait que le ménage ne dispose pas de ressources suffisantes pour nourrir ses membres, quand bien même l’intégralité du budget du ménage est consacré à la nourriture. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 67 FIGURE 23.  VULNÉRABILITÉ À LA PAUVRETÉ GLOBALE ET À LA PAUVRETÉ ALIMENTAIRE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE PAR ZONE URBAINE‑RURALE A : Vulnérabilité à la pauvreté globale B : Vulnérabilité à la pauvreté alimentaire 100 96,1 100 Part de la population (pourcentage) 88,6 Part de la population (pourcentage) 90 90 85,5 77,8 80 77,2 80 74,2 68,8 65,2 70 70 61,1 60,1 60 60 54,9 50 47,5 50 40 40 30 30 20 20 10 10 0 0 Total Urbain Rural Total Urbain Rural Pauvreté globale Pauvreté alimentaire Vulnerabilité à la pauvreté globale Vulnerabilité à la pauvreté alimentaire Note : La consommation est déflatée dans le temps et dans l‘espace de manière à pouvoir être comparée aux seuils de pauvreté nationaux. Le seuil de pauvreté global est de 263 485 francs CFA par personne et par an. Le seuil de pauvreté alimentaire est de 197 990 francs CFA par personne et par an. Vulnérabilité calculée selon la méthode présentée par Günter et Harttgen (2009). Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. Plus des trois quarts des Centrafricains sont également vulnérables à la pauvreté alimentaire, ce qui montre qu’ils sont exposés à des formes très sévères de privation. Environ 54,9 % des Centrafricains sont en situation de pauvreté alimentaire. Cela signifie que même s’ils consacrent la totalité de leur revenu à l’achat de nourriture, ils ne disposent pas de ressources suffisantes pour se nourrir correctement, ce qui traduit une forme de privation encore plus sévère. La variation de la consommation est telle qu’environ 77,2 % des Centrafricains sont vulnérables à la pauvreté alimentaire, ce qui signifie qu’ils ont une probabilité de 50 % de se retrouver en situation de pauvreté alimentaire dans les deux années à venir. Il est donc difficile de trouver des moyens d’identifier et de cibler les personnes vulnérables à la pauvreté alimentaire, car de nombreux Centrafricains se trouvent déjà en dessous du seuil de pauvreté alimentaire ou risquent d’y tomber en cas de choc. La vulnérabilité s’explique principalement par le fait que les personnes sont déjà pauvres. L‘une des caractéristiques de la méthode d’évaluation de la vulnérabilité appliquée dans ce chapitre est qu’il est possible d’identifier les personnes « structurellement » ou « transitoirement » vulnérables à la pauvreté. La vulnérabilité structurelle (ou « vulnérabilité induite par la pauvreté ») concerne les personnes dont les actifs et le capital humain sont si faibles qu’elles se retrouveront sous le seuil de pauvreté — indépendamment des chocs auxquels elles sont exposées — presque partout dans le monde. La vulnérabilité transitoire (ou « vulnérabilité induite par le risque ») concerne les personnes dont les actifs et le capital humain sont suffisamment élevés pour les maintenir au‑dessus du seuil de pauvreté au cours d’une année moyenne, mais qui pourraient passer sous le seuil de pauvreté à la suite d’un choc comme une mauvaise récolte, une maladie ou un conflit. Il n’est pas surprenant que la vulnérabilité en RCA soit essentiellement structurelle, car la pauvreté y est très élevée. La vulnérabilité est structurelle à hauteur de 84,8 % au seuil de pauvreté globale et de 71 % au seuil de pauvreté alimentaire. Il s’agit d’une conséquence naturelle de la pauvreté globale et de la pauvreté alimentaire déjà si répandues. 68 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 3. 3.   LE PROFIL DE VULNÉRABILITÉ SUIT CELUI DE LA PAUVRETÉ Comme c’est le cas pour la pauvreté, la vulnérabilité mesurée au seuil de pauvreté globale et au seuil de la pauvreté alimentaire est significativement plus faible à Bangui que dans le reste du pays. La vulnérabilité à la pauvreté mesurée au seuil de pauvreté global est de 50,1 % à Bangui, ce qui est nettement inférieur à la moyenne de 94,5 % pour l’ensemble des autres régions (figure 24). En outre, la vulnérabilité à la pauvreté alimentaire est de 32,2 % à Bangui, contre 84,1 % dans le reste du pays. La quasi‑totalité de la population vivant en dehors de la capitale est non seulement exposée à la pauvreté, mais aussi, à des privations plus extrêmes. Compte tenu du nombre d’habitants des différentes régions, les régions des Plateaux et de Yadé abritent le plus grand nombre de personnes vulnérables (1,1 million et 1,2 million respectivement). FIGURE 24.  VULNÉRABILITÉ À LA PAUVRETÉ GLOBALE ET À LA PAUVRETÉ ALIMENTAIRE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, PAR RÉGION A : Vulnérabilité à la pauvreté globale Fertit 87,1 Yadé 96,2 Kagas 98,5 Haut Oubangui 97,9 Equateur Plateaux 91,8 92,3 Vulnérabilité à la pauvreté globale Bangui 50,1 (pourcentage) 50,1 – 87,1 87,2 – 91,8 91,9 – 96,2 96,3 – 97,9 98 – 98,5 B : Vulnérabilité à la pauvreté alimentaire Fertit 69,0 Yadé 87,4 Kagas 92,7 Haut Oubangui 93,6 Equateur Plateaux 75,9 80,0 Bangui 32,3 Vulnérabilité à la pauvreté alimentaire (pourcentage) 32,3 – 69,0 69,1 – 75,9 76,0 – 87,4 87,5 – 92,8 92,9 – 93,6 Note : La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace de manière à pouvoir être comparée aux seuils de pauvreté nationaux. Le seuil de pauvreté global est de 263 485 francs CFA par personne et par an. Le seuil de pauvreté alimentaire est de 197 990 francs CFA par personne et par an. Vulnérabilité calculée selon la méthode présentée par Günter et Harttgen (2009). Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 69 La vulnérabilité à la pauvreté alimentaire touche pratiquement tous les déplacés centrafricains vivant dans des camps. La quasi-totalité 98,3 % des personnes déplacées vivant dans des camps sont susceptibles de tomber en dessous du seuil de pauvreté national, et 94,6 % risquent également de passer sous le seuil de pauvreté alimentaire (figure 25). Ces taux dépassent largement ceux des ménages non déplacés et des ménages déplacés hors des camps. Ils soulignent la grande précarité des personnes vivant dans les camps. Il suffirait d’un seul choc pour que la quasi‑totalité des personnes déplacées vivant dans des camps se retrouvent dans une situation de pauvreté globale, mais aussi de privation extrême liée à la pauvreté alimentaire. FIGURE 25.  VULNÉRABILITÉ À LA PAUVRETÉ GLOBALE ET À LA PAUVRETÉ ALIMENTAIRE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE SELON LE STATUT DE DÉPLACEMENT DES MÉNAGES A : Vulnérabilité à la pauvreté globale B : Vulnérabilité à la pauvreté alimentaire 100 98,3 100 94,6 Part de la population (pourcentage) Part de la population (pourcentage) 90 87,9 89,3 90 80 76,3 80 77,7 76,2 70 68,6 68,0 70 65,9 60 60 54,2 56,0 50 50 40 40 30 30 20 20 10 10 0 0 Ménages Ménages Ménages Ménages Ménages Ménages non PDI hors PDI dans non PDI hors PDI dans déplacés des camps les camps déplacés des camps les camps Pauvreté globale Pauvreté alimentaire Vulnerabilité à la pauvreté globale Vulnerabilité à la pauvreté alimentaire Note : La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace de manière à pourvoir être comparée aux seuils de pauvreté nationaux. Le seuil de pauvreté global est de 263 485 francs CFA par personne et par an. Le seuil de pauvreté alimentaire est de 197 990 francs CFA par personne et par an. Vulnérabilité calculée selon la méthode présentée par Günter et Harttgen (2009). Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. Les ménages de grande taille, où les chefs de ménage sont moins éduqués et travaillent principalement dans le secteur agricole, sont plus vulnérables. Ces résultats concordent parfaitement avec ceux qui ressortent du profil de pauvreté présenté au chapitre 2, bien que la vulnérabilité soit — par définition — plus répandue que la pauvreté dans tous les types de ménages (figure 26). Par conséquent, les interventions politiques axées sur la fécondité, le capital humain et les moyens de subsistance sont susceptibles de soutenir la réduction de la vulnérabilité ainsi que la réduction de la pauvreté. 70 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE FIGURE 26.  VULNÉRABILITÉ À LA PAUVRETÉ GLOBALE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE SELON LA TAILLE DU MÉNAGE ET LES CARACTÉRISTIQUES DU CHEF DE MÉNAGE 100 91,2 97,1 89,8 95,2 90,8 97,3 88,3 90 79,8 82,5 81,8 Part de la population 80 68,6 68,2 (pourcentage) 70 60 49,1 50 40 31,3 30 20 10 0 1 2–4 5–9 10+ Femme Homme Aucun Primaire Secondaire Post-secondaire Pas de travail Agriculture Industrie Services Taille du ménage Sexe du Éducation du chef Activité du chef chef de de ménage de ménage ménage Vulnerabilité Pauveté Note : Les étiquettes des données se réfèrent au taux de vulnérabilité. La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace de manière à pouvoir être comparée aux seuils de pauvreté nationaux. Le seuil de pauvreté global est de 263 485 francs CFA par personne et par an. Vulnérabilité calculée selon la méthode présentée par Günter et Harttgen (2009). Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. 3. 4.   LA VULNÉRABILITÉ AUX CHOCS AU NIVEAU DES MÉNAGES EST PLUS ÉLEVÉE QUE CELLE AUX CHOCS AFFECTANT L’ENSEMBLE DE LA COMMUNAUTÉ Les chocs subis par les ménages risquent davantage de faire basculer les Centrafricains dans la pauvreté que ceux touchant l’ensemble de la communauté. La méthodologie présentée précédemment permet d’isoler la vulnérabilité aux chocs idiosyncrasiques et aux chocs covariants en décomposant la variance de la consommation en fonction des caractéristiques des ménages et de la communauté. Les aspects techniques de cet exercice sont décrits plus en détail dans l’article de Günter et Harttgen (2009) et dans l’annexe 3.1. Les zones urbaines et rurales et les sept régions de la RCA semblent plus vulnérables aux chocs idiosyncrasiques qu’aux chocs covariants (figure 27)32,33. L’importance relative de la vulnérabilité aux chocs idiosyncrasiques semble être plus élevée à Bangui que dans les autres régions du pays. Ces résultats donnent un aperçu des types de chocs contre lesquels les décideurs politiques pourraient vouloir essayer de renforcer la résilience des ménages. Ces conclusions ne se basent toutefois que sur la décomposition de la variance de la consommation — ce n’est pas la même chose que d’examiner les chocs auxquels les ménages ont été réellement confrontés. Il est dont possible d’approfondir l’analyse en examinant les chocs auxquels les ménages de l’échantillon de l’EHVCM déclarent avoir été confrontés. C‘est l’objet de la section suivante. 32  Il en va de même pour les ménages se trouvant dans des situations de déplacement différentes. 33  Ce constat vaut pour la vulnérabilité à la pauvreté globale et à la pauvreté alimentaire. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 71 FIGURE 27.  VULNÉRABILITÉ À LA PAUVRETÉ GLOBALE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE DUE À DES CHOCS IDIOSYNCRASIQUES ET COVARIANTS, PAR ZONE URBAINE/RURALE ET PAR RÉGION 100 95,9 96,0 98,5 97,9 Part de la population (pourcentage) 92,2 91,3 93,7 94,3 90 88,3 87,7 88,3 86,3 79,4 83,0 79,8 80 77,5 75,1 70 67,5 60 50 49,4 40 34,6 30 20 10 0 Total Urbain Rural 1. Plateaux 3. Yadé 4. Kagas 5. Fertit 6. Haut Oubangui 7. Bangui 2. Equateur Par rural-urbain Par région Idiosyncratique Covariant Note : La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace de manière à pouvoir être comparée aux seuils de pauvreté nationaux. Le seuil de pauvreté global est de 263 485 francs CFA par personne et par an. Vulnérabilité calculée selon la méthode présentée par Günter et Harttgen (2009). Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. 3. 5.   LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE EST CONFRONTÉE À DE NOMBREUX CHOCS, PRINCIPALEMENT DUS À DES CONFLITS Les données de l’EHCVM fournissent des informations complètes sur les chocs subis par les ménages en République centrafricaine. Les chocs liés aux conflits, au changement climatique et à la hausse des prix décrites au chapitre 1 laissent penser que les chocs — définis comme des événements défavorables entraînant une perte de revenus pour les ménages, une réduction de la consommation ou une perte d’actifs productifs — surviennent fréquemment en République centrafricaine (Dercon, Hoddinott, & Woldehanna, 2005). L’EHCVM 2021 a recueilli de précieuses données sur les chocs subis par les ménages au cours des trois années précédant l’enquête, fournissant des informations non seulement sur les types spécifiques de chocs, mais aussi sur les caractéristiques des ménages qui y ont été confrontés, y compris leur niveau de pauvreté. Il s’agit d’examiner ce qui est réellement arrivé aux ménages dans le passé, plutôt que de s’appuyer sur l’examen de la variance de la consommation pour évaluer la vulnérabilité, comme dans la section précédente. Il est important de comprendre le profil de ces chocs, car, comme le montrent les sections précédentes, il suffirait d’un choc pour que de nombreux ménages centrafricains basculent dans la pauvreté et voire dans la pauvreté alimentaire. Près de neuf Centrafricains sur dix ont subi un choc sous une forme ou une autre au cours des trois dernières années. Les chocs liés à l’insécurité sont les plus fréquents. Si l’on considère tous les types de chocs énumérés dans le cadre de l’EHCVM — y compris ceux liés aux conflits, à la santé, aux revenus des ménages, aux prix des denrées alimentaires et au changement climatique — environ 89,4 % de la population vivait dans un ménage qui avait subi un choc au cours 72 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE des trois années précédant l’enquête (figure 28)34. La typologie des chocs utilisée ici ne correspond pas à la distinction établie dans la section précédente entre les chocs idiosyncrasiques et les chocs covariants35. Les chocs, les tensions et l’incertitude sont si fréquents que même les ménages centrafricains qui ne sont pas pauvres pourraient bientôt passer sous le seuil de pauvreté compte tenu des taux de vulnérabilité présentés dans les sections précédentes. Les chocs sécuritaires sont les plus répandus et touchent 58,7 % de la population. Même si cette catégorie de chocs inclut la criminalité, la grande majorité des chocs sécuritaires que les ménages ont déclaré avoir subis étaient liés à des conflits armés. En effet, près de la moitié (48,0 %) de la population a déclaré avoir été confrontée aux effets d’un conflit armé au cours des trois années précédant l’enquête. Les chocs sécuritaires peuvent avoir des effets directs et indirects sur les moyens de subsistance. Les attaques des groupes armés sont souvent associées à la destruction des biens des ménages et de la communauté. Ils peuvent ainsi perdre leurs biens, notamment du bétail et des objets domestiques. Au fur et à mesure que la population est déplacée, le capital social — c‘est‑à‑dire les réseaux et les relations de confiance qui aident la société à fonctionner — peut également s‘éroder (Quetulio‑Navarra, Niehof, & van der Vaart, 2013). Ainsi, les chocs sécuritaires peuvent avoir de profondes répercussions sur les activités génératrices de revenus des personnes et sur leurs chances d’échapper à la pauvreté à l’avenir. FIGURE 28.  CHOCS SUBIS PAR LES MENAGES EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE PAR ZONE URBAINE‑RURALE 100 92,0 Part de la population (pourcentage) 90 89,4 85,6 80 70 64,2 60 58,7 58,6 54,7 51,9 50 50,7 40 38,2 40,8 34,5 31,6 30 28,5 28,5 28,4 28,4 23,9 20 10 0 Conflit Santé Revenus des Prix Climat Tous types ménages alimentaires de chocs Total Urbain Rural Note : Chocs rapportés pour les trois années précédant l‘interview EHCVM. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. Bien que moins fréquents que les autres chocs, la hausse du prix des denrées alimentaires a touché près d’un tiers des Centrafricains, comme en témoignent les données sur les prix en République centrafricaine. Plus précisément, 28,5 % de la population vivait dans un ménage confronté à un choc sur le prix des denrées 34  Par souci de parcimonie, les différents types de chocs figurant dans les données de l’EHCVM ont été regroupés. Les chocs de sécurité comprennent : le vol d’argent, de biens, de récoltes ou d’animaux ; les conflits entre agriculteurs et éleveurs ; les conflits armés, la violence ou l’insécurité. Les chocs sanitaires comprennent : maladie grave ou accident, décès d’un membre du ménage et COVID‑19. Les chocs sur le revenu des ménages comprennent : l’augmentation du taux de maladie des cultures ; l’augmentation du taux de maladie des animaux ; les attaques de criquets ou d’autres ravageurs ; la baisse du prix des produits agricoles ; l’augmentation du prix des intrants agricoles ; la fin des transferts réguliers d’autres ménages ; la perte de revenus non agricoles ; la faillite d’une entreprise non agricole ; la perte de salaire ; et la perte d’un emploi salarié. Les chocs climatiques comprennent : les sécheresses ou les pluies irrégulières, les inondations, les incendies et les glissements de terrain. 35  Par exemple, les chocs sécuritaires peuvent affecter une communauté entière dans le cas d’une grande bataille, mais un seul ménage dans le cas d’un crime violent. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 73 alimentaires au cours des trois années précédant l’EHCVM. Comme indiqué au chapitre 1, l’inflation global en RCA, qui est — et devrait rester à un chiffre — masque des variations plus importantes pour les principaux produits de base. Par exemple, les prix du manioc, l’un des aliments de base les plus importants du panier de consommation, varient de manière significative, même entre deux mois consécutifs (figure 29). De plus, ces augmentations semblent affecter davantage certaines régions que d’autres, ce qui pourrait suggérer que les marchés de la RCA ne sont pas bien intégrés. La qualité des infrastructures nécessaires à l’intégration des marchés — à savoir les routes — est examinée plus en détail dans le chapitre 6. FIGURE 29.  ÉVOLUTION DES PRIX DU MANIOC DANS LES RÉGIONS DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 450 Prix (FCFA par kilogramme) 400 350 300 250 200 150 100 50 0 21 21 1 1 1 21 21 21 23 23 3 23 22 22 2 2 2 22 -2 r-2 -2 -2 -2 r-2 -2 n- v- in- il- ût- p- ct- c- n- v- in- ar ai ov ar ai Av Av Ju Fe Fe De Ja Ja Se O Ju Ao Ju M M M M N 1. Plateaux and 7. Bangui 2. Equateur 5. Fertit 3. Yadé 4. Kagas 6. Haut Oubangui Source : ICASEES et estimations de la Banque mondiale. Les ménages pauvres et non pauvres subissent des chocs. Environ 90,4 % des personnes vivant dans des ménages pauvres avaient subi un choc au cours des trois années précédant l’EHCVM, contre 87,1 % des personnes vivant dans des ménages non pauvres (figure 30). Compte tenu de l’analyse de la vulnérabilité présentée dans les sections précédentes, cela signifie que les chocs peuvent faire passer les ménages vulnérables non pauvres sous le seuil de pauvreté et aggraver les privations de ceux qui sont déjà pauvres. Les ménages pauvres étaient plus susceptibles de subir des chocs liés à la sécurité et à la santé, alors que les ménages non pauvres étaient davantage confrontés à des chocs liés aux prix des denrées alimentaires, mais ces différences étaient moins sensibles36. 36  Le profil de pauvreté défini au chapitre 2 a été élargi pour inclure les conflits, mesurés comme le nombre de décès survenus dans la commune sur laquelle se trouve le ménage faisant partie de l’échantillon, selon les données du Projet sur la collecte et l’analyse de données relatives à localisation et aux faits de conflits armés (ACLED), afin de tester la relation entre les conflits et la pauvreté. Bien qu’il existe une corrélation positive entre la pauvreté et le conflit dans ces régressions, celle‑ci n’était pas statistiquement significative lorsque des contrôles au niveau du ménage et du lieu étaient ajoutés. 74 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE FIGURE 30.  CHOCS SUBIS PAR LES MENAGES EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE EN FONCTION DU STATUT DE PAUVRETÉ 100 90,4 Part de la population (pourcentage) 90 87,1 80 70 60,3 60 55,1 54,2 54,8 50 40 40,0 37,4 34,2 30 25,9 27,8 28,7 20 10 0 Conflit Santé Revenus Prix alimentaires Climat Tous types des ménages de chocs Non-pauvres Pauvres Note : Chocs rapportés pour les trois années précédant l’EHCVM. La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace de manière à pouvoir être comparée aux seuils de pauvreté nationaux. Le seuil de pauvreté global est de 263 485 francs CFA par personne et par an. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. Les personnes déplacées, en particulier celles qui vivent dans des camps, sont plus susceptibles d’avoir subi des chocs, notamment des chocs sécuritaires. Au cours des trois années précédant l’enquête, 94,5 % des personnes déplacées vivant dans des camps avaient subi un choc sous une forme ou une autre, contre 90,0 % des personnes déplacées vivant hors des camps et 89,1 % de celles vivant dans des ménages non déplacés (figure 31). Les différences entre les ménages de personnes déplacées vivant dans des camps, ceux vivant en dehors des camps et les ménages non‑déplacés étaient plus importantes pour les chocs liés à la sécurité et au changement climatique. Bien qu’il ne soit pas possible d’isoler le moment précis des chocs et la date à laquelle les ménages ou les individus ont été déplacés, ces résultats témoignent probablement de la relation étroite entre le conflit et le déplacement. Étant donné que les personnes déplacées dans les camps étaient également plus susceptibles d’être pauvres et vulnérables, les résultats soulignent également la situation particulièrement précaire de la population déplacée en République centrafricaine. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 75 FIGURE 31.  CHOCS SUBIS EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE SELON LE STATUT DE DÉPLACEMENT DES MÉNAGES 100 Part de la population (pourcentage) 94,5 90 89,1 90,0 80 75,8 70 62,4 59,7 60 57,2 54,2 56,2 50 46,3 42,0 40 38,0 39,4 37,5 32,9 30 27,5 30,6 26,8 20 10 0 Conflit Santé Revenus Prix alimentaires Climat Tous types des ménages de chocs Ménages PDI hors des camps Ménages PDI hors les camps Ménages PDI dans les camps Note : Chocs rapportés pour les trois années précédant l’ EHCVM. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. 3. 6.   LES STRATÉGIES UTILISÉES PAR LES CENTRAFRICAINS POUR FAIRE FACE AUX CHOCS POURRAIENT LES MAINTENIR DANS LA PAUVRETÉ Les ménages centrafricains doivent souvent trouver des stratégies pour faire face aux chocs auxquels ils sont confrontés, ce qui montre que les stratégies de gestion des risques ex ante sont insuffisantes. Les ménages peuvent essayer d’anticiper l‘impact des chocs auxquels ils sont confrontés, notamment en diversifiant leurs moyens de subsistance, en constituant des stocks de nourriture ou en laissant partir certains membres de leur famille à l’étranger d’où ils peuvent leur envoyer des fonds (Dercon, 2002). Il n’est toutefois pas toujours possible d’appliquer de telles stratégies de gestion des risques qui peuvent en outre s’avérer insuffisantes. Les ménages peuvent alors mettre en œuvre des stratégies d’adaptation en réaction à ces chocs, dont certaines peuvent avoir des conséquences néfastes sur leurs conditions de vie à long terme (WFP, 2021). Les données de l’EHCVM ont permis de recenser les trois principales stratégies d’adaptation déployées en réponse aux trois chocs les plus graves auxquels les ménages ont été confrontés37. Pour simplifier l’analyse, les statistiques qui suivent portent sur la principale stratégie d’adaptation utilisée pour le choc le plus grave, ce qui donne une idée des stratégies d’adaptation les plus courantes employés par les Centrafricains. Le recours à l’épargne et au crédit, et la réduction de la consommation alimentaire sont les stratégies d’adaptation les plus souvent employées par les Centrafricains. Toutes deux pourraient avoir des conséquences à plus long terme. La première stratégie d’adaptation au choc le plus sévère adoptée par près de 34,5 % de Centrafricains consiste à puiser dans leurs économies ou à emprunter de manière à préserver le revenu de leur ménage. Le recours à l’épargne et au crédit constitue de fait la stratégie d’adaptation la plus répandue en RCA (figure 32). Elle concernait tous les ménages, qu’ils soient pauvres ou non. Cette stratégie d’adaptation, qui n’est pas nécessairement négative à condition de pouvoir reconstituer son épargne ou d’obtenir un taux d’intérêt relativement bas, pourrait toutefois placer les ménages dans une situation financière plus fragile 37  La gravité des chocs a été évaluée par les personnes interrogées elles‑mêmes lors de la collecte des données. 76 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE à l’avenir, et se traduire par une réduction de leurs investissements dans le capital physique et humain, et donc de leurs futurs revenus. La deuxième stratégie, adoptée par près de 11 % des Centrafricains consiste à réduire leur consommation alimentaire. Cette stratégie nuit non seulement à leurs conditions de vie dans l’immédiat, mais pourrait également se traduire par des retards de croissance et de la malnutrition et avoir des retombées sur l’apprentissage, freinant ainsi le développement du capital humain (World Bank, 2018). FIGURE 32.  STRATÉGIES D‘ADAPTATION DÉPLOYÉES PAR LES MENAGES RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE EN FONCTION DU STATUT DE PAUVRETÉ Part de la population touchée par le choc (pourcentage) 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 Aide d'amis et des membres de la famille et des ONGs Aide gouvernmentale Épargne et crédit Vendre/louer des actifs ou des produits Travail supplementaire Activités supplementaires Réduction de la consommation alimentaire Réduction du capital humain Migration Autres stratégies Aucune stratégie Total Non-pauvres Pauvres Note : Les estimations portent sur la principale stratégie d’adaptation déployée en réponse au choc le plus grave subi par le ménage. ONG = organisations non gouvernementales, y compris les organisations religieuses. La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace de manière à pouvoir être comparée aux seuils de pauvreté nationaux. Le seuil de pauvreté global est de 263 485 francs CFA par personne et par an. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. De nombreux Centrafricains ont également indiqué faire appel à leurs amis, à leur famille ou à des organisations non gouvernementales (ONG). Environ 28,8 % des Centrafricains ont indiqué avoir principalement compté sur le soutien de leurs amis, de leur famille ou d’organisations non gouvernementales — y compris des organisations religieuses — lorsqu’ils ont subi le choc le plus sévère. Une ventilation plus poussée des données de l’enquête montre qu’il s’agit principalement d’un soutien de la part d’amis et de membres de leur famille. Cela montre qu’en dépit de la pauvreté et de la vulnérabilité généralisées qui persistent en RCA, et de l’impact des conflits et des déplacements sur le capital social, les Centrafricains s’efforcent de s’entraider dans les moments difficiles. Les personnes déplacées dans les camps sont plus susceptibles de compter sur l’aide des ONG en cas de choc que de puiser dans leur épargne ou de contracter des emprunts. La principale stratégie d’adaptation au choc le plus grave utilisée par près de 51 % des personnes déplacées vivant dans des camps a été de recourir à l’aide d’amis, de parents ou d’ONG, une proportion nettement supérieure à celle des ménages non déplacés et des ménages déplacés vivant en dehors des camps (figure 33). Les données ventilées montrent clairement que ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 77 l’aide des ONG constitue une stratégie d’adaptation plus répandue pour les personnes vivant dans les camps. Le fait que le recours à l’épargne ou à l’emprunt soit beaucoup moins fréquent chez les personnes déplacées vivant dans des camps pourrait toutefois refléter leur plus faible niveau d’inclusion financière. FIGURE 33.  STRATÉGIES D‘ADAPTATION DÉPLOYÉES EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE EN FONCTION DU STATUT DE DÉPLACEMENT DES MÉNAGES Part de la population touchée par le choc (pourcentage) 0 10 20 30 40 50 60 Aide d'amis et des membres de la famille et des ONGs Aide gouvernmentale Épargne et crédit Vendre/louer des actifs ou des produits Travail supplementaire Activités supplementaires Réduction de la consommation alimentaire Réduction du capital humain Migration Autres stratégies Aucune stratégie Ménages non déplacés Ménages PDI hors des camps Ménages PDI dans les camps Note : Les estimations portent sur la principale stratégie d’adaptation déployée en réponse au choc le plus grave subi par le ménage. ONG = organisations non gouvernementales, y compris les organisations religieuses. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. 3. 7.   LES SYSTÈMES DE PROTECTION SOCIALE DOIVENT ÊTRE RENFORCÉS EN RAISON DE LA PAUVRETÉ ET DE LA VULNÉRABILITÉ GÉNÉRALISÉES Sachant que presque tous les Centrafricains sont vulnérables à la pauvreté, que les chocs sont fréquents et que certains ménages y réagissent en adoptant des stratégies d’adaptation négatives, il apparaît essentiel de prendre la mesure de l’aide apportée par les pouvoirs publics et les ONG. Les mesures de protection sociales adoptées par certains pays visent à aider les ménages à surmonter les chocs sans recourir à des stratégies d‘adaptation pouvant compromettre leurs perspectives à long terme d’échapper à la pauvreté. On peut donc se demander si de telles mesures ont été mises en œuvre en République centrafricaine. Les données de l’EHCVM permettent de répondre à cette question. L’enquête demandait en effet aux ménages d’indiquer les types d’aide qu’ils avaient reçus dans les 12 mois précédant l’enquête — qu’il s’agisse d’aide alimentaire, de services publics, de transferts monétaires, de soins de santé infantile ou maternelle, ou de moustiquaires. Bien que de nombreux Centrafricains ont indiqué avoir bénéficié d‘un filet de sécurité ou d’un programme d’aide, cet appui a essentiellement pris la forme de distribution de moustiquaires. Environ 44,0 % de la population appartenait à un ménage ayant bénéficié d’au moins un programme de soutien au cours des 78 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 12 mois précédant l’enquête, qui a principalement donné lieu à la distribution de moustiquaires par divers acteurs humanitaires opérant en RCA (figure 34)38. Environ 29,2 % des Centrafricains étaient membres d’un ménage qui avait reçu une moustiquaire. L’aide a aussi consisté en distribution de denrées alimentaires et en prestation de soins de santé aux nourrissons et aux femmes enceintes, touchant respectivement 14,3 % et 9,6 % de la population. Seul 0,8 % de la population vivait dans un ménage ayant bénéficié de programmes de travaux publics — notamment le programme Londö — et 1 % ont reçu des transferts monétaires du gouvernement — .y compris le Projet d’appui aux communautés affectées par le déplacement (PACAD)39. Ainsi, si l’on exclut la distribution de moustiquaires, la couverture de l’aide aux Centrafricains est bien inférieure à la prévalence de la pauvreté et de la vulnérabilité40. FIGURE 34.  PRESTATIONS OBTENUES AU TITRE DES FILETS DE PROTECTION SOCIALE ET AUTRES PROGRAMMES D’AIDE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE PAR DÉCILE DE CONSOMMATION 60 Part de la population (pourcentage) 50 44,0 40 30 29,2 20 14,3 10 9,6 0,8 1,0 0 Tous Nourriture Travaux Transfert Soins pour des Moustiquaire publics monetaire enfants ou des femmes enceintes 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Total Note : Les barres représentent le décile de la distribution de la consommation réelle. La catégorie « nourriture » comprend les dons de céréales, de farine ou de semoule, la nourriture pour les enfants scolarisés, la nourriture pour le travail et les compléments nutritionnels pour les enfants malnutris. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. Les programmes d’aide ne semblent pas viser les ménages centrafricains les plus pauvres. Les données collectées sur les programmes par l’EHCVM montrent que les personnes appartenant aux déciles inférieurs de la distribution de la consommation ne sont pas plus susceptibles de bénéficier d’une aide que celles appartenant aux déciles supérieurs. Les programmes ne semblent donc pas cibler les personnes les plus démunies. Les personnes déplacées vivant dans des camps sont plus susceptibles de recevoir une aide alimentaire ou de bénéficier de soins de santé pour les nourrissons et les femmes enceintes. Environ 75,5 % des personnes déplacées vivant dans des camps ont reçu une aide alimentaire, contre 13,7 % des ménages de personnes déplacées vivant hors des camps et 11,4 % des ménages de personnes non déplacées (figure 35). De même, 38  Voir, par exemple, les travaux entrepris par World Vision, le Fonds mondial et le ministère centrafricain de la Santé (World Vision, 2019). 39  Ces résultats sont à peu près comparables aux données administratives du PACAD. Le projet devait couvrir environ 78 000 bénéficiaires membres de 16 000 ménages en 2020 (World Bank, à paraître). Cela correspond à environ 1,3 % d’une population de 6,1 millions de personnes. 40  Bien qu’elles soient importantes pour la protection contre le paludisme et d’autres maladies transmises par les moustiques qui pourraient avoir des conséquences à long terme sur le développement du capital humain, les moustiquaires ne répondent pas aux besoins immédiats des Centrafricains qui manquent de nourriture et d’autres biens, ce qui signifie qu’ils sont pauvres aujourd’hui. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 79 la proportion de personnes vivant dans des camps de déplacés et obtenant des soins de santé pour les nourrissons et les femmes enceintes était plus de trois fois supérieure à celle des ménages de déplacés vivant hors des camps et des ménages non déplacés. Le fait que les ménages vivant dans les camps reçoivent cette aide et soient toujours exposés à la pauvreté, et même à la pauvreté alimentaire, souligne encore l’ampleur de leurs privations. FIGURE 35.  PRESTATIONS OBTENUES AU TITRE DES FILETS DE PROTECTION SOCIALE OU DE PROGRAMMES D’AIDE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE PAR STATUT DE DÉPLACEMENT DES MÉNAGES 80 75,5 Part de la population (pourcentage) 70 60 50 40 34,7 30,2 30 27,5 20 14,6 11,4 13,7 10 8,5 9,1 0,8 0,8 1,1 0,8 2,1 1,0 0 Nourriture Travaux Transfert Soins pour des Moustiquaire publics monetaire enfants ou des femmes enceintes Ménages non déplacés Ménages PDI hors des camps Ménages PDI dans les camps Note : La catégorie « nourriture » comprend les dons de céréales, de farine ou de semoule, la nourriture pour les enfants scolarisés, la nourriture pour le travail et les compléments nutritionnels pour les enfants malnutris. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. 3. 8.   PRENDRE EN COMPTE LES INDICATEURS NON MONÉTAIRES POUR BRISER L’ENGRENAGE DE LA PAUVRETÉ ET DE LA VULNÉRABILITÉ Ce chapitre insiste sur l’urgence d’accroître l’aide aux Centrafricains pauvres et vulnérables, tout en rappelant que de telles politiques doivent être conçues de manière à jeter les bases d’une réduction durable de la pauvreté. Ce chapitre tient compte de la variance de la consommation des ménages et des chocs auxquels ils sont confrontés et démontre que l’exposition à la pauvreté et à la pauvreté alimentaire — même pour les personnes qui ne sont pas pauvres ou en situation de pauvreté alimentaire — touche quasiment toute la population centrafricaine. Les risques liés à la pauvreté pourraient empêcher les ménages de s’en sortir, car ils adoptent des stratégies d’adaptation qui peuvent affaiblir leur capital financier, physique ou humain. L’absence d’une couverture suffisante de programmes d’aide financière et en nature explique le recours à ces stratégies d’adaptation négatives. Il est donc essentiel d’étendre et de cibler la protection sociale et l’aide directe aux ménages, comme cela est expliqué au chapitre 7. La conception de politiques susceptibles de briser durablement l’engrenage de la pauvreté repose toutefois sur la compréhension des facteurs qui pourraient être à l’origine de la pauvreté monétaire, y compris le capital humain et l’infrastructure de base. C’est pourquoi le chapitre suivant traite de l’ampleur de la pauvreté non monétaire et de ses liens avec la pauvreté monétaire en République centrafricaine. 80 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Annexe 3.1.  UTILISER LA VARIANCE DE LA CONSOMMATION POUR CERNER LA VULNÉRABILITÉ — L’APPROCHE MULTINIVEAUX (OU HIÉRARCHIQUE À DEUX NIVEAUX) Günther et Harttgen (2009) ont proposé une méthode pour analyser la prévalence et les sources de vulnérabilité à la pauvreté sur la base de données transversales ou de données de panel courtes. Cette méthode s’appuie sur les articles de Chaudhuri (2002) et Christiaensen et Subbarao (2005). Elle utilise un modèle hiérarchique à deux niveaux qui permet de décomposer la prévalence de la vulnérabilité à la pauvreté en vulnérabilité induite par la pauvreté et en vulnérabilité induite par le risque. En outre, cette méthodologie permet d’évaluer dans quelle mesure la vulnérabilité à la pauvreté est associée à des chocs idiosyncrasiques et à des chocs covariants. Conformément à la caractérisation de la vulnérabilité à la pauvreté en termes de moyenne et de variance de la consommation des ménages, la consommation à tout moment est modélisée comme étant déterminée par les caractéristiques au niveau du ménage et au niveau de la communauté et leur interaction potentielle, ainsi que par un terme d’erreur qui consiste en deux composantes (non observées) : une composante spécifique au ménage (idiosyncrasique) qui varie entre les ménages, et une composante spécifique à la communauté (covariante) qui est commune à tous les ménages au sein de la même communauté. Dans le même ordre d‘idées, la variance des composantes idiosyncrasique et covariante du terme d’erreur de la consommation est représentée par une fonction des caractéristiques au niveau du ménage et au niveau de la communauté, ainsi que de leur interaction. Plus précisément, si i 1, }, N désigne les ménages au niveau 1 et j 1, }, J désignent les communautés au niveau 2, les ménages étant imbriqués dans les communautés. La consommation du ménage i dans la communauté j est spécifiée comme suit : lncij E 0 j  E1 j X ij  eij (1) Les coefficients (la constante et les pentes) de chaque communauté sont supposés être affectés par les facteurs observés Z et non observés de la communauté, désignés par u0 j et u1 j  : E0 j J 00  J 01Z j  u0 j (2) E1 j J 10  J 11Z j  u1 j (3) Si l’on remplace dans l’équation (1) les variables par leurs expressions données aux équations (2) et (3), on obtient l‘équation de régression : lncij J 00  J 01Z j  J 10  J 11Z j X ij  u0 j  u1 j X ij  eij (4) u0 j , u1 j , et eij . Le terme eij résume les chocs idiosyncrasiques tandis Il y a donc trois termes d‘erreur à estimer : que u0 j et u1 j X ij capturent les chocs coviariants. Plus précisément, le terme u0 j capture l’effet direct des chocs covariants sur l’ordonnée à l’origine de chaque communauté ( β 0 j ) et donc tous les ménages de la même communauté de la même manière, tandis que u1 j X ij capte l’effet indirect des chocs covariants sur chaque ménage. L‘équation (4) peut être réécrite sous la forme de l’équation (4a) ci‑dessous, dans laquelle le terme � est u1 j X ij � qui l’effet indirect des chocs covariants, introduit une composante aléatoire (avec l’indice j ) au coefficient de X ij  : ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 81 lncij J 00  J 01Z j  J 10  u1 j X ij  J 11Z j X ij  u0 j  eij (4a) La spécification des équations (2) et (3), qui inclut les composantes aléatoires u0 j et u1 j produit un modèle à « coefficients aléatoires » (équation 4 ou 4a) : non seulement le terme constant γ 00 augmente ou diminue en fonction du choc au niveau communautaire u0 j � mais aussi les coefficients des caractéristiques observées des ménages γ 10 augmentent ou baissent en fonction d’une composante aléatoire u1 j qui varie uniquement d’une communauté à l’autre. Il est utile de noter que si l’équation (3) ne comportait pas d’erreur aléatoire u1 j alors l’équation (4) se réduirait à une simple spécification de la consommation des ménages avec origine ou effet aléatoire, et l’équation (4) se réduirait à l’équation (4b) : lncij J 00  J 01Z j  J 10  J 11Z j X ij  u0 j  eij (4b) La spécification simple de l’origine aléatoire est clairement plus restrictive que la spécification complète des coefficients aléatoires adoptée ici. Toutefois, il est utile de garder à l’esprit que la spécification de l’effet aléatoire pourrait servir d’option de dernier recours au cas où de graves problèmes de convergence seraient rencontrés lors de l’application de la spécification complète du coefficient aléatoire. à la première étape, l’équation (4 ou 4a) ci‑dessus peut être estimée par une méthode de régression du 2 maximum de vraisemblance à effets mixtes. à la deuxième étape, les carrés eij et u0 2 j et la somme quadratique des résidus u0 j  eij de l’équation (4) peuvent être régressés par rapport à X ij et Z j �  : 2 eij 2 T 0  T1Z j  T3 X ij Z j (5) u0 2 j W 0  W 1Z j (6) u  eij S 0  S 1Z j  S 3 X ij Z j (7) 2 0j Les coefficients estimés des équations (4a), (5), (6) et (7) peuvent servir à estimer l’espérance mathématique σ e2ij , la covariance idiosyncratique σ u0 j V u20 j  eij 2 et la variance totale. de la consommation d’un ménage, sur la base des caractéristiques observées du ménage et de la communauté. La probabilité que la consommation tombe en dessous du seuil de pauvreté z (vulnérabilité à la pauvreté) peut être estimée en supposant que la consommation a une distribution log‑normale, c‘est‑à‑dire : lnz lncij (8) vij P lncij lnz X, Z 2 u0 j eij L‘expression (8) peut servir à produire une estimation de la vulnérabilité à la pauvreté à partir des chocs covariants ou au niveau de la communauté en remplaçant, au dénominateur 2 par  σ 2 et une u0 j eij u0 j estimation de la vulnérabilité à la pauvreté due à des chocs idiosyncrasiques en utilisant  σ 2 à la place de eij  V 2 . u0 j  eij 82 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Les étapes ci‑dessus ne sont pas suffisantes pour identifier un ménage vulnérable, puisque tous les ménages ont une probabilité non nulle de tomber en dessous du seuil de pauvreté. L’identification des ménages vulnérables nécessite la fixation d‘un seuil pour la probabilité d’être vulnérable à la pauvreté et un horizon temporel spécifique. En règle générale, dans les études empiriques, un ménage est classé comme vulnérable s’il a une probabilité de tomber sous le seuil de pauvreté supérieure ou égale à 0,5 avec un horizon temporel de t+2 ans. Cela revient à dire que le ménage peut tomber sous le seuil de pauvreté au moins une fois au cours des deux années suivantes41, ou qu’un ménage est considéré comme vulnérable si la probabilité de tomber sous le seuil de pauvreté au cours d’une année donnée est d’au moins 0,2942. En fin de compte, le choix du seuil a un impact sur les personnes considérées comme vulnérables. Au fur et à mesure que le seuil augmente (diminue) et que la probabilité requise de tomber sous le seuil de pauvreté augmente (diminue), moins (plus) de ménages seront identifiés comme vulnérables. Pour les estimations de la RCA, les variables utilisées pour les ménages sont : le nombre d’enfants de 0 à 4 ans, le nombre d’enfants de 5 à 14 ans, le nombre d’adultes, le statut au regard du handicap du chef de ménage, le sexe du chef de ménage, le niveau d’éducation du chef de ménage, la proportion des membres du ménage faisant partie de la population active et travaillant dans l’agriculture, l’accès à Internet, la proportion d’adultes possédant un téléphone portable, le type de revêtement de sol, l’accès à l’électricité, la possession d’un téléviseur par le ménage, l’accès à l’assainissement, et le statut de personne déplacée du ménage. Les variables au niveau de la communauté, toutes dérivées du questionnaire effectué auprès des ménages, sont : la proportion des ménages de la communauté dont les membres savent lire et écrire, la proportion des ménages ayant accès à l’eau potable pendant la saison sèche, la taille moyenne des ménages, la présence d’un camp de personnes déplacées, le type de communauté (rurale ou urbaine), et la région. Les variables utilisées pour l’analyse de la RCA sont similaires à celles utilisées dans d’autres applications du modèle de Günther et Haarttgen (2009). 41  Le seuil de probabilité de 0,5 est justifié par les arguments suivants fournis par Pritchett, Suryahadi et Sumarto (2000, p. 5) : « Premièrement, il s’agit du point où la consommation attendue coïncide avec le seuil de pauvreté. Deuxièmement, il est intuitif de dire qu’un ménage est « vulnérable » s’il a une probabilité d’au moins 0,5 de tomber dans la pauvreté. Troisièmement, si un ménage est juste au niveau du seuil de pauvreté et fait face à un choc de moyenne zéro, alors ce ménage a une vulnérabilité de 0,5 à la période suivante. Cela implique que, dans la limite, lorsque l’horizon temporel devient nul, la pauvreté actuelle et la vulnérabilité actuelle à la pauvreté coïncident ». 42 Soit P Prob ln cij ! lnz la probabilité d’être au‑dessus du seuil de pauvreté au cours d’une année donnée. En supposant que le statut de pauvreté d’un ménage est indépendant dans le temps, la probabilité d’être vulnérable à la pauvreté au moins une fois au cours des deux prochaines années (c’est‑à‑dire en utilisant le seuil de 0,5), est alors donnée par vij ,t  2 1  P 2 t 0.5 . En résolvant cette équation pour P donne P = 0.71 ce qui implique que la probabilité de tomber sous le seuil de pauvreté au cours d’une année donnée est de 0,29 (= 1–0,71). 4.  POUR DE NOMBREUX CENTRAFRICAINS, LA PAUVRETÉ MONÉTAIRE ET LA PAUVRETÉ NON MONÉTAIRE COÏNCIDENT, CE QUI AGGRAVE LES PRIVATIONS PRINCIPALES OBSERVATIONS ▶ Il existe de nombreux aspects déterminants des conditions de vie que l’argent ne peut pas acheter. ▶ Certaines privations non monétaires, notamment en matière d’électricité et d’assainissement, sont encore plus répandues que la pauvreté monétaire et conduisent à un dénuement plus grave des Centrafricains. ▶ Si les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays qui vivent dans des camps sont moins bien loties pour la plupart des indicateurs de pauvreté, elles accèdent plus facilement aux installations sanitaires à l’assainissement et à l’eau. ▶ La concomitance des différentes dimensions de la pauvreté est considérable en République centrafricaine  ; c’est pourquoi les interventions compensatoires doivent tenter de s’attaquer simultanément aux différentes contraintes pesant sur le capital humain, les infrastructures de base et la pauvreté monétaire. : ▶ L’accès à l’électricité et à l’assainissement est forcement corrélé à la pauvreté monétaire  — il pourrait s’agir de priorités pour la réduction de la pauvreté. ▶ Les progrès en matière de mesures non monétaires des conditions de vie ont été mitigés, l’accès à l’eau et à l’assainissement ayant diminué entre 2006 et 2018, et la situation de Bangui est de plus en plus éloignée du reste du pays en la matière. Ce chapitre de l’évaluation de la pauvreté examine les dimensions des conditions de vie en RCA que l’argent ne peut pas acheter. Si la consommation monétaire est le moyen le plus direct d’évaluer la pauvreté, il est de plus en plus admis que les indicateurs non monétaires ont également une importance intrinsèque pour les conditions de vie. En outre, l’analyse des interactions entre les dimensions monétaires et non monétaires de la pauvreté peut guider la compréhension des contraintes qui pèsent sur la réduction de la pauvreté et ce qui peut être fait pour les atténuer. Ce chapitre explore d’abord un par un les principaux indicateurs non monétaires utilisés pour définir la mesure de la pauvreté multidimensionnelle de la Banque mondiale en comparant différents types de ménages vivant dans différentes régions de la RCA. Ensuite, le chapitre examine comment les différents éléments de la pauvreté monétaire et non monétaire se chevauchent, donnant des indications directes sur les voies susceptibles d’être empruntées pour mettre en œuvre les politiques de réduction de la pauvreté. Le chapitre conclut en s’appuyant sur le fait que certains indicateurs de pauvreté non monétaire ont été mesurés par d’autres enquêtes en RCA — en particulier l’enquête en grappes à indicateurs multiples (MICS) — pour essayer de suivre l’évolution des conditions de vie au fil du temps. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 85 4. 1.   LES INDICATEURS NON MONÉTAIRES DES CONDITIONS DE VIE PEUVENT FOURNIR UNE IMAGE PLUS COMPLÈTE DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE La pauvreté est de plus en plus comprise et mesurée comme un concept multidimensionnel. Les ménages qui ne sont pas monétairement pauvres peuvent ne pas avoir accès à l’éducation, à la santé, aux infrastructures de base ou à d’autres éléments intrinsèques des conditions de vie. Inversement, il arrive que des ménages monétairement pauvres accèdent plus facilement à ces éléments. Cela s’explique par le fait que tous les aspects des conditions de vie ne peuvent pas être achetés directement sur le marché. Ainsi, certains ménages ne peuvent avoir accès ni à l’éducation ni à la santé, indépendamment de leur niveau de revenu. (Bourguignon & Chakravarty, 2003). Nombre de ces biens présentent les caractéristiques de « biens publics », qui sont souvent fournis par les pouvoirs publics. Cette constatation fait écho aux données mondiales montrant que les ménages pauvres eux‑mêmes déclarent que les facteurs non monétaires — notamment la sécurité alimentaire, le logement, la santé, l’éducation et la sécurité — ont une incidence directe sur leurs conditions de vie (voir, par exemple, Moreno (2017)). Il n’est donc pas surprenant que les indicateurs de pauvreté multidimensionnelle — et parfois les indices qui combinent ces indicateurs — soient de plus en plus utilisés par les chercheurs et les décideurs politiques. En effet, en 2022, pas moins de 111 pays étaient couverts par l’indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM) du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et de l’Oxford Poverty and Human Development Initiative (OPHI) (UNDP and OPHI, 2022). La majeure partie de ce chapitre utilise la mesure de la pauvreté multidimensionnelle de la Banque mondiale, qui prend en compte les privations en matière d’infrastructures de base et d’éducation en plus de la pauvreté monétaire. Le principal avantage de cette mesure est que, contrairement à la plupart des autres cadres de pauvreté multidimensionnelle, elle combine les informations sur la pauvreté monétaire et non monétaire. Deux indicateurs permettent d’appréhender la privation d’éducation. Premièrement, pour la scolarisation, les ménages sont considérés comme démunis s’ils ont au moins un enfant d’âge scolaire (âgé de 6 à 13 ans) qui n’est pas scolarisé43. Deuxièmement, en ce qui concerne le niveau d’instruction, les ménages sont considérés comme défavorisés s’ils ne comptent pas au moins un individu en âge d’être scolarisé en neuvième année ou plus (âgé de plus de 14 ans) qui a terminé l’enseignement primaire. Trois indicateurs sont utilisés pour appréhender la privation en matière d’infrastructures de base, selon que le ménage a accès ou non : 1) à de l’eau potable qui réponde aux normes minimums de qualité ; 2) à des installations sanitaires qui répondent aux normes minimums de qualité ; et 3) à l’électricité. Pour l’indicateur de pauvreté monétaire, l’analyse s’en tient au seuil de pauvreté national et à l’agrégat de consommation déflaté dans le temps et dans l’espace pour faciliter les comparaisons entre les différents types de ménages en RCA. La méthode internationale de mesure de la pauvreté se prête moins bien à cet exercice, car elle ne tient pas compte de la déflation spatiale à l’intérieur du pays44. La pauvreté non monétaire et le capital humain sont étroitement liés. Le capital humain comprend les connaissances, les compétences et la santé que les personnes accumulent tout au long de leur vie et qui leur permettent de « réaliser leur potentiel en tant que membres productifs de la société » (World Bank, 2018). Selon l’indice du capital humain (ICH) de la Banque mondiale — qui évalue le potentiel productif des individus en combinant des informations sur la mortalité infantile, le nombre d’années de scolarité escomptées, l’apprentissage, l’espérance de vie et les retards de 43  L’indicateur de scolarisation est absent pour les ménages qui n’ont pas d’enfants en âge d’être scolarisés. Lorsque l’indice global de pauvreté multidimensionnelle est établi, cela signifie que la dimension Éducation est entièrement déterminée par l’indicateur de niveau d’études. Voir le rapport 2022 de la Banque mondiale sur la pauvreté et la prospérité partagée pour plus de détails. (World Bank, 2022). 44  En RCA, les seuils de pauvreté nationaux et internationaux sont distants de moins de trois centimes de dollars en PPA de 2017 par personne et par jour. 86 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE croissance — la RCA affichait les pires résultats au monde en matière de capital humain en 2020, ce qui met en évidence les difficultés auxquelles le pays est confronté (World Bank, 2020). L’encadré 4 fournit également des statistiques de base sur les résultats sanitaires en RCA, qui soulignent encore davantage l’ampleur de la crise du capital humain du pays45. Les indicateurs de la mesure de la pauvreté multidimensionnelle sont étroitement liés au capital humain. Le taux de scolarisation reflète les possibilités de développement actuellement offertes aux enfants centrafricains. De même, la qualité de l’eau et des installations sanitaires auxquelles les gens ont accès influe sur leur état de santé. En pesant sur le potentiel productif futur, la pauvreté non monétaire et le capital humain peuvent avoir des implications intergénérationnelles à long terme pour la réduction de la pauvreté. Encadré 4.  INDICATEURS DE SANTÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE La République centrafricaine accuse un retard par rapport à nombre de ses voisins en matière de soins de santé. Bien que l’EHCVM n’ait pas été conçue pour recueillir des indicateurs de santé, des données harmonisées entre les pays peuvent donner une idée des difficultés sanitaires auxquels la RCA est confrontée. Les niveaux d’espérance de vie, de mortalité infantile, de retard de croissance, d’accouchement assisté par un personnel qualifié, de taux de vaccination et de décès dus au paludisme sont parmi les plus mauvais de la région CEMAC (tableau 6). Le renforcement du capital humain passe donc aussi par l’amélioration des résultats en matière de santé. Le taux de fécondité — qui est en corrélation avec la pauvreté, comme le montre le chapitre 2 — est relativement élevé en RCA. L’accès aux services de santé est également abordé de manière explicite au chapitre 6. TABLEAU 6.  INDICATEURS DE SANTE ET DEMOGRAPHIQUES SELECTIONNES EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE ET DANS LES PAYS DE COMPARAISON Congo, RCA Cameroun Tchad Gabon Rép. Espérance de vie à la naissance (années) 55 61 53 67 64 Mortalité infantile (décès pour 1 000 naissances vivantes) 75 47 66 29 32 Retard de croissance (pourcentage chez les moins de 5 ans) 40 29 31 17 21 Accouchements assistés par du personnel qualifié 40 69 39 87 91 (pourcentage des naissances) Vaccination DTP3 (pourcentage d’enfants âgés de 12 à 23 mois) 42 69 52 63 73 Nombre de décès dus au paludisme (pour 100 000 habitants) 86 105 49 48 49 Taux de fécondité, totale (naissances par femme) 6,0 4,5 6,3 3,5 4,2 Note : DTP3 désigne la troisième dose du vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la polio. Les données sont tirées de bases de données mondiales afin d’assurer que les résultats sont comparables, mais certains indicateurs disponibles pour la RCA sont tirés de la MICS 2018/19. Source : Indicateurs du développement dans le monde (pour l’espérance de vie, la mortalité infantile, le retard de croissance, la présence de personnel qualifié à l’accouchement, le taux de fécondité), UNICEF (pour les taux de vaccination DTP3), OurWorldInData (pour les décès dus au paludisme), et estimations de la Banque mondiale. 45  L’EHCVM n’a pas été conçue pour saisir des indicateurs de santé détaillés et ceux‑ci ne relèvent pas de la mesure de la pauvreté multidimensionnelle. C’est pourquoi l’accent est mis sur l’éducation et les infrastructures de base afin de prendre en compte la pauvreté non monétaire et le capital humain. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 87 4. 2.   LES PRIVATIONS NON MONÉTAIRES SONT TRÈS RÉPANDUES EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, EN PARTICULIER DANS LES ZONES RURALES La pauvreté non monétaire est très répandue en RCA et les privations en matière d’assainissement et d’électricité affectent encore plus de ménages que la pauvreté monétaire. Alors que 68,8 % des Centrafricains vivent sous le seuil national de pauvreté monétaire, environ 69,6 % d’entre eux sont privés d’installations sanitaires répondant à des normes minimums de qualité et 87,7 % n’ont pas accès à l’électricité. Les privations concernant l’accès à l’éducation et à l’eau sont toujours présentes, mais sont moins courantes que la pauvreté monétaire. Les privations non monétaires sont toutes plus répandues dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Pour certains indicateurs de pauvreté non monétaire, l’écart entre les zones rurales et urbaines est même plus important que pour la pauvreté monétaire (figure 36). Par exemple, pour la scolarisation, 57,2 % des habitants des zones rurales étaient démunis, contre 34,6 % des habitants des zones urbaines. En ce qui concerne l’assainissement, 81,5 % des personnes étaient privées de services dans les zones rurales, contre 52,4 % pour les zones rurales. Comme pour la pauvreté monétaire, les indicateurs non monétaires révèlent également des disparités spectaculaires entre Bangui, qui est nettement moins démunie, et le reste de la RCA. FIGURE 36.  INDICATEURS DE PAUVRETÉ NON MONÉTAIRE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, PAR ZONE URBAINE OU RURALE ET PAR STATUT DE DÉPLACEMENT A : Par zone urbaine‑rurale Proportion de personnes démunies (pourcentage) Pauvreté monetaire 100 80 60 Fréquentation Électricité scolaire 40 20 Rural Urbain 0 Total Assainissement Niveau de scolarité Eau 88 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE B : Par statut de déplacement Proportion de personnes démunies (pourcentage) Pauvreté monetaire 100 80 60 Fréquentation Électricité scolaire 40 Ménages non déplacés 20 Ménages PDI 0 hors des camps Ménages PDI dans les camps Assainissement Niveau de scolarité Eau Note : Pauvreté monétaire calculée en comparant l’agrégat de consommation déflaté dans le temps et dans l’espace avec le seuil de pauvreté national de 263 485 francs CFA par personne et par an. Les privations liées à la pauvreté non monétaire suivent les définitions du rapport 2022 de la Banque mondiale sur la pauvreté et la prospérité partagée. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. Si les ménages résidant dans les camps sont plus défavorisés en ce qui concerne l’accès à l’éducation et à l’électricité, il semble qu’ils bénéficient d’un meilleur accès à l’eau et à l’assainissement. Confirmant les statistiques sur la pauvreté monétaire présentées au chapitre 2, la proportion de personnes vivant dans les camps en situation de privation en termes de scolarisation, du niveau d’instruction et de l’accès à l’électricité est respectivement supérieure de 5,1 points de pourcentage, de 8,2 points de pourcentage et de 10,7 points de pourcentage à celle des personnes vivant en dehors des camps (ménages non déplacés et ménages déplacés vivant à l’extérieur des camps confondus). Il en va tout autrement pour l’eau et l’assainissement, puisque la proportion des personnes défavorisées dans ce domaine est inférieure de 14,1 points de pourcentage et de 3,0 points de pourcentage à celle des personnes vivant dans des camps. Cela montre que, si le fait de vivre dans des camps est généralement associé à une plus grande pauvreté — tant au niveau des indicateurs monétaires que non monétaires —, certains services peuvent y être fournis plus facilement et plus directement. Par ailleurs, les différences entre les ménages de personnes déplacées vivant en dehors des camps et les ménages de personnes non déplacées sont bien moindres, sans que l’on puisse affirmer que l’un de ces deux groupes soit plus pauvre que l’autre. 4. 3.   ENVIRON HUIT CENTRAFRICAINS SUR DIX SONT EN SITUATION DE PAUVRETÉ MULTIDIMENSIONNELLE La mesure de la pauvreté multidimensionnelle de la Banque mondiale, qui peut être utilisé pour agréger plusieurs indicateurs et produire un indice composite unique, suggère que huit Centrafricains sur dix sont multidimensionnellement pauvres. Les ménages sont considérés comme multidimensionnellement pauvres s’ils le sont au regard d’un nombre suffisant d’indicateurs inclus dans la mesure de la pauvreté multidimensionnelle (l’encadré 5 donne plus d’information sur ce point). Au niveau national, environ 80 % des Centrafricains sont multidimensionnellement pauvres selon la mesure de la pauvreté multidimensionnelle : la ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 89 pauvreté multidimensionnelle dépasse la pauvreté monétaire par définition, puisque cette dernière est l’une des dimensions de la mesure de la pauvreté multidimensionnelle (figure 37). Ces résultats impliquent que 11,1 % des Centrafricains sont multidimensionnellement pauvres, mais pas monétairement pauvres. Quand bien même ces derniers ne sont pas pauvres du point de vue de la consommation, il leur manque l’accès à l’éducation ou aux infrastructures de base, voire aux deux. FIGURE 37.  TAUX DE PAUVRETÉ MULTIDIMENSIONNELLE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE SELON LA MESURE DE LA PAUVRETÉ MULTIDIMENSIONNELLE DE LA BANQUE MONDIALE, PAR ZONE URBAINE OU RURALE, PAR RÉGION ET PAR STATUT DE DÉPLACEMENT 100 multidimensionnellement 90 pauvre (pourcentage) Part de la population 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Rural Urbain 1. Plateaux 3. Yadé 4. Kagas 5. Fertit 6. Haut Oubangui 7. Bangui Ménages non déplacés Ménages PDI hors des camps Ménages PDI dans les camps 2. Equateur Total Rural-urbain Région Statut de déplacement Note : Pauvreté monétaire calculée en comparant l’agrégat de consommation déflaté dans le temps et dans l’espace avec le seuil de pauvreté national de 263 485 francs CFA par personne et par an. Pauvreté multidimensionnelle définie selon le rapport 2022 de la Banque mondiale sur la pauvreté et la prospérité partagée. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. 90 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Encadré 5.  ESTIMATION DE LA PAUVRETÉ MULTIDIMENSIONNELLE À L’AIDE DE LA MESURE DE LA PAUVRETÉ MULTIDIMENSIONNELLE DE LA BANQUE MONDIALE La mesure de la pauvreté multidimensionnelle est composée de six indicateurs organisés en trois dimensions. Les six indicateurs sont liés à la pauvreté monétaire, à la scolarisation, au niveau d’éducation, à l’eau potable, à l’assainissement et à l’électricité. Ces indicateurs s’inscrivent dans trois dimensions des conditions de vie, à savoir la pauvreté monétaire, l’éducation et les infrastructures de base. Ils peuvent être adaptés pour refléter le contexte de la RCA. La mesure de la pauvreté multidimensionnelle regroupe les informations relatives à ces dimensions, puis applique un seuil spécifique qui détermine si un ménage est en situation de pauvreté multidimensionnelle. Au moment d’agréger des indicateurs, la mesure de la pauvreté multidimensionnelle accorde une pondération égale (un tiers) à chacune des dimensions — pauvreté monétaire, éducation et infrastructures de base — puis une pondération égale à chaque indicateur au sein de ces dimensions (tableau 7). Les ménages sont considérés en situation de pauvreté multidimensionnelle s’ils le sont au regard d’indicateurs dont la pondération est égale ou supérieure à un tiers. Étant donné que la dimension de la pauvreté monétaire est mesurée à l’aide d’un seul indicateur, toute personne pauvre sur le plan monétaire se trouve de facto en situation de pauvreté multidimensionnelle. TABLEAU 7.  DIMENSIONS, INDICATEURS ET PONDÉRATIONS UTILISÉS POUR CALCULER LA MESURE DE LA PAUVRETÉ MULTIDIMENSIONNELLE DE LA BANQUE MONDIALE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Dimension Indicateur Poids Monétaire Pauvreté monétaire au seuil national 1/3 L’éducation Au moins un enfant d’âge scolaire 1/6 (6‑13 ans) non scolarisé Le ménage n’a pas d’enfant en âge 1/6 d’être scolarisé en neuvième année ou plus (14 ans et plus) ayant terminé l’enseignement primaire.Le ménage ne contient pas au moins un individu de la neuvième année d’école ou plus (âgé de 14 ans et plus) ayant achevé l’enseignement primaire. Infrastructures de base Au moins de l’eau potable de qualité 1/9 limitéeeau potable répondant aux normes minimums de qualité Au moins des installations sanitaires 1/9 de réponant aux normes minimums de qualité limitée Accès à l’électricité 1/9 Source : Banque mondiale (2018). ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 91 La pauvreté multidimensionnelle est plus répandue dans les zones rurales, parmi les personnes vivant en dehors de Bangui et parmi les ménages vivant dans les camps. Ces tendances suivent largement celles présentées pour la pauvreté monétaire. Les villes et les agglomérations affichent clairement une pauvreté multidimensionnelle plus faible, avec 67,9 % de citadins pauvres multidimensionnellement contre 88,4 % de ruraux. De même, Bangui a de loin le taux de pauvreté multidimensionnelle le plus bas de toutes les régions, avec 44,1 %, la moyenne pour toutes les autres régions étant de 85,5 %. Le taux de pauvreté multidimensionnelle des personnes résidant dans les camps est d’environ 87,0 %, ce qui les rend plus susceptibles d’être pauvres sur le plan multidimensionnel que toutes les personnes résidant en dehors des camps (à la fois dans les ménages de personnes non déplacées et dans les ménages de personnes déplacées hors des camps), malgré un meilleur accès à l’eau et à l’assainissement. De même, contrairement à la pauvreté monétaire, les personnes vivant dans des ménages de personnes déplacées vivant en dehors des camps sont plus susceptibles d’être pauvres sur le plan multidimensionnel que les ménages de personnes non déplacées, le taux de pauvreté multidimensionnelle étant de 82,6 % pour les premiers et de 79,2 % pour les seconds. Cet écart s’explique par l’addition des légères différences observées au niveau des indicateurs de pauvreté non monétaire mentionnés plus haut46. 4. 4.   LES CHEVAUCHEMENTS OBSERVÉS ENTRE LES DIFFÉRENTES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ SONT IMPORTANTS EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Les différentes dimensions de la pauvreté — pauvreté monétaire, éducation et infrastructures de base — se superposent pour de nombreux ménages en RCA, aggravant leurs privations. Il convient tout d’abord de définir une mesure de la privation pour chaque dimension afin d’évaluer le degré de chevauchement entre les différentes dimensions de la pauvreté. Pour ce faire, l’analyse présentée ci‑dessous considère qu’un ménage se trouve en situation de privation au regard d’une dimension particulière s’il l’est au regard d’au moins un des indicateurs de cette dimension. Ainsi, on considère qu’un ménage est privé d’éducation s’il se trouve en situation de privation en termes de scolarisation ou de réussite scolaire (ou les deux). Les chevauchements observés entre ces différentes dimensions est considérable en RCA. Au niveau national, quelque 36,6 % des Centrafricains sont en situation de privation au regard de ces trois dimensions, et 41,2 % le sont dans deux dimensions (figure 38)47. 46  Cette différence n’est statistiquement significative qu’au niveau de 10 % dans un modèle de probabilité linéaire avec le statut de pauvreté multidimensionnelle comme variable dépendante et des variables muettes pour le statut de déplacement des ménages comme facteurs de régression. 47  Les diagrammes de Venn présentés dans la figure 38 diffèrent légèrement de ceux présentés dans le rapport 2022 de la Banque mondiale sur la pauvreté et la prospérité partagée (World Bank, 2022). Dans ce rapport, les diagrammes de Venn se concentrent uniquement sur les ménages qui sont multidimensionnellement pauvres, de sorte que les chiffres s’additionnent pour former le taux de pauvreté multidimensionnelle. Cette restriction n’est pas appliquée dans la figure 38. 92 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE FIGURE 38.  CHEVAUCHEMENT ENTRE LES DIFFÉRENTES DIMENSIONS DE LA PAUVRETÉ, PAR ZONES URBAINES ET RURALES A : Total 1,0 0,6 0,5 30,6 36,6 10,0 16,7 Pauvreté monétaire Education Infrastructure B : Rurale C : Urbaine 0,3 2,1 0,2 1,1 0,1 1,1 31,9 26,0 29,7 44,0 6,7 12,3 22,3 12,7 Pauvreté monétaire Education Pauvreté monétaire Education Infrastructure Infrastructure Note : Les chiffres correspondent à la part de la population dans chaque cellule (en pourcentage). La taille des cercles dans les diagrammes de Venn n’est pas parfaitement à l’échelle. La privation dans une dimension donnée signifie que le ménage est privé au regard d’un indicateur au moins dans cette dimension. La pauvreté monétaire est calculée en comparant l’agrégat de consommation déflaté dans le temps et dans l’espace avec le seuil de pauvreté national de 263.485 francs CFA par personne et par an. La pauvreté non monétaire est calculée selon le rapport 2022 de la Banque mondiale sur la pauvreté et la prospérité partagée. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. Si les chevauchements entre les différentes dimensions de la pauvreté est substantielle en RCA, elle est plus importante dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Pas moins de 44 % des habitants des zones rurales sont en situation de privation dans les trois dimensions, contre 26 % des habitants des zones urbaines. Cela signifie qu’une plus grande proportion de citadins se trouve en situation de privation dans une seule ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 93 dimension : par exemple, 22,3 % des habitants des zones urbaines sont privés uniquement d’infrastructures de base, contre 12,7 % des habitants des zones rurales. Le chevauchement entre la pauvreté monétaire et la pauvreté non monétaire resserre également le lien entre la pauvreté monétaire et le capital humain. Ces données renforcent l’idée selon laquelle les ménages centrafricains, en particulier ceux qui vivent dans les zones rurales, pourraient être piégés dans la pauvreté ; avec de faibles résultats en matière de capital humain, leur potentiel productif est plus faible et leurs opportunités de mobilité ascendante future plus réduites. L’importance concomitance des différentes dimensions de la pauvreté implique que les interventions regroupées  pourraient être «  » pour tenter d’apporter simultanément une solution aux multiples contraintes qui freinent la réduction de la pauvreté et aider les ménages à sortir des pièges de la pauvreté. Si les chevauchements entre les différentes dimensions sont mineurs, il faut intervenir différemment auprès de différents groupes de personnes pour lutter contre la pauvreté monétaire, le faible niveau d’éducation ou les déficits en matière d’infrastructures. Cependant, en RCA, en particulier dans les régions rurales du pays, les chevauchements sont importants, de sorte que les interventions portant sur les différentes dimensions de la pauvreté peuvent être combinées et ciblées sur les mêmes personnes. Par exemple, le soutien direct à l’éducation et à la santé — au moyen d’investissements ciblés dans les écoles et les établissements de santé ou de distributions de nutriments, de médicaments ou de formations aux membres des ménages — pourrait être « regroupé » avec des transferts monétaires ou en nature versés dans le cadre de programmes de protection sociale. Par ailleurs, les programmes d’alimentation scolaire pourraient porter simultanément sur la scolarisation, l’apprentissage et la nutrition. Cela simplifie les questions de ciblage, mais souligne également l’ampleur et la profondeur de la pauvreté multidimensionnelle en RCA. S’attaquer aux contraintes liées au développement du capital humain ainsi qu’à la pauvreté monétaire pourrait aider les ménages à développer leur potentiel productif futur, leur permettant ainsi d’échapper au piège de la pauvreté. 4. 5.   L’INTERACTION ENTRE LA PAUVRETÉ MONÉTAIRE ET LA PAUVRETÉ NON MONÉTAIRE FOURNIT DES INDICATIONS UTILES AUX DÉCIDEURS POLITIQUES La relation entre la pauvreté monétaire et les indicateurs de pauvreté non monétaire peut aider à évaluer les contraintes qui pèsent sur la réduction de la pauvreté monétaire. L’analyse ci‑dessous examine d’abord les corrélations brutes de base, à l’aide de simples tableaux croisés, puis les corrélations partielles, en élargissant les régressions du profil de pauvreté présentées au chapitre 2. Ces résultats ne peuvent pas à eux seuls donner lieu à une interprétation définissant des causes, lorsqu’ils sont combinés avec des données probantes globales, ils peuvent toutefois guider les décideurs politiques dans l’établissement des priorités pour les interventions susceptibles d’aider les Centrafricains à sortir de la pauvreté monétaire. Les corrélations de base suggèrent que la pauvreté monétaire est plus fortement associée à la privation en termes d’accès à l’électricité et aux services d’assainissement. L’accès à l’électricité est très limité en RCA, mais le taux de pauvreté monétaire est inférieur de 34,6 points de pourcentage pour ceux qui ont accès à l’électricité par rapport à ceux qui n’y ont pas accès (figure 39). De même, le taux de pauvreté monétaire est inférieur de 20,8 points de pourcentage pour les Centrafricains ayant accès à des installations sanitaires améliorées par rapport à ceux qui n’y ont pas accès. En ce qui concerne la dimension éducation, la privation de scolarisation semble être plus fortement associée aux niveaux de pauvreté actuels que la privation 94 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE concernant le niveau d’instruction. Ce constat reflète en partie les données du chapitre 5, qui suggèrent qu’il y a en RCA très peu de possibilités de gagner sa vie en récompensant le niveau d’éducation, au moins le niveau d’éducation primaire. FIGURE 39.  TAUX DE PAUVRETÉ MONÉTAIRE PAR INDICATEUR DE PAUVRETÉ NON MONÉTAIRE 90 Taux de pauvreté (pourcentage) 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Fréquentation Niveau Eau Assainissement Électricité scolaire de scolarité Pas de privation Privé Note : Pauvreté monétaire calculée en comparant l’agrégat de consommation déflaté dans le temps et dans l’espace avec le seuil de pauvreté national de 263 485 francs CFA par personne et par an. La pauvreté non monétaire est calculée selon le rapport 2022 de la Banque mondiale sur la pauvreté et la prospérité partagée. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. Les régressions simples confirment la corrélation étroite entre la pauvreté monétaire et l’électricité et l’assainissement, ce qui implique qu’il pourrait s’agir de facteurs importants sur lesquels les décideurs politiques devraient se concentrer. Ces relations apparaissent même en observant les caractéristiques des ménages et les contrôles de localisation pris en compte dans le profil de pauvreté du chapitre 2 (voir la colonne 4 du tableau 8). Les résultats impliquent que, pour deux Centrafricains vivant dans des ménages aux caractéristiques par ailleurs similaires, la probabilité que celui qui bénéficie d’un accès à l’électricité se trouve en situation de pauvreté monétaire est près de 22,0 points de pourcentage inférieure à celui qui n’a pas accès à l’électricité. Ceci est cohérent avec les preuves causales d’autres pays démontrant comment l’électrification élargit les opportunités de moyens de subsistance et augmente les actifs (Ratledge, Cadamuro, de la Cuesta, Stigler, & Burke, 2022). De même, les personnes ayant accès à des installations sanitaires améliorées sont 10,9 points de pourcentage moins susceptibles d’être pauvres sur le plan monétaire que celles qui n’y ont pas accès48. Cela cadre également avec les données mondiales concernant l’impact de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène (WASH) sur le développement du capital humain : par exemple, il a été démontré que les maladies diarrhéiques — dont près de 90 % peuvent être attribuées à un approvisionnement en eau, assainissement et hygiène insuffisant — sont la principale cause de morbidité et de mortalité chez les enfants âgés de moins de cinq ans (Ramesh, Blanchet, Ensink, & Roberts, 2015). L’allègement de ces contraintes sur les infrastructures de base offre aux décideurs politiques des moyens d’action pour réduire la pauvreté monétaire. 48  Ces différences — ou effets marginaux — peuvent être lues directement à partir des coefficients du tableau 8, car il s’agit d’un modèle de probabilité linéaire. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 95 TABLEAU 8.  RÉGRESSION DU STATUT DE PAUVRETÉ SUR LES PRIVATIONS NON MONÉTAIRES Contrôles de   Aucun contrôle Contrôles de base localisation Tous les contrôles Privation de scolarisation 0,1776*** 0,0963*** 0,1662*** 0,0955*** (0,0153) (0,0170) (0,0150) (0,0164) Privation de niveau d’éducation –0,0044 0,0118 –0,0116 0,0122 (0,0173) (0,0237) (0,0167) (0,0239) Privation d’électricité 0,2533*** 0,2264*** 0,2246*** 0,2201*** (0,0258) (0,0263) (0,0252) (0,0260) Privation d’eau potable 0,0777*** 0,0658*** 0,0512*** 0,0461*** (0,0175) (0,0171) (0,0179) (0,0174) Privation d’assainissement 0,1323*** 0,1187*** 0,1099*** 0,1086*** (0,0182) (0,0191) (0,0184) (0,0184) Constant 0,2786*** 0,1337*** 0,3295*** 0,1766***   (0,0243) (0,0430) (0,0396) (0,0590) N 6 411 6 411 6 411 6 411 R 2 0,1236 0,1937 0,1451 0,2063 Note : La variable dépendante est une variable binaire prenant la valeur 1 si le ménage est sous le seuil de pauvreté national et 0 sinon. Les contrôles de base comprennent le statut de déplacement du ménage, la taille du ménage, le genre, l’éducation et l’activité principale du chef de ménage. Les contrôles de localisation comprennent des variables muettes pour les zones urbaines et chaque région. Les erreurs standard regroupées au niveau du district de recensement sont entre parenthèses. * p<0,10, ** p<0,05, *** p<0,01. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. 4. 6.   LES PROGRÈS EN MATIÈRE DE PAUVRETÉ NON MONÉTAIRE ONT ÉTÉ MITIGÉS ET LA SITUATION DIFFÈRE SELON LES RÉGIONS DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Les données relatives à certains indicateurs non monétaires des conditions de vie peuvent être suivies dans le temps. Alors que les données de l’EHCVM 2021 ne peuvent pas être directement comparées aux données de l’ECASEB 2008, les enquêtes en grappes à indicateurs multiples (MICS) de 2006 et 2018 peuvent être utilisées pour évaluer l’évolution de l’accès aux infrastructures de base et de la scolarisation au cours des dernières années49. Ces tendances peuvent être examinées au niveau national, urbain‑rural et régional afin de déterminer si les différentes zones de la RCA ont convergé ou divergé au fil du temps. Comme indiqué au chapitre 1, la période 2006–2018 a été particulièrement mouvementée pour la RCA, en raison du déclenchement du conflit politico‑militaire en 2012 et de diverses autres crises. 49  Une enquête en grappes à indicateurs multiples a également été menée en 2010, mais elle n’est pas utilisée dans l’analyse car le niveau d’analyse pour cette enquête a été modifié de manière à inclure la préfecture et le milieu urbain‑rural, alors que pour les enquêtes en grappes à indicateurs multiples de 2006 et 2018, le niveau d’analyse était la région et les zones urbaines‑rurales. L’analyse ne tente pas d’établir une tendance entre 2018 et 2021, en raison de différences importantes dans la manière dont la scolarisation est saisie par l’enquête MICS de 2018 et l’EHCVM de 2021. Ces différences incluent le traitement des enfants qui ont fréquenté des écoles d’un niveau différent plus tôt dans l’année scolaire et les enfants qui fréquentent un niveau scolaire qui ne correspond pas au niveau adapté à leur groupe d’âge. 96 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Si l’accès à l’électricité s’est légèrement amélioré entre 2006 et 2018, l’accès à l’eau et à l’assainissement améliorés semble s’être détérioré. La proportion de personnes ayant accès à l’électricité a presque doublé entre 2006 et 2018, mais reste extrêmement faible, avec seulement 14,3 % de la population. Au cours de la même période, l’accès à l’eau améliorée a légèrement diminué, tandis que l’accès à l’assainissement amélioré a été divisé par plus de deux (figure 40). Si l’on considère les catégories spécifiques de toilettes utilisées, cela s’explique en grande partie par le fait que la part de la population utilisant des latrines couvertes était plus faible en 2018 qu’en 2006, mais aussi par le fait que la part de la population ne disposant d’aucune installation sanitaire a augmenté de manière spectaculaire. Ces résultats montrent au mieux une image mitigée de l’évolution des infrastructures de base entre 2006 et 2018. FIGURE 40.  ÉVOLUTION DES INDICATEURS D’INFRASTRUCTURES DE BASE ET DE SCOLARISATION EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, 2006–2018 A : Infrastructure de base B : Scolarisation 70 80 64,0 Part de la population d'âge scolaire 60 58,7 69,5 70 Part de la population 52,5 50 (pourcentage) 60 40 51,4 (pourcentage) 50 30 21,9 40 20 14,3 30 10 7,8 20 16,3 0 10,2 2006 2018 10 0 Eau améliorée 2006 2018 Assainissement amélioré Electricité Primaire Secondaire Note : Les définitions de chaque indicateur diffèrent légèrement de celles appliquées à l’EHCVM 2021. Le graphique B présente les taux nets de scolarisation dans le primaire et le secondaire. Source : MICS 2006 et 2018 et estimations de la Banque mondiale. Le taux net de scolarisation dans l’enseignement primaire et secondaire s’est amélioré entre 2006 et 2018, mais le taux de scolarisation dans l’enseignement secondaire est resté faible. L’amélioration du taux net de scolarisation dans l’enseignement primaire entre 2006 et 2018 a été frappante, avec une augmentation d’environ un tiers. Malgré une certaine augmentation, le taux net de scolarisation dans le secondaire est resté faible en 2018, avec seulement 16,3 %. Ce point est important, car, comme il est expliqué dans le chapitre 2, les gains en matière de réduction de la pauvreté sont plus importants au niveau de l’enseignement secondaire : les ménages dont le chef a suivi au moins une éducation secondaire sont nettement moins susceptibles d’être en situation de pauvreté. Ainsi, malgré certains progrès en matière de scolarisation, il reste encore un long chemin à parcourir. Certains indicateurs des conditions de vie non monétaires ont également montré des divergences entre les régions de la RCA, Bangui se détachant encore plus du reste. Comme le montrent les chapitres 2, 3 et 4, les résultats de Bangui en matière de conditions de vie sont nettement meilleurs que ceux du reste du pays. Pour certains indicateurs, il semble que l’écart entre Bangui et les autres régions se soit creusé au fil du temps. Cette tendance est particulièrement évidente pour l’accès à l’électricité et le taux de scolarisation dans le ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 97 secondaire (figure 41). Si la volonté est de combler ces écarts, la priorité politique essentielle doit être de veiller à ce que les interventions visant à renforcer les infrastructures de base, à développer le capital humain et à réduire la pauvreté atteignent les zones situées en dehors de la capitale du pays. FIGURE 41.  DIVERGENCE RÉGIONALE EN MATIÈRE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ ET DE SCOLARISATION DANS LE SECONDAIRE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, 2006–2018 A : Électricité B : Inscription à l’école secondaire 70 45 Part de la population (pourcentage) Part de la population d'âge scolaire 60 40 35 50 30 (pourcentage) 40 25 30 20 20 15 10 10 5 0 0 2006 2018 2006 2018 1. Plateaux 2. Equateur 1. Plateaux 2. Equateur 3. Yadé 4. Kagas 3. Yadé 4. Kagas 5. Fertit 6. Haut Oubangui 5. Fertit 6. Haut Oubangui 7. Bangui 7. Bangui Note : Les définitions de chaque indicateur diffèrent légèrement de celles appliquées à l’EHCVM 2021. Le graphique B montre le taux net de scolarisation dans l’enseignement secondaire. Source : MICS 2006 et 2018 et estimations de la Banque mondiale. 4. 7.   DU CAPITAL HUMAIN AUX MOYENS DE SUBSISTANCE Le rendement de l’investissement dans le capital humain et l’amélioration des conditions de vie non monétaire dépendent des moyens de subsistance des populations. Ce chapitre met en évidence la prévalence de la pauvreté non monétaire en RCA, marquée par une importante concomitance des différentes dimensions de la pauvreté non monétaire dans les zones rurales. L’accès à des installations sanitaires améliorées et à l’électricité semble faire particulièrement défaut, alors qu’il s’agit de l’aspect le plus étroitement lié à la pauvreté monétaire. Les investissements dans l’éducation et les infrastructures de base et le développement du capital humain semblent donc être des moyens déterminants pour la réduction de la pauvreté. Cependant, ils ne conduiront aux effets escomptés que si parallèlement les moyens de subsistance sont renforcés. En l’absence d’activités génératrices de revenus qui récompensent les investissements dans l’éducation, les infrastructures de base ou d’autres éléments du capital humain, ces investissements seront vains. Les ménages ont également besoin de moyens de subsistance résistants, faute de quoi ils pourraient être contraints de réduire leurs propres investissements dans le capital humain, notamment en retirant les enfants de l’école en cas de choc, comme nous l’avons vu au chapitre 3. Une fois ce contexte dressé, l’évaluation de la pauvreté s’intéresse dans le chapitre 5 aux moyens de subsistance en RCA. 5.  L‘AGRICULTURE EST ESSENTIELLE MOYENS DE SUBSISTANCE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, MAIS ELLE NE PERMET PAS DE SORTIR DE LA PAUVRETÉ PRINCIPALES OBSERVATIONS ▶ La République centrafricaine peut tirer parti du potentiel du dividende démographique : les politiques visant à améliorer les moyens de subsistance sont d’autant plus importantes que plus des trois quarts de la population centrafricaine est âgée de moins de 30 ans. ▶ Environ trois quarts des Centrafricains âgés de 15 à 64 ans — qu‘ils appartiennent à des ménages pauvres ou non — travaillent d‘une manière ou d‘une autre, bien que le travail non rémunéré soit plus répandu parmi les ménages les plus pauvres. ▶ Le secteur agricole est de loin le secteur le plus important sur le marché du travail, puisqu’il emploie près de sept Centrafricains sur dix ; toutefois, ce sont les secteurs non agricoles qui sont associés à des niveaux de consommation plus élevés qui pourraient permettre au pays d’échapper à la pauvreté. ▶ Les personnes déplacées vivant en dehors des camps sont plus susceptibles de travailler dans le secteur agricole que les personnes non déplacées et que les personnes vivant dans les camps. ▶ Le manque d‘accès aux intrants — y compris l‘irrigation, les engrais et les pesticides — peut limiter la productivité agricole, ce qui a des conséquences directes sur la pauvreté alimentaire. ▶ De nombreux ménages agricoles centrafricains vendent au moins une partie de leur production, mais ils rencontrent des difficultés, dont certaines sont liées au manque d’accès aux marchés et aux infrastructures. Ce chapitre de l‘évaluation de la pauvreté examine les moyens de subsistance et les autres sources de revenus dont dépendent les ménages centrafricains. Les chapitres précédents ont montré que les privations monétaires et non monétaires sont très répandues en RCA et que le capital humain est gravement déficitaire. Pourtant, même si les résultats en matière d‘éducation et de santé pouvaient être améliorés, cela ne se traduirait pas par une amélioration du niveau de vie si les emplois qui récompensent ces investissements dans le capital humain ne sont pas disponibles. La question se pose donc de savoir ce que font les travailleurs centrafricains, en particulier ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Pour explorer ces questions, le chapitre présente d‘abord la toile de fond du marché du travail centrafricain : une population jeune, principalement en âge de travailler. Ensuite, le chapitre examine les sources de revenus dont dépendent les ménages, en soulignant que le travail est de loin la plus importante. Troisièmement, le chapitre examine les types de travail qui dominent en RCA, démontrant la forte dépendance du pays à l‘égard de l‘agriculture. Quatrièmement, étant donné son importance pour le marché du travail centrafricain, le chapitre examine certaines des contraintes spécifiques qui pèsent sur l‘agriculture. Étant donné qu‘une grande partie de l‘analyse de ce chapitre se concentre sur les emplois des personnes, il est possible de diviser les individus entre ceux qui ne sont pas déplacés, ceux qui sont déplacés et vivent en dehors des camps et ceux qui sont déplacés et vivent dans les camps. L‘analyse accorde également une attention particulière au genre, étant donné les différences évidentes entre les résultats des femmes et des hommes sur le marché du travail. 100 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 5. 1.   LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE DISPOSE D‘UNE POPULATION JEUNE, POTENTIELLEMENT PRÊTE À TRAVAILLER L‘importante population jeune de la RCA représente une énorme opportunité pour le pays, mais souligne également l‘importance de soutenir des moyens de subsistance productifs. Plus des trois quarts de la population centrafricaine est âgée de moins de 30 ans, ce qui signifie que le pays connaît une « explosion de la jeunesse » : des millions de Centrafricains sont — ou seront bientôt — en âge de travailler, c‘est‑à‑dire âgés de 15 à 64 ans (figure 42). Trouver à ces jeunes Centrafricains des moyens de subsistance productifs pourrait être un pilier essentiel de la croissance inclusive et de la réduction de la pauvreté dans le pays — ce qui signifierait une exploitation réussie du dividende démographique. Cependant, la RCA n‘a pas encore réussi à exploiter sa population croissante en âge de travailler, en partie à cause des types de contraintes qui pèsent sur la productivité et qui sont examinées en détail ci‑dessous. (Kouame & Fraeters, 2021). En outre, en l‘absence de moyens de subsistance productifs, les données mondiales suggèrent que la frustration des jeunes risque également d‘alimenter les conflits et la violence, car ils deviennent plus susceptibles de participer à des groupes armés (Cramer, 2010). Ce risque est d‘autant plus grand que le niveau général des conflits en RCA est élevé. FIGURE 42.  PYRAMIDE DES ÂGES DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 100+ 90–94 80–84 70–74 60–64 Âge (années) 50–54 40–44 30–34 20–24 10–14 0–4 800 600 400 200 0 200 400 600 800 Milliers de personnes Homme Femme Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. 5. 2.   LE TRAVAIL EST LA PRINCIPALE SOURCE DE REVENUS DES CENTRAFRICAINS La grande majorité des ménages ont des membres qui travaillent, ce qui souligne l‘importance des revenus du travail, et les sources de revenus autres que le travail sont rares. Dans l‘EHCVM 2021, pratiquement tous les habitants de la RCA (96,8 %) vivaient dans un ménage dont au moins un membre avait travaillé au cours des 12 mois précédents (figure 43). Ce travail était concentré dans l‘agriculture, avec 69,5 % des Centrafricains vivant dans un ménage où au moins un membre avait travaillé dans l‘agriculture au cours des 12 derniers mois et 60,9 % vivant dans un ménage où le chef travaillait dans l‘agriculture. Sans surprise, l‘agriculture était encore plus dominante dans les zones rurales, où 97,5 % des personnes vivaient dans un ménage où au moins un membre pratiquait l‘agriculture et 80,2 % vivaient dans un ménage où le chef de famille pratiquait l‘agriculture. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 101 Les autres sources de revenus sont beaucoup plus rares. Seulement 5,8 % et 2,2 % des Centrafricains vivaient dans des ménages recevant des transferts nationaux ou internationaux (envois de fonds) dans l‘ensemble, et les pensions, les revenus locatifs et les autres sources de revenus étaient encore plus rares. FIGURE 43.  SOURCES DE REVENUS DANS LES ZONES RURALES ET URBAINES DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE A : Sources de revenus du travail ménage ayant cette source de Part de la population dans un 100 90 revenu (pourcentage) 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Tout travail Agriculture Élevage Autres Tout travail Agriculture Élevage Autres Chef du ménage Tous les membres du ménage Rural Urbain Total B : Sources de revenus non liés au travail 10 ménage ayant cette source de Part de la population dans un 9 8 revenu (pourcentage) 7 6 5 4 3 2 1 0 Intérieur International Transferts Pensions Location Sources Autres (tous types) financières sources Rural Urbain Total Note : Le graphique A montre le travail principal que les chefs de ménage et tous les membres du ménage ont effectué au cours des 12 derniers mois. Le graphique B indique les sources de revenus autres que le travail au cours des 12 derniers mois. Les statistiques utilisent des pondérations individuelles pour fournir la part de la population vivant dans chaque type de ménage. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. Les sources de revenus des ménages semblent également être influencées par leur statut de déplacement. En particulier, les ménages de déplacés internes vivant hors des camps semblent être beaucoup plus susceptibles d‘avoir des membres du ménage travaillant dans l‘agriculture et de recevoir des transferts domestiques (figure 44). Le premier résultat pourrait s‘expliquer par le fait que l‘agriculture peut être une activité à faible barrière à l‘entrée dans laquelle les personnes déplacées entrantes peuvent s‘engager rapidement après leur arrivée dans leur nouveau ménage d‘accueil. Dans les camps, cependant, l‘agriculture peut être limitée par le manque de terres et d‘autres intrants, bien qu‘il semble que le recours aux activités d‘élevage soit légèrement plus probable dans les camps que pour les ménages de déplacés vivant hors des camps et les ménages non déplacés. Par ailleurs, les personnes déplacées hors des camps peuvent avoir des liens et des réseaux avec 102 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE d‘autres régions du pays où se trouve ou se trouvait leur ancien ménage, ce qui augmente non seulement la probabilité qu‘elles puissent trouver certains types d‘emplois, mais aussi la probabilité qu‘elles reçoivent des transferts de fonds nationaux, par rapport aux personnes déplacées vivant dans des camps. FIGURE 44.  SOURCES DE REVENUS EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE SELON LE STATUT DE DÉPLACEMENT DES MÉNAGES A : Sources de revenus du travail B : Sources de revenus non liés au travail 80 10 Part de la population dans un ménage ayant Part de la population dans un ménage ayant 70 9 cette source de revenu (pourcentage) cette source de revenu (pourcentage) 60 8 50 7 40 6 30 5 20 4 10 3 0 2 1 Agriculture Élevage Autres Agriculture Élevage Autres 0 International Intérieur Emploi principal Emploi principal du chef du pour tous les ménage membres du Transferts Pensions Location (tous types) ménage Ménages non déplacés Ménages non-PDI Ménages PDI hors des camps Ménages PDI hors des camps Ménages PDI dans les camps Ménages PDI dans les camps Note : Le graphique A montre le travail que les chefs de ménage principal et les autres membres du ménage ont effectué au cours des 12 derniers mois. Le graphique B indique les sources de revenus autres que le travail au cours des 12 derniers mois. Les statistiques utilisent des pondérations individuelles pour fournir la part de la population vivant dans chaque type de ménage. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. Ces sources de revenus impliquent que le marché du travail est le principal véhicule par lequel les revenus de la croissance se propagent aux ménages centrafricains. Les résultats ci‑dessus font écho à l‘observation d‘autres pays en développement selon laquelle le travail est le principal actif — et donc la principale source de revenus — pour les populations les plus pauvres du monde (Fields, 2019). Étant donné que les revenus non liés au travail sont si rares, trouver des moyens de subsistance productifs pour les travailleurs centrafricains est une priorité politique essentielle, à moyen et à long terme, pour améliorer les conditions de vie des ménages et réduire la pauvreté. 5. 3.   LE TRAVAIL SEUL NE PERMET PAS DE SORTIR DE LA PAUVRETÉ La position des Centrafricains dans la distribution de la consommation n‘est pas fortement associée au fait qu‘ils travaillent ou non. Si l‘on additionne les individus qui ont travaillé au cours des sept derniers jours pour un salaire, un profit ou un gain et ceux qui ont effectué un travail non rémunéré pour un autre membre du ménage, environ trois quarts des Centrafricains en âge de travailler travaillaient selon l‘EHCVM 2021, dans pratiquement tous les déciles de la distribution de la consommation réelle (figure 45)50. Il existe cependant des différences dans la part des activités rémunérées et non rémunérées dans la distribution de la consommation, ces dernières étant plus fréquentes dans les déciles les plus pauvres. Dans l‘ensemble, le fait de travailler n‘élimine pas le risque de tomber en dessous du seuil de pauvreté. De nombreux Centrafricains connaissent la 50  Les personnes travaillant pour un bénéfice ou un gain ont été identifiées à l’aide de questions filtres sur l’agriculture, le travail indépendant non agricole, le travail salarié et l’apprentissage. Cela inclut les personnes qui étaient temporairement absentes de ces activités. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 103 pauvreté au travail : c‘est la première indication que ce sont les spécificités des activités que les gens exercent qui influencent le plus leurs conditions de vie. Les résultats suggèrent également que le chômage — défini strictement comme les personnes qui ne travaillent pas, mais qui ont activement cherché du travail au cours des 30 derniers jours — est pratiquement inexistant en RCA. Comme dans beaucoup d‘autres pays de la région, il est peu probable que les Centrafricains puissent cesser complètement de travailler et chercher ouvertement du travail, étant donné le besoin pressant d‘augmenter le revenu de leur ménage ou l‘approvisionnement en nourriture de subsistance. FIGURE 45.  SITUATION SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL PAR DÉCILE DE CONSOMMATION, ZONE URBAINE/RURALE ET SITUATION DE DÉPLACEMENT INDIVIDUEL A : Par décile 100 90 Part de la population en âge de 80 travailler (pourcentage) 70 60 50 40 30 20 10 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Décile de la distribution de consommation Total Actif Travailleur non-rémunéré Chômeurs Hors du marché du travail B : Par zone urbaine ou rurale et par statut de déplacement individuel 100 90 Part de la population en âge de 80 travailler (pourcentage) 70 60 50 40 30 20 10 0 Rural Urbain Ménages Ménages PDI Ménages PDI non déplacés hors des camps dans les camps Rural-urbain Statut de déplacement Actif Travailleur non-rémunéré Chômeurs Hors du marché du travail Note : Les statistiques portent sur la situation du marché du travail au cours des sept derniers jours. Les « actifs » comprennent ceux qui ont travaillé pour un salaire, un profit ou un gain, y compris les agriculteurs, les travailleurs indépendants non agricoles, les salariés et les apprentis, ainsi que ceux qui ont été temporairement absents de ces activités. Échantillon limité aux personnes en âge de travailler (15–64 ans). Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. 104 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Néanmoins, la situation professionnelle semble être liée au fait que les Centrafricains vivent ou non dans des zones urbaines et à leur statut de personne déplacée. Tout d‘abord, la proportion de personnes travaillant — et en particulier la proportion de personnes travaillant sans rémunération, profit ou gain — est significativement plus élevée dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Si l‘on combine les personnes qui travaillent contre un salaire, un profit ou un gain avec celles qui travaillent sans rémunération, quelque 85,7 % de la population en âge de travailler travaillaient dans les zones rurales, contre 62,7 % dans les zones urbaines. En ce qui concerne le statut de déplacement, il apparaît que les personnes déplacées vivant en dehors des camps sont plus susceptibles de travailler que les personnes non déplacées et les personnes vivant dans des camps. Cela pourrait démontrer que les personnes déplacées doivent impérativement subvenir à leurs besoins et à ceux de leur ménage d‘accueil, tout en ayant accès à davantage d‘opportunités de travail que les personnes vivant dans des camps. 5. 4.   LES EMPLOIS LES PLUS SUSCEPTIBLES DE SORTIR LES CENTRAFRICAINS DE LA PAUVRETÉ SONT RARES Comme le montrent les statistiques sur les sources de revenus, l‘agriculture est de loin l‘activité principale la plus répandue parmi les Centrafricains qui travaillent, bien qu‘elle soit exercée de manière disproportionnée par les personnes issues des ménages les plus pauvres. Parmi les Centrafricains qui travaillaient, 69,2 % étaient principalement engagés dans l‘agriculture au cours des 12 derniers mois, contre seulement 1,6 % dans l‘élevage, la sylviculture et la pêche, 7,7 % dans l‘industrie et 21,5 % dans les services (figure 46). L‘activité la plus répandue dans le secteur des services est le commerce de détail et de gros (achat et vente), qui représente 44,9 % des travailleurs du secteur des services. La part des travailleurs engagés principalement dans l‘agriculture est encore plus élevée dans les déciles inférieurs de la distribution de la consommation. La pauvreté est tellement répandue en RCA que de nombreux emplois, quel que soit le secteur, ne suffisent pas à sortir les ménages de la pauvreté, mais il semble que ce soient les emplois non agricoles qui aient le plus de chances d‘y parvenir. FIGURE 46.  PRINCIPALES ACTIVITÉS EXERCÉES PAR LES CENTRAFRICAINS ACTIFS, PAR DÉCILE DE CONSOMMATION 100 90 Part de la population active 80 (en pourcentage) 70 60 50 40 30 20 10 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Décile de la distribution de consommation Total Agriculture Bétail, pêche et recherche de nourriture Industrie Services Note : Les statistiques portent sur l‘activité principale exercée au cours des 12 derniers mois. L‘échantillon est limité aux personnes ayant travaillé au cours des sept derniers jours. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 105 Les statistiques sur les types d‘emplois occupés par les personnes au cours des sept derniers jours font écho aux résultats sur les activités principales des individus au cours des 12 derniers mois. Le travail salarié semble avoir le lien le plus fort avec le fait de se trouver dans les déciles supérieurs de la distribution de la consommation, mais c‘est de loin le type d‘emploi le moins courant en RCA : seulement 6,6 % des Centrafricains en âge de travailler ont exercé un travail salarié au cours des sept derniers jours (figure 47). FIGURE 47.  TYPES D‘EMPLOIS OCCUPÉS PAR LES CENTRAFRICAINS EN ÂGE DE TRAVAILLER, PAR DÉCILE DE CONSOMMATION 60 exercé cette activité au cours des sept derniers Part des personnes en âge de travailler ayant 50 jours (pourcentage) 40 30 20 10 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Décile de la distribution de consommation Total Ferme Enterprise non-agricole Salaire Note : Les statistiques se concentrent sur le fait que chaque emploi a été exercé ou non au cours des sept derniers jours, plus d‘un type d‘emploi étant possible. L‘échantillon est limité aux personnes en âge de travailler (15–64 ans). Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. Il existe également des différences dans les types d‘emplois exercés par les habitants des zones rurales et urbaines et par les personnes déplacées et non déplacées. Sans surprise, les activités agricoles et le travail à la ferme sont plus répandus dans les zones rurales que dans les zones urbaines (figure 48). Cependant, en écho aux résultats sur les sources de revenus, les emplois agricoles sont également plus fréquents chez les personnes déplacées vivant en dehors des camps que chez les personnes vivant dans les camps et les personnes non déplacées. Cela renforce l‘idée que les activités agricoles peuvent être relativement faciles à démarrer pour les personnes déplacées, mais dont l‘accès aux intrants agricoles n‘est pas limité par le fait d‘être dans un camp. 106 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE FIGURE 48.  PRINCIPALES ACTIVITÉS ET TYPES D‘EMPLOIS EXERCÉS PAR LES CENTRAFRICAINS, PAR ZONE URBAINE OU RURALE ET PAR STATUT DE DÉPLACEMENT INDIVIDUEL A : Activité principale au cours des 12 derniers mois parmi les B : Types d‘emplois exercés au cours des sept derniers jours personnes travaillant parmi les personnes en âge de travailler 100 Part de la population active 90 70 exercé cette activité au cours des sept derniers Part des personnes en âge de travailler ayant 80 60 (en pourcentage) 70 60 50 50 40 40 jours (pourcentage) 30 20 30 10 0 20 Rural Urbain non déplacés Ménages PDI hors des camps Ménages PDI dans les camps Ménages 10 0 Rural Urbain non déplacés Ménages PDI hors des camps Ménages PDI dans les camps Ménages Rural-urbain Statut de déplacement Services Bétail, pêche Rural-urbain Statut de et recherche de nourriture déplacement Industrie Agriculture Ferme Enterprise non-agricole Salaire Note : Les statistiques du graphique A portent sur l‘activité principale exercée au cours des 12 derniers mois, l‘échantillon étant limité aux personnes ayant travaillé au cours des sept derniers jours. Les statistiques du graphique B se concentrent sur le fait que chaque emploi a été exercé ou non au cours des sept derniers jours, plusieurs types d‘emploi étant possibles. L‘échantillon du graphique B est limité aux personnes en âge de travailler (15–64 ans). Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. D‘autres marqueurs de la formalité de l‘emploi sont également rares et concentrés parmi les travailleurs des ménages les plus riches. Tout d‘abord, même les travailleurs salariés peuvent ne pas bénéficier des avantages non pécuniaires des emplois qui, selon les normes de l‘Organisation internationale du travail (OIT), sont associés aux emplois formels. Ces avantages comprennent l‘accès aux congés, la protection juridique des documents tels que les contrats ou les fiches de paie, ainsi que d‘autres avantages liés au travail. Très peu de travailleurs centrafricains bénéficient de ces avantages non pécuniaires : seuls 3,8 % des travailleurs ont bénéficié de congés payés, 4,5 % ont reçu une fiche de paie officielle et 2,1 % ont reçu de la nourriture de la part de leur employeur (figure 49). Les emplois salariés sont de toute façon rares en RCA, mais il semble que l‘obtention d‘un emploi salarié ne garantisse pas l‘obtention de ces avantages, en particulier pour les travailleurs salariés issus des ménages les plus pauvres. Deuxièmement, les entreprises non agricoles semblent être de très petite taille, en moyenne : seulement 11,8 % des entreprises non agricoles dans l‘EHCVM 2021 ont déclaré employer quelqu‘un en dehors du ménage. Cela prouve une fois de plus que le fait de travailler en dehors de l‘agriculture n‘est pas suffisant en soi pour occuper un emploi productif susceptible de sortir les gens de la pauvreté. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 107 FIGURE 49.  PRÉVALENCE DES PRESTATIONS SOCIALES POUR LES TRAVAILLEURS CENTRAFRICAINS, PAR DÉCILE DE CONSOMMATION 12 Part des actifs bénéficiant de cette 10 prestation (pourcentage) 8 6,1 6 4,5 4 3,8 2,1 2 1,3 0 Congé payé Congé de Congé parental Bulletin de paie Nourriture maladie 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Total Note : Échantillon limité aux personnes ayant travaillé au cours des sept derniers jours. Les barres représentent le décile de la distribution de la consommation réelle pour le ménage dans lequel vit chaque travailleur. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. 5. 5.   LES MOYENS DE SUBSISTANCE NE SONT PAS LES MÊMES POUR LES FEMMES ET LES HOMMES Les femmes centrafricaines sont moins susceptibles que les hommes centrafricains d‘occuper les emplois les mieux à même de sortir les gens de la pauvreté. Si l‘on considère les personnes travaillant pour un salaire, un profit ou un gain et les travailleurs non rémunérés, 73,9 % des femmes en âge de travailler travaillaient en RCA dans les données de l‘EHCVM de 2021, contre 77,7 % des hommes en âge de travailler (figure 50). Cependant, les différences dans les activités et les types d‘emplois occupés par les femmes et les hommes étaient plus profondes. Tout d‘abord, parmi les personnes ayant travaillé au cours des sept derniers jours, les femmes étaient nettement plus susceptibles d‘effectuer un travail non rémunéré et de travailler dans l‘agriculture, deux activités associées à des niveaux de consommation réelle plus faibles. Deuxièmement, les femmes étaient quasiment absentes du travail salarié : seulement 2,6 % des femmes en âge de travailler ont effectué un travail salarié au cours des sept derniers jours, contre 10,9 % des hommes en âge de travailler. Par conséquent, trouver des moyens d‘atténuer les contraintes spécifiques auxquelles les femmes sont confrontées pour accéder à des moyens de subsistance productifs constitue une priorité politique particulièrement importante pour libérer la croissance inclusive et réduire la pauvreté. 108 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE FIGURE 50.  DIFFÉRENCES ENTRE LES SEXES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE A : Situation sur le marché du travail B : Activité principale au cours des C : Types d‘emplois exercés au cours parmi les personnes en âge de travailler 12 derniers mois parmi les personnes des sept derniers jours parmi les travaillant personnes en âge de travailler 100 100 60 Part des personnes en âge de travailler ayant exercé cette Part de la population active (pourcentage) 90 activité au cours des sept derniers jours (pourcentage) 90 80 Part de la population en âge de travailler 80 50 70 70 60 60 40 (pourcentage) 50 50 40 30 40 30 30 20 20 20 10 10 0 10 Femme Homme 0 Femme Homme Services 0 Hors du marché du travail Industrie Femme Homme Chômeurs Bétail, pêche et recherche de nourriture Ferme Travailleur non-rémunéré Enterprise non-agricole Agriculture Actif Salaire Note : Pour le graphique A, les statistiques se concentrent sur la situation du marché du travail au cours des sept derniers jours. Les « actifs » comprennent ceux qui ont travaillé pour un salaire, un profit ou un gain, y compris les agriculteurs, les travailleurs indépendants non agricoles, les salariés et les apprentis, ainsi que ceux qui ont été temporairement absents de ces activités. L‘échantillon est limité aux personnes en âge de travailler (15–64 ans). Pour le graphique B, les statistiques se concentrent sur l‘activité principale exercée au cours des 12 derniers mois. L‘échantillon est limité aux personnes ayant travaillé au cours des sept derniers jours. Pour le graphique C, les statistiques se concentrent sur le fait que chaque emploi a été exercé ou non au cours des sept derniers jours, plusieurs types d‘emploi étant possibles. L‘échantillon est limité aux personnes en âge de travailler (15–64 ans). Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. 5. 6.   L‘AGRICULTURE EST LE PRINCIPAL EMPLOYEUR DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, MAIS ELLE EST CONFRONTÉE À PLUSIEURS CONTRAINTES MAJEURES L‘agriculture pluviale est répandue dans toute la RCA, mais les cultures spécifiques varient d‘une région à l‘autre du pays. Le manioc, le maïs, le riz, le sorgho et le millet constituent les principales cultures de base de la RCA. Certains agriculteurs cultivent également du café, des arachides et d‘autres fruits et légumes. (FAO, 2022). Les types de cultures sur lesquelles les agriculteurs se concentrent diffèrent à travers la RCA, le manioc, le maïs et le riz étant les aliments de base les plus courants dans les régions au climat équatorial humide du sud, tandis que le sorgho et le millet sont plus courants dans le climat sahélo‑soudanien du nord (World Bank, 2023). Le pays peut ainsi être divisé en « zones de subsistance » distinctes (figure 51). Celles‑ci décrivent les activités génératrices de revenus (et de subsistance) dominantes dans différentes régions (FEWS NET, 2012). Beaucoup de ces activités agricoles sont pluviales, ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 109 ce qui souligne leur vulnérabilité aux chocs climatiques, qui pourraient pousser les ménages agricoles dans — ou plus profondément — la pauvreté (USAID, 2018 ; World Bank, 2021). Soutenir la diversification ou l‘adaptation de pratiques de production agricole plus résilientes au climat pourrait donc être une voie importante pour les décideurs politiques. FIGURE 51.  ZONES DE SUBSISTANCE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Centre : Manioc, arachides et maïs Centre : Coton, manioc et maïs Centre-est : Extraction minière, manioc et arachides Nord-Est : Chasse et cultures vivrières Nord : Coton, manioc et sorgho Nord : Sorgho et mil Sud-est : Manioc, arachides et maïs Sud : Café, manioc et maïs Sud : Maïs, agrumes et légumes Sud-ouest : Manioc, café, cueillette et exploitation minière Ouest : Manioc, maïs et arachides Source : FEWS NET et estimations de la Banque mondiale. Les données macroéconomiques et les comparaisons entre pays indiquent que la productivité agricole est faible en RCA, ce qui pourrait limiter les revenus des agriculteurs et expliquer en partie pourquoi la pauvreté alimentaire est si élevée. Comme indiqué au chapitre 1, la part de l‘agriculture dans le PIB (environ un tiers) est inférieure à la moitié de la part de l‘agriculture dans l‘emploi (environ deux tiers). Cela démontre que les autres secteurs de la RCA — en particulier les services — sont plus productifs que l‘agriculture. Ceci est lié à des preuves suggérant que la croissance de la productivité totale des facteurs (PTF) de l‘agriculture de la RCA a stagné depuis le début du conflit politico‑militaire en 2012 (USDA, 2022 ; World Bank, 2022). De même, les données transnationales suggèrent que la RCA pourrait être à la traîne par rapport à ses pairs régionaux en termes d‘utilisation d‘intrants agricoles. En 2020, le Cameroun et la République du Congo ont utilisé respectivement plus de 70 et plus de 50 fois plus d‘engrais pour l‘agriculture — mesurés en kilogrammes d‘engrais utilisés par hectare de terre arable — que la RCA (figure 52). L‘écart entre la RCA et ses voisins en termes d‘utilisation d‘engrais s‘est également creusé au fil du temps. Cela démontre les types de contraintes auxquelles les agriculteurs peuvent être confrontés lorsqu‘ils tentent d‘augmenter leurs revenus et d‘échapper à la pauvreté en RCA. Ces contraintes ont des répercussions sur tous les Centrafricains, comme l‘indique la prévalence de la pauvreté alimentaire dans le pays. 110 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE FIGURE 52.  UTILISATION D‘ENGRAIS EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE ET DANS LES PAYS DE COMPARAISON 25,0 Consommation d'engrais (kilogrammes par hectare de terre arable) 20,0 15,0 10,0 5,0 0,0 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 RCA Afrique de l’Ouest et Afrique centrale Afrique subsaharienne Cameroun Congo, Rép. Source : Indicateurs du développement dans le monde et estimations de la Banque mondiale. Malgré les contraintes qui pèsent sur la productivité agricole, la plupart des ménages agricoles en RCA déclarent essayer de vendre au moins une partie de ce qu‘ils produisent, mais ils rencontrent des difficultés pour le faire. Au moment de l‘interview pour l‘EHCVM 2021, 70,5 % des ménages ont déclaré avoir cultivé des terres au cours du cycle agricole précédent (la saison 2019/20), dont environ 87,8 % ont déclaré avoir récolté au moins une partie de leurs cultures. Parmi les ménages agricoles qui ont récolté, 81,4 % ont déclaré avoir vendu au moins une partie de leur récolte, ce qui indique que les activités agricoles auxquelles se livrent les ménages centrafricains ne sont pas purement de subsistance. Pourtant, la majorité (53,0 %) des ménages qui vendent leurs produits agricoles rencontrent des difficultés, la faiblesse des prix étant la plus fréquente, suivie par l‘éloignement des routes et des marchés (figure 53). Ce manque d‘accès aux marchés et aux infrastructures qui pourraient soutenir la productivité agricole est étudié plus en détail au chapitre 6 à l‘aide de données géospatiales. FIGURE 53.  DIFFICULTÉS RENCONTRÉES PAR LES MÉNAGES CENTRAFRICAINS POUR VENDRE LEURS PRODUITS AGRICOLES 45 Part des ménages agricoles ayant connu 40 des difficultés de vente (pourcentage) 35 30 25 20 15 10 5 0 Eloignement Eloignement Coûts élevé Route Manque de Prix faibles des routes des marchés du transport impratiquable clients Note : Échantillon limité aux ménages agricoles qui ont essayé de vendre leurs produits agricoles. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 111 Les données de l‘EHCVM suggèrent que l‘accès aux principaux intrants agricoles est limité : l‘utilisation de l‘irrigation, des engrais et des pesticides est rare. Moins de 5 % des ménages agricoles de l‘échantillon de l‘EHCVM déclarent utiliser des intrants non liés à la main‑d‘œuvre qui pourraient stimuler la productivité agricole, notamment l‘irrigation, les engrais et les pesticides (figure 54). Cela correspond aux données macroéconomiques suggérant que la productivité totale des facteurs en RCA est limitée et souligne une priorité politique clé pour améliorer les conditions de vie et réduire la pauvreté dans le pays. FIGURE 54.  UTILISATION D‘INTRANTS PAR LES MÉNAGES AGRICOLES EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 60 Part des ménages agricoles (pourcentage) 51,4 50 40 38,0 30 24,4 20 10 2,5 2,1 0,5 0,5 0 Engrais organiques - déchets d'animaux Engrais inorganiques Produits phytosanitaires Preparation Sarclage Récolte Irrigation Engrais et pesticides Main-d'oeuvre non-ménagère Note : Échantillon limité aux ménages agricoles. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. La terre ne semble pas être une contrainte contraignante pour la production agricole, ce qui correspond à la faible densité de population de la RCA. Environ 83,5 % des ménages agricoles possèdent au moins une partie des terres qu‘ils cultivent, la plupart des autres « louant » des terres gratuitement51. Parmi les ménages qui possèdent des terres pour l‘agriculture, seulement 3,4 % ont déclaré qu‘ils pensaient qu‘il y aurait un risque de désaccord concernant leurs droits fonciers au cours des cinq prochaines années. Compte tenu de 51  La part des ménages agricoles possédant des terres était encore plus élevée dans l’Enquête nationale agricole (ENA), avec 97,1 %. 112 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE la faible densité de la population, la terre — en particulier dans les zones rurales et isolées — semble être disponible pour de nombreux agriculteurs. Cela correspond aux données qualitatives suggérant que la terre est traditionnellement attribuée selon le « droit à la hache », c‘est‑à‑dire qu‘elle appartient à celui qui la défriche et la cultive (FAO, 2005). Les résultats de l‘EHCVM 2021 reflètent ceux de l‘Enquête nationale agricole (ENA), démontrant une fois de plus les contraintes auxquelles sont confrontés les agriculteurs centrafricains en matière d‘intrants et d‘équipements. L‘ENA a enquêté auprès d‘environ 5 000 ménages agricoles dans les sept régions de la RCA en 2021 et 2022, fournissant des détails supplémentaires sur les pratiques agricoles du pays (ICASEES and World Bank, 2023). Selon l‘enquête, seulement 1,8 % des ménages agricoles utilisent des herbicides, 1,6 % des insecticides et seulement 0,7 % des engrais azotés, phosphorés ou potassiques (NPK) : ces estimations sont conformes à ce qui est observé dans les données de l‘EHCVM. Les données de l‘ENA démontrent également la faible prévalence de la mécanisation en RCA, avec seulement 2,4 % des ménages agricoles utilisant une charrue à traction animale, 0,5 % utilisant un motoculteur, et 0,4 % utilisant un tracteur. En effet, un quart des ménages agricoles centrafricains n‘utilisent même pas d‘outils de base (tels que des houes, des bêches et des machettes) pour l‘agriculture. Ainsi, les données de l‘ENA et de l‘EHCVM révèlent les contraintes qui pèsent sur les intrants agricoles en RCA. Alors que les engrais et les équipements sont rares, de nombreux ménages agricoles centrafricains semblent faire appel à de la main‑d‘œuvre extérieure. En effet, parmi les ménages qui ont cultivé des champs au cours du cycle agricole précédent, 51,4 % ont employé des travailleurs extérieurs au ménage pour la préparation des parcelles, 38 % pour le désherbage et 24,4 % pour la récolte (figure 54). L‘agriculture en RCA crée donc une forme d‘emploi en dehors du ménage lui‑même, ce qui souligne l‘importance d‘augmenter la productivité des exploitations. L‘emploi d‘une main‑d‘œuvre extérieure au ménage pour travailler sur l‘exploitation est associé à des chances moindres d‘être en situation de pauvreté. Si l‘on considère tout d‘abord la corrélation brute entre la pauvreté et l‘utilisation de main‑d‘œuvre extérieure au ménage, les ménages agricoles non pauvres sont 12,2  points de pourcentage, 13,8  points de pourcentage et 11,4  points de pourcentage plus susceptibles d‘utiliser de la main‑d‘œuvre extérieure au ménage pour la préparation des parcelles, le désherbage et la récolte, respectivement, que les ménages agricoles pauvres (figure 55). Cette différence peut être examinée plus en détail en effectuant une régression avec l‘utilisation de la main‑d‘œuvre non domestique comme variable dépendante et le statut de pauvreté comme variable indépendante, puis en ajoutant progressivement des variables de contrôle (tableau 9). Même en contrôlant la localisation, les ventes agricoles, l‘utilisation d‘autres intrants et plusieurs caractéristiques clés des ménages, il existe toujours une différence statistiquement significative d‘au moins 11 points de pourcentage entre les chances des ménages agricoles pauvres et non pauvres d‘utiliser de la main‑d‘œuvre non agricole pour la préparation des parcelles52. Dans la mesure où l‘utilisation de main‑d‘œuvre non ménagère est un marqueur de la taille et de la productivité des exploitations, cela montre comment la création de conditions propices à la croissance des exploitations agricoles pourrait permettre aux ménages centrafricains de sortir de la pauvreté. 52  Des résultats similaires se dégagent pour l’utilisation par les ménages agricoles de main‑d’œuvre non domestique pour le désherbage et la récolte. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 113 FIGURE 55.  UTILISATION DE LA MAIN‑D‘ŒUVRE NON MÉNAGÈRE PAR LES MÉNAGES AGRICOLES EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, SELON LE STATUT DE PAUVRETÉ 70 60 59,5 Part des ménages agricoles 50 47,3 47,1 (pourcentage) 40 33,3 32,0 30 20,6 20 10 0 Preparation Sarclage Récolte Non-pauvres Pauvres Note : Échantillon limité aux ménages agricoles. Les graphiques rendent compte de la pauvreté en utilisant le seuil de pauvreté national de 263 485 francs CFA par personne et par an. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. TABLEAU 9.  PROFIL DES MÉNAGES UTILISANT DE LA MAIN‑D‘ŒUVRE NON MÉNAGÈRE POUR LA PRÉPARATION DES PARCELLES Ajout des Localisation Ajouter des Ajout de caractéristiques uniquement ventes données du ménage Le ménage est pauvre –0,1145*** –0,1132*** –0,1114*** –0,1287*** (0,0180) (0,0179) (0,0180) (0,0187) Cultures récoltées par les ménages 0,0321 0,0962 0,0774 (0,3651) (0,4157) (0,3690) Les ménages ont vendu des récoltes 0,0844*** 0,0855*** 0,0805*** (0,0188) (0,0188) (0,0187) Engrais inorganiques usagés 0,1317 0,1551 (0,0952) (0,0965) Produits phytosanitaires usagés 0,1404** 0,1259** (0,0623) (0,0609) Ménage déplacé dans un camp –0,0870* (0,0504) Ménage de déplacés internes hors du camp 0,0603** (0,0244) Taille du ménage 0,0121*** (0,0033) Chef de ménage homme –0,0855*** (0,0198) 114 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Ajout des Localisation Ajouter des Ajout de caractéristiques uniquement ventes données du ménage Le chef de ménage a un niveau d‘éducation 0,0745*** primaire (0,0185) Le chef de ménage a un niveau d‘éducation 0,1029*** secondaire (0,0378) Le chef de ménage a fait des études 0,0706 supérieures (0,0916) Effets fixes régionaux Y Y Y Y Variable fictive urbain‑rural Y Y Y Y N 4 273 4 273 4 273 4 273 R2 0,0332 0,0389 0,0412 0,0570 Note : La variable dépendante est une variable binaire prenant la valeur 1 si le ménage utilise de la main‑d‘œuvre non domestique pour la préparation de la parcelle et 0 sinon. L‘échantillon est limité aux ménages qui ont cultivé des champs au cours du cycle agricole précédent. Il s‘agit d‘un modèle de probabilité linéaire, de sorte que les coefficients peuvent être lus directement comme des effets marginaux. Les erreurs standard regroupées au niveau du district de recensement sont entre parenthèses. * p<0,10, ** p<0,05, *** p<0,01. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale. L‘utilisation de la main‑d‘œuvre non domestique est également associée à la commercialisation et à l‘utilisation d‘autres intrants. Dans les mêmes régressions décrites ci‑dessus, il apparaît également que les ménages agricoles qui vendent leurs récoltes et la poignée de ménages agricoles qui utilisent des produits phytosanitaires (pesticides) sont plus susceptibles d‘utiliser de la main‑d‘œuvre non ménagère pour la préparation des parcelles (tableau 9). Cela renforce l‘idée que le développement des intrants et l‘accès aux marchés peuvent contribuer à la croissance des exploitations agricoles et, par conséquent, à la réduction de la pauvreté. Les pousses d‘une productivité agricole croissante sont en train d‘émerger, mais elles doivent être soigneusement entretenues. 5. 7.   JETER LES BASES DE MOYENS DE SUBSISTANCE PLUS PRODUCTIFS Des interventions spécifiques peuvent contribuer à stimuler la productivité agricole, mais l‘amélioration des infrastructures de base peut également libérer le potentiel des exploitations agricoles et ouvrir d‘autres voies vers la réduction de la pauvreté. L‘agriculture domine les revenus et les moyens de subsistance en RCA, mais sa productivité globale est nettement inférieure à celle des autres secteurs. Aider les travailleurs à passer de l‘agriculture aux services — en développant le capital humain, en soutenant la mobilité de la main‑d‘œuvre ou en menant d‘autres réformes macroéconomiques — pourrait être un moyen d‘augmenter les revenus. Cependant, ce processus de transformation structurelle s‘avère lent, alors que le défi de la réduction de la pauvreté en RCA est immédiat. Il est donc essentiel d‘améliorer la productivité agricole. Comme le montre ce chapitre, cela dépend en partie de l‘amélioration de l‘accès aux intrants clés — y compris les outils et les engrais — ainsi que de la possibilité d‘aider les agriculteurs à diversifier leurs cultures et leurs pratiques de production afin de les rendre plus résistants au changement climatique. Cependant, l‘accès aux marchés est également une contrainte majeure pour la rentabilité des exploitations, comme l‘indiquent les ménages eux‑mêmes dans les données de l‘EHCVM. Dans cette optique, le chapitre 6 se penche sur l‘accès physique des ménages centrafricains aux services, aux infrastructures de base et aux marchés en utilisant des données géospatiales uniques. Investir dans les infrastructures pourrait renforcer les fondations de la route de la RCA vers la réduction de la pauvreté. 6.  L‘ACCÈS AUX SERVICES ET AUX INFRASTRUCTURES DOIT ÊTRE AMÉLIORÉ POUR SERVIR DE BASE À LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ PRINCIPALES OBSERVATIONS ▶ De nombreux enfants centrafricains vivent à une longue distance des écoles, en particulier des écoles secondaires ; la situation est pire dans les zones reculées et rurales. ▶ Certains Centrafricains vivent également à une longue distance des formations sanitaires. ▶ Environ trois quarts des Centrafricains vivent à moins de 15 minutes de marche d‘un point d‘eau amélioré, en suggérant que d’autres facteurs, tels que le manque de moyens financiers et l’insécurité, sont les principales contraintes à la performance d’accès des ménages à l‘eau. ▶ L‘accès à l’électricité et la qualité des routes représentent de graves déficiences dans l‘infrastructure du pays. ▶ Le manque d‘accès physique aux services entrave le développement du capital humain ; lorsque les temps de trajet à pied jusqu‘à l‘école sont trop longs, le taux de scolarisation aux niveaux primaire et secondaire est plus faible. ▶ L‘accès physique aux infrastructures est également directement corrélé à la pauvreté, ce qui démontre l‘importance d‘investir dans l‘amélioration de l‘accès à l‘éducation, à la santé et aux infrastructures de base pour réduire la pauvreté. Ce chapitre examine l‘accès physique aux services et infrastructures de base en RCA, en démontrant leur lien avec la pauvreté. Les chapitres précédents ont montré le lien étroit entre la pauvreté et les privations non monétaires — y compris pour l‘éducation et l‘eau, l‘assainissement et l‘électricité — ainsi que les moyens de subsistance, en particulier les moyens de subsistance agricoles. Mais cela soulève la question de savoir quels sont les fondements des conditions de vie non monétaires et des moyens de subsistance des ménages. Ce chapitre utilise les données de la cartographie numérique du recensement — qui indiquent l‘emplacement et les caractéristiques des écoles, des établissements de santé, des points d‘eau et de nombreux autres éléments clés de l‘infrastructure — en combinant avec des données démographiques granulaires et l‘EHCVM 2021 pour tenter de répondre à cette question. Tout d‘abord, le chapitre examine l‘accès physique global aux écoles et aux établissements de santé, en utilisant un modèle de mobilité innovant, qui évalue le temps qu‘il faudrait aux Centrafricains pour atteindre l‘établissement le plus proche. Deuxièmement, le chapitre adopte une approche similaire pour explorer les infrastructures de base et les marchés, soulignant comment le réseau routier délabré de la RCA pourrait être une contrainte sous‑jacente à l‘accès. Troisièmement, le chapitre relie les données cartographiques du recensement et les données de l‘EHCVM pour montrer la relation entre l‘accès physique et la pauvreté. Cela fournit des indications essentielles sur les types et les lieux d‘investissement dans les services et les infrastructures qui pourraient donner un coup de fouet à la réduction de la pauvreté. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 117 6. 1.   DES DONNÉES GÉOSPATIALES ÉCLAIRENT L‘ACCÈS AUX SERVICES ET AUX INFRASTRUCTURES DE BASE L‘analyse s‘appuie sur des sources de données géospatiales uniques pour évaluer l‘accès physique des Centrafricains aux services et aux infrastructures de base. Depuis 2022, l‘ICASEES collecte des données cartographiques détaillées de recensement, qui indiquent l‘emplacement des écoles, des établissements de santé, des points d‘eau, des magasins, des exploitations agricoles et de divers autres éléments clés de l‘infrastructure. Ces données fournissent également des informations sur les caractéristiques et la qualité des infrastructures. La collecte des données étant en cours au moment de l’analyse, toute la RCA n‘est pas couverte de manière adéquate, mais les données partielles sur lesquelles cette évaluation de la pauvreté est basée couvrent des communes contenant près des trois quarts de la population du pays53. Ces données sont accompagnées de données démographiques granulaires indiquant où vivent les Centrafricains, tirées de WorldPop, ce qui signifie que tous les résultats peuvent être pondérés en fonction de la population (Bondarenko, Kerr, Sorichetta, Tatem, & WorldPop, 2020). En outre, les coordonnées géographiques des ménages interrogés dans le cadre de l‘EHCVM 2021 peuvent être utilisées pour fusionner les résultats au niveau des ménages avec ces sources de données géospatiales détaillées, ce qui permet d‘analyser le lien entre l‘accès physique et la pauvreté. Des mesures plus précises de l‘accès physique aux services et aux infrastructures de base peuvent être élaborées à l‘aide d‘un modèle de mobilité innovant. Si les données géospatiales révèlent à elles seules la distance entre le lieu de résidence des Centrafricains et les endroits qu‘ils souhaitent atteindre, le temps nécessaire pour se rendre d’un endroit à un autre peut être différent en raison des variations topographiques, de la présence de barrières physiques telles que des rivières, ou de différences dans la qualité des chemins et des routes. Des modèles de mobilité spécialisés — connus sous le nom de modèles de « surface de frottement » — peuvent tenir compte de ces problèmes pour donner une image plus précise du temps nécessaire pour atteindre les lieux où se trouvent les services et les infrastructures de base. Cela peut être fait pour la marche seule ou pour les modes de transport mixtes, pour les trajets effectués à pied et en véhicule. Dans ce dernier cas, on suppose que les trajets le long des routes sont effectués à la vitesse maximale qu‘un véhicule peut atteindre sur ce type de route. Les résultats qui suivent se concentrent d‘abord sur les déplacements à pied, car les autres modes de transport peuvent ne pas être accessibles aux personnes pauvres, si les transports privés ou publics ne sont pas disponibles ou abordables. L‘approche spécifique appliquée dans l‘analyse qui suit est modifiée à partir du modèle développé par Kosmidou‑Bradley et Blankespoor (2019) pour l‘Afghanistan. 6. 2.   DE NOMBREUX CENTRAFRICAINS AURAIENT DU MAL À SE RENDRE DANS LES ÉCOLES ET LES CENTRES DE SOINS En RCA, de nombreux enfants vivent à une longue distance des écoles, en particulier au niveau secondaire. Les résultats du modèle de mobilité décrit ci‑dessus montrent que 50,7 % des enfants en âge d‘aller à l‘école primaire vivent à plus de 30 minutes de marche de l‘école primaire la plus proche et que 30 % vivent à plus d‘une heure de marche (figure 56). Pour les écoles secondaires, la situation est encore plus grave, avec environ 64 % des enfants en âge de fréquenter l‘école secondaire vivant à plus de 30 minutes de marche et environ 54,8 % vivant à plus d‘une heure de marche. Le fait de se concentrer sur les seuils de 30 minutes et d‘une heure de marche correspond à peu près aux normes de distance appliquées dans le monde entier. Dans de nombreux pays, 3 kilomètres sont considérés comme la distance maximale que les enfants devraient parcourir pour se rendre à l‘école : le modèle de mobilité indique que marcher 3 kilomètres prendrait entre 30 minutes et une heure pour les enfants en âge d‘être scolarisés (Theunynck, 2009). Même avec des modes de transport mixtes — dont la disponibilité peut elle‑même 53  Plus précisément, la proportion de personnes vivant dans une commune où la couverture était supérieure à 95 % est de 72,8 %. 118 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE être limitée — de nombreux enfants pourraient encore avoir du mal à se rendre à l‘école la plus proche. Si l‘on tient compte des modes de transport mixtes, 31,5 % des enfants en âge de fréquenter l‘école primaire auraient besoin de plus de 30 minutes de marche pour atteindre l‘école primaire et 45,6 % des enfants en âge de fréquenter l‘école secondaire auraient besoin de plus de 30 minutes de marche pour atteindre l‘école secondaire. Par conséquent, l‘accès physique semble être une contrainte sérieuse pour la fréquentation de l‘école54. FIGURE 56.  TEMPS NÉCESSAIRE POUR ATTEINDRE LES ÉCOLES PRIMAIRES ET SECONDAIRES EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE A : À pied 100 90 Part de la population d'âge scolaire 80 5,7 6,0 10,2 10,4 70 (pourcentage) 60 20,7 21,1 50 4,4 3,9 6,5 5,8 4,3 5,3 2,5 40 15,8 10,5 9,1 4,1 19,5 11,9 5,9 30 7,9 7,8 5,6 20 18,9 33,5 10 27,3 26,6 28,3 26,7 11,0 0 Tout Publique Privé Tout Publique Privé Ecoles primaires Ecoles secondaires <15 minutes 15–30 minutes 30–60 minutes 1–1,5 heures 1,5–2 heures 2–2,5 heures 2,5–3 heures >3 heures B : Méthodes de transport mixtes 100 Part de la population d'âge scolaire 90 3,4 3,4 6,1 6,2 5,5 5,6 80 7,2 14,9 15,1 10,9 11,5 70 11,8 9,8 (pourcentage) 60 17,5 17,6 16,7 15,6 12,1 17,6 50 11,7 14,0 12,3 11,8 40 8,0 30 20 51,0 50,4 39,8 42,1 40,1 36,7 10 0 Tout Publique Privé Tout Publique Privé Ecoles primaires Ecoles secondaires <15 minutes 15–30 minutes 30–60 minutes 1–1,5 heures 1,5–2 heures 2–2,5 heures 2,5–3 heures >3 heures Note : Les estimations pour l‘école primaire couvrent les enfants en âge de fréquenter l‘école primaire. Les estimations pour l‘école secondaire couvrent les enfants en âge de fréquenter l‘école secondaire. Les données du recensement cartographique couvrent 72,6 % de la RCA. Source : Recensement cartographique ICASEES, WorldPop, HCR et estimations de la Banque mondiale. 54  Les données cartographiques du recensement ne précisent pas si les écoles sont mixtes ou non, et il n’est donc pas possible d’effectuer une ventilation par sexe. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 119 L‘accès physique aux écoles est également inégal en RCA. Les zones éloignées et rurales — en particulier dans les poches de l‘est, du sud et de l‘ouest du pays — semblent avoir un accès physique plus difficile aux écoles primaires (figure 57). Sans surprise, il est plus facile d‘accéder aux écoles primaires dans les centres urbains. L‘accès aux écoles secondaires est limité pratiquement partout en dehors de Bangui. En effet, sur les 275 écoles secondaires enregistrées dans la journée de recensement cartographique, 157 sont situées à Bangui, alors que cette ville ne représente que 13,3 % de la population selon l‘échantillon de l‘EHCVM. Il semble également y avoir des retombées à partir des centres urbains en termes de couverture scolaire, les communes proches de Bangui et des autres villes ayant moins d‘enfants n‘ayant pas d‘accès physique à l‘école. FIGURE 57.  PART DES ENFANTS DE CHAQUE COMMUNE SE TROUVANT À UNE HEURE DE MARCHE DE L‘ÉCOLE PRIMAIRE OU SECONDAIRE LA PLUS PROCHE A : Écoles primaires Part des enfants, une heure de marche d'une école primaire (pourcentage) 0,0–20,0 20,1–40,0 40,1–60,0 60,1–80,0 80,1–100,0 Aucune donnée Ecole primaire B : Écoles secondaires Part des enfants, une heure de marche d'une école secondaire (pourcentage) 0,0–20,0 20,1–40,0 40,1–60,0 60,1–80,0 80,1–100,0 Aucune donnée Ecole secondaire Note : Les estimations pour l‘école primaire couvrent les enfants en âge de fréquenter l‘école primaire. Les estimations pour l‘école secondaire couvrent les enfants en âge de fréquenter l‘école secondaire. Les données du recensement cartographique couvrent 72,6 % de la RCA. Source : Recensement cartographique ICASEES, WorldPop, HCR et estimations de la Banque mondiale. 120 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE L‘accès physique aux structures de santé fait également défaut à de nombreux Centrafricains. Les données cartographiques du recensement contiennent des informations sur l‘emplacement des postes de santé, des centres de santé et des hôpitaux. Les postes de santé fournissent des services de santé de base — y compris le diagnostic et le traitement de certaines maladies, les soins prénatals et postnatals de base, et certaines vaccinations — mais les soins plus complexes nécessitent des centres de santé ou des hôpitaux (Ministère de la santé et la population, 2015). Selon ces données, environ 34,1 % de la population (tous âges confondus) vit à 30 minutes ou plus de marche de la formation sanitaire la plus proche, quel qu‘il soit, tandis que 26,2 % vit à plus d‘une heure de marche (figure 58)55. Le seuil d‘une heure de marche correspond approximativement aux normes établies par le ministère centrafricain de la Santé, qui exige que les postes de santé soient situés à moins de 5 kilomètres pour qu‘un ménage soit classé comme couvert par une formation sanitaire (Ministère de la santé et la population, 2010). L‘accès aux formations sanitaires est plus difficile si les postes de santé sont exclus : environ 42,2 % de la population vit à plus de 30 minutes de marche d‘un centre de santé ou d‘un hôpital et 35,8 % à plus d‘une heure de marche56. L‘accès aux centres de santé et aux hôpitaux nécessite souvent des moyens de transport mixtes et, à leur tour, des routes adéquates — une autre contrainte sous‑jacente à l‘accès physique qui est examinée plus en détail ci‑dessous. Par conséquent, comme pour l‘éducation, il existe des contraintes au niveau national en termes d‘accès aux établissements de santé. FIGURE 58.  TEMPS NÉCESSAIRE POUR ATTEINDRE LES CENTRES DES SOINS EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 100 1,5 1,9 90 4,7 Part de la population (en pourcentage) 2,6 2,9 6,6 4,6 80 4,1 6,7 9,3 9,0 6,4 70 4,9 7,9 6,3 16,0 60 10,9 6,4 10,8 50 11,0 2,5 40 3,3 80,4 16,6 74,1 30 55,1 46,8 49,5 20 16,7 10 9,9 0 Tout Centre de Hôpital Tout Centre de Hôpital santé ou santé ou hôpital hôpital À pied Méthodes de transport mixtes <15 minutes 15–30 minutes 30–60 minutes 1–1,5 heures 1,5–2 heures 2–2,5 heures 2,5–3 heures >3 heures Note : Les estimations couvrent la population de tous âges. Les données du recensement cartographique couvrent 72,6 % de la RCA. Source : Recensement cartographique ICASEES, WorldPop, HCR et estimations de la Banque mondiale. 55  Les comparaisons directes entre les estimations de l’accès à l’éducation et aux établissements de santé doivent être traitées avec prudence, car les premières sont basées sur des données « contraintes » — où les points de population sont limités aux endroits où il y a des bâtiments de tout type — tandis que les secondes sont « non contraintes » — ce qui signifie que les données WorldPop fournissent des estimations de la population pour toutes les mailles terrestres. 56  La norme établie par le ministère de la santé centrafricain exige que les centres de santé soient situés dans un rayon de 25 kilomètres (Ministère de la santé et la population, 2010). ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 121 Contrairement aux résultats obtenus pour l‘éducation, ce n‘est pas nécessairement dans les zones les plus reculées que l‘accès physique aux formations sanitaires est le plus faible. On peut le constater en examinant la proportion de personnes qui vivent à moins d‘une heure de marche d‘une formation sanitaire, quel qu‘il soit — y compris les postes de santé, les centres de santé et les hôpitaux — dans chaque commune. Il en ressort qu‘il existe de grandes communes peu peuplées dans les régions du Fertit et du Haut Oubangui où la population est, en moyenne, plus à même d‘accéder aux structures de santé que dans les communes de la région des Plateaux, proche de Bangui (figure 59). Cela peut fournir des indications utiles sur les endroits où les investissements dans les formations sanitaires pourraient être concentrés. FIGURE 59.  PART DE LA POPULATION DE CHAQUE COMMUNE SE TROUVANT À MOINS D‘UNE HEURE À PIED DE L‘ÉTABLISSEMENT DE SANTÉ LE PLUS PROCHE Part de la population, une heure de marche d'un établissement de santé (pourcentage) Etablissement de santé 0,0–20,0 Hôpital 20,1–40,0 Centre de santé 40,1–60,0 Poste de santé 60,1–80,0 80,1–100,0 Aucune donnée Note : Les estimations couvrent la population de tous âges. Les données du recensement cartographique couvrent 72,6 % de la RCA. Source : Recensement cartographique ICASEES, WorldPop, HCR et estimations de la Banque mondiale. 6. 3.   LES CENTRAFRICAINS DÉPENDENT DAVANTAGE DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS QUE DES ÉTABLISSEMENTS PRIVÉS L‘accès physique est meilleur pour les établissements publics que pour les établissements privés, de sorte que, nonobstant les questions d‘accès financier, l‘investissement dans les équipements publics est important. Ce schéma est illustré par l‘accès à pied aux écoles primaires. Tout d‘abord, si l‘on considère la RCA dans son ensemble, environ 55.0 % des enfants en âge d‘aller à l‘école primaire vivent à plus d‘une heure de marche d‘une école primaire privée, contre 32.0 % pour les écoles primaires publiques (figure 56). Ceci est le reflet direct de la proportion d‘écoles primaires privées : sur les 1 724 écoles primaires enregistrées dans les données cartographiques du recensement, seules 447 (35,0 %) sont gérées par le secteur privé57. En outre, pour la grande majorité des enfants en âge de fréquenter l‘école primaire en dehors de Bangui, plus de 80% 57  La situation est similaire pour les écoles secondaires, dont environ 37,1 % sont privées. 122 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE d‘entre eux vivent à plus d‘une heure de marche de l‘école primaire privée la plus proche (figure 60). Cela souligne l‘importance des investissements gouvernementaux dans les écoles et les établissements de santé pour garantir que tous les Centrafricains soient desservis58. FIGURE 60.  PART DES ENFANTS DE CHAQUE COMMUNE SE TROUVANT À UNE HEURE DE MARCHE DE L‘ÉCOLE PRIMAIRE PUBLIQUE OU PRIVÉE LA PLUS PROCHE A : Écoles primaires publiques Part des enfants, une heure de marche d'une école primaire publique (pourcentage) 0,0–20,0 20,1–40,0 40,1–60,0 60,1–80,0 80,1–100,0 Aucune donnée Ecole primaire publique B : Écoles primaires privées Part des enfants, une heure de marche d'une école primaire privée (pourcentage) 0,0–20,0 20,1–40,0 40,1–60,0 60,1–80,0 80,1–100,0 Aucune donnée Ecole primaire privée Note : Les estimations couvrent les enfants en âge de fréquenter l‘école primaire. Les données du recensement cartographique couvrent 72,6 % de la RCA. Source : Recensement cartographique ICASEES, WorldPop, HCR et estimations de la Banque mondiale 58  La localisation des écoles publiques et privées n’est pas indépendante. Par exemple, dans les zones rurales et isolées, la couverture de l’enseignement primaire dépend généralement des écoles publiques, mais il existe certaines zones — en particulier dans les régions des Plateaux et de Yadé — où les écoles primaires publiques sont moins disponibles et où les écoles privées comblent les lacunes. Parmi les écoles privées, ce sont les écoles privées religieuses qui sont le plus souvent concentrées dans les zones rurales. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 123 6. 4.   SI DE NOMBREUX CENTRAFRICAINS PEUVENT SE RENDRE AUX POINTS D‘EAU, L‘APPROVISIONNEMENT EN ÉLECTRICITÉ ET LE RÉSEAU ROUTIER PEUVENT FAIRE DÉFAUT La majorité des Centrafricains vivent à moins de 15 minutes de marche d‘un point d‘eau amélioré, de sorte que l‘accès physique seul ne semble pas être la principale contrainte pour les résultats liés à l‘eau. Environ 25,4 % de la population vivent à plus de 15 minutes de marche d‘un point d‘eau amélioré et environ 20,3 % vivent à plus de 30 minutes de marche (figure 61)59. Par conséquent, la plupart des Centrafricains peuvent physiquement accéder à des points d‘eau améliorés. Cela fait écho à la conclusion des données de l‘EHCVM selon laquelle l‘utilisation d‘eau potable améliorée à domicile est beaucoup plus répandue que l‘utilisation d‘installations sanitaires améliorées et l‘accès à l‘électricité, comme le montre le chapitre 4. Pourtant, même si l‘utilisation d‘une eau améliorée est plus répandue que l‘assainissement amélioré ou l‘accès à l‘électricité, 40,1 % des Centrafricains vivent toujours sans eau potable améliorée. Il se peut donc que l‘accessibilité financière, la propriété privée des points d‘eau ou les problèmes de sécurité menacent les résultats des ménages en matière d‘eau potable, même si leurs membres peuvent techniquement se rendre à pied à un point d‘eau amélioré situé à proximité. FIGURE 61.  TEMPS NÉCESSAIRE POUR SE RENDRE À PIED À DES POINTS D‘EAU AMÉLIORÉS EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 55,1 15,9 3,6 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 0–5 minutes 5–10 minutes 10–15 minutes 15–20 minutes 20–25 minutes 25–30 minutes 30+ minutes Note : Les estimations couvrent la population de tous âges. Les données du recensement cartographique couvrent 72,6 % de la RCA. Source : Recensement cartographique ICASEES, WorldPop, HCR et estimations de la Banque mondiale Bien que les données géospatiales ne puissent pas fournir d‘informations directes sur l‘accès à l‘électricité, les données transnationales mettent en évidence la crise de la production d‘énergie — et donc de la consommation — à laquelle la RCA est confrontée. Le chapitre 4 a révélé que l‘électricité était l‘élément le plus faible de l‘infrastructure de base, 87,7 % de la population n‘ayant pas accès à l‘électricité. Il a également été démontré qu‘il existe une corrélation particulièrement forte entre l‘électricité et la pauvreté. Alors que le recensement cartographique ne peut pas fournir d‘informations directes sur l‘accès à l‘électricité, les données transnationales suggèrent que la production et la consommation finale d‘électricité sont significativement plus faibles en RCA que dans les autres pays de la CEMAC60. En effet, la production et la consommation 59  La norme pour les sources d’eau « améliorées » suit la même approche que celle utilisée au chapitre 4. 60  Les données du recensement cartographique fournissent des informations sur l’emplacement des sous‑stations électriques, mais cela ne semble pas être un indicateur valable de l’accès physique à l’électricité. 124 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE finale d‘électricité par habitant sont environ 10 fois plus élevées au Cameroun qu‘en RCA, et l‘écart est encore plus important au Gabon et en République du Congo (figure 62). Ces faibles niveaux de production et de distribution d‘électricité reflètent les privations généralisées d‘électricité observées dans les données de l‘EHCVM et entravent gravement la réduction de la pauvreté. FIGURE 62.  PRODUCTION D‘ÉLECTRICITÉ ET CONSOMMATION FINALE EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE ET DANS LES PAYS DE COMPARAISON RÉGIONAUX 1 600 Production d'électricité/consommation 1 400 1 355 finale par habitant (KWh) 1 200 1 123 1 000 800 600 508 400 340 310 278 200 32 20 0 RCA Cameroun Gabon Congo, Rép. Génération Consommation Source : Agence internationale pour les énergies renouvelables, Commission africaine de l‘énergie et estimations de la Banque mondiale. Le réseau routier de la RCA est en mauvais état, ce qui affecte l‘accès aux services, aux infrastructures de base et aux marchés. Même en tenant compte des méthodes de transport mixtes, de nombreux Centrafricains auraient besoin d‘un temps de trajet long pour se rendre dans les écoles primaires et secondaires (figure 56). L‘accès à certains types de formations sanitaires — en particulier les hôpitaux — dépend entièrement de la possibilité de s‘y rendre en voiture. De nombreux Centrafricains ont également du mal à se rendre dans les zones urbaines en général : même en tenant compte des modes de transport mixtes, 62,4 % de la population vit à plus d‘une heure d‘un centre urbain à forte densité et 13,1 % à plus d‘une heure d‘un centre urbain à forte densité ou d‘un centre urbain intermédiaire61. De même, les agriculteurs centrafricains suggèrent que l‘accès aux marchés est une contrainte pour la vente de leurs produits agricoles dans les données de l‘EHCVM (voir chapitre 5). Des preuves directes sur le réseau routier sous‑jacent en RCA démontrent que la couverture et la qualité des routes peuvent être une contrainte sérieuse. Tout d‘abord, de nombreux groupes de population ne sont pas situés à proximité de routes primaires, secondaires ou tertiaires, de sorte que ces personnes doivent trouver des moyens d‘atteindre le réseau routier en premier lieu (figure 63)62. Deuxièmement, la qualité des routes limite les déplacements en RCA : seulement 2,5 % des routes du pays sont asphaltées (OCHA, 2021). Par conséquent, les routes — comme l‘électricité — représentent une lacune majeure dans le socle d‘infrastructures dont la RCA aurait besoin pour réduire la pauvreté. 61  Les centres urbains à forte densité sont des agglomérations comptant au moins 50 000 habitants et une densité de population d’au moins 1 500 habitants au kilomètre carré. Les centres urbains intermédiaires sont des agglomérations comptant au moins 5 000 habitants et une densité de population d’au moins 300 habitants au kilomètre carré. 62  Malgré les problèmes de qualité des routes, environ 9,4 % de la population vit à plus d’une heure de marche d’une route primaire, secondaire ou tertiaire, selon le même modèle de mobilité que celui utilisé pour évaluer l’accès aux écoles, aux établissements de santé et aux points d’eau. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 125 FIGURE 63.  POPULATION ET RÉSEAU ROUTIER EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Réseau routier Primaire Secondaire Tertiare Population d’agglomération Haut Bas Note : Seules les routes primaires, secondaires et tertiaires sont incluses, conformément aux définitions d‘OpenStreetMap. Les routes primaires ne sont pas forcément goudronnées. Seules les routes non classées, les routes de service et les routes résidentielles sont exclues. Source : OpenStreetMap (pour le réseau routier), WorldPop apparié à GRID3 settlement extents (pour la population), et estimations de la Banque mondiale. 6. 5.   LE MANQUE D‘ACCÈS PHYSIQUE AUX SERVICES EST FORTEMENT LIÉ AU CAPITAL HUMAIN, UN ÉLÉMENT CLÉ DE LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ L‘accès physique aux écoles primaires et secondaires est associé à la scolarisation, même après avoir contrôlé d‘autres caractéristiques du ménage et du lieu. Cet aspect peut être examiné en utilisant les coordonnées géographiques des données de l‘EHCVM pour relier les ménages — ainsi que leur capital humain et leurs résultats en matière de conditions de vie — aux données cartographiques du recensement, en estimant les temps de trajet à l‘aide du modèle de mobilité décrit ci‑dessus. En appliquant cette approche, il apparaît que les enfants âgés de 6 à 11 ans vivant dans des ménages situés à 1 ou 2 heures de marche d‘une école primaire ont environ 18,8 points de pourcentage de moins de chances d‘aller à l‘école primaire que ceux vivant à moins d‘une heure de marche, même après avoir pris en compte les principales caractéristiques du ménage — notamment la taille du ménage, le statut de PDI, le niveau d‘études et la profession du chef de ménage — ainsi que les caractéristiques du lieu — à savoir la région et le cadre urbain‑rural dans lequel vit le ménage (tableau 10)63. De même, les enfants âgés de 11 à 16 ans vivant dans des ménages situés à une ou deux heures de marche d‘une école secondaire ont 6,9 points de pourcentage de moins de chances d‘aller à 63  Cette régression comporte une variable binaire qui prend la valeur 1 si l’enfant est inscrit à l’école primaire et la valeur 0 dans le cas contraire, du côté gauche. Il s’agit donc d’un modèle de probabilité linéaire, de sorte que les coefficients peuvent être lus directement comme des effets marginaux. Les erreurs standard sont regroupées au niveau du district de recensement afin de minimiser l’impact de l’hétéroscédasticité. La régression analogue a été effectuée pour les écoles secondaires. Dans les deux séries de régressions, la catégorie exclue est celle des ménages situés à moins de 30 minutes de marche. 126 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE l‘école secondaire que ceux qui vivent à moins d‘une heure de marche (tableau 11). Ces résultats ne changent pas de manière substantielle, même après avoir contrôlé le logarithme des dépenses réelles par habitant, de sorte qu‘ils ne sont pas uniquement dus au fait que les pauvres vivent dans des zones plus éloignées ou moins bien desservies. Les résultats ne comblent pas entièrement le déficit de scolarisation montré au chapitre 4. Cela signifie qu‘il existe d‘autres facteurs qui limitent la fréquentation scolaire, notamment la mauvaise qualité perçue, le manque de moyens financiers et les faibles revenus des ménages qui incitent les parents à retirer leurs enfants de l‘école pour contribuer à des activités génératrices de revenus, en particulier en cas de chocs (voir chapitre 3)64. Néanmoins, l‘accès physique semble également être un facteur clé de la scolarisation, de sorte que l‘investissement dans les écoles et les infrastructures nécessaires pour y accéder constitue un moyen pour les décideurs politiques d‘améliorer les résultats en matière de capital humain. TABLEAU 10.  RÉGRESSION DE L‘INSCRIPTION À L‘ÉCOLE PRIMAIRE EN FONCTION DU TEMPS NÉCESSAIRE POUR SE RENDRE À PIED À L‘ÉCOLE PRIMAIRE LA PLUS PROCHE Ajout de contrôles   Aucun contrôle Ajout d‘un lieu domestiques Ajout de dépenses 30 minutes — 1 heure –0,0804** –0,0163 –0,0143 –0,0049 (0,0403) (0,0418) (0,0406) (0,0411) 1–2 heures –0,2547*** –0,1939*** –0,1881*** –0,1745*** (0,0373) (0,0415) (0,0421) (0,0423) 2–3 heures –0,2341*** –0,1454** –0,1393** –0,1326** (0,0648) (0,0656) (0,0628) (0,0655) >3 heures –0,2673*** –0,1936*** –0,1854*** –0,1695*** (0,0479) (0,0453) (0,0468) (0,0467) N 5 387 5 387 5 387 5 387 R2 0,0441 0,0763 0,0886 0,0957 Note : Échantillon limité aux enfants âgés de 6 à 1 1 ans. La variable dépendante est une variable binaire prenant la valeur 1 si l‘enfant est inscrit à l‘école primaire et 0 sinon. La catégorie exclue est celle des enfants vivant à moins de 30 minutes de l‘école primaire la plus proche. Les principaux facteurs de régression sont des variables muettes représentant chaque catégorie de temps de trajet. Les erreurs standard regroupées au niveau du district de recensement sont entre parenthèses. * p<0,10, ** p<0,05, *** p<0,01. Source : EHCVM 2021, recensement cartographique ICASEES, WorldPop, HCR et estimations de la Banque mondiale. 64  Il semble également que les ménages retardent l’inscription de leurs enfants à l’école. Environ 3 enfants et jeunes sur 10 inscrits à l’école primaire sont âgés de 12 ans ou plus dans les données de l’EHCVM. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 127 TABLEAU 11.  RÉGRESSION DE LA SCOLARISATION DANS L‘ENSEIGNEMENT SECONDAIRE EN FONCTION DU TEMPS NÉCESSAIRE POUR SE RENDRE À PIED À L‘ÉCOLE SECONDAIRE LA PLUS PROCHE Ajout de contrôles   Aucun contrôle Ajout d‘un lieu domestiques Ajout de dépenses 30 minutes – 1 heure –0,0819*** –0,0409 –0,0292 –0,0245 (0,0286) (0,0287) (0,0293) (0,0283) 1–2 heures –0,1352*** –0,0910** –0,0687** –0,0647** (0,0331) (0,0361) (0,0348) (0,0327) 2–3 heures –0,1588*** –0,1061*** –0,0833*** –0,0785*** (0,0170) (0,0253) (0,0232) (0,0226) >3 heures –0,1669*** –0,1099*** –0,0881*** –0,0816*** (0,0138) (0,0218) (0,0194) (0,0187) N 4 386 4 386 4 386 4 386 R2 0,0689 0,0831 0,1182 0,1240 Note : Échantillon limité aux enfants âgés de 1 1 à 16 ans. La variable dépendante est une variable binaire prenant la valeur 1 si l‘enfant est inscrit à l‘école secondaire et 0 sinon. La catégorie exclue est celle des enfants vivant à moins de 30 minutes de l‘école secondaire la plus proche. Les principaux facteurs de régression sont des variables muettes représentant chaque catégorie de temps de trajet. Les erreurs standard regroupées au niveau du district de recensement sont entre parenthèses. * p<0,10, ** p<0,05, *** p<0,01. Source : EHCVM 2021, recensement cartographique ICASEES, WorldPop, HCR et estimations de la Banque mondiale. 6. 6.   L‘ACCÈS PHYSIQUE LIMITÉ AUX SERVICES EST ASSOCIÉ À UNE PLUS GRANDE PAUVRETÉ Au‑delà des effets immédiats sur le capital humain, l‘accès physique est également lié à la pauvreté monétaire. En reliant les données de l‘EHCVM et les données cartographiques du recensement, puis en régressant la pauvreté monétaire sur les temps de déplacement avec et sans contrôle — tout comme le profil de pauvreté estimé au chapitre 2 — on peut observer ces tendances. Les chances de vivre dans la pauvreté monétaire sont supérieures de plus de 6 points de pourcentage pour les Centrafricains vivant à au moins 30 minutes de marche d‘une école primaire, même en présence de contrôles de localisation des ménages (tableau 12). Le fait que ce résultat persiste en présence de contrôles de localisation signifie que la corrélation entre la pauvreté et l‘accès physique n‘est pas purement un produit des différences entre les zones urbaines et rurales et entre les régions de la RCA. Des tendances similaires se dégagent pour l‘accès aux infrastructures de santé (tableau 13). Par conséquent, en écho au chevauchement entre la pauvreté monétaire et la privation d‘éducation montré au chapitre 4, la relation entre l‘accès aux services et le capital humain semble se répercuter sur la pauvreté monétaire également. 128 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE TABLEAU 12.  RÉGRESSION DE LA PAUVRETÉ MONÉTAIRE SUR LE TEMPS NÉCESSAIRE POUR SE RENDRE À PIED À L‘ÉCOLE PRIMAIRE LA PLUS PROCHE   Aucun contrôle Contrôles de localisation Contrôles complets 30 minutes – 1 heure 0,1406*** 0,0797** 0,0661** (0,0353) (0,0348) (0,0314) 1–2 heures 0,1432*** 0,0756** 0,0644* (0,0371) (0,0377) (0,0370) 2–3 heures 0,1878*** 0,1206*** 0,1073*** (0,0413) (0,0341) (0,0378) >3 heures 0,1311*** 0,0888** 0,0785** (0,0388) (0,0372) (0,0375) N 6 249 6 249 6 249 R2 0,0190 0,0772 0,1626 Note : La variable dépendante est une variable binaire prenant la valeur 1 si le ménage est en dessous du seuil de pauvreté national et la valeur 0 dans le cas contraire. La catégorie exclue est celle des ménages vivant à moins de 30 minutes de l‘école primaire la plus proche. Les principaux facteurs de régression sont des variables muettes représentant chaque catégorie de temps de trajet. Les erreurs standard regroupées au niveau du district de recensement sont entre parenthèses. * p<0,10, ** p<0,05, *** p<0,01. Source : EHCVM 2021, recensement cartographique ICASEES, WorldPop, HCR et estimations de la Banque mondiale. TABLEAU 13.  RÉGRESSION DE LA PAUVRETÉ MONÉTAIRE SUR LE TEMPS NÉCESSAIRE POUR ATTEINDRE À PIED LE CENTRE DE SANTÉ LE PLUS PROCHE   Aucun contrôle Contrôles de localisation Contrôles complets 30 minutes – 1 heure 0,1377*** 0,0691** 0,0613** (0,0308) (0,0308) (0,0310) 1–2 heures 0,1192*** 0,0537 0,0477 (0,0328) (0,0348) (0,0335) 2–3 heures 0,1315*** 0,0898** 0,0639* (0,0365) (0,0398) (0,0374) >3 heures 0,1623*** 0,1130*** 0,0993*** (0,0295) (0,0300) (0,0295) N 6 249 6 249 6 249 R2 0,0244 0,0788 0,1637 Note : La variable dépendante est une variable binaire prenant la valeur 1 si le ménage est en dessous du seuil de pauvreté national et la valeur 0 dans le cas contraire. La catégorie exclue est celle des ménages vivant à moins de 30 minutes de l‘établissement de santé le plus proche, quel que soit son niveau. Les principaux facteurs de régression sont des variables muettes représentant chaque catégorie de temps de déplacement. Les erreurs standard regroupées au niveau du district de recensement sont entre parenthèses. * p<0,10, ** p<0,05, *** p<0,01. Source : EHCVM 2021, recensement cartographique ICASEES, WorldPop, HCR et estimations de la Banque mondiale. Si la relation entre l‘accès physique et la pauvreté semble plus forte dans les zones urbaines que dans les zones rurales, c‘est principalement parce que les limites de l‘accès physique et la pauvreté sont si omniprésentes pour la quasi‑totalité des habitants des zones rurales. Cela peut être démontré en régressant le statut de pauvreté sur une version simplifiée des catégories de temps de déplacement, qui indique simplement ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 129 si les installations se trouvent à plus d‘une heure de marche du ménage et en utilisant uniquement les contrôles au niveau du ménage, tout en divisant l‘échantillon en zones rurales et urbaines. Même après avoir contrôlé les différences de caractéristiques au niveau des ménages, les Centrafricains des zones urbaines qui se trouvent à plus d‘une heure de marche d‘une école primaire sont 13,1 points de pourcentage plus susceptibles d‘être pauvres, tandis que pour les Centrafricains des zones rurales, la différence analogue est de 5,0 points de pourcentage (tableau 14)65. Toutefois, cela ne signifie pas que les investissements doivent être ciblés principalement sur les zones urbaines. En fait, si l‘on examine les cartes ci‑dessus et la carte de la pauvreté du chapitre 2, il apparaît que la corrélation entre la pauvreté et l‘accès physique devient plus faible dans les zones rurales parce que l‘accès y est si limité et que la pauvreté y est si répandue. En partie, ces résultats reflètent simplement la constatation que les privations, en matière d’accès, des conditions de vie non monétaire et de pauvreté, s’accumulent le plus pour les Centrafricains ruraux. Ils reflètent également l’inégalité entre les zones urbaines de la RCA, due au fait que Bangui est si différente des autres villes. TABLEAU 14.  RÉGRESSION DE LA PAUVRETÉ MONÉTAIRE SUR LE TEMPS NÉCESSAIRE POUR SE RENDRE À PIED À L‘ÉCOLE PRIMAIRE LA PLUS PROCHE, PAR ZONE URBAINE‑RURALE Aucun contrôle Avec contrôles   Rural Urbain Rural Urbain >1 heure de marche vers l‘école primaire 0,0620** 0,2607*** 0,0498* 0,1305*** (0,0297) (0,0531) (0,0284) (0,0455) N 3 578 2 671 3 578 2 671 R2 0,0041 0,0146 0,1096 0,1554 Note : La variable dépendante est une variable binaire qui prend la valeur 1 si le ménage est en dessous du seuil de pauvreté national et la valeur 0 dans le cas contraire. Le régresseur principal est une variable muette prenant la valeur 1 s‘il faut plus d‘une heure à pied pour atteindre l‘école primaire la plus proche et la valeur 0 sinon. Les erreurs standard regroupées au niveau du district de recensement sont entre parenthèses. * p<0,10, ** p<0,05, *** p<0,01. Source : EHCVM 2021, recensement cartographique ICASEES, WorldPop, HCR et estimations de la Banque mondiale. 6. 7.   AIDER LES DÉCIDEURS POLITIQUES À CONSTRUIRE DES PISTES DE SOLUTIONS POUR LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ Ce chapitre fournit aux décideurs politiques des informations sur la manière d‘investir dans les services et les infrastructures de base, éléments clés de la réduction de la pauvreté. Il démontre que le manque d‘accès physique aux écoles, en particulier aux écoles secondaires, limite clairement le développement du capital humain. En outre, le manque d‘accès aux écoles semble être directement associé à la pauvreté monétaire. Ce problème est particulièrement grave dans les zones rurales et isolées. En outre, si l‘accès physique à l‘eau n‘est peut‑être pas la principale contrainte pour les résultats en matière d‘eau, d‘assainissement et d‘hygiène, l‘accès à l‘électricité et les routes peuvent constituer des freins au développement. Le chapitre 7 synthétise ces résultats et les combine avec les conclusions des chapitres précédents afin d‘esquisser les priorités politiques clés qui pourraient aider à relancer la réduction de la pauvreté en RCA. 65  La différence entre les zones rurales et urbaines peut être testée formellement à l’aide de la commande seemingly unrelated estimation () de Stata. La valeur p du test d’hypothèse selon lequel le coefficient rapporté est le même pour les zones urbaines et rurales est de 0,001 dans le modèle sans contrôles et de 0,122 dans le modèle avec contrôles au niveau des ménages. 7.  STRATÉGIES DE RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE PRINCIPALES OBSERVATIONS ▶ L‘ampleur du défi que représente la réduction de la pauvreté en République centrafricaine exige une action politique urgente. ▶ La promotion de la paix, de la sécurité et de la bonne gouvernance reste essentielle. ▶ La réduction de la pauvreté passe par une relance de la croissance et un accroissement de la marge de manœuvre budgétaire ; la mise en place de réformes visant à soutenir le commerce, à encourager l‘investissement privé et à améliorer la gestion des ressources naturelles pourraient y contribuer. ▶ Trois types de politiques peuvent contribuer à la fois à stimuler une croissance inclusive et à réduire activement la pauvreté : 1) renforcer le capital humain ; 2) stimuler la productivité agricole ; et 3) investir dans les infrastructures de base, notamment par l‘électrification et la modernisation des routes. ▶ Les 3,3 millions de Centrafricains en situation de pauvreté alimentaire ne peuvent toutefois pas attendre que les politiques à moyen terme portent leurs fruits ; les filets de sécurité sociale et autres programmes d’aide doivent être étendus, ciblés vers les plus démunis et associés à d‘autres interventions afin de stimuler le capital humain et d’améliorer les moyens de subsistance. ▶ La mise en place de nouvelles campagnes la collecte de données, tenant compte des conflits, des personnes déplacées et d’autres groupes vulnérables, peut contribuer à orienter la conception, la mise en œuvre et le suivi des politiques qui permettront à la République centrafricaine de s’engager sur la voie de la réduction de la pauvreté. Ce dernier chapitre s‘appuie sur l‘analyse présentée dans les chapitres précédents pour esquisser les politiques de réduction de la pauvreté en RCA. Les résultats de cette évaluation de la pauvreté arrivent à point nommé pour le gouvernement centrafricain puisque le RCPCA arrive à échéance en 2023. Il est temps d‘élaborer de nouvelles stratégies de développement. La République centrafricaine doit relever un défi de taille pour réduire la pauvreté. L’adoption de politiques équilibrées pourrait toutefois l’aider à réaliser son potentiel et à sortir sa population de la pauvreté. Ce chapitre rappelle tout d’abord la nécessité de promouvoir la paix, la sécurité et la bonne gouvernance en République centrafricaine. Il insiste ensuite sur l’importance de stimuler la croissance et d’accroitre la marge de manœuvre budgétaire pour favoriser la mise en œuvre de politiques de réduction de la pauvreté, faute de quoi le pays ne pourra tout simplement pas se permettre de réaliser les investissements requis pour faire passer sa population au‑dessus du seuil de pauvreté. Enfin, ce chapitre traite des trois principaux éléments permettant de stimuler simultanément une croissance inclusive et de réduire la pauvreté à moyen terme, à savoir le développement du capital humain, l‘augmentation de la productivité agricole et l‘amélioration des infrastructures. La lutte contre la pauvreté alimentaire en RCA ne peut toutefois pas attendre que les politiques à moyen terme produisent des effets. C’est pourquoi, le chapitre insiste également sur la nécessité d‘étendre la protection sociale et de veiller à ce que celle‑ci cible les personnes confrontés aux formes les plus extrêmes de privation, tout en associant cette aide à des initiatives visant à renforcer le capital humain et à améliorer les moyens de subsistance (voir figure 64 pour un résumé schématique de ces recommandations stratégique). Ce chapitre souligne également la nécessité de s‘appuyer sur l‘EHCVM 2021, en poursuivant la collecte des données pour guider la conception, la mise en œuvre, le suivi et l‘évaluation des politiques de réduction de la pauvreté. 132 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE FIGURE 64.  POLITIQUES VISANT À STIMULER LA CROISSANCE ET LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Environnement favorable : bonne gouvernance, paix et sécurité Politiques visant à stimuler la croissance et à accroitre la marge de manoeuvre budgétaire Améliorer la gestion Encourager l'investissement privé Soutenir le commerce des ressources naturelles Moteurs à la fois de croissance inclusive et de réduction de la pauvreté Développement Investir dans les infrastructures Stimuler la productivité agricole du capital humain (routes et électricité) Avantages à long terme des filets de protection sociale Action urgente pour lutter contre les formes extrêmes de privation Étendre et cibler les filets de protection sociale Source : Banque mondiale 7. 1.   LA GÉNÉRALISATION ET L’AGGRAVATION DE LA PAUVRETÉ APPELLENT DES MESURES POLITIQUES IMMÉDIATES L‘ampleur et la gravité de la pauvreté exigent l’adoption urgente de mesures pour protéger les Centrafricains des formes extrêmes de privation. Environ 68,8 % de la population vit en dessous du seuil national de pauvreté et 54,9 % en dessous du seuil de pauvreté alimentaire, ce qui signifie que ces personnes ne mangent pas à leur faim, même si l’intégralité de leur consommation est de nature alimentaire. Si l‘on tient compte de la variation de la consommation, 88,6 % de la population est vulnérable à la pauvreté et 77,2 % à la pauvreté alimentaire. Compte tenu de la prévalence des chocs — et en particulier des chocs liés au conflit — en RCA, l‘exposition à des privations sévères est extrêmement répandue. Les comparaisons internationales confirment la gravité de la situation. En mesurant le taux de pauvreté au seuil de pauvreté international de 2,15 dollars en parité de pouvoir d‘achat (PPA) de 2017, le pays se classe parmi les dix pays les plus pauvres du monde. Des projections simples suggèrent que la combinaison actuelle de politiques ne permettra pas de réduire la pauvreté de manière significative au cours des cinq prochaines années. La République centrafricaine doit donc revoir sa stratégie, et elle doit le faire maintenant. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 133 7. 2.   LA PROMOTION DE LA PAIX, DE LA SÉCURITÉ ET DE LA BONNE GOUVERNANCE RESTE ESSENTIELLE La promotion de la paix et de la sécurité est essentielle aux efforts de réduction de la pauvreté. Les liens de causalité entre les conflits, les déplacements, les moyens de subsistance et la pauvreté sont complexes. Pourtant, ce rapport indique clairement que le conflit a entravé la croissance inclusive et la réduction de la pauvreté en RCA, certainement pour les personnes déplacées, mais aussi pour la population dans son ensemble. Les conflits sont à l‘origine d‘un grand nombre de décès et de violences fondée sur le genre en République centrafricaine (UNHCR, 2022). Ils nuisent au renforcement du capital humain et à l’amélioration des moyens de subsistance, endommagent les biens et les infrastructures et compliquent la mise en œuvre des politiques de réduction de la pauvreté. Les données recueillis à l’échelle mondiale indiquent que les pauvres vivent de plus en plus dans les zones fragiles et touchées par les conflits (Corral, Irwin, Krishnan, Mahler, & Vishwanath, 2020). Il est donc essentiel de promouvoir la paix et la sécurité pour réduire la pauvreté en RCA. Il convient de s’attaquer aux causes profondes de la fragilité de la RCA, notamment en améliorant la gouvernance et la gestion des ressources naturelles ; il serait également judicieux de mettre en place des politiques visant à réduire la pauvreté et les inégalités. La lutte entre les élites politiques pour accéder au pouvoir et s’approprier les précieuses ressources naturelles du pays est l’un des principaux facteurs de conflit en République centrafricaine (World Bank, 2022). Les données mondiales montrent que de nombreux autres pays dotés de ressources naturelles souffrent souvent de risques accrus de conflit et de fragilité (Barma, Kaiser, Minh Le, & Viñuela, 2011). Il est donc essentiel de renforcer la bonne gouvernance afin de mieux gérer les richesses en ressources naturelles. Néanmoins, malgré les liens de causalité complexes entre la pauvreté, les moyens de subsistance et les conflits, il a été démontré que l‘amélioration des moyens de subsistance, l‘investissement dans les actifs et la réduction de la pauvreté globale augmentent le coût d‘opportunité de la participation à un conflit, ce qui réduit la probabilité que des groupes armés se forment, se développent et l’emportent (Collier & Hoeffler, 2004). En outre, l‘inégalité peut alimenter les griefs et créer les conditions d‘un conflit, en particulier lorsqu‘elle s‘aligne sur les différences géographiques, ethniques et religieuses, de sorte que les politiques qui améliorent l‘équité pourraient contribuer à la réduction de la pauvreté. (Mokleiv Nygård, 2018). Les politiques recommandées dans le cadre de cette évaluation de la pauvreté afin de stimuler une croissance inclusive et de réduire la pauvreté pourraient donc également contribuer à instaurer un contrat social en RCA, ce qui lui permettant de sortir de l’engrenage de la fragilité. 7. 3.   LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ PASSE PAR UNE RELANCE DE LA CROISSANCE ET UN ACCROISSEMENT DE LA MARGE DE MANŒUVRE BUDGÉTAIRE La croissance est une condition nécessaire à la réduction durable de la pauvreté. Si la croissance s’est pas suffisante en soi, des données mondiales indiquent que la réduction de la pauvreté dépend de la croissance, en particulier dans les premières phases du processus de développement (Ravallion & Chen, 1997 ; Son & Kakwani, 2004). La croissance médiocre de la RCA — qui la place parmi les pays les plus pauvres du monde en termes de PIB par habitant — n‘a pas permis de créer les moyens de subsistance productifs nécessaires pour permettre à la population de passer au‑dessus du seuil de pauvreté. En outre, les politiques de réduction de la pauvreté requièrent des dépenses publiques : la croissance doit également permettre d’accroître la marge de manœuvre budgétaire du gouvernement afin que ces politiques puissent être financées. Cette section 134 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE donne un bref aperçu des réformes économiques susceptibles d‘accélérer la croissance et d‘accroître la marge de manœuvre budgétaire ; la section suivante traite elle des politiques qui stimulent simultanément une croissance inclusive et la réduction de la pauvreté66. Trois types de réformes macroéconomiques pourraient accélérer la croissance ; il sera essentiel, dans un premier temps, d‘améliorer l‘environnement de l‘investissement privé. Outre la promotion de la paix et de la sécurité, il s‘agit notamment de favoriser la concurrence sur le marché, de faciliter la création d‘entreprises et de simplifier l‘enregistrement de la propriété. La conception de politiques spécifiques visant à attirer les investissements du secteur privé reposera sur le renforcement du dialogue avec les représentants et les organisations de ce secteur. La République centrafricaine pourrait, dans un deuxième temps, tirer un meilleur parti du commerce international. Cela pourrait contribuer à diversifier l‘économie, à promouvoir l‘accès aux nouvelles technologies, à accroître la concurrence et à élargir les marchés pour les biens produits en RCA. La politique commerciale détermine également les biens et les intrants qui peuvent entrer dans le pays, notamment le carburant, les engrais et les produits alimentaires. En tant que tel, le commerce peut à la fois améliorer la productivité agricole et garantir que les produits agricoles atteignent des marchés plus importants afin de rendre les exploitations agricoles plus rentables. Les politiques commerciales sont particulièrement importantes pour un pays enclavé comme la RCA, puisque nombre de ses voisins sont eux‑mêmes confrontés à des conflits, à des déplacements de population et à une faible croissance. L‘investissement dans les infrastructures, la rationalisation des procédures douanières et la coordination par des structures multilatérales — telles que la CEMAC ou la Zone de libre‑échange continentale africaine (ZLECA) — et d‘accords bilatéraux pourraient être utiles. Cela pourrait également permettre à la RCA, qui jouit d’une position privilégiée entre de nombreux partenaires commerciaux potentiels, de tirer avantage de la réexportation de marchandises et du commerce de transit. Enfin, le pays devrait renforcer la gestion de ses richesses en ressources naturelles, afin que tous les Centrafricains puissent en bénéficier. Cela pourrait impliquer en partie la transformation des produits primaires, en ajoutant de la valeur et en créant des emplois, au sein même de la RCA, ce qui stimulerait le commerce et permettrait de diversifier les exportations nationales. Il pourrait s’agir, par exemple, de soutenir l’application du Code forestier, qui exige la transformation sur place d‘au moins 70 % des grumes dans le secteur du bois (AFWC, 2016 ; World Bank, 2022). Plus fondamentalement, il sera important de poursuivre les efforts visant à améliorer le cadre institutionnel et réglementaire des industries extractives, y compris les réformes visant à accroître la disponibilité des données et la transparence dans le secteur minier. De telles initiatives ne sont pas seulement importantes pour empêcher les conflits, mais elles pourraient également permettre d’augmenter les exportations de la RCA et procurer au gouvernement les revenus nécessaires pour financer des politiques en faveur des pauvres. Si la croissance peut contribuer à accroître le budget consacré par le gouvernement aux politiques de réduction de la pauvreté, des réformes budgétaires supplémentaires permettraient de mobiliser davantage de recettes intérieures. Bien que certains bailleurs de fonds internationaux se soient retirés de la RCA, l’aide publique au développement représente toujours une part importante des revenus du pays. À ce titre, il est essentiel de créer des outils permettant d’accroître le recouvrement des impôts, de revoir les exonérations fiscales, de renforcer les capacités de l’administration douanière et fiscale et d’élargir l’assiette fiscale afin d’améliorer la 66  Une analyse complète des réformes nécessaires pour relancer la croissance dépasse le cadre de cette évaluation de la pauvreté et fait l’objet d’autres rapports (voir, par exemple, World Bank (2022)). ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 135 mobilisation des recettes intérieures pour financer les dépenses publiques en faveur des pauvres (World Bank, 2021). Il sera indispensable, en parallèle, de privilégier les dépenses publiques consacrées aux les politiques les plus susceptibles de soutenir une croissance inclusive et de profiter aux Centrafricains confrontés aux formes les plus extrêmes de privation. C‘est à ces politiques que ce chapitre s‘intéresse à présent. 7. 4.   CAPITAL HUMAIN, PRODUCTIVITÉ AGRICOLE ET INFRASTRUCTURES — MOTEURS D’UNE CROISSANCE INCLUSIVE ET DE LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ Trois politiques présentent le double avantage de favoriser durablement une croissance inclusive et de sortir rapidement la population de la pauvreté : 1) renforcer le capital humain, 2) stimuler la productivité agricole et 3) investir dans les infrastructures. Ces politiques se renforcent mutuellement. Ainsi, la construction de routes peut aider les agriculteurs à acheminer plus facilement leurs produits sur le marché, ce qui accroît leur rentabilité. De même, les politiques éducatives qui permettent d‘acquérir les bonnes compétences peuvent contribuer à rendre les moyens de subsistance plus productifs et, dans le cas des chefs d‘entreprise, favoriser la création d‘emplois. Ces politiques placent les perspectives de croissance de la RCA sur des bases plus prometteuses, comme le suggère l‘analyse macroéconomique existante (voir, par exemple, World Bank (2022)). Elles peuvent aussi avoir des effets plus immédiats, en s’attaquant au problème urgent qui consiste à faire passer les gens au‑dessus du seuil de pauvreté ou de les soustraire à de formes plus extrêmes de privation en attendant la concrétisation d‘une croissance durable à long terme. 7. 4. 1.   RENFORCER LE CAPITAL HUMAIN POUR LIBÉRER LE POTENTIEL DES JEUNES CENTRAFRICAINS La jeunesse de la population centrafricaine représente une opportunité formidable pour le pays ; investir dans les jeunes, et en particulier les enfants, peut se révéler très rentable. Plus des trois quarts de la population centrafricaine sont âgés de moins de 30 ans, ce qui signifie que des millions de Centrafricains sont — ou seront prochainement — en âge de travailler. Le pays devra investir dans le potentiel productif de ces jeunes et leur donner les moyens de gagner leur vie si il veut tirer parti de son dividende démographique. Des données recueillies à l’échelle mondiale démontrent en outre que soutenir le développement de la petite enfance, notamment en dispensant un enseignement préscolaire et en mettant en place des interventions sanitaires de base telles que le déparasitage et l‘apport de nutriments de base, peut être très profitable (Bhula, Mahoney, & Murphy, 2020 ; Holla, Bendini, Dinarte, & Trako, 2021). Accompagner les jeunes durant les premières années de leur vie peut avoir des effets bénéfiques profonds, tandis qu’il est beaucoup plus difficile d’essayer de remédier au problème lorsque les personnes sont plus âgées (World Bank, 2022). En revanche, ne pas investir dans la jeunesse centrafricaine pourrait s’avérer coûteux. Les données recueillies en Afrique subsaharienne montrent que les jeunes qui n’ont pas de moyens de subsistance productifs sont susceptibles de rejoindre des groupes armés, ce qui contribue à alimenter les conflits — la perspective de trouver une certaine forme d’emploi est invoquée comme la principale raison de s’engager dans ces groupes (Cramer, 2010 ; UNDP, 2023). Ce risque est particulièrement élevé si la population ne fait guère confiance aux autorités, si la prestation de services laisse à désirer et si le contrat social est rompu. L’insuffisance des investissements dans le capital humain et des moyens de subsistance peut avoir des conséquences à long terme sur la croissance inclusive et sur les conditions de vie des ménages, condamnant les futures 136 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE générations centrafricaines à la fragilité et à la pauvreté. La RCA doit intensifier ses efforts pour préserver et renforcer l‘investissement dans le capital humain, car les données mondiales suggèrent qu‘il est plus difficile de le faire pour les pays dotés d‘une richesse en ressources naturelles (Cust & Mandon, 2021). Si le lien entre l’éducation et la réduction de la pauvreté est évident, de nombreux jeunes centrafricains n’ont tout simplement pas la possibilité d’aller à l’école, et plus particulièrement de suivre un enseignement secondaire. Les ménages dont le chef de famille a fait des études secondaires ou supérieures courent sensiblement moins de risques de se trouver en situation de pauvreté. La mesure de la pauvreté multidimensionnelle de la Banque mondiale fait également apparaître un chevauchement important entre la dimension éducative et la dimension monétaire de la pauvreté. Les taux de scolarisation, en particulier dans le secondaire, restent toutefois relativement faibles. Ils ne s’améliorent que très lentement et des écarts persistent entre Bangui et le reste du pays. Comme le montrent les données géospatiales présentées au chapitre 6, cela s‘explique au moins en partie par le manque d’accès aux écoles : il est particulièrement difficile de se rendre dans des écoles secondaires en dehors de Bangui. Les données recueillies au niveau des ménages et au niveau individuel établissent un lien évident entre l’accès aux infrastructures scolaires et le taux de scolarisation. Il conviendrait donc de bâtir davantage d‘écoles dans certaines parties du pays, ou d’améliorer l‘infrastructure permettant d‘accéder aux écoles existantes. Il ne suffit pas d‘envoyer les enfants centrafricains à l‘école, ils doivent aussi pouvoir y apprendre. Faciliter l’accès à l’école peut aider, mais cela ne sera pas suffisant pour scolariser l’ensemble des jeunes centrafricains. Les ménages doivent aussi prendre conscience des avantages liés à la scolarisation de leurs enfants ; l‘école primaire et l‘école secondaire ne sont pas gratuites67. Pour cela, il faut que les ménages soient convaincus que les enfants apprendront lorsqu‘ils iront à l‘école. L‘apprentissage en RCA n’évolue pas au rythme du taux de scolarisation : si les enfants centrafricains passent en principe 4,6 ans à l’école, le temps de scolarité corrigé en fonction de la qualité de l’apprentissage n’est que de 2,7 ans (World Bank, 2020). Il ne suffira donc pas de faciliter l’accès aux écoles, mais il sera également indispensable d’investir dans d’autres intrants pédagogiques, tels que les enseignants, les salles de classe et les manuels scolaires (World Bank, à paraître). Il convient en outre d’axer l‘apprentissage doit sur les moyens de subsistance les plus courants en RCA. Or, à l‘heure actuelle, il n’existe pratiquement pas de formation technique agricole en RCA, alors que ce secteur est — et restera pendant de nombreuses années — le principal employeur du pays. L‘amélioration du système éducation requiert de renforcer l‘apprentissage et de cibler l’enseignement en fonction des possibilités d’emploi, ainsi que d‘améliorer l‘accès aux écoles. L’éducation et l’apprentissage ne suffisent pas à renforcer le capital humain ; il sera également essentiel de promouvoir la santé et l’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène (WASH), en particulier si ces mesures sont combinées à des investissements dans l’éducation. Les résultats sanitaires de la RCA sont parmi les plus faibles de la région CEMAC, ce qui aggrave les effets des faibles taux de scolarisation et de réussite scolaire sur le potentiel productif de la population. Dans certaines régions du pays, les mauvais résultats en matière de santé pourraient être associés au manque d‘accès aux établissements de santé, bien que, contrairement aux écoles, cette situation ne concerne pas nécessairement les zones reculées et rurales. Ces résultats soulignent l’importance des politiques de la santé communautaire. L‘accès à l‘eau potable et à l‘assainissement s’est également détérioré en RCA. Il est essentiel d’inverser cette tendance si l’on veut renforcer le capital humain, 67  Les frais de scolarité comprennent les frais d’assurance, les frais administratifs (bulletins et cartes d’identité), les frais d’examen et les salaires des enseignants communautaires. Ces frais varient entre 1 500 francs CFA et 5 000 francs CFA (environ 4 dollars en PPA de 2017 et 15 dollars en PPA de 2017) par élève et par an, selon le niveau de scolarité. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 137 car les maladies diarrhéiques — dont près de 90 % peuvent être attribuées à un accès insuffisant à l‘eau, à l‘assainissement et à l‘hygiène — sont la principale cause de morbidité et de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans (Ramesh, Blanchet, Ensink, & Roberts, 2015). La combinaison d’interventions pourrait permettre de s’attaquer simultanément à plusieurs facteurs entravant le développement du capital humain. Ainsi, un soutien direct aux secteurs de l’éducation et de la santé — par des investissements ciblés dans les écoles et les établissements de santé ou par la distribution de compléments alimentaires, de médicaments ou de formations à d’autres membres du ménage — pourrait être associé à des transferts monétaires ou en nature versés dans le cadre de systèmes de protection sociale. Une approche multisectorielle sera nécessaire pour renforcer le capital humain de la RCA. 7. 4. 2.   TIRER PARTI DE L‘AGRICULTURE POUR RÉDUIRE LA PAUVRETÉ L’investissement dans le capital humain ne peut être rentable que si les Centrafricains disposent des moyens de subsistance adéquats. Les effets du renforcement du potentiel productif des populations sur la croissance inclusive et la réduction de la pauvreté seront limités si elles ne disposent pas des moyens de subsistance adaptés. En RCA, la question des moyens de subsistance n‘est pas de savoir si les gens travaillent — ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas ont à peu près la même probabilité d‘être en situation de pauvreté. Il s‘agit plutôt de trouver le type d‘activités permettant de sortir les personnes de la pauvreté. Le renforcement des moyens de subsistance exige de répondre aux enjeux toujours plus pressants posés par les effets du changement climatique et d’accroître la productivité agricole. Le secteur agricole est de loin le principal employeur du pays, mais sa productivité semble nettement inférieure à celle des autres secteurs. La croissance de la PTF agricole a également stagné en RCA depuis le début du conflit politico‑militaire en 2012, alors que les données transnationales montrent que le Cameroun et la République du Congo utilisent respectivement 70 et 50 fois plus d‘engrais pour l‘agriculture, par hectare de terre arable (USDA, 2022 ; World Bank, 2022). À terme, les travailleurs pourraient quitter le secteur agricole pour se tourner vers les services ou l’industrie afin d’augmenter leurs revenus. Il faudra cependant attendre des années, voire des décennies, avant qu’une telle transformation structurelle ne s’opère à grande échelle en RCA. Il sera essentiel, d’ici là, d’améliorer la productivité agricole, autre condition préalable à la transformation structurelle. L’agriculture a également permis, dans d’autres contextes, la réinsertion de combattants démobilisés. Ce secteur pourrait donc constituer un autre mécanisme permettant à la RCA d‘échapper au piège de la fragilité (Birner, Cohen, & Ilukor, 2011). Il faut améliorer l’accès aux intrants agricoles et faciliter l’accès des agriculteurs aux marchés, y compris hors de la République centrafricaine, pour stimuler la productivité du secteur agricole. Plus précisément, cela signifie qu‘il faut s‘assurer que les exploitations agricoles ont accès aux semences, aux outils et aux engrais dont elles ont besoin, d‘autant plus que cela entraîne l‘utilisation d‘autres intrants, y compris de la main‑d‘œuvre extérieure au ménage. En revanche, en raison de la faible densité de population de la RCA, l‘accès à la terre ne semble pas être obstacle majeur, du moins pour les personnes vivant en dehors des camps de déplacés : le droit à la hache régit traditionnellement l’attribution des terres, qui appartiennent à ceux qui la défriche et la cultive. (FAO, 2005). Un meilleur accès à la microfinance ou à d’autres formes de crédit pourrait aider les agriculteurs à acheter les intrants dont ils ont besoin, et la facilitation du commerce permettrait quant à elle d’importer ces intrants en République centrafricaine. Il est également indispensable que les produits agricoles puissent être vendus sur les marchés pour maximiser les revenus agricoles, d’autant plus que la plupart des agriculteurs centrafricains semblent vendre au moins une partie de ce qu’ils produisent. Pour ce faire, il faudra moderniser les infrastructures pour faciliter l’intégration des marchés et veiller à ce que la politique macroéconomique soutienne le commerce international des produits agricoles. 138 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 7. 4. 3.   MODERNISER LES INFRASTRUCTURES DE BASE Le développement du réseau électrique soutiendrait plusieurs mécanismes de réduction de la pauvreté. Le réseau électrique constitue sans conteste la composante la moins performante des infrastructures de base : seulement 12,3 % de la population a accès à l‘électricité, selon les données de l‘EHCVM 2021. Cela correspond aux comparaisons internationales entre la RCA et les pays voisins en termes de production globale d‘électricité et de consommation finale. Un accès insuffisant à l’électricité a des conséquences d’autant plus importantes que celle‑ci est fortement associée à la pauvreté monétaire, ce que confirment les données recueillies dans d’autres pays, qui montrent que l’électrification améliore les moyens de subsistance (Ratledge, Cadamuro, de la Cuesta, Stigler, & Burke, 2022) Investir dans l‘électricité pourrait également avoir des retombées sur d‘autres politiques de réduction de la pauvreté. Par exemple, l‘électrification pourrait améliorer l‘apprentissage dans les écoles et la qualité des soins dispensés dans les établissements de santé. Elle pourrait en outre contribuer à une plus grande pénétration de la téléphonie mobile, ce qui améliorerait le flux d’informations entre les marchés et permettrait à l’État d’élargir la portée de ses services administratifs, facilitant ainsi l’expansion d’autres politiques de réduction de la pauvreté, y compris les filets de protection sociale (Jensen, 2007). De telles mesures profiteraient particulièrement aux zones rurales et isolées, étant donné la faible densité de la population de la République centrafricaine. La rénovation du réseau routier de la République centrafricaine contribuerait à lever certains des freins à la réduction de la pauvreté et à réduire les inégalités interrégionales. Seuls 2,5 % des routes de la République centrafricaine sont asphaltées et de nombreuses communautés n’ont accès à aucune route, indépendamment de sa qualité. Cette situation entrave l’accès des populations à l’éducation et aux centres de santé, empêche les agriculteurs d’accéder aux marchés et entrave les efforts déployés par les autorités nationales et d’autres acteurs afin de mettre en place des filets de protection sociale et d’autres programmes en faveur de ces populations (Vijayakumar, 2019). De même, la remise en état du réseau routier pourrait contribuer à stabiliser les prix, étant donné la dispersion des prix des principales cultures vivrières observée entre les différentes régions, ce qui réduirait les effets de la hausse des prix sur le pouvoir d‘achat. Ce constat reflète en partie la nécessité plus générale de mieux intégrer les différentes régions de la RCA. Bangui est sensiblement plus avantagée que le reste du pays au regard de la quasi‑totalité des mesures prises en compte dans cette évaluation de la pauvreté. La réalisation d’investissements dans les infrastructures pourraient contribuer à remédier à cette inégalité spatiale et à réduire la pauvreté et la pauvreté alimentaire en dehors de la capitale du pays. Ce point soulève également des questions concernant la décentralisation des services publics. 7. 4. 4.   LES POLITIQUES DOIVENT TENIR COMPTE DES BESOINS DES GROUPES DÉFAVORISÉS, NOTAMMENT DES PERSONNES DÉPLACÉES, DES FEMMES ET DES FILLES Les politiques visant à renforcer le capital humain et les moyens de subsistance doivent accorder une attention particulière aux populations déplacées. Les personnes déplacées vivant dans des camps sont plus défavorisées en ce qui concerne la scolarisation et le niveau d’instruction. Les déplacements interrompent la scolarité. Des mesures spéciales doivent être prises pour permettre aux enfants déplacés de rattraper leur retard, pour les intégrer dans leur nouvel environnement linguistique et culturel et pour gérer les effets du stress et du traumatisme liés au déplacement sur leur apprentissage. (IDMC, 2020). Dans le même temps, cependant, ils bénéficient d‘un accès à l‘eau et à l‘assainissement supérieur à la moyenne, très probablement parce que ces services sont fournis par les agences humanitaires qui coordonnent les camps. Les politiques visant à renforcer le capital humain doivent être adaptées aux besoins spécifiques des déplacés centrafricains. De même, les moyens de subsistance des personnes vivant dans les camps semblent ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 139 plus restreints, notamment parce que les terres nécessaires aux activités agricoles sont moins disponibles. Par conséquent, si les politiques visant à améliorer les moyens de subsistance sont axées sur le renforcement de la productivité agricole, il importe de s’assurer que les personnes déplacées dans les camps ne soient pas laissées pour compte. Il pourrait s’agir de favoriser l‘accès aux marchés des intrants et des extrants pour les activités de commerce de détail ou d‘autres services à petite échelle menés par les personnes vivant dans les camps (Young, Jacobsen, & Monium Osman, 2009 ; Nguya, 2019). Les politiques visant à renforcer le capital humain et les moyens de subsistance doivent également prendre en compte les situations particulières auxquelles sont confrontées les femmes et les filles, ainsi que les hommes et les garçons. Le taux de scolarisation et le niveau d‘instruction présentent des disparités importantes entre les sexes : Le taux de scolarisation en 2019 en RCA était d’environ 8 filles pour 10 garçons en primaire, et d’environ 6 filles pour 10 garçons dans le premier cycle de l’enseignement secondaire (World Bank, à paraître). De même, les femmes actives sont moins susceptibles que les hommes d’occuper des emplois salariés dans les secteurs non agricoles, ce qui réduit leurs capacités à se sortir et à sortir les membres de leur ménage de la pauvreté. Par conséquent, il importe d’intensifier les efforts pour promouvoir la scolarisation des filles, leur maintien à l’école et leur apprentissage, puis leur accès à des des emplois productifs. Cela pourrait également avoir des répercussions sur la fécondité, un autre moyen de réduire la pauvreté, comme l‘indique la corrélation entre la taille des ménages et la pauvreté au chapitre 2 (Ainsworth, Beegle, & Nyamete, 1996). 7. 5.   LES CENTRAFRICAINS LES PLUS PAUVRES NE PEUVENT PAS ATTENDRE ET DOIVENT BÉNÉFICIER D’URGENCE DES FILETS DE PROTECTION SOCIALE Les politiques visant à renforcer le capital humain, les moyens de subsistance et les infrastructures peuvent mettre du temps à sortir les gens de la pauvreté, aussi convient‑il de prendre des mesures plus directes. Le recours à des filets de protection sociale pourrait se révéler utile. Ces dispositifs ont pour objet de garantir que les ménages puissent se procurer le minimum nécessaire de nourriture, le plus souvent grâce à des transferts monétaires, à la distribution de denrées alimentaires ou à d’autres avantages en nature. Certains pays déploient également des mécanismes de protection sociale d’urgence qui ne se contentent pas de pallier le déficit actuel des niveaux de consommation, mais réagissent directement aux chocs émergents. Ces politiques peuvent procurer des avantages plus immédiats aux ménages. Étant donné que 54,9 % des Centrafricains — soit quelque 3,3 millions de personnes — vivent en dessous du seuil de pauvreté alimentaire, à savoir qu‘ils ne mangent pas à leur faim même si l’intégralité de leur consommation est de nature alimentaire, ce type d‘action plus directe est vital. Les personnes en situation de pauvreté alimentaire ne peuvent pas attendre que les politiques à moyen terme produisent des effets. Les programmes de protection sociale actuels sont insuffisants et ne ciblent pas les besoins des Centrafricains les plus pauvres, pas plus qu’ils n’y répondent. La couverture des programmes d’aide est dérisoire par rapport à la population pauvre et vulnérable de la RCA : en 2021, seulement 1,0 % des Centrafricains vivaient dans un ménage recevant des transferts monétaires des pouvoirs publics, 9,6 % vivaient dans un ménage bénéficiant de soins pour les nourrissons et les femmes enceintes, et 14,3 % vivaient dans un ménage recevant de la nourriture. On ne note par ailleurs aucune différence nette entre les déciles de la distribution de la consommation réelle s’agissant de la probabilité de bénéficier des programmes existants — les personnes souffrant de formes extrêmes de privation ne sont pas plus susceptibles d’être couvertes que les non‑pauvres. En outre, les types d‘aide que les ménages reçoivent ne répondent pas aux 140 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE besoins immédiats des Centrafricains en situation de pauvreté alimentaire. C’est ce que laissent entrevoir les données de l’EHCVM, puisque la distribution de moustiquaires est le programme d’aide le plus souvent mentionné par les ménages eux‑mêmes — il est certainement important pour le développement du capital humain, mais les ménages ont besoin de se nourrir dans l’immédiat. L’examen du budget de fonctionnement et de la structure des services de protection sociale en République centrafricaine permet d’aboutir à la même conclusion. Plus précisément, les fonds publics consacrés à la protection sociale sont alloués de manière disproportionnée à des programmes susceptibles de bénéficier aux couches les plus riches de la population, notamment des bourses d’études pour l’enseignement supérieur (World Bank, à paraître). Bien que l’extension des filets de protection sociale se heurtera rapidement à des contraintes budgétaires, il s’agit d’une priorité essentielle, compte tenu des avantages à court et à long terme qu’ils procurent. Comme le montre l’encadré 6, les nouvelles données sur le programme Londö et le PACAD font entrevoir les bénéfices que pourraient apporter les programmes de protection sociale existants en RCA, non seulement en procurant des avantages à court terme, mais aussi en favorisant le renforcement du capital humain et des moyens de subsistance. Ces données font écho à celles recueillies dans d‘autres pays de la région qui montrent que les transferts monétaires sans condition peuvent également améliorer les résultats liés au capital humain : par exemple, le Child Grant Development Program du Nigéria a eu des effets durables sur le retard de croissance et la prise de vermifuges, les transferts monétaires n’aient été assortis d’aucune condition (Carneiro, et al., 2021)68. L’extension de la protection sociale peut également contribuer à la mise en œuvre d’autres programmes publics en étendant le champ d’action des services administratifs de l’État. Enfin, des données provenant d‘autres pays montrent que la protection sociale pourrait même réduire les risques de conflits (Fetzer, 2020). Ces avantages très divers montrent l‘intérêt d‘étendre les filets de protection sociale. Les ressources nécessaires pour faire passer tout le monde au‑dessus du seuil de pauvreté seraient toutefois considérables. L‘élimination de la pauvreté en RCA coûterait 500 milliards de francs CFA par an, soit 1,5 milliard de dollars en PPA de 2017, et ce, même dans l’hypothèse où l’aide serait parfaitement ciblée et transférée aux pauvres sans frais administratifs. Cela dépasse considérablement la capacité budgétaire de la RCA. Des priorités devront donc être établies pour accompagner cette extension. 68  Dans d’autres contextes, les décideurs politiques ont encouragé les ménages à investir dans le capital humain en conditionnant les transferts monétaire à la scolarisation de leurs enfants ou à des consultations médicales. Parmi les initiatives fructueuses, on peut citer Progresa au Mexique (voir World Bank (2014)) et Bolsa Família au Brésil (voir Gazola Hellman (2015)). Cependant, en RCA, ce type de conditionnalité peut ne pas être approprié compte tenu de l’ampleur et de la gravité de la pauvreté, des difficultés que certains ménages peuvent rencontrer pour se rendre dans les établissements d’enseignement et de santé (comme le montre le chapitre 6), et de la charge organisationnelle supplémentaire requise pour vérifier que les conditions sont remplies. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 141 Encadré 6.  DONNÉES SUR LES PROGRAMMES DE PROTECTION SOCIALE EXISTANTS EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Des données rigoureuses montrent que le programme de travaux publics Londö de la RCA a eu des retombées positives notables sur les moyens de subsistance et les conditions de vie. Le programme Londö offre 40 jours d’emploi rémunéré 1 500 francs CFA par jour (environ 4,41 dollars en PPA de 2017 par jour) — généralement en tant qu’ouvrier — à des personnes âgées de 18 ans ou plus issues de ménages vulnérables. Les participants reçoivent également un vélo pour se rendre au travail, qu’ils peuvent conserver s’ils terminent les 40 jours de travail. Les personnes intéressées par le programme sont sélectionnées par tirage au sort de manière transparente et publique. Ce tirage au sort permet de produire des estimations fiables sur les effets du programme en comparant les personnes éligibles avec celles qui ne le sont pas. Les résultats montrent que ce programme a eu des effets durables, et permis d’augmenter les revenus des participants et des participantes d’environ 10 % après la fin du programme (Alik‑Lagrange, Buehren, Goldstein, & Hoogeveen, 2023). Les participants ont également investi dans des biens matériels liés aux nouvelles activités qu’ils ont exercées. Cela montre comment les filets de protection sociale comme les programmes de travaux publics peuvent renforcer les moyens de subsistance et les conditions de vie. Les participants au PACAD indiquent utiliser l’argent reçu pour investir dans le capital physique et humain. Le PACAD procure des transferts monétaires réguliers aux ménages sélectionnés pendant une période de deux ans, et investit dans les services et les infrastructures locales, ce qui entraîne la création d’emplois temporaires. Bien qu’il n’y ait pas encore eu d’évaluation expérimentale ou quasi‑expérimentale de l’incidence du PACAD, les données de suivi collectées en 2019 indiquent comment les participants ont utilisé l’argent reçu (Hoogeveen & Taptué, 2018 ; Yama, 2019). Environ 56,7 % — la majorité — ont utilisé cet argent pour investir dans des biens matériels ou des outils, 9,4 % ont acheté du bétail, 12,4 % ont investi dans l’éducation (figure 65). Même si ces estimations ne peuvent pas être interprétées de manière causale, elles laissent à penser que les bénéficiaires de transferts monétaires en RCA utilisent cet argent pour investir dans leurs moyens de subsistance ou dans le capital humain. FIGURE 65.  UTILISATION DES TRANSFERTS MONETAIRES REÇUS DANS LE CADRE DU PACAD Part des participants (pourcentage) 0 10 20 30 40 50 60 Nourriture 13,9 Santé 1,7 Éducation 12,4 Bétail 9,4 Actifs ou équipments 56,7 Autres 6,0 Source : Yama (2019) et estimations de la Banque mondiale. 142 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Des mécanismes de ciblage efficaces pourraient permettre aux dispositifs de protection sociale d’atteindre les Centrafricains confrontés à des formes plus extrêmes de privation. En premier lieu, il s‘agit d‘essayer d‘atteindre ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté alimentaire. Pour ce faire, il peut être utile de commencer par sélectionner les communes ou les petites zones abritant de nombreuses personnes en situation de pauvreté alimentaire, en utilisant la carte de la pauvreté granulaire du chapitre 2, ou une version adaptée à la pauvreté alimentaire. Cette démarche pourrait être accompagnée d’une collecte d‘informations simples auprès des ménages pour sélectionner les ménages au sein des communes ou des petites zones. Il pourrait ainsi s‘agir d‘utiliser des mesures de sécurité alimentaire faciles à collecter, telles que le score de la consommation alimentaire du PAM, puisqu’il existe une forte corrélation entre ces mesures et la pauvreté alimentaire. Il peut également s’agir de recenser les ménages qui n‘ont pas accès à l‘eau, à l‘assainissement, à l‘électricité et à d‘autres éléments d‘infrastructure ou de biens de base — la combinaison de tels éléments contribuant à aggraver les privations. Toutefois, la prise en charge de l’ensemble des personnes en situation d’insécurité alimentaire restera coûteuse d’un point de vue budgétaire, de sorte qu’il pourrait être nécessaire de définir d’autres priorités pour les dispositifs de protection sociale. Il pourrait s‘agir de donner la priorité à des groupes particuliers parmi les personnes souffrant de pauvreté alimentaire, comme les ménages avec de jeunes enfants qui pourraient bénéficier davantage d‘investissements dans leur capital humain ou les personnes touchées par un conflit ou les personnes déplacées. Il serait également possible de recourir à des loteries pour sélectionner ; les participants, comme dans le projet Londö en République centrafricaine (Bance & Schnitzer, 2021  Alik‑Lagrange, Buehren, Goldstein, & Hoogeveen, 2023) Cette méthode repose moins sur les fonctionnaires et les acteurs extérieurs qui peuvent susciter la méfiance dans les contextes fragiles et touchés par des conflits, d’autant plus que les loteries permettant de sélectionner les participants peuvent être organisées publiquement afin d’améliorer la transparence. Les prestations accordées aux ménages doivent permettre de maximiser les avantages à court et à long terme, ce qui pourrait impliquer d’associer les transferts monétaires ou la distribution de denrées alimentaires à d’autres interventions visant à renforcer le capital humain. Les données collectées dans d’autres pays montrent qu’il est difficile de trancher la question de savoir si les prestations des filets de sécurité sociale doivent prendre la forme de transferts monétaires, de denrées alimentaires ou tout autre type d’aide (Gentilini, 2016). Toutefois, l’association de transferts monétaires et de distribution de denrées alimentaires à d‘autres prestations visant à améliorer la santé, la nutrition, l‘éducation et les actifs — dans le cadre de programmes de protection sociale améliorés se révèle de plus en plus efficace pour répondre aux besoins à court terme des ménages, tout en renforçant leur capital humain et leurs moyens de subsistance à plus long terme (Loeser, Özler, & Premand, 2021). Ainsi, une aide financière pourrait être fournie en même temps que des médicaments, des nutriments, des informations sur les pratiques recommandées en matière de santé, ou des investissements ciblés dans les écoles et les cliniques pour soutenir le développement de la petite enfance, ou des actifs et des formations pour renforcer les moyens de subsistance (Banerjee, Karlan, Darko Osei, Trachtman, & Udry, 2020 ; Gilligan, et al., 2020). En effet, les bons résultats des programmes de protection sociale en place en RCA montrent l’intérêt de combiner les interventions, qu’il s’agisse de travaux publics assortis de la fourniture de biens — dans le cadre du programme Londö — ou de transferts monétaires combinés à des investissements dans les infrastructures locales — dans le cadre du programme PACAD. Ce type de « combinaison » pourrait être particulièrement efficace en RCA, compte tenu du chevauchement existant entre la pauvreté monétaire et les différentes dimensions de la pauvreté non monétaire. ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE 143 Il est nécessaire de trouver des solutions pragmatiques pour recenser et atteindre les Centrafricains, indépendamment des difficultés liées à l’élargissement, au ciblage et au choix des prestations. Certains pays disposent de registres sociaux unifiés contenant des informations de base sur tous les participants potentiels aux programmes de protection sociale. Ces registres peuvent être constitués dans le cadre de campagnes de collecte de données explicites ou en compilant des données provenant d’autres sources, notamment d’enquêtes, de recensements et de dossiers administratifs (Leite, George, Sun, Jones, & Lindert, 2017) La fragmentation des dispositifs de protection sociale et le déplacement de nombreuses personnes rendent difficile l’établissement de tels registres en République centrafricaine. En outre, les nouvelles méthodes visant à recenser la population au moyen des téléphones portables sont à prendre avec précaution, car le taux de pénétration de la téléphonie mobile en RCA est l’un des plus faibles au monde (34 abonnements cellulaires pour 100 habitants) (Bance, Bermeo, & Kabemba, 2021 ; World Bank, 2021)69. D’autres pays touchés par la fragilité et les conflits, comme l’Irak, le Mali et le Niger, ont toutefois montré les avantages à tirer lorsque les pouvoirs publics et les acteurs humanitaires collaborent pour combiner leurs données et constituer des bases de données plus complètes sur les bénéficiaires potentiels (Schnitzer, 2019 ; Grosh, Leite, Wai‑Poi, & Tesliuc, 2022). Ces bases de données sont essentielles pour s’assurer que tous les groupes confrontés à des formes extrêmes de privation sont pris en charge, qu’il s’agisse de personnes déplacées dans les camps, de personnes déplacées en dehors des camps ou de personnes qui ne sont pas déplacées. L’utilisation des données disponibles permettrait de commencer à établir un registre social unifié pour la République centrafricaine. En outre, il serait souhaitable que la RCA désigne une institution nationale unique chargée de diriger la politique de protection sociale, de faire le point sur les interventions existantes et de formuler une stratégie globale de protection sociale réalisable (World Bank, à paraître). 7. 6.   RÔLE DES DONNÉES DANS LE RENFORCEMENT DE LA REDEVABILITÉ ET L’ORIENTATION DES NOUVELLES POLITIQUES Cette évaluation de la pauvreté s’appuie sur des données collectées dans le cadre d’une campagne sans précédent conduite sur des ménages en RCA, en particulier de la population déplacée du pays. La prise en compte des personnes déplacées dans les enquêtes nationales auprès des ménages présente de nombreuses difficultés. La collaboration entre l‘ICASEES, le HCR et la Banque mondiale, qui a permis d’intégrer ces données dans l‘EHCVM 2021, représente une réussite importante dont d‘autres pays pourraient s‘inspirer. Celle‑ci découle également d’autres aspects positifs de la collecte de données de l‘EHCVM 2021, notamment le respect des meilleures pratiques internationales en matière de conception des questionnaires et l‘utilisation de la technologie pour assurer le suivi de la qualité des données. Les données recueillies ont permis de mieux comprendre les politiques de réduction de la pauvreté et la relation entre les déplacements et la pauvreté, ce qui n’aurait pas été possible autrement. Cette évaluation de la pauvreté montre également que la prise en compte des données sur les ménages et d’autres sources de données permet d’améliorer l’orientation des politiques. L’analyse compile tout d’abord des informations macroéconomiques — notamment sur la croissance, le commerce et les prix — afin de mieux comprendre les perspectives de réduction de la pauvreté en République centrafricaine. Les chocs macroéconomiques se répercutent clairement sur les ménages, aussi les recommandations formulées dans ce 69  Les estimations de la pénétration de la téléphonie mobile sont tirées de la base de données des indicateurs mondiaux des télécommunications/TIC de l’Union internationale des télécommunications (UIT) à partir des indicateurs de développement dans le monde. 144 ÉVALUATION DE LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE rapport reposent‑elles sur l’examen de ces liens micro‑macro. Les données géospatiales ont ensuite permis d’obtenir des estimations plus fines de la pauvreté, des informations supplémentaires sur les modes de subsistance et des indications essentielles sur l’accès aux services et aux infrastructures de base, souvent en conjonction avec les données plus traditionnelles sur les ménages collectées dans le cadre de l’EHCVM de 2021. Cependant, bien que ce rapport montre les possibilités offertes par l’utilisation des données géospatiales — en particulier dans les contextes caractérisés par les conflits et les déplacements — il pourrait être utile de procéder à une analyse plus ciblée, afin de préciser certains détails des politiques visant à étendre les filets de protection sociale, à renforcer le capital humain et à améliorer les moyens de subsistance. Poursuivre la dynamique engagée sur la collecte de données pourrait aider à concevoir, mettre en œuvre, suivre et évaluer les politiques dont les Centrafricains ont besoin pour sortir de la pauvreté. Les travaux menés dans le cadre de l’EHCVM 2021 devraient marquer le début, et non la fin, d’une collecte de microdonnées de qualité en République centrafricaine. Il sera essentiel d’entreprendre de nouvelles campagnes de collecte de données, en s’appuyant sur les bases posées par l’EHCVM 2021 en restant attentif aux aspects liés aux conflits et aux déplacements de population. Les microdonnées peuvent aider à évaluer les nouvelles interventions politiques, comme le montre l’évaluation rigoureuse de l’impact du programme Londö. Suivre les progrès accomplis sur le front de la réduction de la pauvreté et de l’amélioration des conditions de vie peut offrir aux décideurs politiques des indications plus concrètes et plus précises, tout en les obligeant à rendre des comptes, en renforçant la transparence et en favorisant la bonne gestion des affaires publiques. Les données peuvent servir à établir une feuille de route pour la réduction de la pauvreté en RCA. BIBLIOGRAPHIE AFWC. (2016). Report on Measures Taken by Members to Implement the Recommendations of the Nineteenth Session of the African Forestry and Wildlife Commission. 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